samedi 7 octobre 2023

Les deux Beune. Pierre Michon.

Ce sont deux rivières en Dordogne, bien décrites en 150 pages poétiques baignées de pluie.
«…  un brouillard dense dérobait à mi-jambe les arbres, scintillants mais drapés, cagoulés, harnachés comme pour un sacrifice. Je revois ce brouillard ; je revois ce fourreau que tissaient les eaux perfides et tricoteuses de la Beune, et qui le long de la falaise montait gainer les peupliers, l’auberge, l’église. » 
Elles coulent en bas du village où est nommé un jeune instituteur qui fantasme sur la buraliste.
Ce livre se voulant hors du temps nous épargne les outrances féministes de l’heure, mais la description redondante d’un désir mâle univoque censé être original au départ, ramène à une voix masculine datée. 
« Elle lâcha le flipper, elle tourna les talons et vivement amena dans le brouillard ses façons de glamour, ses aplombs de grue, son fourreau de nuit sous quoi régnait, absconse, absolue, la fente considérable. » 
Me conviennent mieux des mots choisis pour saisir un sourire qui 
« n’était pas une peinture de guerre, cette réclame ou ce bouclier d’ivoire… » 
mais plutôt  
« cet arc en ciel de l’âme, changeant, vibrant. »
Les métaphores sont nombreuses, alors je ne peux m’empêcher de me souvenir que la quintessence des saveurs campagnardes contenue dans la tartiflette peut s’éventer au bout d’un moment, et le plat de fête devenir bourratif. 

vendredi 6 octobre 2023

Zadig n°18. Eté 2023.

Depuis le premier numéro du trimestriel précieux pour la variété de ses points de vues,
un changement s’est opéré  en privilégiant un thème parmi les 170 pages. 
Et puisqu’il s’agit de se plonger dans les passions françaises, « l’amour à la française » tire la couverture à lui dans cette livraison.
L’ouverture par une interview de Charline Bourgeois Taquet et Valéria Bruni-Tedeschi est assez conventionnelle d’autant plus qu’une conversation courant sur 15 pages avec Virginie Efira , actrice à la mode, l’avait précédée. 
L’auteur de théâtre Alexis Michalik se voit sollicité. 
« Jadis l’homme avait droit aux prostituées et la femme devait être vierge. » 
Un retour historique « de la galanterie à #metoo » s'avère par contre intéressant : 
«  changer d’idéal collectif, ce n’est jamais supprimer les problèmes : c’est se débarrasser des anciens et en acquérir de nouveaux ».
Concernant aujourd’hui des experts évoquent « le trouple » (couple à trois), et rappellent qu’en 2021, il y a eu plus de 200 000 victimes de violences conjugales et 94 000 viols.
Au pays rose de Ronsard, pleurent les yeux d’Elsa.
La mémoire de ces réalités ahurissantes va avec la légèreté de l’évocation des « french lovers » des années 40 en Amérique, ou les divertissants récits d’expériences avec l’application de rencontres « Tinder » ou quand persiste le jeu du hasard et que Julie livre les résultats de sa recherche du polyamour.
Sous le titre : « La confusion des sens », les mots sont éclaircis : « embrasser » bien sûr.  « Faire l’amour » a signifié un jour « faire la cour » et amitié et amour se confondaient jadis.
« Les cadenas de l’amour » attachés au Pont des Arts ou à Montmartre éloigneraient-ils de la légèreté ? Les élans ailés perdent-ils en s’accrochant ? Faut-il une preuve ?  
Bien loin de la tendresse et des émois des amants, l’évocation de la colère de jeunes Corses après la mort d’Ivan Colonna remet en lumière un épisode de violence qui avait été éclipsé par le début de la guerre en Ukraine.
Les souvenirs de la Corrèze de Franck Bouysse ressemblent aux miens, et je sais les lueurs opalines de la Bretagne, même si ce n’étaient pas des ballots de cocaïne qui s’échouaient sur les plages.
Vanessa Springora raconte le destin des sangliers de Port Cros venus du continent à la nage et devenant un problème en se multipliant.
 J'ai trouvé la nouvelle de Philippe Claudel, « la bêche » assez plate, mais les planches gourmandes de Guillaume Long toujours aussi savoureuses : « Les gnocchis d’Océane ».  
Les brutaux faits divers choisis par Jaenada ne seraient-ils pas la face ratée de l’amour ?

jeudi 5 octobre 2023

Basquiat & Warhol. Picasso.

A la fondation Vuitton aux larges espaces,
deux artistes majeurs de la seconde partie du XX° siècle, 
Basquiat et Warhol ont joué à quatre mains.
 Picasso en son Hôtel Salé, est présenté dans les mille formes
qu’a pu prendre son travail de toute une vie. 
Nous sommes allés au bois de Boulogne depuis l’Etoile dans une navette électrique parallélépipédique vers le lieu devenu incontournable depuis bientôt 10 ans des expos à voir.
Malgré les témoignages d’amitié consacrés par une salle particulière et les mots de l’habile Andrew Warhola, je suis resté avec l’impression d’une collaboration intéressée plutôt que celui d’un enrichissement artistique entre le maître du pop art et celui de la culture urbaine.
« Je crois que les tableaux que l’on fait ensemble sont plus réussis 
quand on ne peut pas dire qui a fait quelle partie »
Une exposition en 86 annoncée par une affiche représentant les deux maigrichons 
avec des gants de boxe accentue l’idée d’une démarche avant tout commerciale.
Cependant les « punching bags » où sont peints le visage du Christ et le mot judge évoquant les « strange fruits » de Billie Holiday, ramènent au racisme et à la mort présente dans ces années SIDA.
Tous les deux populaires, le lisse convient à l’échevelé, mais je les préfère dans leur spécifité. Warhol avait repris les pinceaux, il amorçait plutôt un dialogue qu’une fusion jouant tous deux avec les répétitions en de vastes compositions.
Si ce blog a déjà parlé de l’auteur undergroud, 
le patron de la Factory est évoqué lui à travers des récits de voyages à Venise, Arles, New York, Bergame, Madrid, Mougins, lors de rencontre avec d’autres artistes ou au cours de thématiques sur le pouvoir, le travail des femmes, les Etats-Unis et une expo au Musée de Grenoble.
Picasso a fait naître
aussi de nombreuses pages sur ce blog,
La visite guidée dont nous avons bénéficié dans l'hôtel particulier construit par Pierre Albert de Fontenay qui percevait l'impôt sur le sel, n’élude pas les violences conjugales de Pablo Picasso mais se consacre essentiellement, avec clarté, à son travail tellement inventif et stimulant. 
Effectivement « la collection prend des couleurs » avec le designer britannique Paul Smith, qui met en valeur avec humour et respect des œuvres majeures de l’espagnol disparu il y a cinquante ans.
« Le Jeune Peintre », si léger, un de ses derniers tableaux, clôt le parcours depuis le laboratoire cubiste, la mélancolie bleue, les voyages imaginaires, ses animaux et scénographies, « Déjeuner sur l’herbe » et « Demoiselles d’Avignon »…
Quelques affiches, comme celles qui furent apposées dans le monde entier invitant à la fête des yeux, de l’intelligence, tapissent une salle entière et donnent une idée du rayonnement du prodigieux artiste.
Nous en ressortons tout joyeux.

mercredi 4 octobre 2023

Paris # 3.

A Paris, même pour une andouillette et un Mont Blanc,
l’histoire vous frôle quand le serveur en « rondin » (gilet noir) et  grand tablier, note la commande sur la nappe en papier du Bouillon Chartier, sous ses colonnades art nouveau.
« Félicie » chantée par Fernandel permet de patienter quand on téléphone 
au restaurant rue du Faubourg-Montmartre :
« Afin d'séduire la petite chatte,
je l'emmenai dîner chez Chartier, 
comme elle est fine et délicate, 
elle prit un pied d'cochon grillé... »
Il fallait ça après « Le Musée de la vie romantique » à l’intitulé prometteur 
mais où l’artiste invitée ne nous a pas enthousiasmés.
Les encres de Françoise Pétrovitch auraient mieux convenu comme illustrations dans un livre. Ici leur grand format les affadit surtout lorsqu’il s’agit de portraits,
alors que ses paysages pas vraiment originaux sont agréables.
Nous passons du quartier de « La nouvelle Athènes » à Montparnasse 
où l’atelier musée de Bourdelle a lui aussi un charme insoupçonné depuis la rue.
Dans les travaux monumentaux puissants et harmonieux de l’élève de Rodin n’apparaissent pas les vibrations de son maître.  
« Sans l'adresse de la main, le sentiment le plus vif est paralysé »

mardi 3 octobre 2023

Sex Story. Philippe Brenot Laeticia Coryn.

J’aurais aimé jouer avec les mots pour dire que ce livre, qui ne se lit pas d’une main, était à mettre entre toutes les mains.
Le propos a surtout une visée pédagogique, mêlant habilement le récit des évolutions des mœurs au fil des siècles et des anecdotes éclairantes à propos de Casanova ou Sade mais aussi de Cléopâtre ou de la reine Victoria.
Quant à présenter ce volume de 200 pages à mes petits enfants, je ne sais si ce serait à moi de le faire, bien que cette histoire de la sexualité soit essentielle pour comprendre l’histoire de l’humanité. 
« A  l’âge de 11 ans, un adolescent sur deux a déjà vu une scène pornographique. » 
Un : à onze ans il ne s’agit pas d’un adolescent.
Deux : ce livre n’est pas pornographique, même si les scènes de coït abondent.
Ces représentations longtemps tabous, traitées en ligne claire, ne dégagent pas un érotisme tel qu’un dessinateur comme Manara sait en jouer. 
Elles s’insèrent dans un ensemble didactique.
Des citations de Boucher, Ingres, Manet agrémentent des pages denses démentant des idées reçues : la ceinture de chasteté daterait plutôt de la Renaissance que du temps des croisades alors que « le droit de cuissage » n’apparaît pas dans les archives.
Par contre j’ai appris que jadis des municipalités, des seigneuries, des monastères possédaient des bordels. 
Quand arrive le chapitre concernant le XX° siècle, l’expression : « c’était mieux avant » n’est pas de mise, mais l’avenir envisagé laisse entrevoir une déshumanisation inquiétante, même si en 2060 les représentants à l’ONU de l’Iran et du Yémen s’embrasseraient sur la bouche après l’adoption de la dépénalisation de l’homosexualité. 

 

lundi 2 octobre 2023

Oppenheimer. Christopher Nolan.

Les productions précédentes du réalisateur ne m’avaient pas laissé de souvenirs impérissables
et je ne me sentais pas à priori intéressé par les états d’âme du père de la bombe atomique.
Eh bien, j’ai beaucoup aimé ce film à la rencontre d’un personnage passionnant, car ambigu face à un dilemme colossal à la mesure de la puissance des dieux avec la machine de mort qu’il a mis au point : 200 000 morts à Hiroshima et Nagasaki.
La reconstitution du puzzle narratif est stimulante mêlant excitation intellectuelle, luttes de pouvoirs et vie sentimentale,  identité juive face au régime nazi et fierté américaine.
Et surtout quelle responsabilité face à l’humanité : prométhéen !
La durée de trois heures permet de mesurer l’omniprésence et la virulence de l’anti-communisme, les aléas de la notoriété et l’aptitude d’une nation à mener un effort de guerre colossal.
La puissance financière, la mobilisation massive des scientifiques sur un site constitué de toute pièce au milieu du désert au Nouveau Mexique dans un contexte historique on ne peut plus brûlant sont parfaitement évoqués sur une musique efficace et des images séduisantes, un montage haletant qui permet de donner à réfléchir avec des dialogues approfondis où se risquent des enjeux cruciaux.

dimanche 1 octobre 2023

Le crabe aux pinces d’homme. Manset.

Onirique, exotique, mélancolique, nous retrouvons sous une voix à nulle autre pareille,
un univers bizarre et familier, drôle et inquiétant, rare. 
« Dans un pays de délices » : 
« Deux petits chimpanzés
Se poursuivaient dans les branches
De fruits et de rosée » 
A partir d’un jeu de mots à la ligne claire : « Le crabe aux pinces d’homme »,
nous sommes invités au pays : 
« Des montagnes au-delà de tout ce que le monde connaît »
 Dans « L’espérance » aux senteurs  de lait, d’orgeat et d’ortie : 
« Les petites filles ont mis des robes blanches »…
« Mais voilà qu’un bombe tombe ». 
Bashunguien « Pantera » : 
« Je tuerai la panthère
Pour ce qu’elle a fait de moi » 
« Marilou », si jeune, meurt dans la chaleur : 
« Alors que tout autour
Ricanaient les vautours ». 
Avec « Les sandales noires » on peut bien se demander:
« Et qui reste des heures en cherchant le pourquoi
Du mystérieux carquois
Vide
Qui mène à quoi. » 
Dans « Une histoire d’amour » les rapprochements 
entre « espadrilles » et « escadrille » m’ont semblé bien hasardeux.
Les amis, renard argenté et limaçon se succèdent dans « Laissez-nous ». 
Les images de « Mais elle est là » sont plus parlantes 
« Il ne s’était rien passé, passé
Qu’un autre qu’elle m’aurait vu passer
Comme ce tas de feuilles ramassées
Qui tourne et vole après qu’il fut laissé »
que les mots apprêtés de « La fontaine de la vérité d’amour » 
« Céladon s’en allait par les sentiers moussus
Dans le dédale abstrait du conte allégorique » 
Cessons là.