jeudi 18 janvier 2024

Les métamorphoses du blanc. Catherine De Buzon.

Pour introduire la conférence, « La pie » de Monet s’imposait en tant que tableau préféré du président de l’association des amis du musée de Grenoble qui a repéré cinq tableaux avec de la neige dans le musée de la place Lavalette. 
La pipelette est volubile comme le blanc. 
« Le sacré et le profane résonnent puissamment en sa présence» ainsi que l’innocence.
Les ombres colorées rendent craquant le tapis immaculé où se devinent les nuances de blanc nées du gypse et du kaolin, de la céruse et du blanc de zinc ou de titane, saisissant vivement l’instant dans toute son épaisseur.
Le blanc somme de toutes les couleurs, n’est pas une couleur pas plus que le noir, son contraste depuis l’invention de l’imprimerie. Avant l’ivoirin tranchait avec le rouge.
https://blog-de-guy.blogspot.com/2022/05/les-couleurs-et-les-innovations-au-xix.html
Dans le froid et le silence, sont unis les plans des « Chasseurs dans la neige » 
de Brueghel.
Turner
sublime la nature, sa violence, avec « Tempête dans la vallée d’Aoste »,  
« l’horreur délicieuse ».
Repérer l’homme. 
Un bateau s’enfonce, les blocs de glace s’élèvent dans «  La Mer de glace » de Friedrich.
L’alpiniste Gabriel Loppé sait bien raconter « Glacier et Alpinistes »
quand le canadien Maurice Cullen  nous fait partager « La Fonte des neiges ».
Ivan
Aivazovski faisait ses esquisses au crayon, puis de mémoire créait « La vague ».
« Niagara » de Church célèbre l’énergie implacable, le pouvoir de la nature, 
 et dans l’arc en ciel, « le baptême cosmique d’une Amérique primitive ».
Lors du « Retour de la pêche » du solaire Sorolla, les friselis de la Méditerranée apaisent. 
https://blog-de-guy.blogspot.com/2022/04/sorolla-catherine-de-buzon.html
La page blanche reste à écrire : Joan Miro « Ceci est la couleur de mes rêves ».
Comment donner écho à la musique ? Kupka  hybride : « Les Touches de piano. Le Lac ».
Comment conter le mouvement ? Giacomo Balla capte le tumulte « Velocità astratta ».
Mondrian
met le cosmos en ordre géométrique. « Composition avec deux lignes ».
Après le carré blanc de Malevitch,  
« The Stations of the Cross » de Barnett Newman  proposent la liberté.
« Noé et la colombe » sur une mosaïque du XIe siècle dans la basilique Saint Marc de Venise marie l’or du divin et l’oiseau que Satan, habile en transformations, ne peut imiter.
« Jésus et les docteurs »
de Théodule Ribot met en évidence l’impeccamineux.
« L’Adoration des bergers » de Zurbaran au Musée de Grenoble présente le lumineux enfant sur un tissu qui sera celui de son linceul.
Rubens
situe « Saint Augustin entre le Christ et la Vierge », effusions de sang et de lait.
Et John William Waterhouse fait tomber la neige en plein été en Espagne au dessus de la jeune « Sainte Eulalie » martyre pour avoir renoncé à renier sa foi. 
Une colombe vient de s’échapper de sa bouche.
Derrière le « 
Jeune chevalier » de Carpaccio, apparaissent
la formule : « Plutôt la mort que le déshonneur » et une hermine qui mourrait si elle se souillait.
Le temps est suspendu autour du « Pierrot » de Watteau, gauche et timide,
il ne joue pas la comédie.
Mais il ne peut se désespérer autant que « Pierrot s'en va »  de Mossa
dont la belle s’éloigne.
Les solitudes se cristallisent devant « Le mur blanc » de Giovanni Fattori.
« Henri IV » par Jean Baptiste Mauzaisse cumulait avec son panache et son cheval, 
les attributs de la royale couleur.
Bien sûr il y a bien des symphonies en blanc, mais qu’il est difficile de choisir tant de scènes charmantes dans les draps froissés de la sensualité, « La Chemise enlevée » de Fragonard.
Quelle est « La substance dont les rêves sont faits » John Anster Fitzgerald ?
Toutes les nuits ne peuvent être blanches.« Le blanc lunaire » figure parmi les couleurs répertoriées par la SNCF, Lionel Walden « Les Docks de Cardiff ».
Hygiénique « Le tubage » de  Georges Chicotot médecin, radiologue 
se voit au Musée de l’AP-HP.
Andrew Wyeth, et non « White » comme j’avais compris, cherche l’indomptable teinte  
« Le vent de la mer »  « Winter Carnival ». 
« Le peintre ne doit pas peindre seulement ce qu’il voit en face de lui, mais aussi ce qu’il voit en lui. » Friedrich.

mercredi 17 janvier 2024

Stéréo. Decouflé.

Peut être parce que nous avons tant aimé les spectacles de Decouflé à la MC2, 
après sa découverte aux JO de 92 et que le souvenir d’un emballant « Chantons sous la pluie » est proche, la représentation de ce soir nous a parue ordinaire.
Bien sûr le thème rock and roll appelait du rythme mais celui-ci est modéré par des bavardages qui au début font sourire puis lassent. 
Les danseurs chanteurs acrobates, les performeurs, doit- on dire, sont souples et coordonnés, mais les mouvements ont déjà été vus comme si la créativité du chorégraphe s’était tarie.
Les morceaux de musique joués par un trio guitares batterie se succèdent comme au music-hall et régalent le public qui assiste donc à un concert dansé. 
Les costumes, les chaussures sont sympas mais le moment des surprises est passé ; un bon moment quand même.

mardi 16 janvier 2024

Céleste. Chloé Cruchaudet.

Céleste Albaret venue de la campagne a travaillé au service de Marcel Proust. 
« Il passe son temps dans son lit, à travailler et à respirer les fumigations pour son asthme...En-dehors de la cuisine, ne fais surtout aucun bruit. Il ne supporte rien... Il a fait tapisser les murs de sa chambre avec des panneaux de liège. »
Les milieux sociaux sont aux antipodes, mais ces 115 pages sveltes bien documentées témoignent que des personnes qui se respectent peuvent faire mieux que cohabiter.
Le sous-titre : « Bien sûr monsieur Proust » pourrait laisser croire à une contrainte aliénante alors qu’avec légèreté est contée l’évolution de leur relation dans un rapport maître- servante décrit avec subtilité. 
La jeune fille tellement dépaysée en milieu parisien « reste à sa place » mais joue un rôle essentiel pour satisfaire les manies de l’écrivain tellement fragile qu’elle admire sans s’oublier. 
« Être avec lui, l'écouter, lui parler, le regarder travailler, l'aider dans la mesure de mes moyens... C'était comme de se promener dans une campagne où il y a partout de nouvelles sources qui jaillissent... » 
Le scénario habile met en scène deux antiquaires venus chez « la gouvernante » maintenant âgée auprès de son mari ancien chauffeur qui l’avait fait entrer au service de l’auteur d’ « A la recherche ». 
Les dessins simples et aériens décrivent l’époque avec ce qu’il faut de personnalité rêveuse, alliant originalité et fidélité pour évoquer un autre siècle. 

lundi 15 janvier 2024

Perfect days. Wim Wenders.

Nous suivons pendant deux heures la vie quotidienne d’un employé d’une société de nettoyage des toilettes publiques à Tokyo. Le personnage principal interprété par Koji Yakusho, prix d'interprétation masculine à Cannes, gardera pourtant tout son mystère.
Le réalisateur des « Ailes du désir » par sa poésie ancrée dans le quotidien nous incite avec douceur à la réflexion et à saisir la beauté du quotidien, du présent.
Les musiques choisies expriment tout leur charme parmi de rares dialogues.
J’ai adoré le sujet, tant la choquante notion «  boulot de merde » de nos sociétés repues est devenue banale, alors que furent tellement vantés, au moment de la COVID, les métiers des invisibles, de ceux qui exerçaient en « première ligne », que plus grand monde ne veut exercer.
Le monsieur taiseux est consciencieux, discrètement d’une autre époque, avec ses cassettes, ses photographies argentiques et ses livres. 
Au lever du jour, la ville d’aujourd’hui lui appartient. 
Quand il franchit le seuil de sa modeste maison pour se rendre au travail dans des lieux aux architectures singulières qu’il contribue à rendre remarquablement propres, il sourit au soleil qui se lève. 
Sa disponibilité à accueillir avec retenue les surprises, ressort d’autant mieux que son emploi du temps est d’une apaisante régularité.
Si les toilettes constituent un refuge pour certains face aux sollicitations familiales,  aux alentours de celles de Tokyo, Wenders invente une oasis inattendue de calme et d’humanité.

samedi 13 janvier 2024

Entre ciel et terre. Jón Kalman Stefánsson.

Des pêcheurs affrontent l’océan à la force de leurs bras ; le froid les saisit.
La mort les attend, un gamin qui l’a vue de près revenu à terre va-t-il choisir la vie ?
Pour prolonger la quatrième de couverture qui évoque le pouvoir des mots un extrait page 74:
« Certains sont capables de faire fondre la glace qui nous enserre le cœur et il est même possible de les dépêcher comme des cohortes de sauveteurs quand les jours sont contraires et que nous sommes ni vivants ni morts. »
Depuis le silence, entre ivresse et sobriété,  bêtise et lucidité, solitude et amitié, la poésie et la très rude réalité, le rêve: les 250 pages ouvrent des espaces infinis, qui s’approchent d’un conte et de ses métaphores. 
« Il n’est jamais monté aussi haut, il n’a jamais été aussi proche du ciel et, en même temps, jamais aussi loin. Il avance lentement et péniblement, abandonné de tous, sauf de Dieu et Dieu n’existe pas. » 
Les gouffres sont amers et la lande triste, les destins austères. 
L’écrivain a ses inconditionnels, il nous dépayse non seulement parce qu’il nous emmène en Islande, à une  rude époque, parmi des personnages qui font penser à des statues glacées, mais aussi par une écriture jouant parfois trop avec l’absolu jusqu’à vous surplomber, vous refroidir. 

vendredi 12 janvier 2024

Infographie de l’empire napoléonien. Vincent Haegele. Fredéric Bey. Nicolas Guillerat.

Maintenant que les recettes de cuisine se présentent essentiellement en vidéo et que les émotions s’expriment en « Emojis », les journaux qui n’osent plus guère les caricatures, représentent l’actualité avec de plus en plus d’images : cartes et graphiques.
L’histoire se met à l’infographie : après la seconde guerre mondiale et la Rome antique,  voilà de Bonaparte à Napoléon. 
On a d’ailleurs prêté au petit caporal la formule : 
« Un bon croquis vaut mieux qu’un long discours. » 
L’inventivité des représentations ne se fait pas au détriment des textes vivants et précis pourtant imprimés, à mes yeux, en caractères trop petits.
Il faut bien 28 chapitres en 150 pages pour nous faire réviser ou apprendre ce qu’étaient les institutions d’alors, décrire la grande armée et les coalitions jusqu’à la chute de l'empire.
La documentation est impressionnante et la présentation attractive pour exprimer aussi bien les rapports dans la famille Bonaparte, l’histoire de la Corse ou le temps mis pour parcourir la distance Paris Strasbourg à pied (14 à 21 jours) en voiture (4 jours), à cheval (2 à 3 jours) …
Des entrées originales apportent un regard neuf sur un règne, ainsi la mise en évidence des communications, le recensement de tous les complots, la comparaison des économies européennes, l’évolution des populations ou la course aux brevets entre la France et l’Angleterre…
Cet ouvrage apporte des informations pointues concernant l’évolution des corps d’armée, leurs compositions, les formations tactiques. 
Les batailles de nature différentes au cours de 20 ans de campagnes mettent en évidence cavalerie, artillerie, le corps du génie, la garde impériale, les services de santé… 
«  En son temps Larrey a contribué à révolutionner cette technique en pratiquant l’amputation par désarticulation, bien plus rapide et sûre, l’os n’étant pas sectionné. » 
Quelques mises en perspective surprenantes sont intéressantes: 
«  Si l’on compare le bilan des guerres de la Révolution et de l’Empire à celui de le guerre de 30 ans ( 1618- 1648) évalué à deux millions de combattants et trois millions de civils morts en Allemagne sur une population totale de quinze millions, leur impact sur la démographie européenne est bien moindre »

jeudi 11 janvier 2024

Lautrec. Roger Planchon. Jean Serroy.

Le conférencier devant les amis du musée a noté les points de vue différents que pouvait ouvrir le troisième film de Roger Planchon sorti en 1998 après « Georges Dandin » (1987) et « Louis, enfant roi » (1994).
Le metteur en scène, homme de théâtre, a proposé dans sa distribution Morier-Genoud appartenant à sa troupe, bien connu par chez nous du temps de Lavaudan,
il joue le rôle de Fernand Cormon le peintre académique qui forma Lautrec, Van Gogh, Emile Bernard, Matisse, Soutine…
Degas, le peintre de l’intimité, s'adressant à Lautrec avait rendu son verdict :  
« Vous êtes du bâtiment ».
A l’époque des impressionnistes, le premier des affichistes qui n’aimait guère la nature, 
fut celui de « la beauté crue ».
Le comte de Toulouse Lautrec a perdu ses titres de noblesse dans le titre du film de 1h 40,
cependant l’importance de sa filiation est soulignée à travers un père viveur et fantasque
marié à une mère pieuse dont la proximité de sang est exagérée par Planchon pour expliquer la santé fragile du monsieur « cloche-pied » et illustrer la fin de la race aristocratique.
Les nuées de domestiques du château Albigeois contrastent avec le monde post communard des blanchisseuses, prostituées, danseuses parisiennes.
https://blog-de-guy.blogspot.com/2017/01/le-monde-de-toulouse-lautrec-gilles.html
https://blog-de-guy.blogspot.com/2017/03/le-monde-de-toulouse-lautrec-2-gilles.html
Les aventures sentimentales sont documentées depuis Jeanne d'Armagnac « si grande et si belle » alors qu’il se dit lui-même « si petit et si laid »,
jusqu’au modèle et artiste Suzanne Valadon qui fut aussi maîtresse de Renoir 
entre coup de foudre et disputes : « Il y a du muscle dans votre crayon ».
Rosa la rousse lui avait fait cadeau de la syphilis.
Le film de John Huston «  Moulin rouge » en 1952 se consacrait principalement à la danse, 
le rythme de celui-ci va à l’encontre de la paralysie de Lautrec, 
avant le terme de sa vie à 37 ans.
Les tableaux sont animés, les séquences s’enchainent, les chansons réalistes reflètent l’époque : 
« Ils sont comme ça, ils sont des tas, des fils de race et de rastas
Qui descendent des vieux tableaux…
Ils sont presque tous mal bâtis, ils ont les abattis, trop petits
Et des bidons comme des ballots » Aristide Bruand