Si dans nos débats nous ne prenions en compte que le réel
nous ne nous disputerions pas beaucoup et ce serait bien ennuyeux.
Je voulais réagir à propos du film « Hold up » qui
« enflamme la toile », comme on dit pour se baigner dans l’épique.
Sur cette affaire, je cueille de préférence les arguments du camp qu’il me
plait d’appeler celui de la science, de la raison, contre billevesées et hurluberlus.
Mouton du « Monde » édition papier et des CheckNews de Libé,
plutôt que de Raoult, il importe de savoir que la partie ne se règlera pas
seulement entre fiction et vérité.
J’essayerai de ne pas mettre dans le même sac ceux qui
croient que la terre est plate, que Bill Gates a mis des puces dans les
masques, avec ceux qui ont des doutes sur la philanthropie des labos
pharmaceutiques, même si les procès d’intention deviennent lassants.
Les thèses complotistes mises en ligne auprès de tous ceux qui confondent esprit
critique et abolition de toute pensée complexe, font des dégâts jusqu’à
l’intérieur de l’école. Celle-ci fut le lieu où le jugement se fondait sur des
connaissances vérifiables, discutables et non sur le soupçon. Au fur et à
mesure que le niveau scolaire s’affaiblit, les illuminés d’une vérité révélée
depuis peu, s’élisent experts dans la minute et se copient /collent dans l’instant
sur les vrai/faux sociaux.
Quand l’expression « lâcher la bride » offusque quelques
commentateurs, il est permis de juger que l’essentiel nous échappe. L’inquiétude
sur notre sort de terrien monte mais notre intelligence du monde est au plus
bas. Trump et ses épigones ont encore de beaux jours devant eux.
Les solitaires se multiplient et se tiennent à plusieurs sur
les réchauds sociaux.
Pour avoir été méprisée, la religion revient sous des formes
diverses, non dans les églises devenues des musées, mais comme expression du
besoin de croire en quelque chose d’inconnu qui nous dépasse, alors que la
finitude de notre monde s'éprouve chaque jour et qu’on a cru avoir lu tous les livres.
En ce moment les publicitaires n’ont guère voix au chapitre,
pourtant ils continuent plus subrepticement à vendre du rêve indexé sur nos
profils, ourdissant quelques mythes consolateurs
aux émoticônes sommaires.
Prof revenu de croyances en un monde meilleur est devenu Grincheux :
je me suis montré désobligeant envers celles qui ont posté un cœur immense
allumé par des « amoureux de la montagne » au dessus de Grenoble pour
protester contre la règle du confinement : une heure, un kilomètre. Que
n’avaient-ils dessiné une paire de poumons en hommage aux soignants ?
J’ai aimé bousculer ce qui était présenté comme un jeu
mignon, savourant la contradiction, remettant en cause des unanimités faciles.
Peut-on
parler de débat quand les passions supplantent toute démonstration ? La
règle d’or est de ne pas mépriser l'adversaire en le ménageant ni de le mésestimer surtout quand le faux a plus d’attraits
que le vrai. Au tympan des cathédrales les scènes de l’enfer sont plus séduisantes
que celles du paradis.
Un roman peut davantage renseigner qu’un documentaire et deux
vers de Victor Hugo disent plus sur la retraite de Russie que des heures passés
sur des documents statistiques.
« Il neigeait. On
était vaincu par sa conquête.
Pour la première fois l’aigle baissait la tête. »
Pour la première fois l’aigle baissait la tête. »
Les pauvres bougres « collant
leur bouche en pierre aux trompettes de cuivre » sont morts pour des
chimères.
La méthode conspirationniste aime mettre en relation des
faits éloignés ; m’aurait-elle gagné si je songe que nous sommes peut être
redevables à ces soldats de notre confort présent, et de notre rang dans le
monde, en amont des millions de poilus qui ont remis ça comme en 14 ?