L’aquarelle de John Singer Sargent surprenant « Le
peintre Peter Harrison dormant » attendait les amis du musée de
Grenoble sur une musique de Fauré, avant deux heures de conférence où se sont
croisées musique, peinture et littérature.
L’œuvre de Marcel Proust va au-delà des 15 volumes initiaux
d’ « A la recherche du temps perdu » : « Les vrais paradis sont les paradis qu’on a perdus »
De Giotto à Picasso, les allusions à une centaine de
peintres ne nourrissent pas seulement le portrait du peintre Elstir créé par
l’auteur des « Plaisirs et des jours »(1886) comme il en est de
Vinteuil en musique et de Bergotte en littérature, mais trouvent des échos dans
son écriture. « Ses mots
entrecroisés, lissés, mûrement choisis » peuvent s’apparenter à « une matière picturale brillante et
passionnante. »
Alexandre Brun « Vue du Salon Carré au Louvre ». Le chroniqueur mondain s’engage vraiment en littérature
après l’arrachement qu’a constitué la mort de sa mère, celle
qui l’emmenait au musée après sa grand-mère Weil. Elles l’ont bien guidé dans
le temple de la culture républicaine où il fallait savoir distinguer sous les
hauts plafonds :- « Vénus et les trois Grâces offrant
des présents à une jeune fille » de Botticelli.
« On se souvient
d’une atmosphère parce que des jeunes filles y ont souri. »- Fra Angelico, « Le couronnement de la vierge »
aux couleurs «crémeuses
et comestibles ».- La spiritualité et l’ambigüité sexuelle du « Saint
Jean Baptiste » de Léonard de Vinci.- « Saint Sébastien » de Mantegna dont les souffrances
pouvaient parler au petit garçon asthmatique, confiné pendant des mois dans sa
chambre.
Pour le méli mélo des étoffes des « Noces de Cana » de Véronèse
et « Le silence du sage» de Rembrandt voir dans ce blog :
La délicatesse de Poussin dans « Le printemps ou le paradis
terrestre » lui va bien :
« Un
petit nuage d’une couleur précieuse, pareil à celui qui, bombé au-dessus d’un
beau jardin du Poussin, reflète minutieusement comme un nuage d’opéra, plein de
chevaux et de chars, quelque apparition de la vie des dieux ».« L’indifférent » de Watteau
apparaît « Du côté de Guermantes ».
« … bondissant
légèrement, semblait tellement d’une autre espèce que les gens raisonnables en
veston et en redingote au milieu desquels il poursuivait comme un fou son rêve
extasié, si étranger aux préoccupations de leur vie, si antérieur aux habitudes
de leur civilisation, si affranchi des lois de la nature, que c’était quelque
chose d’aussi reposant et d’aussi frais que de voir un papillon égaré dans une
foule… ».Chardin et « La Brioche » - non pas
la madeleine –
s’inscrit dans les souvenirs comme un « château fort de délice ».Proust a traduit l‘original écrivain Ruskin, son prophète,
peintre « The
stones of Venice », défenseur de Turner aux 20 000 aquarelles,
« La
Dogana San Giorgio Citella ».La complexité très travaillée de Gustave Moreau « Jupiter
et Sémélé »,
rappelle les phrases riches,
foisonnantes d’un des auteurs majeurs du XX° siècle et
Degas « La répétition » aux
compositions décentrées, la dynamique du prix Goncourt.Tous ceux-ci constituent son personnage Elstir, quasi anagramme de Whistler
auteur
de « Symphonie
en blanc no 1 », avec Monet,dont les
touches sur le motif offrent l’évidence de la beauté directement
«
Régates à Argenteuil », alors
que la littérature réclame plus de temps et de
pages. « La gare Saint Lazare » :« … ces lieux
merveilleux que sont les gares, d’où l’on part pour une destination éloignée,
sont aussi des lieux tragiques, car si le miracle s’y accomplit grâce auquel
les pays qui n’avaient encore d’existence que dans notre pensée vont être ceux
au milieu desquels nous vivrons, pour cette raison même il faut renoncer au
sortir de la salle d’attente à retrouver tout à l’heure la chambre familière où
l’on était il y a un instant encore ».« Champ de tulipes en Hollande » de Monnet,
convoité par le prince de Polignac et l’héritière des machines Singer, concurrents
lors d’une vente, les rapprocha si bien qu’ils se marièrent par l’intermédiaire
de « La
comtesse Greffulhe », modèle de madame de Guermantes, peinte par
l’ami Paul-César
Helleu. C’est lui qui dessina l’homme de 51 ans sur son lit de mort
(1922). Jacques-Emile
Blanche avait réalisé un autre de ses rares portraits lorsqu’il
avait 21 ans.« La Vue de Delft » de Johannes Vermeer était pour lui
le plus beau tableau du monde.
« C'est ainsi que
j'aurais dû écrire. Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer
plusieurs couches de couleur, rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce
petit pan de mur jaune.»
C’est dans « La prisonnière », devant ce tableau,
que Bergotte meurt.
« On l'enterra,
mais toute la nuit funèbre, aux vitrines éclairées, ses livres, disposés trois
par trois, veillaient comme des anges aux ailes éployées et semblaient, pour
celui qui n'était plus, le symbole de sa résurrection.»