vendredi 3 avril 2020

Le temps se distend.

Le présent tricoté d’ici et là bas, d’héroïsme et de petitesses, d'avant et d'après lointains, s’évapore encore plus vite que d’habitude.
Vite, lavons-nous les mains de la noire réalité, tout en appliquant les distances sociales de sécurité à l’encontre de quelques prophètes rivés au passé en recherche de coupables. Nous pouvons aussi croiser à distance respectable, leurs confrères se projetant vers des futurs  inévitablement positifs.
Fascinés par une finitude partant en poussière qui était à mettre jadis sous le tapis, nous sommes ensevelis sous les morts en nombre. Notre toute puissance se réduit à quelques mantras pour s’extasier devant une planète dépolluée, débarrassée de ses habitants. Les collapsologues ont repris vigueur.
Parmi les réflexions les plus courantes, celle qui proclame «  Rien ne sera plus comme avant » est des plus évidentes, pourtant des automatismes anciens persistent.  Ainsi le succès de la « Lettre au président » d’Annie Ernaux qui témoigne des difficultés à passer à autre chose.
J’ai aimé ses romans, http://blog-de-guy.blogspot.com/2008/12/les-annes-annie-ernaux.htmle, mais sa parodie laborieuse du texte de Boris Vian « Le déserteur » est d’une pauvreté  affligeante, aggravée par les avis pour le moins sommaires qui ont accompagné sa diffusion : « Merci madame » renvoyant les critiques à leur nature de mâle.
Elle ose évoquer des menaces sur les libertés, alors qu’elle est lue sur la radio publique avec des accents dignes de Malraux par l’omniprésent Trapenard. On a connu des rebelles plus entravés. Sa grandiloquence m’a paru hors de propos dans un épisode où la souplesse, le pragmatisme sont plus opérationnels que de pontifiantes certitudes déjà maintes fois exposées.
Alors que le pays est à l’arrêt, ceux qui continuent à travailler méritent plus que des applaudissements et me font regretter quelques couplets antérieurs concernant la conscience professionnelle que j’estimais en baisse.
Nous n’en avons pas fini avec les religieux parmi les plus allumés qui ont des influences fortes  parmi les décideurs les plus puissants de la planète. Du reste, ils ont joué un rôle certain dans la diffusion du virus. Ainsi des cultes archaïques reviennent:  alors que des chapelles chrétiennes maintenant désertes s’étaient édifiées sur des lieux de cultes antiques, au XXI° siècle, Gaïa, la déesse grecque de la terre, fait soit disant son retour, pour punir les hommes.
Puisque nous sommes sur ce terrain, notre plus grand péché me parait être de ne pas endosser nos responsabilités ? « L’établissement est fermé » pas seulement à cause du gouvernement, mais je prends ma part dans la cité comme avec mes enfants dont je réponds.
L’augmentation des violences conjugales témoigne bien sûr de l’ensauvagement de notre vie sociale comme à un autre niveau les rigolades en cascade qui mettent en évidence la difficulté de supporter ses enfants à la maison : qui sommes-nous ?  Je n’ajoute pas « devenu » pour ne pas grossir le catalogue «  C’était mieux avant », juste après un mea culpa.
Le populisme sévit désormais vis-à-vis des scientifiques et remonte la fermeture à glissière de la housse mortuaire dans laquelle l’école vient de fermer les yeux. La recherche raisonnée a du mal à se faire entendre, le débat s’hystérise, tout le contraire de la sagesse qui demande temps et respect.
« Il y a des problèmes aux confins du courage et du désespoir, que la raison ne peut affronter sans y risquer son existence. » Gérard Martin
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Le dessin de Glez , Burkina Fasso, est  découpé  dans "Courrier International"

1 commentaire:

  1. Avec l'accord de l'auteur(e)voici un extrait de son commentaire:
    "Oui, le temps se distend. Déjà que le temps se distendait pour moi bien avant cette... parenthèse ? là, il se distend encore plus. C'est si facile de faire du sur place, tu ne trouves pas ?
    Encore que je ne te suis pas sur bien des points, là.
    Je continue paisiblement, et sans crainte mon gros pavé de Christopher Lasch "Un refuge dans ce monde impitoyable, la famille assiégée", où je réfléchis avec l'auteur (qui est mort en 1996...) à comment nous avons pu en arriver à là où nous sommes à l'heure actuelle, c'est à dire, dans nos maisons individuelles bunkérisées, nos (forcément petites…) têtes, seuls, dans une crainte apocalyptique de sortir dehors de peur d'affronter l'ennemi microscopique (invisible à l’oeil nu) téléporté par notre frère, notre semblable.
    Comment notre pax occidentalis s'est transformé en bellum universalum. Il y a matière à réfléchir comme moi, j'aime réfléchir, en tout cas. On peut m'accuser de... spéculation futile, mais pendant que je suis occupée comme ça, je ne CONSOMME, ni ne CONSUME pas grand chose, et que de l'énergie... naturelle, pour ainsi dire, car ça vient de mes neurones, et pas d'une machine.
    Christopher Lasch a l'incroyable qualité à mes yeux d'avoir très bien compris, et intégré, Freud, un des penseurs les plus iconoclastes, difficiles, et exigeants du 19-20ème siècle, (plus difficile que Nietzsche, car Freud expose des idées qui ne FONT PAS PLAISIR, et qui ne flattent pas).
    Dans le grand édifice freudien, il y a l'idée qu'un homme ou une femme grandement adulte est celui qui est capable de tolérer EN LUI-MEME des désirs de détruire ou de nuire à, autrui. Quand on parvient à tolérer en soi son désir de nuire, son agressivité, et reconnaître que soi-même on est AUTEUR de cette rage, et désir de détruire, on a la base pour pouvoir créer une bonne fraternité où, dans le meilleur des cas, on peut tolérer que son... frère ait ces désirs de nuire aussi, sans pointer un doigt.. PSEUDO CHRETIEN d'accusation, et sans se sentir absolument victime de la persécution du grand méchant…Autre. (Mais comme je lis Christopher Lasch avec un oeil… bien critique, j’ai quelques doutes quant à la possibilité pour l’Homme… sujet… d’arriver à cet état dans la configuration sociale de la démocratie. Il me semble que le passé de l’Homme grec athénien nous… enseigne l’impossibilité A LA LONGUE d’arriver à cet état ? maintenir cet état ? dans la configuration sociale de la démocratie.)
    Dans le meilleur des mondes (qui n'est certes pas le nôtre en ce moment...) cela veut dire qu'il n'y a pas de refuge, nulle part, pas dans nos maisons bunkérisées, pas dans nos coeurs, ni dans nos (si petites) têtes, et... bien entendu, à l'intention des bien-pensants (!!) en tous genres, il n'y a surtout pas de refuge... dans la Raison, ou les raisons. (Depuis quand la Raison a-t-elle pu servir de refuge à quiconque, d'ailleurs ? Dans un excellent article d'Octave Mannoni dans Les Clefs pour l'Imaginaire, "je sais bien mais quand même", Mannoni fait cette observation perspicace pour le rôle de la Raison dans la vie humaine, sociale ou pas : la raison, dernier bastion (refuge ?) invoqué, ET LE PLUS VAIN quand le monde fout le camp dans l'incompréhensible, et le réel fait retour.
    Très bonne observation.)"

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