mercredi 28 mai 2025

La vie secrète des vieux. Mohamed El Khatib.

Il est souvent difficile de ne pas être déçu par une pièce précédée de très bonnes appréciations, eh bien cette heure trop courte est à la hauteur des compliments.
Le journal de salle annonce, modeste: 
« partons à la rencontre des vieux » 
Et avec justesse : 
« Faire face au vieillissement, c’est d’une part affronter le regard social 
et d’autre part observer son corps usé qui altère jour après jour l’autonomie ». 
Qui pourrait prétendre déballer tous les secrets ? 
« Moi je veux bien tout vous raconter, mais je ne voudrais pas que mes enfants le sachent.
Ils pensent que c’est fini pour moi depuis un moment… » 
Les acteurs amateurs cabotinent un peu devant un public qui comportait moins de vieux que d’habitude m’a-t-il semblé, mais le boomer est prêt à tout leur pardonner tant ils sont frais.
Le récit de leurs amours anciennes ou actuelles avec la présence d’une aide soignante en EHPAD jouée par une comédienne surprenante, passe du rire au drame, tout en posant quelques bonnes questions sur nos relations avec nos ancêtres et nos enfants et sur la représentation théâtrale.
Ce moment éclatant de sincérité, bien documenté, dose avec finesse pudeur et crudité, spontanéité et écriture, humour et gravité. 
Sur le dance floor, le désir de vivre peut s’exprimer à proximité d’une urne funéraire.

mardi 27 mai 2025

Un bruit étrange et beau. Zep.

Un livre simple et lumineux.
Il y a le Zep dessinateur à succès de Titeuf, l’amical compagnon des cours de récréation 
d’il y a quelques années, aux couleurs cernées d’une ligne claire, 
et l’auteur atténuant ses traits réalistes sous des couleurs tendres pour des récits plus graves.
Celui là mène d’un couvent de Chartreux à la ville, qu’un moine doit rejoindre pour cause de succession notariale : du silence à la frénésie de Paris à la recherche d’un sens à la vie.
« Pas besoin de dire :
 "Là ! Il y a un bouquetin !". 
Pas besoin de dire qu'il est magnifique... 
Vivre dans le silence nous réduit à l'essentiel. Je suis chartreux. 
Cloîtré depuis vingt-cinq ans et sept mois. 
Aujourd'hui, c'est le temps de la récréation : la promenade hebdomadaire. 
Trois ou quatre heures pendant lesquelles on peut parler. Mais on perd l'habitude. 
Le bruit des mots qui résonnent dans ma bouche me paraît étrange... inutile. » 
Il ne s’agit pas d’un traité philosophique mais d’une occasion plaisante de réfléchir : 
« Si je ne doutais pas, je n'aurais pas besoin de croire.
Je ne serais pas un croyant... mais plutôt un "assuré". » 
Une rencontre exceptionnelle va-t-elle bousculer le choix radical de la solitude ?
Ces 84 pages paisibles où les questions fondamentales ne se cachent pas dans une complexité distrayante, sont bienvenues dans ce monde chamboulé.

lundi 26 mai 2025

Cannes cinéphile 2025.

Lors de ces jours radieux passés comme chaque année dans les salles obscures, 
la Palestine était dans toutes les têtes, « No other land ».
Parmi 29 films aux sombres tonalités, au rythme lent, un petit film comique, « Baise en ville » est apparu comme une reposante exception.
La diversité des propositions nous enchante toujours : 
de l’embouchure du Tigre et de l’Euphrate, « The président’s cake » 
à la Bolivie : « La couleuvre noire ».
La romance « The history of Sound » aux Etats-Unis dans les années 20 tranche avec les combats qui envahissent «  Sons of the neon light » à Hong Kong.  
Si le cinéma des Antipodes est cantonné à la journée offerte par l’association 
«Cannes Séniors, le club », leur sélection est toujours aussi attirante avec « He ain’t heavy », surprenante avec « Audrey », quoique « We are dangerous » soit conventionnel.
Dans le genre Ken Loach en moins pittoresque, « On falling », une jeune portugaise en Ecosse se remarque par son efficace sobriété. 
Une institutrice arrivant dans un village isolé des Alpes au début du siècle, « L’engloutie », est forte comme la délurée qui revient dans son quartier à Marseille : « Les filles désir »
Par contre le surgissement d’une nana dans une atmosphère de sorcellerie quelque peu glauque dans «  Que ma volonté soit faite » peut déranger. 
Dans « Romeria », sont mis à jour avec élégance des secrets de famille. 
Les surgissements de personnages féminins agissent parfois comme des révélateurs, mais l’incommunicabilité ne se résout pas au Japon dans « Brand new landscape »,  
ni en Finlande « A light that never goes out ».
Si « La mort n’existe pas » au Canada m’a semblé bien faible, 
le Japonais, «  Le mal n’existe pas » est rafraichissant.
La description de la vie d’un livreur chinois à New York «  Lucky Lu », 
celle de jeunes gitans de « Ciudad sin sueño »  
ou les afghans réfugiés en Iran, «  Au pays de nos frères »   
ne sont pas moins politiques que « Marco » brillant imposteur dans une association de déportés espagnols servi par un acteur exceptionnel, Eduard Fernández. 
Les déceptions : « Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau » 
ou « Indomptables » mettent en valeur 
le film jubilatoire « Nouvelle vague »
l’âpre « Urchin »
le flamboyant «  Kakuho »
le sensible «  Nino »
l’intègre « La vie après Siham ».

dimanche 25 mai 2025

Baie de Somme # 3

Nous nous replions sur Saint Valery. Une fois la voiture posée au parking gratuit à l’extérieur du centre nous  empruntons la navette elle aussi gratuite, hélés par le sympathique chauffeur.
Nous déjeunons au « Courtgain » avec ficelle picarde (sorte de crêpe) pour Guy et tartare pour moi. Puis nous revenons à pied à la voiture en 20 minutes. La température grimpe à 33° mais l’ombre conserve encore une fraîcheur agréable.
Pour continuer dans l’exploration des animaux, après les phoques de ce matin, nous allons nous intéresser aux oiseaux du Parc ornithologique de Marquenterre (marquenterre : mer en  terre).
Il se cache près de Saint Quentin en Tourmont. Une petite route s’enfonce en pleine nature  après l’entrée du site annoncée par un grand panneau de bois  jusqu’à un vaste parking.
Là, la maison du Parc abrite un bar restaurant boutique, où nous nous approvisionnons en bouteilles d’eau, ainsi que la billetterie  proposant outre les tickets et un plan de déambulation, des jumelles en location à 5 € qui se révèleront très performantes.
Un très joli circuit  se décline en 3 propositions à travers le parc naturel : court, intermédiaire et long (environ 2h30). Les sentiers balisés démarrent dans  la pinède puis se poursuivent dans des espaces sauvages d’origine parsemés de mares datant d’avant les plantations de pins. Des allés d’arbres bordent les chemins.
13 postes d’observations disséminés à des endroits stratégiques permettent d’observer les oiseaux sans les déranger. En effet, les cabanes en bois percées de petites ouvertures nous dissimulent aux yeux des volatiles. Dans certaines, des gardiens plutôt jeunes mettent à notre disposition de longues vues puissantes bien orientées sur des oiseaux d’une grande variété et répondent à nos questions. Nous épions :
des chevaliers gambettes,
des chevaliers aboyeurs,
des avocettes élégantes,
des aigrettes garzette (bec noir), et des grandes aigrettes d’une blancheur immaculée(bec jaune),
des foulques macroules,
des spatules blanches au bec bien curieux,
de grands cormorans soit dans l’eau soit dans les arbres où ils ont construit leur nid et vivent en colonie, des cygnes, des canards,
des vanneaux huppés et sans doute bien d’autres espèces que nous n’identifions pas ou que nous ne voyons pas. Mais nous n’aurons pas l’honneur d’assister au passage rare des cigognes noires.

Parmi  les informations délivrées par les guides à disposition dans les cabanes, nous captons quelques anecdotes, comme par exemple, celle d’une sarcelle d’hiver de 200 à 300 g baguée à 9h à Marquenterre et canardée au-dessus de la Bidassoa le même jour à 19h. 
Autre info, le sterne arctique vole d’un pôle à l’autre.

Nous avons choisi l’itinéraire long, et pendant le trajet nous remarquons des lignes d’eau autour des ilots de sable associées à des effaroucheurs à ultra-sons installés pour éloigner les renards ou les fouines des œufs et des oiseaux.
Quelques parties du parc acceptent des parcelles agricoles, d’ailleurs au loin une machine, une « pirouette » s’active, et nous croisons quelques vaches Highland qui paissent en paix. Peu à peu le ciel se couvre, nous négligeons un peu les derniers postes d’observation (le 12 et le 13) parce qu’il est plus de 18h et que la pluie s’annonce.
Nous sommes seuls, les oiseaux semblent moins nombreux, nous pressons le pas.36 km nous séparent de Friville et son Intermarché où nous achetons gaspacho et rosé.Un seul  distributeur d’essence fonctionne sur les 5 ou 6, nous remplissons quand même le réservoir de sans plomb 95 (pas de 98) pour 30 € et regagnons notre « home » passer une soirée tranquille, avec notre content de plein air d’animaux et de soleil. Ce soir, plus de JO à la TV à regarder mais retour d’"Un si grand soleil".

samedi 24 mai 2025

La falaise. Manon Debaye.

Les crayons de couleur utilisés dans cette BD permettent d’atténuer la violence des mots et des situations à l’âge du collège.
Les tonalités douces de l’enfance contrastent avec des relations en milieu sauvage où les serments entaillent les peaux où l’écriture ne peut rien contre le harcèlement, la bêtise des groupes.
Un des garçons qui tracassent les filles, lit aux autres les écrits intimes de l’une d’elles : 
« Charlie était de plus en plus déterminée depuis que son père, l’horrible Morgath l’avait abandonnée. 
Astrid ne savait plus si Charlie voulait le retrouver pour le tuer ou bien le revoir une dernière fois. » 
L'auteur met en images un récit âpre autour des crises adolescentes à haute intensité pour deux jeunes filles de familles très différentes, aux caractères singuliers, Astrid et Charlie, une brune et l’autre blonde, réunies par une fascination pour le vide s’ouvrant au bord d’une falaise, symbole aussi de la profondeur vertigineuse des incompréhensions adultes.
Version océane de la série culte « Adolescence » : 

vendredi 23 mai 2025

Dignité.

Lors d’une conversation avec mon fils qui me vantait les mérites de la BD « Champs de bataille » à propos du remembrement en Bretagne, nous avons révisé notre généalogie, depuis  nos ancêtres laboureurs dont la lignée s’est éteinte avec mon père jusqu’au chef de projet en milieu numérique avec sous nos yeux nos petits, en passant par l’instit’ qui causera de cette B.D. un de ces mardis sur ce blog.
Au-delà des responsabilités des politiques, des banquiers, des syndicalistes dans la destruction des bocages, se retrouve l’antique bagarre entre girondins et jacobins, état central et autonomie régionale. 
Pour ma part, j’ai pris les chemins confortables de l’exode rural, les portes de la grange se sont fermées. 
Celui qui peint le geste auguste du semeur n’a guère de cal aux mains, 
mais Hugo enchante le monde : 
« Sa haute silhouette noire
Domine les profonds labours.
On sent à quel point il doit croire
A la fuite utile des jours. »
L’expertise des paysans est perdue à l’heure où les travailleurs de la terre se voient idéalisés ou méprisés. Leurs compétences allaient de la prévision de l’orage menaçant un voyage,de foin, aux soins des animaux. Elles semblaient naturelles pour mon grand-père, héritier d’une longue tradition, vétérinaire au black, perclus de rhumatismes météorologiques, qui pouvait mal juger un ministre de l’agriculture ignorant la différence entre un épi de blé et un épi de seigle.
Cette dignité disparue dans les campagnes est semblable à celle des profs et des médecins bouffés par Internet. 
Nous devenons tous des experts de tout et connaisseurs en pas grand-chose. 
« La dignité passe par le sentiment qu'on a de son utilité. »
Henri Lamoureux
Je ne mêlerai pas ma voix à tous les méprisants populistes et complotistes qui crachent sur l’école, les experts, les politiques. Blessés, ils blessent. Cette défiance vient de loin et les frustrations ne datent pas d’aujourd’hui, elles ont à voir avec la perte de sens de bien des pauvres jobs, et interrogent la démocratie envers laquelle la confiance n’est plus de mise. L’emprise d’un Trump, les symboles les plus honnis déterrés sans vergogne sont les manifestations les plus bruyantes de ces abandons citoyens, de ces érosions de l’éducation.
Ces pertes en estime de soi font la fortune des coachs et autres restaurateurs de cramés à la moindre étincelle.
Les vocations souvent évoquées ici se trouvaient chez le mécanicien, le menuisier, le géographe… 
Les uns et les autres reprenaient l’affaire familiale et il n’y avait rien à redire sur la « reproduction sociale » gimmick de ceux qui ont diabolisé la continuité. Les orientations allaient de soi dans la cohérence et la fierté, sans que soient dépréciés les métiers manuels.
Mais il n’y plus de mains, que des pouces pour scroller.
J’allais ajouter que chacun avait le sentiment de travailler au bien commun.
Mais ce tableau évitera d’être trop pompier en se souvenant des luttes qui ont amené des « progrès », mot incandescent avant de tomber en cendre.
Mon goût des paradoxes, des contrastes, serait comblé en voyant des députés bien mis sous la représentation de notre Marianne dépoitraillée.
Pour sortir du temps de l’imparfait, nous pouvons continuer à goûter les émerveillements d’un printemps capricieux tout en «  cherchant à décoller des évidences et des enchainements mécaniques ».
M’avançant avec la lâche prudence du meunier de la fable accompagné de son fils et de son âne pour évoquer les avantages de la transmission, je n’ignore pas les inconvénients sur le plan fiscal de « l’héritage qui pèse désormais plus que le travail » dans la constitution des patrimoines. 
Mais ce n’est pas près d’être changé. 
« Un état chancelle quand on en ménage les mécontents.
Il touche à sa ruine quand on les élève aux premières dignités. »
 Diderot

jeudi 22 mai 2025

Les manuscrits enluminés. Audrey Pennel.

Sous le portrait de « Jean de Berry » la conférencière devant les amis du musée de Grenoble présente les productions qui ornèrent de nombreux livres entre la fin du XIV° siècle et le début du XV°.  Il dit: 
« approche ! approche» à l'un de ses vassaux lors d'une fête ritualisée en ce moyen-âge tardif. Charles V était son frère, Charles VI son neveu, tous trois finançaient des enlumineurs et autres peintres de vignettes, filigraneurs.
Dans les « Heures de Jeanne d'Évreux », « l'Arrestation du Christ et l'Annonciation », Jean de Pucelle avec ses grisailles donne une qualité sculpturale à ses personnages.
Autour de l’image charmante d’« Une amante déloyale offre un chapel de fleurs à son ami » apparaissent des vignetures, motif souvent repris.
« Honoré Bovet offrant son ouvrage à Valentine Visconti »
sous les armoiries de la duchesse d’Orléans « mi-partie Orléans aux lis, 
mi-partie Visconti à la guivre d’azur engoulant un enfant de gueules »
Outre cet aperçu de vocabulaire héraldique, l’illustration accompagne un texte défendant la duchesse d’Orléans, rendue responsable, en raison de ses origines lombardes, de la maladie du roi Charles VI.
Hommage de « bouche et de mains » d'« Édouard Ier d'Angleterre à Philippe le Bel ».
Un fond ornemental et naturaliste marque la solennité de la  
« Dédicace de la bible historiale  au roi Charles V par Jean de Vaudetar ».
Dans le livre du Voir-Dit « Vénus et les amants », le musicien  Guillaume de Machaut
dans les termes de l’amour courtois en appelle aux sens  « veoir », « oïr » « touchier ».
« Le chevalier en hommage devant Connaissance »
pour le Livre du Chevalier errant du  Maître de la Cité des Dames, joue avec les couleurs.
Dans le Roman de la rose, l’auteur endormi songe à l’ « Amant à la porte du jardin de Déduit (le Plaisir) » derrière les murs où sont sculptés des vices, accueilli par Oiseuse (l’Oisiveté)
« Livre du Gouvernement des Princes »
Pour les parures à la cour, Charles VI choisit pour emblème le cerf-ailé,
rabots et niveau pour Jean sans Peur, ours pour Jean de Berry, porc-épic et bâton pour Louis D’Orléans, princes de la fleur de lys, fidèles mécènes des artistes malgré l’affaiblissement du système monétaire à cause des rançons à payer… 
L’évolution de la mode suivant la longueur des houppelandes permet des datations.
Le chemin est long pour accéder au roi  « Traictés de Pierre Salemon » dans le style « Miroirs des princes ».
« Louis Ier d'Orléans reçoit un livre de Christine de Pizan »
, première femme de lettres de langue française ayant vécu de sa plume, par son collaborateur le Maître de la cité des dames.
« Le maréchal de Boucicaut en prière devant sainte Catherine »
dans son propre livre d’heures. A la différence du bréviaire destiné aux clercs, les livres d'heure s'adressaient aux laïcs.
Alliées au naturalisme flamand, les perspectives italiennes ouvrent vers l’azur. 
L'atelier de Bedford produit la « Construction de la tour de Babel. »
https://blog-de-guy.blogspot.com/2016/05/la-tour-de-babel-gilbert-croue.html
Les
frères de Limbourg
ont d’abord réalisé «  Les riches heures » du Duc de Berry actuellement conservées au Metropolitan Museum of art de New York
puis « Les Très Riches Heures » dont plus de 120 miniatures sont visibles 
au château de Chantilly. 

Les scènes de la vie paysanne esthétisées
contrastent avec les fastes de la vie aristocratique sur fond
d'architectures médiévales. 
Les trois frères enlumineurs sont morts victimes d’une épidémie de peste, en 1416, la même année que leur riche commanditaire qui a tenu un rôle majeur dans l’épanouissement du gothique international.