vendredi 11 novembre 2011

La société des égaux. Pierre Rosanvallon.

Avant les trois jours de débats de la République des idées qui s’ouvrent ce weekend à Grenoble, j’ai essayé de potasser le dernier livre de celui qui fut l’un des piliers de la deuxième gauche désormais dissolue; il revivifie à nouveau le débat.
Les 400 pages qui brassent philosophie, histoire, psychologie, économie sont d’une densité que j’aurai bien du mal à regarder de haut. Mais revisiter des pensées tellement évidentes qu’elles se sont effacées, quand leur répétition signait leur défaite, est salutaire.
Il rappelle Bossuet :
«Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu'ils en chérissent les causes.» 
A l’heure où le mot « dette » clignote sur tous nos écrans, j’ai été interpelé chaque fois qu’il évoque cette notion accolée au mot social :
« En 1945, comme en 1918, une nouvelle peur des révolutions faisait en outre son œuvre. Mais le sens aigu qu’il fallait honorer une dette sociale contractée dans les épreuves communes n’en constitua pas moins le ressort essentiel de la révolution de la redistribution qui s’est alors opérée dans les pays démocratiques… »
De notre époque agitée, il sait souligner la dynamique des existences :
« L’individu-histoire, nécessairement singulier, a ainsi éclipsé l’individu-condition, davantage identifié à un groupe. »
Ce n’est pas la fin de la lutte des classes, puisque dans ses dernières lignes, il constate :
« Cette mondialisation rapproche ainsi les nations en même temps qu’elle creuse partout matériellement et psychologiquement le fossé entre classes » 
De quoi secouer nos illusions de citoyens qui croiraient appartenir à un monde commun peuplé de semblables, alors qu’explosent les inégalités sociales et économiques. Il en appelle à refaire du lien social pour combattre la marchandisation du monde, où l’être passerait devant l’avoir, où écolos et socialos s’entendraient autour d’une croissance sobre.
Résumé ainsi, cela peut sembler bien banal, pourtant comme la quatrième de couverture l’annonce
« Il montre que la reconstruction d'une société fondée sur les principes de singularité, de réciprocité et de communalité est la condition d'une solidarité plus active. »
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Le dessin: cette semaine, celui de Charlie Hebdo.

jeudi 10 novembre 2011

Plateau d’Assy : l’église.

Sur le territoire de la commune de Passy qui s’élève de 500 à 3000 m, sur le plateau d’Assy, une église  a été inaugurée dans les années 50, elle recèle des œuvres de plusieurs artistes qui incarnaient la modernité d’alors.
Le premier et mon préféré à été Rouault qui déjà sur ses toiles forme des vitraux, ici il donne au verre les vibrations de la peinture.  
Matisse est là, toujours vivant, libre, délié, et si Bonnard m’a déçu avec un support qui ne lui a pas convenu; dans leur candeur, les vitraux de Chagall sont  à leur place au baptistère .
Le Christ de Germaine Richier fit scandale car il représente une charogne dépourvue d’espérance. Il est revenu à sa place, mais j’en connais quelques uns de plus beaux, de plus forts.
Au fronton de l’église, la mosaïque monumentale de Léger, disparaît derrière des piliers massifs en pierres en bossage dont les formes appuyées se répètent.
L’ensemble manque de cohérence en juxtaposant les œuvres: le  plafond  évoque des territoires océaniens sous un toit savoyard, et les tapisseries de Lurçat ont certes de l’originalité mais sont posées sans symétrie, ni rythme dans le chœur.
A cette église de Notre Dame de Toute Grace, j’ai préféré bien des chapelles modestes avec des retables foisonnants. La démarche de ceux qui ont conçu cet édifice pour les nombreux tuberculeux qui étaient soignés dans les sanatoriums alentours qui comptèrent jusqu’à 2000 lits, était louable.
Mais il arrive que dans les églises aussi la modernité se démode.

mercredi 9 novembre 2011

Lisbonne # J5. L’océanorium.

Aujourd’hui nous quittons les vieux quartiers pour nous plonger dans des quartiers récents construits pour l’exposition universelle de 1998. Par le métro rouge nous atteignons assez tôt le terminus à Oriente, dans une gare moderne couverte par une forêt de pylônes en forme de palmiers qui nous rappelle l’immense aéroport de Madrid. Nous traversons le centre commercial Vasco de Gama encadré par deux grands immeubles en forme de proue de bateau. Les bords du Tage sont joliment aménagés. Nous longeons une allée de drapeaux qui conduit au fleuve puis bifurquons après le centre nautique où de jeunes enfants habillés de toutes couleurs s’initient aux joies du canoë, sous l’œil attentif d’un moniteur et de son chien lui collant aux basques, affublé lui aussi de son gilet de sauvetage. Nous poursuivons notre errance sous la ligne de téléphérique encore immobile et fermé, jusqu’à l’Océanorium de Lisbonne pour une visite qui prendra presque trois heures.
Il se compose d’un immense bassin central où évoluent requins, raies majestueuses de couleurs et tailles différentes qui se collent aux vitres, de bancs de poissons, et de gros poissons mastodontes, aux faces de lune, archaïques. D’autres bassins plus éclairés ou plus sombres, de températures froide ou chaude, reproduisant des milieux humides recréent la vie de différentes parties du globe. Celui de l’Océan Indien par exemple laisse filtrer une lumière plus importante avec des coraux et des poissons aux couleurs vives et chatoyantes. Les pingouins sont réfrigérés par une clim’ importante et la présence d’une glace si lisse qu’on la dirait factice. Le clou de l’Océanorium sont les deux loutres Eusebio et Amalia indifférentes aux regards des visiteurs qui dorment en faisant la planche sur le dos et en se donnant la patte; tout comme la loutre célibataire Figo dans le même bassin, ils dérivent tranquillement. Nous admirons aussi des anémones de mer, des dragons de mer si fins, des grenouilles aux couleurs inhabituelles, un octopus, des méduses transparentes et gracieuses, des hippocampes et des tas d’espèces insoupçonnées.
Quelle diversité de formes de vie ! Des petits poissons entrent par les ouïes de plus gros et semblent se nourrir avant de ressortir. Bref de quoi observer sans fin, ce que ne manquent pas de faire les enfants bouche bée ! Des hommes grenouilles circulent dans le grand bassin au milieu des grands « bêtians » soit pour essuyer le vitres, soit pour entretenir l’aquarium en injectant des produits à l’aide d’une grande seringue ou en aspirant et aérant le fond de sable granuleux avec une sorte d’aspirateur. Nous nous réchauffons au soleil et déjeunons dans une Peixaria rua Pimenta, rue nouvelle de restaurant près du Tage. Au menu : bacalhau, clams et riz aux fruits de mer recommandé par le garçon qui nous offre gracieusement le Moscatel à la fin du repas.

mardi 8 novembre 2011

L’homme de mes rêves. Nadja.

Roman graphique. Chaque vignette est revêtue de couleurs laiteuses qui conviennent à la rêverie.
Dans cette atmosphère grise, la ligne claire, qui avait valu à la sœur de Solotareff la notoriété dans la littérature jeunesse avec « Le chien bleu », facilite la lecture.
Cependant j’ai suivi distraitement l’histoire de Kate, une jeune femme décidément trop passive dans sa dérive déprimante.
La frontière est poreuse entre le rêve et une réalité de cauchemar; de plus le genre, assez parcouru en bande dessinée, fut-elle peinte, me laisse froid.

lundi 7 novembre 2011

The Artist. Michel Hazanavicius.

La lumineuse Bérénice Bejo constitue le principal attrait dans ce mélo second degré censé rendre hommage aux années du cinéma muet. Quelques gags viennent ponctuer ce qui aurait pu constituer seulement un de ces courts métrages peu avares en grimaces.
Un homme, vedette gominée du cinéma muet, déchoit, une fraîche étoile montante prend pitié du gommeux.
Le chien est amusant.
Quand le cinéma se regarde dans un miroir, la vie peut entrer parfois et faire palpiter le spectacle, ici le destin des personnages est schématique, les sentiments caricaturaux.
La bonne fortune critique du film me laisse muet.

dimanche 6 novembre 2011

Clerc, le Forestier, Souchon : conversation à trois.

La rencontre de 1969 entre Brel, Brassens, Ferré sur RTL s’est rejouée sous l’égide du Nouvel Obs cette semaine sur France Inter.
Les rares commentaires sur le net disent de se garder de toute comparaison, pourtant les trois chanteurs actuels sont des personnages considérables bien qu’ils apparaissent pendant l’émission comme adossés à la montagne de leurs ancêtres.
Les temps ont changé, oui.
Les grands maîtres tutélaires étaient tous trois auteurs compositeurs, ce qui n’est pas le cas de Julien Clerc qui se garde de tout engagement comme d’ailleurs ses deux compères que je connus plus politiques.
Quand il chantait « que peut une chanson quand elle est désarmée ? » c’était du Roda Gill, et désormais Le Forestier peut se vanter d’adhérer pour la première fois à un syndicat : celui des apiculteurs.
Ils sont badins et consensuels les sexagénaires : quand ils parlent de Dieu, c’est pour regretter les cantiques en latin. Où l’on apprend  aussi que Souchon n’a pas de portable. Les gueulards de jadis s’appuyaient parfois sur Hugo, Aragon, Verlaine ; Le Forestier lui a remis pied à l’étrier en chantant Brassens. Souchon est très bon quand il chante : « le temps ne fait rien à l’affaire : quand on est con on est con… » Cet air venant de temps plus audacieux, m’a paru plus délicieux que le gentillet « Le jour et la nuit » qui ne va pas manquer de ravir tous ceux qui rabâchent que l’école ennuie.
Pourtant au cours de leur causerie, ils ont fait valoir l’importance du travail.  
« Il faut qu’on ait l’air de branleurs ! Que le travail ne se voie pas. C’est ce qui est plaisant, mais c’est le plus difficile à faire »
J’avais « pot de casté », comme dirait Philippe Meyer, l’émission de 1h 30 qui comportait des extraits de l’émission mythique dans laquelle les affirmations se voulaient plus définitives; Brel parlait de l’Homme. Les intermèdes musicaux étaient forcément de qualité mais les bavardages d’Alain et Julien étaient quand même bien anodins et Maxime fut bien silencieux.

samedi 5 novembre 2011

Et si l’amour durait. Alain Finkielkraut.

Dans la lignée d’ « Un cœur intelligent », la belle voix du samedi matin nous fait partager ses lectures de madame De La Fayette, de Roth, Kundera et Bergman.
« Ce qui humanise les hommes, ce n’est pas seulement la domestication de la bête, c’est aussi la lutte avec l’ange. Il arrive que la sincérité soit une forme de vandalisme et il faut parfois pour bien agir ne pas universaliser la maxime de son action »
De quoi se nourrir.
J’avais jadis préféré San Antonio à la princesse de Clèves. Au-delà de la grossièreté présidentielle qui la remit à la mode, le philosophe inquiet approfondit à travers elle, l’énigme du renoncement.
Cette promenade dans les livres s’ouvre par les subtilités au temps de Marivaux et se clôt par Kundera que j’avais dévoré dans les appétissantes années 70. Il m’a parut avec mes yeux d’aujourd’hui, bien désenchanté. La légèreté de l’être était donc bien insoutenable.
Vibrant le professeur s’adresse à ses élèves comme Roth « Professeur de désir » :
« … il est émouvant de vous entendre parler avec autant de sérieux et de réflexion de solitude, maladie, désirs, regrets, souffrance, illusion, espoir, passion, amour, terreur, corruption, calamité, mort.. » 
Moments rares et délicieux, ces 150 pages passent comme passent les roses.