lundi 8 avril 2024

Averroès & Rosa Parks. Nicolas Philibert.

Documentaire de 2 H 20 dans un hôpital psychiatrique. 
La seule musique  « L’hymne à la joie » joué à la guitare par un patient est déchirante comme le fut « La bombe humaine » dans « Sur l'Adamant » qui débutait la trilogie de l’auteur toujours au plus haut depuis son « Etre et avoir ».
Le temps consacré à chaque entretien respecte ceux qui parlent et ceux qui écoutent, les champ/contre-champ tout simples évitent la rigidité et l'ennui. L’absence d’apprêt nous laisse disponibles pour apprécier tout ce qu’il y a à voir et à entendre.
Notre confiance va depuis longtemps à l’élève de René Alliot lorsqu’il se montre attentif  à ceux qu’il filme : «  Une fois le film fini, ils retournent à leur vie. Mais qu’est-ce qu’on laisse derrière soi ? Qu’est-ce que ça fait ? Comment ça travaille ? » 
Les soignants ne galvaudent pas le terme bienveillants, ils sont… patients, et les solutions pas évidentes entre confiance et protection, face à des souffrances terribles, semblant parfois irréductibles.
Est-ce que l’expression de ces malades est un reflet exacerbé de notre humanité qui pécherait par un romantisme esthétisant les douleurs ?
Quand « mytho » devient un terme utilisé dans les cours de récréation, cette banalisation des mots psy, fait-elle de nous des voyeurs courant les films de ce genre, sublimant nos petites failles narcissiques, si loin des calvaires vécus par les malades et leurs familles ?
L’architecture des unités de soin datant du XVII° parait austère vue du ciel, mais les arbres ont grandi depuis la construction et nous offrent des plans qui permettent de souffler entre deux cas où quelques sourires, 
« Je suis conscient d'être complètement mégalomane. 
Mais j'ai les moyens de ma mégalomanie »
ne peuvent atténuer le souvenir du malheur d’une femme littéralement cramée.

samedi 6 avril 2024

Ravel. Jean Echenoz.

Dans la même semaine, j'ai vu le film « Le boléro » puis lu le livre sorti en 2006, peut être que j’aurai dû intervertir l'ordre. 
« Mozart était tellement précoce qu'à 15 ans il avait déjà composé le Boléro de Ravel »  
Pierre Desproges
Mais on peut accorder toute confiance à l’écrivain que le réalisateur avait sûrement lu. 
Nous sommes tout de suite à la fin des années 20, il y a cent ans : 
« En arrivant au bout de la rue de la pépinière on aperçoit ainsi, s'engouffrant dans la rue de Rome, une longue Salmson VAL3, bicolore et profilée comme un escarpin de souteneur. »
Le portrait de l’auteur du Boléro est riche bien que centré sur les dix dernières de sa vie. 
 « Il a toujours été fragile de toute façon. De péritonite en tuberculose et de grippe espagnole en bronchite chronique, son corps fatigué n'a jamais été vaillant même s'il se tient droit comme un i sanglé dans ses costumes ajustés. Et son esprit non plus, noyé dans la tristesse et l'ennui bien qu'il n'en laisse rien paraître, sans jamais pouvoir s'oublier dans un sommeil interdit de séjour. »
Il n’y a pas que le Boléro ! 
« Cet objet sans espoir connaît un triomphe qui stupéfie tout le monde à commencer par son auteur. Il est vrai qu'à la fin d'une des premières exécutions, une vieille dame dans la salle crie au fou, mais Ravel hoche la tête : En voilà au moins une qui a compris, dit-il juste à son frère. » 
Plutôt  que l’illusion de percer des secrets de fabrication de succès planétaires, nous partageons les affres d’un créateur exigeant, perdant ses mots et sa musique jusqu’à sa trépanation. Avant ses souffrances ultimes, quelques notations permettent de sourire, lors de son voyage en Amérique : 
« …on fait trois brefs discours auxquels il n’entend rien, n’ayant aucune oreille pour les langues étrangères à l’exception du basque. »
Le génie reconnu, applaudi reste terriblement seul. La compréhension de ses œuvres parait parfois difficile, même pour « Le concerto pour la main gauche », écrit pour un pianiste ayant perdu son bras droit à la guerre, le frère du philosophe Wittgenstein, qui avait trop arrangé, ornementé, la partition du maître : 
« Quand Wittgenstein, vexé, lui écrit en retour que les interprètes ne doivent pas être des esclaves, Ravel lui répond en cinq mots. Les interprètes sont des esclaves. »

vendredi 5 avril 2024

La France sous nos yeux. Jérôme Fourquet Jean- Laurent Cassely.

Cet ample panorama sociologique se lit comme un roman, étayant ses nombreux tableaux
( évolution de la répartition sectorielle des 500 plus grandes fortunes françaises…) 
et cartes (implantation des boulangeries Marie Blachère…)
de zooms colorés et précis ( La Ciotat, des chantiers navals aux promoteurs immobiliers…).
Un échantillon des cartes de visites laissées dans un espace de coworking d’Aix-en-Provence illustre la floraison des nouveaux métiers de l’économie du bien-être :  
« Facilitateur humaniste, Praticienne en bio-résonnance cellulaire, Weeding planeur, Facilitatrice de changements… » 
Le style est plaisant quand pour décrire les services à la personne est employé le terme « ancillaire », très XIX° siècle, alors que pour les livreurs de repas « Portefaix 2.0 » convient parfaitement.
Même les notes en bas de page sont éclairantes, à propos de l’évolution des banlieues: 
«  …  les bergers allemands des pavillons ont souvent laissé la place aux pitbulls et autres rottweilers des cités. » 
voire cocasses : 
« On trouve également sous ce statut (d’auto entrepreneurs) des profils de cadre ou de consultants freelance, mais ils ne constituent pas «  la majorité de l’espèce » pour parodier la formule d’Audiard à propos des poissons-volants. »
Quelques formules, de vraies « punch line », sont bien vues : 
« Dans l’île de France d’après, le bougnat a souvent été remplacé par un bistrotier kabyle ou originaire du Zhejiang »
« Dans la Bretagne d’après, la tournée des festivals a pris la suite des pardons et du Tro Breiz d‘antan. »
« Le salarié d'entrepôt incarne le prolétariat d'aujourd'hui comme le "métallo" symbolisait celui d'hier. » 
Les points de vue, les clins d’œil, nous mettent en appétit : 
« On trouve des restaurants MacDo aux adresses suivantes : rue de Stalingrad à Bobigny, boulevard Maxime Gorki à Villejuif, avenue Paul-Vaillant-Couturier à la Courneuve… »
« Le grand remplacement musical n'a donc, pour l'heure, pas eu lieu, même si le créneau qu'occupe désormais la variété orientée pop-rock a son pendant sur la scène gastronomique, certains chanteurs étant devenus, en quelque sorte, des "blanquettes de veau" (résistant au renouvellement des modes mais à l'état de niche). » 
Les chiffres impitoyables documentent les changements, et la liste semble exhaustive, dans la « France de l’ombre », d’Amazon et du Bon Coin ou celle de la « France triple A », des piscines, avec une classe moyenne déclassée ou en montée de gamme : 
« Dans la France d’après, le zoo-parc de Beauval et ses pandas constituent donc une destination touristique plus fréquentée que le château de Chambord tout comme Disneyland Paris surclasse nettement le musée du Louvre ou le château de Versailles. » 
Leur description des différentes couches culturelles constituant notre pays est passionnante, depuis la roche mère catholique qui affleure de moins en moins, au dessus de laquelle persistent des identités régionales, un zeste de culture yankee (danse country), voire japonaise (mangas), orientale (kebab)… 
« A l'instar des différents types d'architecture et d'urbanisme qui se sont superposés au fil du temps sur notre territoire, les modes de vie et les références culturelles qu'on observe dans la France d'après sont le fruit d'une sédimentation de différentes influences qui se sont déposées plus ou moins récemment. » 
La compilation de phénomènes entrevus ça et là, s’ajoutant à des souvenirs d’articles de magazine débarrassés des leçons habituelles des journalistes, le recul des auteurs bon pédagogues, assurent à ces 635 pages le rôle d’un compendium éclairant de notre temps.

jeudi 4 avril 2024

Le vitrail moderne. Frère Marc Chauveau.

Qui mieux que le dominicain, historien de l’art, commissaire de l’exposition Penone en son couvent de La Tourette pour présenter devant les amis du musée de Grenoble, le renouveau de l’art du vitrail depuis l’après guerre ?
Aujourd’hui il siège comme membre du comité artistique pour Notre-Dame de Paris.
Il débute sa conférence avec l’ « Eglise du plateau d’Assy » dont l’architecte Maurice Novarina est celui de l’hôtel de ville de Grenoble. 
Là bas, en Haute Savoie, le style de Rouault convient aux cloisonnements de « Véronique ».
A Audincourt, ville des ouvriers de Peugeot, « La passion du Christ » de Léger 
fut davantage appréciée
que le décor du « Baptistère » de Bazaine qu’une paroissienne voulait consoler : 
« Dites à votre mari qu’on finira bien par comprendre. »
A Vence, la chapelle du Rosaire est dite « Chapelle Matisse »
La vie est symbolisée par les feuilles du figuier de Barbarie qui donne fleurs et fruits même dans les sols arides.
Pour la première fois, Manessier ose l’abstraction dans une église ancienne à Bréseux. 
« Le baptême ».
Dans la cathédrale de Metz, Chagall « passeur de lumière » accorde sa spiritualité à la poésie.
«Un vitrail représente la cloison transparente entre mon cœur et le cœur du monde. » 
Il représente « Abraham, Jacob, Moïse, Joseph et Noé »
pour le déambulatoire
 dont voici le projet,et la maquette.
Les verrières de la cathédrale de Saint-Dié-des-Vosges avaient été détruites en 1944. 
Dans les années 80, dix artistes coordonnés par Bazaine ont réalisé cinquante trois baies autour de « La résurrection ».
C’est sur le même thème que Manessier réalise « Le Tombeau vide ou l'annonce de la Résurrection» pour l’église du saint Sépulcre d’Abbeville
et «L'ombre de la Croix».
A Brest, les graphismes élégants de Zack aux teintes réduites
côtoient les couleurs de Bony.
Pour Lardeur, sculpteur, fils de maître verrier parmi soixante-dix sites religieux, 
voilà celui de Cambrai.
Raynaud dans sa sobriété s’accorde parfaitement à l’abbaye cistercienne de Noirlac 
à côté de Dijon.
« Les paroles de la messe » de Dibbets à Blois illustrent la diversité des propositions artistiques.
A Conques, Soulages respecte l’architecture 
et attrape les couleurs du temps qu’il fait dans des verres opalescents.
https://blog-de-guy.blogspot.com/2022/05/monochromie-noir-et-demi-teintes-serge.html
Ricardon
à Acey travaille dans les blancs : silence, contrainte, spiritualité.
Les carrés rouges de Tyson à Saint Claude représentent des anges :  
«  Mais les anges ne sont pas carrés ! Ils sont comment alors ? »
Aurélie Nemours est âgée de 86 ans lorsqu’elle crée les vitraux aux lignes structurantes 
pour le prieuré de Salagon en Haute-Provence.
Ubac
réalise les vitraux de la nef romane de la cathédrale de Nevers
et Alberola ceux  du déambulatoire gothique.
Contrairement à ses contemporains, Garouste pour les quarante-six baies de l'église de Talant travaille le symbolique.
Zagari
à Faymoreau en Vendée innove dans la chapelle des mineurs 
avec les verres et la forme des barlotières (barres métalliques).
Favier
utilise  de la lithophanie de porcelaine pour l’église de Jabreilles-les-Bordes, 
à côté de Limoges.
Parmi « Les témoins » à Vassieux-en-Vercors, «  La femme »
sérigraphie sur verre, de Cerino, peut se voir aussi de l’extérieur.
Il propose aux sœurs de Béthanie la représentation de « Marie-Madeleine », à hauteur d’homme, « Je ne suis que cela, mais je suis tout cela » pour la chapelle du Bienheureux Lataste, lieu de miséricorde, à Montferrand le château.
Les dessins des feuilles d’aucuba de Couturier à Oisilly gravés à l’acide, 
rejoignent des représentations sidérales.
Les techniques des verriers se sont renouvelées stimulées par la créativité des artistes, 
ainsi la mise en lumière d’ Ann Veronica Janssens à Grignan.
Quand furent inaugurés en 2014 les vitraux de l’allemand Knoebel à Reims certains trouvèrent qu’ils ne s’harmonisaient pas avec ceux de Chagall eux mêmes  contestés en 1974 lorsqu’ils furent installés

mercredi 3 avril 2024

Miramar. Christian Rizzo.

Le titre aux intonations imaginées comme admiratives nous prend à contre-pied : la vue sur la mer sera noire, métallique et froide.
Des lumières crépusculaires éclairent le contour de personnages vus de dos pendant une heure avec une musique prévue avec bouchons pour les oreilles, imitant un ventilateur obsédant.
Il m’a fallu attendre les dernières minutes pour que l’évocation des flots m’apparaisse quand les dix danseurs couchés les uns sur les autres roulent vers la salle, avant qu’un incongru barbu en kilt ne brandisse une bannière composée de lanières dorées.
Les facultés d’interprétations s’épuisent quand de surcroit le son continu quoiqu’exponentiel n’offre aucun rythme pour que la danse, puisque c’est sous ce titre que nous avons été invités au spectacle, s’y accorde.
A notre tour de tourner le dos à ces mouvements posés les uns à côté des autres, masqués souvent par ceux qui à leur tour ont cessé de s’agiter sur le plateau.

mardi 2 avril 2024

Une éducation orientale. Charles Berberian.

Lors de la fête du livre de Bron, j’ai fait dédicacer l’album pour une amie libanaise, par celui que j’imaginais être le plus parisien des dessinateurs de Paris.
L’élégant auteur né en 1959 à Bagdad, comme d'autres parisiens d’aujourd’hui, ne connaît plus l’accent titi d’Audiard, mais celui de la banlieue mondialisée.
Le confinement de 2020, en France, lui remet en mémoire le couloir et la cave de 1975 à Beyrouth, sans dramatisation spectaculaire, alors que « Le passé est douloureux et l'avenir fait peur » entre les explosions d’alors et celle du port de 2022.
Sa mère était d’origine grecque, son père arménien, il revient dans la capitale d’un pays jeune, quittée à 16 ans au début de la guerre civile dont il retrace ces années là, par différentes techniques.
Sa grand- mère est un repère important dans cette famille comme son frère Alain de six ans son ainé, son modèle et son gentil tourmenteur, le cinéaste de « La cité de la peur » disparu en 2017.
Si le récit n’est pas aussi « ligne claire » que  « L’Arabe du futur » de Riad Sattouf   
la sincérité, la simplicité qui n’évacuent pas les fragilités de la mémoire, la diversité des traits, rendent ces 120 pages attachantes.

lundi 1 avril 2024

Boléro. Anne Fontaine.


Une belle création cinématographique pour décrire les tourments dans l'accomplissement de l’œuvre musicale de 1928, la plus jouée au monde.
Le compositeur du morceau d’une durée de 17 minutes garde son mystère et c’est bien.
L’interprétation par des acteurs excellents, Raphaël Personnaz très crédible, Jeanne Balibar parfaite en excentrique pour le rôle de la danseuse Ida Rubinstein, et une bande de tous les sons, amplifient nos émotions et tiennent en éveil notre attention pendant deux heures.
La reconstitution historique est charmante sans être empesée et nous comprenons un peu mieux cette quête tyrannique de la transcription d’une musique qui habite le créateur.
Toujours insatisfait, «  l’horloger suisse » en ignore les muses qui ne manquent pas autour de lui et en arrive à ne plus se reconnaître lui même. 
Je vais lire Echenoz et écouter « Le Concerto pour la main gauche ».