jeudi 6 juin 2013

De l’Allemagne 1800-1939. De Friedrich à Beckmann.



Dans l’exposition qui se tiendra au Louvre jusqu’au 24 juin, nous sommes comme « Le voyageur contemplant une mer de nuages » de Friedrich découvrant le paysage  mouvant de la peinture allemande au moment où cette nation se construisait. Appréciant la lumière, loin des « querelles-si j’ose dire-d’allemands » qui ont alimenté quelques gazettes ces derniers temps. Comme dit Heinz Wismann dans Lire :
« les Allemands ne sont pas totalitaires au départ ; au contraire ils sont atomisées. Quant aux français[…] ils sont déjà tellement dans la conformité parfaite de l’unité et de la règle garanties qu’ils se paient le luxe de la transgression permanente.[…] L’esprit français consiste à jouer avec la règle, à s’en libérer tout en la confirmant. »
Stimulé par l’épisode napoléonien, le sentiment nationaliste de nos voisins germains se réveille et les héritiers du Saint Empire vont rechercher vers Rome et Athènes les sources d’une régénération, autant chez Apollon que chez Dionysos.
La femme de Franz von Stuck qui attend les mains sur les hanches l’issue du combat de deux hommes, n’est pas chétive.
Dans un moyen âge revisité, près des châteaux perchés et des fleuves puissants, les géants et les nains foisonnent.
En terre protestante la cathédrale gothique de Cologne  dont la construction a été interrompue en 1560 reprend en 1815.
La beauté des paysages romantiques doit plus à la mélancolie des artistes qu’à une reproduction réaliste, les arbres sont tourmentés et les visions sont  souvent celles des sommets ou de ruines et de cimetières.
Le terme expressionnisme apparait en 1908, les peintres allemands en seront les représentants les plus fameux. Ils traduisent avec intensité le grotesque et l’effroyable de la guerre : « l’œuvre du diable » dira Otto Dix.
Et Beckman dans son « enfer des oiseaux » en 1938 est d’une puissance semblable à « Guernica ».
Dans un numéro de Beaux arts consacré à l’exposition, Florelle Guillaume m’a fait redécouvrir le tableau de Böchlin, « Villa au bord de la mer » par un commentaire éclairant.
Cette toile pourrait résumer la présentation des 200 pièces qui donnent une idée de la richesse et de la variété des approches des artistes d’outre Rhin : de funèbres cyprès se dressent près d’une antique villa face à une mer agitée, une femme est adossée aux vieilles pierres, mélancolique.

mercredi 5 juin 2013

Le palais Garnier. L’Opéra.



Lorsqu’Eugénie l’épouse de Napoléon III qui n’avait pas digéré que son favori Violet Le Duc ne fut pas retenu pour réaliser le 13° opéra construit à Paris, interpela Charles Garnier :
 « Quel affreux canard, ce n’est pas du style, ce n’est ni grec ni romain ! »
Celui- ci répliqua :
« Non, ces styles-là ont fait leur temps... C’est du Napoléon III, Madame ! »
Commandé sous le second empire en 1860, au croisement de voies haussmanniennes, le bâtiment gigantesque fut inauguré par Mac Mahon en 1875, et Garnier dut payer sa place ce jour là.
Une entrée particulière avait été réservée à Charles Louis Napoléon ainsi qu’une loge où il aurait pu être vu, mais très mal placé pour assister aux spectacles se déroulant sur le plateau incliné dont les coulisses sont si hautes qu’elles pourraient contenir l’arc de triomphe.
Pour la visite, nous commençons par la rotonde des abonnés qui venaient jadis plusieurs fois au même spectacle; les jeux de la représentation sociale se déroulaient à la descente des calèches dans l’escalier monumental composé d’une vingtaine de marbres  aux couleurs différentes.
Les loges donnent sur la salle de spectacle rouge et or qui peut contenir 2000 personnes sous un lustre de 8 tonnes. Si aujourd’hui des écrans renseignent les spectateurs du poulailler, ces places moins chères étaient pour ceux qui se contentaient du son.
L’aérien Chagall qui a été chargé par Malraux de remplacer en 1964 le décor initial du plafond fatigué par l’éclairage au gaz des débuts, convient parfaitement dans sa clarté.
Les galeries des foyers sont grandioses, leur majesté multipliée par les miroirs. Des maquettes de décor de spectacles fameux sont présentées dans une bibliothèque impressionnante.
Sur le parvis une bande de musiciens jouait joyeusement au pied des célèbres statues de la Danse de Carpeaux reproduites ici par Belmondo Paul, l’original est à Orsay : deux occasions de se réjouir.

mardi 4 juin 2013

Les champs d’honneur. Jean Rouaud. Denis Deprez.



Je voulais retrouver en BD le Goncourt de 1990 que j’avais tant aimé, le titre m’en avait surtout imprimé  le souvenir d’un récit autour de la guerre de 14. J’ai retrouvé la force du récit initial et apprécié les portraits d’une famille dans les années 60 en Loire Inférieure comme on avait fini de l’appeler.
Le travail à l’aquarelle s’accorde bien à la pluie et aux larmes et même à la Provence, lors de vacances des grands parents du côté de Toulon.
Cette famille simple fréquente beaucoup les cimetières, et si Joseph a été enterré sous un arbre du champ de bataille, son corps reviendra dans la terre de son village.
Le grand père qui allumait sa cigarette avec le mégot de la précédente n’a pas fait de vieux os, et la tante Marie sombrant dans la folie après une vie de dévotion, « le petit facteur du Bon Dieu », tiendra  un peu accrochée à ses tuyaux, elle qui « n’était plus qu’une petite ride de vie ».
La vie violente et grise se recouvre ici de subtiles eaux mélancoliques.

lundi 3 juin 2013

La grande belezza. Paolo Sorrentino.


A la vue d’un film italien, mon esprit critique part en vacances (romaines), même si je comprends les avis sévères parfois portés sur le dernier film du réalisateur de « This Must Be The Place » avec Sean Penn en semelles compensées et du remarquable « Il divo » contant la vie d’ Andreotti.
Toni Servillo qui joue un mondain à la paupière tombante débite des vacheries avec élégance.
Nous sommes avec lui à regretter le cynisme de la période, à jouer les sucrés, mais à goûter  aussi les bons mots acidulés. Toujours à cheval sur cette frontière fragile entre drame et indifférence, sérieux plombant ou humour destructeur.
Même si le début est déroutant, la beauté des images tournées dans Rome désertée permet de passer agréablement les 2h20. Et le côté foutraque du film est cohérent avec le propos où la vacuité et l’ennui constituent la trame.
Le snob futile se promène au milieu des fêtes, sur des terrasses sublimes, blasé.  Son pouvoir est dérisoire :
 « Je ne voulais pas seulement participer aux soirées, je voulais avoir le pouvoir de les gâcher »
Quelques tableaux savoureux sur une société décadente subsistent : un chirurgien vend à la chaine des mots et du botox, une sainte en voie d’homologation gravit des marches sur les genoux, les tentatives artistiques sont pathétiques.
Dans cet océan d’hypocrisie, lui qui a renoncé à la littérature, délivre quelques conseils réparateurs :
« Tu as 53 ans et une vie dévastée, comme nous tous. Alors, au lieu de nous faire la morale et de nous regarder avec mépris, tu devrais le faire avec affection. Nous sommes tous au bord du gouffre. Notre seul remède est de nous tenir compagnie et de rire un peu de nous. Non ? »
Les musiques sacrées et électro de 2013 éloignent les fantômes démodés de Fellini invoqués dès que des nichons se pointent. Les mélancoliques ritournelles des matins de fête de Rota se sont évanouies et il ne reste que de grinçants accords d’une civilisation au crépuscule où la littérature est un truc parmi d’autres artifices comme la prestidigitation… et le cinéma donc !  

dimanche 2 juin 2013

En piste. Boivin, Larieu, Houbin.


Deux hommes et une femme dansent sur des chansons  françaises des années 70.
« Avec le temps… » : nous l’avons mesuré, le temps, ce soir à la MC2 depuis  les pistes griffées de 33 tours que nous écoutions fiévreusement :
que reste-t-il après « il n’y a plus rien » de Ferré ?
Plus facile de chorégraphier  «Mirza» de Ferrer ou « il patinait merveilleusement » de Verlaine que l’immarcescible « Petit bal perdu » ou d’autres morceaux  monumentaux et si intimes que les gestes proposés par les trois danseurs semblent relever parfois d’un langage à destination des sourds.
Le choix alternant les frères Jacques, Barbara, Gainsbourg, Boby Lapointe, Brel, Reggiani, Christophe
« Bandit un peu maudit, un peu vieilli,
Les musiciens sont ridés »,
est tellement incontestable  que les textes et les musiques pourraient se suffire à eux mêmes.
Dans une succession de tableaux bien dosés et non de clips, avec ou sans fraises autour du cou, les corps des danseurs irréprochables en piste pour la danse signent le temps qui a passé.
Et les Poppyes chantaient :
« C'est l'histoire d'une trêve
Que j'avais demandée
C'est l'histoire d'un soleil
Que j'avais espéré
C'est l'histoire d'un amour
Que je croyais vivant
C'est l'histoire d'un beau jour
Que moi petit enfant
Je voulais très heureux
Pour toute la planète
Je voulais, j'espérais
Que la paix règne en maître
En ce soir de Noël
Mais tout a continué
Mais tout a continué
Mais tout a continué
Non, non, rien n’a changé
Tout, tout a continué
Non, non, rien n’a changé
Tout, tout a continué
Hey ! Hey ! Hey ! Hey !
Et pourtant bien des gens
Ont chanté avec nous
Et pourtant bien des gens
Se sont mis à genoux
Pour prier, oui pour prier
Pour prier, oui pour prier »

samedi 1 juin 2013

Les gauches françaises. Jacques Julliard.




#1. Le Cadeau.
Mon libéral préféré, tellement libéral qu’il en fait profession, m’a offert le dernier livre de Julliard. Alors que j’aurais été plutôt du genre à lui offrir le dernier Morano, il fait la preuve que tous les riches de droite ne sont pas forcément sans générosité (le livre coûte 25 €) et en outre il n’hésite pas à me flatter, car les 945 pages passionnantes sont roboratives.
Il ne craint pas non plus de redonner vigueur à des fibres progressistes qui m’ont tenu debout dans ma vie professionnelle et syndicale.
Je n’hésiterai pas à rendre hommage à sa munificence en glissant des formules définitives puisées dans le livre que je lui dois, telles que « le passage d’un capitalisme de managers à un capitalisme d’actionnaires » pour caractériser les évolutions récentes.
Mais mon sparring partenair, n’est pas Tocqueville non plus, « capable de considérer la différence entre les recommandations de son intelligence et celles de son intérêt. ».
Nourri à coup de « Le Point », ce camarade généreux quoique Barriste peut sortir dans un moment de faiblesse que la revendication égalitaire est le fait de jaloux, d’envieux.
Avec d’autres contradicteurs de droite, il n’a pas insisté sur Cahuzac qui a fait plus de tort à la gauche que Guéant, Hortefeux et Guaino réunis.
Mais pendant tous ces jours où j’en revenais au passé de la gauche, j’ai ressenti une grosse fatigue. De Jaurès à Guérini.
« Nous voulons substituer dans notre pays la morale à l’égoïsme, la probité à l’honneur, l’empire de la raison à la tyrannie de la mode, le mépris du vice au mépris du malheur, la fierté à l’insolence, la grandeur d’âme à la vanité, l’amour de la gloire à l’amour de l’argent, les bonnes gens à la bonne compagnie[…] c'est-à-dire toutes les vertus et tous les miracles de la république à tous les vices et tous les ridicules de la monarchie. »Robespierre
Face aux droites distinguée entre légitimistes, orléanistes et bonapartistes décrites par René Rémond, l’éditorialiste de Marianne place quatre gauches : la libérale, la jacobine, la collectiviste, la libertaire, dans notre pays où on prête à un vieux paysan ces paroles :
« la république je veux bien, pourvu que ce soit Napoléon  qui soit le roi ! »
Même si des précisions sur les impuissances du cartel des gauches m’ont échappé, cet ouvrage est un  beau cadeau, nous éloignant des réflexes qui ont pris le pas sur la réflexion. Prouvant que « la société pouvait bien être dominée par la droite, les idées continuaient à l’être par la gauche ».
Ponctuant un récit charpenté commencé en 1792, l’historien laisse la place au journaliste. Il oppose agréablement et efficacement :
Voltaire/Rousseau, Robespierre/Danton, Hugo/Lamartine, Gambetta/Ferry, Clemenceau/Jaurès, Thorez/Blum,  Camus/ Sartre, Mendès/Mitterrand…
Chaque mot est une mine. J’ai retenu « chasse patate », mot de Cohn Bendit à propos du PC. C’est un terme de cycliste : celui qui a quitté le peloton mais qui ne réussira pas à rejoindre les échappés.
Le grand soir est dans le passé, il n’est guère flamboyant pour demain  surtout que le mouvement social en ce moment n’accompagne guère les victoires récentes de la gauche.
Après avoir décrit le contexte, je reprendrai la semaine prochaine quelques idées qui m’ont semblé éclairer un tableau qui en présentement bien besoin. 

vendredi 31 mai 2013

Une autre économie est-elle possible ?



Oui l’oppression réside dans la tête de l’opprimé, quant à se sentir responsable de la dette il y a un pas…
Une heure et demie pour finir en beauté le forum Libé de cette année 2013 ne pourra résoudre mes blocages autour de l’économie mais il y a de quoi nourrir des réflexions avec un retour à la racine du sens des mots et des exemples où les alternatifs passent à l’acte.
Patrick Viveret est un pédagogue qui combat les coups de force sémantiques :
« l’utilité économique » quand les accidents de la route génèrent du PIB,  et que « le poison recherché par l’assassin est plus utile que le remède », la nature des activités humaines n’est pas prise en compte.
Le mot « valeur » apparaît au moment de la destruction, comme le mot « bénéfice » qui signifie bienfait dont le contraire est maléfice.
L’usure était un péché dont la nature a changé avec l’invention du purgatoire et la possibilité de rachat. La réforme protestante, elle, condamnait la jouissance.
La notion d’ « inactif » est aussi à revisiter :  par exemple 1/3 des élus sont des retraités pas vraiment improductifs comme tous les bénévoles.
Anne-Cécile Ragot dirige l’association « Alternatives&Alliances » avec le web comme moyen collaboratif déterminant.  Elle travaille à une banque du temps InfoJobs à Barcelone pour permettre à des demandeurs d’emploi d’échanger leur savoir-faire afin d’améliorer leur employabilité.
Elle nous décrit des expériences de monnaies locales complémentaires à but social à Toulouse, à Fortaleza quand la monnaie facilite les échanges et n’est pas un instrument de captation, de domination.
Elle réalise ce qu’elle a conçu : « Dans une société où prolifèrent les phénomènes de misère et d’exclusion et où le lien social se distend, l’économie collaborative et les monnaies sociales montrent la voie pour dessiner une autre économie aux couleurs des valeurs que nous voulons voir portées dans ce monde. »
Ces expériences ont une forte vertu pédagogique, en luttant contre un système qui prospère sur son obscurité.
70% des transactions financières  s’effectuent à la nano seconde  par  d’algorithmiques traders.
3% des échanges boursiers concernent l’économie réelle,
97% traitent de l’économie spéculative.
La fortune des 3 personnes les plus riches du monde équivaut au revenu annuel des 150 millions de personnes les plus pauvres
Peut-on sortir de la sidération comme vient de le faire un des pères de l’ €uro, Bernard Lietaer ?
 « Le changement climatique, le chômage et le vieillissement de la population ne peuvent être résolus avec le système monétaire en place. C'est au centre de notre tabou monétaire que nous trouverons, ou non, les forces indispensables au changement de paradigme. »
Glocal : global/local :
L’Islande est en train de faire la preuve, d’un processus de réappropriation citoyenne, à l’échelle d’une nation.
A la sortie de la salle  un militant de l’association « Sol Alpin » (monnaie, d'utilité sociale et écologique) recrutait.
Son message loin des passions tristes et des exhortations sacrificielles est bien passé. 
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Dans le Canard de cette semaine: