vendredi 25 novembre 2011

Au loup !

Sur le pont du tram qui va vers Fontaine, des libertaires ont écrit :  
«Nourris le loup tant que tu veux, il regarde toujours vers la forêt. »
La sauvage formule s’efface quelque peu, mais d’autres loups tels ceux de Reggiani, sont aux portes et se pourlèchent d’avance des individualismes qui s’exacerbent, des défiances envers les politiques.
A tant avoir crié « au loup ! » depuis des lustres, nous ne savons plus distinguer entre rouge et brun et pourtant des béances s’élargissent :
l’écart de 1 à 40 entre le PDG et le plus mal payé de l’entreprise a été multiplié par 10 en trente ans.
Seul chiffre que j’ai retenu en introduction des trois jours où la République des idées tentait de « Refaire société » avec quelques réflexions pour lesquelles je ne sais plus exactement où poser les guillemets.
Si le XX° a été le siècle où se sont réduit bien des inégalités, le XXI° a des airs furieusement XIX° avec ses rentiers. Nous assistons à « une déligitimation de nos institutions, à un rétrécissement du commun. » La simplification populiste où les immigrés sont les boucs émissaires gangrène la société. La cohésion pourra se réparer en écartant les tentations d’une république nostalgique quand l’état était impartial, l’école un ascenseur, le travail protégé.
L’alternative ne passera pas non plus par une idéalisation de l’ordre méritocratique où il n’y aurait plus que la loterie pour se sortir de conditions de vie dégradées (logement, sécurité, santé)
Il faudra un état instituteur pour remettre en forme le social au niveau européen. Pas seulement un état protecteur mais une puissance publique qui redonne aux individus les conditions favorables à leur autonomie. C’est pas « biquet » cette perspective ?
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Jul a dessiné pour la RDI ( République des Idées)

jeudi 24 novembre 2011

Mai Thu Perret au Magasin.

Décidément, quand je veux remonter mon taux de fiel, je vais faire un petit tour au Magasin, lieu d’art contemporain à Grenoble, et ça grimpe !
Cette fois Il ne faut pas compter sur les cartels, tous en anglais pour nous renseigner, ni sur une quelconque feuille pour accompagner notre visite.
La langue française de maintenant ne m’éclaire pas plus: 
« cette jeune artiste crée un réseau d’enchevêtrements entres ses œuvres qui se joue des polarités pour former une narration abstraite très ramifiée. »
La charmante personne qui vend les billets nous donne bien quelques indications mais il est difficile de percevoir les références littéraires de l’artiste suisse qu’elle a bien voulu mentionner.
Je ne ferai qu’accroître mon irritation quand je vois précisé  sur Internet pour une figure mexicaine exposée en début de parcours.
« Avec The Adding Machine, la reproduction d’un jaguar provenant de la cité préhispanique de Teotihuacan au Mexique, Mai-Thu Perret est radicale : elle ne s'inspire pas de l'art mexicain, elle le copie intégralement. » 
Radicale ! C’est du foutage de gueule ! Et ses céramiques sans originalité, ses taches sur moquette, ses tapisseries hideuses, ses quelques cercles peints sur quelques cartons sont froids, vains, sans sens ou adossés à des référents connus d’une étroite élite.
Une théière grand format peut amuser les enfants mais ils seront mieux à jouer au square pas loin où il y a une locomotive qu’ils peuvent investir.
J’essaye, mais parfois je me sens étranger au monde d’aujourd’hui.
Ah si ! il y a dans une petite salle, un « Mémory » de Marianne Muller amusant avec des paires d’images à réunir à partir de formes semblables : ludique et incitant à la réflexion.
« L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible » Paul Klee

mercredi 23 novembre 2011

Lisbonne # J6. Sintra : la campagne des rois.

A 9 heures nous sommes tous opérationnels pour profiter de cette journée dont la météo s’annonce comme celle d’hier : ciel bleu intense, soleil lumineux et vent frisquet. Nous coupons par des petites rues tranquilles, puis nous réempruntons la rue escalier « Do duque » qui part de la place Cuelho jusqu’à l’Estacio do rossio. Cette gare de style manuélin se remarque par son architecture mais pas par des indications touristiques.
D. l’a reconnue grâce à ses lectures. Sur la façade, le roi Sébastien est représenté jeune en statue, écu penché à 17°, sur lequel se reconnaissent cinq blasons et des châteaux stylisés. Nous acquérons des billets pour Sintra à 4,80 € aller et retour et nous nous installons dans le train. Le trajet dure presque une heure et demie par une sorte de RER prévu toutes les 20 minutes qui traverse les banlieues plutôt modestes s’étendant à perte de vue. Des arbres apparaissent dans le paysage puis la petite gare coquette proprette et surannée de Sintra, terminus de la ligne. Le bureau d’information qui s’y trouve est pris d’assaut par les passagers désireux de se procurer un plan de la ville. « Ask to me » ne peut nous le fournir ni en français, ni en anglais, il y en a eu mais il n’y en a plus ! L’agence de tourisme a été dévalisée ce matin. Nous nous contenterons d’un plan en espagnol. Nous marchons en direction du centre historique, le long de l’avenue affublée de sculptures modernes pas très réussies à notre goût. Par contre la végétation bien entretenue explose de santé , « agapanthes dans la pente », verdure, boulets d’hortensias et arbres. Nous apercevons les deux cheminées du palais national qui de façon fort sympathique puisqu’il s’agit de fours des cuisines remplacent les tours habituelles des châteaux. Nous laissons sur notre gauche une fontaine mauresque et nous nous lançons dans la visite du Palacio national référencé dès le 10° siècle. Plusieurs rois l’habitèrent et l’embellirent en s’inspirant de l’Alhambra de Grenade et lancèrent la mode de l’azulejos dans tout le Portugal. Le bâti et les décorations sont magnifiques, le mobilier aussi.
Il ne faut pas oublier de lever la tête, les plafonds décorés ont parfois donné le nom à leur salle : salles des cygnes, salle des sirènes, salle des galères et de façon amusante la salle des pies : on raconte que la reine alertée par une de ses dames d’honneur jalouse, surprit ici Jean 1° dans une situation compromettante. La délatrice garda l’anonymat. Le roi fit peindre au plafond du lieu de ses turpitudes, des pies, oiseaux symbolisant le bavardage en nombre égal à celui des dames de sa cour, moins une: celle qui lui tenait compagnie. Chaque oiseau tenait dans son bec une rose symbole d’amour et du plaisir qu’il avait goûté en la compagnie des jolies bavardes et à l’intention de la reine, il fit malicieusement ajouter sa devise : « por bem » (pour le bien) (Ulysse)
Nous traversons des salles, des chambres et des endroits curieux, originaux :
- La chambre d’Alphonso VI, roi évincé par son frère et retenu prisonnier se distingue par un tapis de céramiques usé mais unique.
- La salle des blasons est surmontée d’un dôme monumental. Au centre du dôme un dragon ailé représente le pouvoir de Manuel 1°. Il est entouré par les blasons de 8 de ses fils puis après une rangée de médaillons de cerfs sont mentionnés les blasons de 72 familles de la noblesse portugaise. De cette salle on pouvait surveiller à l’Ouest les flottes partant ou revenant d’Amérique, d’Afrique, de terres prestigieuses.
- La chapelle palatine présente un magnifique plafond mudéjar à entrelacs, un rare pavement de céramiques mauresques et des fresques à motifs de colombes du 15° siècle (Manuel 1°) Deux fenêtres latérales apportent une lumière inhabituelle dans l’église claire. Les trois autels sont en azulejos recouverts d’une classique nappe blanche.
- La grotte des bains, lieu de fraîcheur en azulejos bleus camouflait des jets d’eau. Elle raconte la création du monde et les quatre saisons occupent les coins.
- Et surtout les énormes cuisines coiffées de leurs cheminées jumelles. Les casseroles en cuivre reposent sur des grilles au dessus de foyers vides alignés, les longues broches pouvaient faire rôtir des bestiaux de taille respectable. Une cuve d’eau reliée à un robinet facilitait vaisselle ou approvisionnement pour la cuisine. Le guide précise que l’on se sert encore aujourd’hui de ces lieux pour confectionner des repas officiels.
Ne pas oublier la pagode chinoise ciselée en ivoire et bois ainsi que quelques pièces décorées de mobilier chinois.

mardi 22 novembre 2011

Lucille. Ludovic Debeurme.

Une grande bande dessinée pas seulement pour ses 500 pages qui s’avalent dans la journée, aux dessins épurés sans cases où le mal vivre de deux adolescents porte bien plus loin que le passage obligé d’une vie qui se résoudrait dans la page courrier des lecteurs d’un magazine féminin.
La jeune fille est anorexique :
« J’ai si froid la nuit… je voudrais dormir sans fin. Qu’un rêve m’emporte. Mais je me réveille et je dois tout recommencer. Me nourrir pour survivre alors que chaque bouchée est un supplice. Du poison dans ma gorge. Je veux être vide… légère… la nourriture me remplit. Ce poids dans mon estomac me répugne. Il faut purger ses entrailles. Réduire cette charge qui me pèse. Devenir si frêle… et s’envoler »
Le garçon est violent :
« Mon père me manque... Je regrette tellement toutes ces fois où il me proposait de venir avec lui sur le chalutier et je refusais... J'aurais pu passer tout ce temps avec lui... et apprendre... Je ne sais rien de mon père. (...) Je sais juste que je porte son putain de prénom, et celui de mon grand-père... et je sens que ça me colle la poisse... que je pourrais me foutre en l'air moi aussi. J'aurais préféré hériter d'autre chose que de cette merde. » 
Ils vont s’aborder et se perdre. Poignant. Leur folie semble familière, c’est que l’auteur a finement noué son récit qui décolle parfois du réel sans distraire notre attention envers ces deux jeunes « fêlés » dont les précautions envers l’autre sont d’autant plus émouvantes qu’elles surviennent en milieu sec.

lundi 21 novembre 2011

Les neiges du Kilimandjaro. Robert Guédiguian.

Jaurès est à l’apéro et au dessert avec « les pauvres gens », poème d'Hugo comme inspirateur.
« Il est nuit. La cabane est pauvre, mais bien close. 
Le logis est plein d'ombre et l'on sent quelque chose 
Qui rayonne à travers ce crépuscule obscur… » 
En route vers la retraite, Daroussin et Ascaride savent allumer les barbecues pour les camarades et bien s’occuper des enfants.
La carte postale en couleurs de Guédiguian, depuis L’Estaque avec sa troupe à peine touchée par le temps qui passe, peut nous ravir dans un monde où le cynisme est la couleur dominante. La fraternité ne va plus de soi dans la classe ouvrière qui conserve pourtant quelques belles âmes sachant pardonner alors que les jeunes submergés par la précarité sont plus durs.
« Tiens, dit-elle en ouvrant les rideaux, les voilà! »

dimanche 20 novembre 2011

H.F. Thiefaine. Suppléments de mensonges.

L’ami qui m’a fait écouter le dernier CD d’Hubert Félix Thiéfaine, m’a bien dit que ses fans - qui ne manquent pas - trouvaient le sexagénaire trop assagi : moi ça me va.
Après avoir apprécié cette dernière livraison, je suis allé faire un tour du côté de ses premières chansons que j’avais remisées au fond des années post soixante huitardes quand les fumées lacrymogènes avaient viré aux volutes d’herbes hilarantes.
Il tentait de prendre alors la succession de Ferré, drapé dans les synthés où il convoquait la folie :
« la folie m’a toujours sauvé & empêché d’être fou » 
Aujourd’hui, il ouvre sur une nostalgique promenade vers l’enfance, certes dans la
« ruelle des morts », où les filles y « faisaient goûter leurs framboises ».
Sage, même si le corbeau de Rimbaud, Poé et Van Gogh se pose dans les coins du livret.
Le voyageur court les banlieues d’Izmir, Santa Fe, Cuzco, et cherche l’amour toujours
« à l’ombre de mes rêves ».
Ses accents rappellent Baschung, Gainsbourg, et j’aime sa voix singulière et ses orchestrations élégantes. Sur fond noir, la moindre paillette de couleur donne toute sa lumière. Où l’on apprend que l’étymologie d’orchidée signifie « testicule » en grec ancien, si bien que l’orchidoclaste à qui il consacre un titre doit être sérieusement  
« brise burnes ».
Il se fait le torse d’Iggy Pop sur la pochette et le maquillage dégouline sous ses yeux, mais quand il s’exprime en québécois il se montre en pleine forme : il « toffe les runs » c'est-à-dire « qu’il tient le coup envers & contre tous » et s’il dit « j’sus sur le go » c’est une autre façon de dire qu’il « tient le coup ».
Tant qu’il y aura des filles pour « prendre son pion dans son circuit » .

samedi 19 novembre 2011

Les derniers indiens. Marie Hélène Lafon.

Une écriture comme une litanie fait le tour une dernière fois de la société paysanne qui n’a plus d’enfant.
Là bas, dans le Massif central, Jourde avait déjà porté sa plume dans « Pays perdu » et Depardon sa caméra attentive et patiente.
Une écriture précise :
« Les voisins aimaient les bêtes bruyantes, ils avaient eu des paons dont les cris funèbres et lancinants avaient vrillé l’air lourd du dernier été de Pierre, ils eurent des coqs impérieux et des kyrielles hoquetantes de dindons, dindes et pintades, ils achetèrent pour l’agrément des enfants des ânes doux et bruns qui se répandaient à toute heure en braiements éperdus. »
Les maisons, les gîtes, la vaisselle, le linge, les chiens, les solitudes, « les voisins qui ont le goût de devenir », l’église, le monument aux morts, les silences, le temps qui passe.
« Elle avait acheté sa Cocotte –Minute neuve en juillet 1983 chez Veschambre à Allanche, elle avait conservé les mêmes pieds de géranium rose pendant treize années, les volets des deux pièces de derrière avaient été changés à l’automne, l’année de la grande sécheresse, en 1976, par le père de l’actuel menuisier de Condat qui était mort subitement en décembre, trois mois plus tard, on était allé à l’enterrement… »
Ces 166 pages parleront à mes pays, mais il n’est pas besoin de connaître l’importance d’un changement de toile cirée pour apprécier l’auteure.
Je remercie la personne qui me l’a fait découvrir au cours des échanges que nous avons dans le groupe de lecteures qui se réunit une fois par mois sous l’intitulé « Page à page », à la bibliothèque Barnave de Saint Egrève.