lundi 10 janvier 2022

Licorice pizza. Paul Thomas Anderson.

« Pizza à la réglisse » : titre énigmatique pour une histoire d’amour adolescente avec ses hauts, ses bas et ses plateaux. 
« On détient déjà la comédie romantique de l'année » : quand, en janvier, un critique écrit cela pour figurer sur l’affiche promotionnelle, il risque de provoquer aussi la déception.
Deux heures agréables avec des acteurs neufs et l’atmosphère des années 70  qui fait naître chez certains une nostalgie que je n’ai pas partagée, contrairement à la douceur qui est bien là.
Nous sommes à l’abri des discours de haine ou annonçant des catastrophes imminentes et nous passons un bon moment qui n’aura rien d’inoubliable. 
Pourtant cette fantaisie, ce charme, cet optimisme ne pourraient-ils pas imprégner des histoires plus contemporaines ?
Le réalisateur a bien varié ses approches 
il arrive à trouver un ton original sur un thème battu et rebattu. 
Alors sans abuser des comédies musicales, on pourrait espérer qu’il y aura d’autres propositions de comédies romantiques aussi charmantes. Un Martini.

dimanche 9 janvier 2022

Candide. Arnaud Meunier.

Le conte philosophique de Voltaire est représenté d’une façon susceptible de séduire le public des lycées, en mêlant comédie et réflexion, sans la démagogie que me faisait craindre quelques déclarations le directeur de la MC2 qui avait déjà présenté ce travail à Saint Etienne. 
« Pangloss disait quelquefois à Candide :-Tous les événements sont enchaînés dans le meilleur des mondes possibles ; car enfin, si vous n'aviez pas été chassé d'un beau château à grands coups de pied dans le derrière pour l'amour de Mlle Cunégonde, si vous n'aviez pas été mis à l'Inquisition, si vous n'aviez pas couru l'Amérique à pied, si vous n'aviez pas donné un bon coup d'épée au baron, si vous n'aviez pas perdu tous vos moutons du bon pays d'Eldorado, vous ne mangeriez pas ici des cédrats confits et des pistaches. »
L’optimisme de Candide a été mis à l’épreuve depuis la Westphalie en passant par la Bulgarie, Lisbonne, Buenos Aires, Venise, Paris, Constantinople... malgré un passage au pays d’Eldorado.
Les acteurs conteurs tiennent allègrement plusieurs rôles sous les rythmes enjoués de deux musiciens dans une mise en scène simple, bien éclairée, sans que la vidéo fasse gadget.
Le « Tout pour ma gueule » ne date pas d’aujourd’hui, ni la bêtise, et l’esclavage était dénoncé il y a 224 ans avec force, comme la situation des prostituées...L’ironie s’exerce sur les quartiers de noblesse, alors la gravité ne prend que plus de relief lorsque sont décrites les atrocités de la guerre et les abus des religions.
Si j’ai eu le plaisir de retrouver:  
« le travail éloigne de nous trois grands maux : l'ennui, le vice, et le besoin. » 
j’ai été surpris par quelques murmures qui ont accompagné le fameux dicton. 
Voilà un bon équilibre entre le plaisir du jeu et le respect d’une œuvre qui n’a pas besoin de clins d’œil appuyés à l’actualité pour nous parler. Les scènes se succèdent vivement sans que cela altère la quête obstinée du jeune homme amateur de contradictions philosophiques.

 

vendredi 7 janvier 2022

Tonton.

Faudra-t-il lancer une pétition pour que soit respectée la corporation des oncles et tantes présentés par des comiques comme de fâcheux fachos autour des tables des fêtes, dans le même panier à archétypes que la belle-mère abusive des années 50?
En ce qui me tontoncerne, les fêtes passées entre scrupuleux d’un côté et quelques non-vaccinés de l’autre, nous avons retrouvé la plupart des amateurs de gratin de cardons qui en avaient été dispensés l’an dernier.
Si nous avons contourné les débats qui fâchent, nous avons bien discuté ; le plaisir de se revoir en « présentiel » étant plus fort que la crainte de retrouver une leçon de morale sous chaque verrine à la façon des blagues de papillotes voisinant avec quelques proverbes chinois:  
« Un bon chef de famille, c'est celui qui se montre un peu sourd ». 
J’ai le sentiment que le « chacun pour sa gueule » même déguisé en développement personnel n’est pas venu grignoter notre premier lieu et dernier refuge de sociabilité : la famille. 
Il semble que l’usage intensif du doigt à switcher nous rende plus nerveux et que parfois l’éventualité de la présence d’un intoxiqué de Zemour ou d’une fana de la détox complique le plan de table. Mais la diversité des opinions n’est pas passée chez nous pour une atteinte à l’intégrité des convives comme on peut le lire dans les woke papers. Les « obligations » familiales, comme il en est de vaccinales, constituent de bonnes occasions pour expérimenter « l’altérité ». 
« Après un bon dîner on n'en veut plus à personne, même pas à sa propre famille. » O.Wilde
Au-delà des mots « bienveillance » et « diversité » devenus tellement passe-partout qu’ils en sont sciant, se retrouve sur le billot de l’usine à langue de bois le «  vivre ensemble ». Mais que dire de mieux, que faire d’autre ? 
Pour avoir vu en 68 derrière chaque CRS, un SS,  je peux me prévaloir du privilège de l’antériorité dans la bêtise héroïque, alors que me révulse aujourd’hui le mot PaSS sanitaire inscrit au Mont Valérien avec la sinistre graphie.
Dans ce lourd héritage imbécile à renier, je peux ajouter un « famille je vous hais » d’après Gide des années adolescentes. Quand il m’arrive de frissonner à l’écoute de « La Marseillaise » voilà « famille » et « patrie » qui ne manquent pas de s’accoler à « travail » dans une trilogie qui peut vous mettre dans un drôle d’Etat (français). 
On exagère avec les mots en les gonflant sans qu’ils pèsent plus qu’un rôt de bovidé. Nous sommes cependant atteints par l’air ambiant agressif dont les caricatures qu’on chérissait réduisent la politique à une somme d’intentions mauvaises. Nous sommes sur le plateau de la société du spectacle avec ses émotions outrées, ses postures outrancières, ses jugements excessifs. La période électorale annoncée, qui paraît-il n’intéresse pas grand monde, occupe  en tous cas nos colonnes, est peu propice à la nuance. J’éviterai de m’engluer dans le pot de miel des vœux douçâtres en souhaitant des nuances dans nos avis.  

jeudi 6 janvier 2022

Robert Delaunay. Eric Mathieu.

Sous l’image virevoltante, « Hommage à Blériot » qui figure dans les collections permanentes du musée de Grenoble, le conférencier devant les amis du musée, va s’attacher à mieux faire connaître l’artiste dont la notoriété est moindre en France qu’en Allemagne ou en Russie.
Sa femme Sonia Terk, sa « petite russe » avait aussi mieux pris la lumière.
Il est né en 1885, à l’époque où le pointilliste Seurat expose. Les bases de la modernité sont posées : la peinture de la perception objective passe avant celle de l’émotion.
Son «Autoportrait» de 1906 témoigne de son émerveillement à la rencontre de Matisse, Seurat pour leur manière de construire avec la couleur. Contemporain de Picasso, Léger, Braque, il ne restera pas longtemps dans le « terne » laboratoire cubiste, lui a plutôt « le cubisme heureux ».
Il réintègre le noir après une période impressionniste et joue sur les complémentaires dans un « Marché breton » évoquant également Gauguin.
Un autre «Autoportrait» de 1909 multiplie les points de vue sans s’enfermer dans les couleurs ternes, Cézanne est passé par là qui remet en cause les formes. Il en est à une période « destructrice ».
« La flèche de Notre Dame» depuis un point de vue inusité nous touche évidemment.
La lumière incurve les lignes dans la série des «Saint-Séverin» et dissout les ombres du sol au plafond.
Il a contribué à magnifier « La tour Eiffel», totem de la modernité, toujours élégante, très présente ou perdue dans les nuages.
Il se réapproprie « Les Trois Grâces» peintes jadis à Pompéi, quand elles paraissaient devant Pâris,
il les met en scène devant « La ville de Paris»  intégrant des connotations de Douanier Rousseau.
« Ce tableau marque l'avènement d'une conception d'art perdue peut-être depuis les grands peintres italiens. […] il résume aussi et sans aucun appareil scientifique tout l'effort de la peinture moderne. » Blaise Cendrars
Guillaume Apollinaire a été inspiré par « Les fenêtres»  
« Du rouge au vert tout le jaune se meurt
Paris, Vancouver, Hyères, Maintenon, New-York et les Antilles
La fenêtre s’ouvre comme une orange
Le beau fruit de la lumière ». 
Ces fenêtres pourraient diffracter bien des apports venant du «cubisme» allant vers l’« abstraction », faisant naître le «simultanisme», l’«orphisme» terme qu’il refuse. 
Bien qu’il se tienne loin des théoriciens, il s’enrichit des lectures du chimiste Chevreul et de correspondances avec Kandinsky ou Klee. 
« J’eus l’idée à cette époque d’une peinture qui ne tiendra techniquement que de la couleur, des contrastes, mais se développant durant le temps et se percevant simultanément, d’un seul coup ».
En «hérésiarque du cubisme»(chef d'une secte hérétique), il se défendait d’appartenir aux «futuristes», mais les remous  autour de ses disques colorés, le dynamisme de « L’Equipe de Cardiff » et ses recherches du mouvement l’en rapprochent.
Ses « Formes circulaires, Soleil n° 2 » éblouissent, tournent et vibrent.
Réformé, il habite en Espagne et au Portugal.
Il cherche toujours la nouveauté : «La femme portugaise ».
L’ami Tristan Tzara se tient devant « Le manège des cochons ».
Les phonographes de
« La Baraque des poètes »  rappellent les liens avec les expérimentations musicales. Loin des chevalets il intègre la peinture monumentale à l’architecture.
« Relief gris »
. Il travaille avec de la caséine, des plâtres, propose des colorations dans la masse, des inclusions de graines, des installations en rhodoïd.
Il réalise la décoration du « Palais de l'air » et celui du chemin de fer pour l’exposition universelle de 1937.
Il avait déjà réalisé une autre « Tour Eiffel » pour l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes en 1926.
Formé dans un atelier de décorations de théâtre, une de ses dernières interventions sera pour les ballets russes de Diaghilev dont il fit les décors
alors que Sonia se voyait confier les costumes. 
Il est mort en 1941.
«Rythme, Joie de vivre»
était destiné à un projet inabouti de phalanstère.

mercredi 5 janvier 2022

L’écomusée d’Ungersheim.

Nous déposons les clés dans la boîte à code de la rue de Bâle avant de quitter Mulhouse et  de partir pour Ungersheim.
L’écomusée d’Alsace ouvre à 10h. Nous arrivons dans les premiers, garons la voiture dans le grand parking sous auvent prévu pour les visiteurs.
Quelques minutes d’attente puis nous présentons nos Pass sanitaires + nos cartes d’identité pour accéder aux guichets où nous obtenons billets et plan du site.
Nous pénétrons dans un village reconstitué dont les maisons traditionnelles proviennent de toute l’Alsace, démontées puis fidèlement remontées pour former un bourg en pleine nature.
Elles montrent des caractéristiques régionales différentes notamment dans les colombages. Certaines très anciennes datent de la Renaissance.
L’intérieur habitable se résume à une chambre à coucher avec un lit plutôt étroit pour deux personnes, une cuisine et une pièce de vie, l’ensemble  de taille relativement petite. Le bois domine comme matériau. 
Des meubles, des objets du quotidien, des ustensiles d’époque pour la cuisine ou des machines à coudre, des  vêtements (peu) renseignent sur les modes de vie et permettent de se projeter dans le passé.
Chaque maison possède son poêle en faïence si typique, il diffère en fonction de la richesse ou du statut social de ses propriétaires.
Une maison se distingue des autres par quelques objets utilisés par des juifs qui  bénéficiaient  ici d’une plus grande acceptation qu’ailleurs.
Mais le musée ne se contente pas d’exposer une collection de maisons.
La reconstitution s’étend aussi aux métiers et à l’activité humaine telle qu’elle existait dans les années 1920.
Ainsi, des ateliers de forge, de charron, de potier, de cordonnier, de mécanique, fonctionnent  selon les techniques et savoir-faire d’antan,
grâce à des artisans travaillant en costume sous les regards des touristes.
Des paysans s’occupent de la vigne, ils soignent et  élèvent des animaux de ferme dans les dépendances des vieilles maisons,
équipées de cour et pour certaines de pigeonnier magnifique.
Nous croisons des cochons noirs et leurs petits, des brebis, des ânes, des vaches, enfin des locales, des vosgiennes, ou encore un bouc odorant. Au détour d’un chemin, un bœuf placide tire sa charrette de foin. Des volailles, poules, canards, oies, s’intègrent parfaitement dans ce paysage.
Un paon s’envole dans un arbre pour se soustraire à un groupe bruyant  d’enfants un peu trop « affectueux ».
Il y a même un rucher au milieu d’un champ de fleurs roses, et pour que les abeilles ne se trompent pas de ruches, chacune d’elle possède une petite porte d’accès de couleur vive et différente encastrée côte à côte.
Enfin, quoi de mieux que des cigognes en liberté nichant à 2 ou 3 par nid, - et des nids, il n’en manque pas ! - pour parfaire l’ambiance alsacienne ? Leurs claquements de bec nous accompagnent  comme un décor sonore. 
Outre les activités professionnelles vivantes, apparaissent aussi  de simples reconstitutions de commerces et de services sans l’intervention humaine: 
Barbier/coiffeur, mercerie, épicerie, sabotier, sellerie, huilerie, tonnelier, vannerie, distillerie de schnaps, auberge, brasserie, une maison de pécheur, 
une école, une gare ;  une exposition de bonnets féminins en dentelle complétée par la fameuse coiffe encombrante alsacienne occupe à elle seule une demeure.
Transféré à l’écomusée et relégué au bout du village, le musée de la Doller s’emploie à faire connaitre  l’œuvre d’André Bindler.
Ce paysan ouvrier né en 1979, a développé un art populaire et naïf.
Il tire son inspiration d’animaux , mais aussi de monuments tels que Notre de Paris, la tour Eiffel ou  même la tour de Pise,
il reproduit en modèle réduit des maisons et des églises alsaciennes 
 il se lance aussi dans la représentation de personnages caricaturaux ou plus connus
comme Roméo et Juliette, Charlot, et revisite des éléments de la nature avec des champignons, des arbres peints.
Tout cet univers habitait à l’origine le jardin de son créateur, et en bien des points la démarche nous rappelle celle de Roger Mercier à Damerey.
Nous nous accordons une pause repas assez tardive sur place, dans une maison, adaptée en self près du logement et atelier du vannier : salade de crudités, tranche de pâté croûte consistante, et blocage de la CB…