dimanche 8 octobre 2017

Le monde d’hier. Stefan Zweig. Jérôme Kircher. Patrick Pineau.

Dès 1941, S. Zweig, l’auteur alors le plus traduit au monde écrivait :
« Jamais une génération n’est tombée comme la nôtre d’une telle puissance intellectuelle dans une telle décadence morale ». En 1942, il se suicidait.
Chassé d’Autriche parce que juif, puis d’Angleterre parce que de langue allemande, l’humaniste qui parla si bien de l’ « âge d’or » de Vienne avait « la bile noire ».
« Toute ombre, après tout, est fille de la lumière et seul celui qui a éprouvé la clarté et les ténèbres, la guerre et la paix, la grandeur et la décadence a vraiment vécu ».
Jérôme Kircher, seul en scène, par sa sensibilité vibrante, exprime toute la force de l’œuvre ultime de Stefan Zweig.
« Et paradoxalement, dans les temps où notre monde reculait moralement d’un siècle, j’ai vu cette même humanité s’élever par l’intelligence et la technique à des prodiges inouïs, dépassant d’un coup d’aile tout ce qu’avaient produit des millions d’années »
Je voudrais retenir plutôt que les correspondances évidentes avec les forces mortifères qui minent aujourd’hui notre continent, la subtilité, la limpidité de cette littérature qui fonde notre identité européenne. La nostalgie d’une douceur de vivre dans une Mittel Europa réinventée me semble plus porteuse d’avenir que les passions tristes qui nous étouffent.
Pendant une heure dix, je me suis trouvé en bonne compagnie dans un café à Vienne, ville du « vivre et laisser vivre », au début du XX° siècle en comprenant combien Paris pouvait être une récompense.
Dachau ouvre ses portes, les livres sont brûlés et la vieille mère de l’apatride n’a plus le droit de s’asseoir sur un banc public lors de ses dernières sorties.
Qu’a pu, que peut la culture contre la barbarie ? Si peu.
Il y a des jours bombecs et des jours sang dans ces mondes incroyables.
Quand un infime refuge de douceur entre deux pages n’est rien face à l’apocalypse inscrite aussi dans les livres, quand la musique réveille les morts et enchante les vivants, une pièce de théâtre rappelle ces paradoxes : c’est la vie qui essaye encore.
La rentrée à la MC2 pour la saison 2017/18 est modeste et puissante.

samedi 7 octobre 2017

Blonde. Joyce Carol Oates.

Un très grand livre dense (997 pages) qui permet d’avoir le sentiment d’aborder un chef d’oeuvre se rapprochant pour moi du « Madame Bovary » de Flaubert pour le récit d’un destin tragique sous une écriture rigoureuse et bouleversante.
« Quand j’étais orpheline, au foyer d’El Centro Avenue, j’ai essayé d’être adoptée. J’ai essayé d’être bonne en sport au lycée. J’ai essayé d’être une bonne épouse pour mon premier mari qui m’a quittée à l’âge de dix-sept ans. J’ai essayé si fort d’être une bonne actrice, et pas juste une blonde de plus. Oh ! Vous savez que j’ai essayé, n’est ce pas ? Marilyn était une pin-up , vous vous r…rappelez, j’étais une pin-up de calendrier, à dix-neuf ans, on m’a payée cinquante dollars pour « Miss golden Dreams » et ça a failli briser ma carrière, il parait que c’est la photo de calendrier la plus vendue dans l’histoire… »
La surprise de se passionner pour l’histoire déjà écrite de Marilyn Monroe à ne pas confondre avec Norma Jane Baker, son vrai nom, ajoute de la valeur à l’entreprise, facilitée par une ouverture époustouflante, derrière un vélo de livreur conduit par la mort :
«  La mort en train de rire. Va te faire foutre mec ! Et toi donc ; c’était Bugs Bunny dépassant les rutilantes carrosseries d’onéreuses automobiles sorties tout droit de chez le concessionnaire »
Woody Allen rêvait d'être le collant d'Ursula Andress; être dans la tête de Marilyn, à fleur de peau, de cœur, n’est pas de tout repos. S’entourer de livres comme elle et ne pas tout saisir.
Derrière la superficialité, la profondeur, le cynisme côtoie la compassion, la sincérité et le jeu, champagne et vomi, rêve et misère, folie et lucidité, ambition et simplicité …
Un conte universel : «  ton corps  est un fruit appétissant fait pour que d’autres y mordent et le savourent […] Il y a une porte dérobée dans le mur mais tu dois attendre comme une gentille petite fille que cette porte s’ouvre. »
L’enfance et ses mystères, ses fulgurances et les illusions jusqu’à la fin qui autorisent les franchissements de frontière entre biographie et licence poétique habillement conduits :
« Notre instinct nous pousse à rembobiner le film et à repasser la séquence, dans l’espoir que cette fois ce sera différent et que nous entendrons plus clairement les paroles bafouillées par l’Actrice blonde… Mais non, jamais nous n’entendrons. »
Non je ne renonce pas au mot : « une bombe ! »

vendredi 6 octobre 2017

Avec Edmond Maire.

En réaction – décidément - à des avis sommaires parus sur Facebook après la mort d’Edmond Maire, je reviens sur quelques années de militantisme,  pour aller au-delà des R.I.P. convenus, et m’insurger contre les habituels trolls, desquels il ne faut pas attendre un quelconque délai de décence.
Histoire aussi de marcher contre l’air du temps : Hervé Hamon, l’écrivain, non le fugace ministre, relevait que Libé  avait consacré 6 lignes à l’ancien secrétaire de la CFDT alors que Pierre Bergé avait bénéficié de 6 pages ; j’avais eu le même choc pour le laconisme du journal, qui fut emblématique, à la mort de Léo Ferré.
Dans les années 70, depuis les Terres Froides du Dauphiné, aux collines s’inventant du soleil (« Summerhill »), mon enfance venait de changer de camp : le potache se trouvait en face d’élèves.  
L’école m’avait fait monter sur une estrade que nous nous sommes empressés de démonter. Il en était de même de tant d’institutions remises en cause : ainsi  le tutélaire Syndicat des instituteurs avait excité d’emblée nos fibres contestataires.
La CFDT dont le Syndicat Général de l’Education Nationale jouxtait les communaux, la chimie, les métaux… était hospitalière. Quand Lip donnait alors du corps aux rêves d’autogestion, la forge de la « deuxième gauche » tenait le haut de l’affiche.
Le corporatisme nous semblait le péché majeur, attentatoire à la fraternité, même si nous avions appris que quelques cotisations exploitant des motivations singulières ne signifiait pas forcément adhésion aux valeurs d’une gauche prophétique.
Dans les salles enfumées des Bourses du Travail, nous étions fervents, cathos ou gauchos, qui s’essayaient à faire vivre une démocratie ne devant surtout pas reproduire les mœurs rigides et magouillardes de nos compères stals ou trotsks.
« On a beau fouiller les quatre horizons
 Rien n'est plus poétique que l'autogestion » Font&Val
 Des suites de la déconfessionnalisation à l’autogestion, des comités de soldats aux cabinets ministériels, la négociation était désormais la pierre angulaire du progrès social : ces années furent passionnantes. Solidarnosc.
En privilégiant le contrat sur la loi, les protestataires auraient suivi une filiation protestante d’une « gauche américaine ». En tous cas dans la diversité syndicale, l’apport de la CFDT a été fondamental : en «  donnant plus à ceux qui ont moins », c’est sur notre partition que ce sont installées les ZEP.
La recherche de nouvelles pratiques où se rejoignaient pédagogie et politique, syndicalisme, était affaire de praticiens. Mais les perroquets ministériels et la perruche ont eu raison de ma foi. A être mis à toutes les sauces, tant de mots ont perdu toute leur sève : « projets » et « citoyens » sont épuisés. Parce que nous ne supportions plus la remise en cause de l’indépendance syndicale par le PS, j’accompagnais une poignée de dissidents, mais quand la FEN eut éclatée, elle aussi, chacun revint dans sa chapelle ou plutôt dans un placard de la sacristie : le PAS (Pour une alternative Syndicale) fut une impasse. Je quittais l’active.
Les élèves d’autrefois n’avaient pas la parole, ils eurent bien besoin de textes libres et de « Bibliothèque du Travail » ; devenus « enfants roi », ils n’ont pas trouvé grand monde en face.
Dans les monuments républicains, où portes et Windows ont été ouverts en même temps, les courants d’air ont vidé les greniers de toute mémoire : le présent épisode en est l’illustration.
Je me suis « recentré » en suivant ma centrale, derrière les sinuosités d’un Rocard enseveli il y a peu sous les hommages. Pour les obsèques de son compagnon en intelligence et en courage, Edmond Maire a prononcé son dernier discours.
Son fils Jacques vient d’être élu député de la République En Marche.

jeudi 5 octobre 2017

Les rencontres de la photographie. Arles 2017.

Malgré des expositions fermées en septembre, il est difficile de tout voir à Arles,
mais c’est malaisé aussi de ne pas comparer avec les autres années
et ce cru 17 m’a paru un peu raplapla.
La qualification « rebelles » pour des jeunes suisses imitant James Dean m’a semblé exagérée et l’image du beau mâle en tête-bêche sur l’affiche de cette année n’est pas vraiment renversante.
Les temps ne sont guère à l’invention, ni à la recherche du « moment décisif », et pour la « belle » photographie : il vaut mieux faire tourner un présentoir à cartes postales.
Les portraits posés font un retour en force et la banalité dans les paysages est recherchée : ainsi les lotissements stéréotypés des pavillons Levitt.
Par contre quand sont mis côte à côte géants et nains, il y a malaise, les images et les légendes ne font pas regretter un humour très lourd d’autrefois.
Ce passé s’écroule avec les statues de Lénine déboulonnées en Ukraine d’où se dégage une atmosphère qui tranche avec de froides propositions aux Ateliers.
Dans ces lieux pleins du charme des derniers instants, est en train de s’ériger la tour Luma de Frank Gehry, déjà impressionnante et promettant de belles choses.
Les conditions d’exposition en des lieux très divers sont importantes : les travaux de Jean Dubuffet sont bien mis en valeur et la diversité de la photographie colombienne bien rendue dans l’exposition intitulée : « la vache et l’orchidée ».
De toutes les expos, j’ai préféré «  Pulsions urbaines » où la diversité des pays, des points de vue, des photographes, trouve une cohérence forte sous des thèmes plus clairs que l’intitulé tellement général de cette année : «  Nouvel espace ».
L’enquête concernant « Monsanto » est forte : de « l’agent orange » utilisé au Viet Nam aux OGM et au glyphosate, nous avons toujours à apprendre depuis qu’avec les éternels protestataires nous aurions eu tendance à regarder ailleurs. Là nous sommes le nez dans les embryons déformés, les publicités outrancières, les vies dévastées par une multinationale cynique dont les produits depuis leur fabrication jusqu’à leur usage massif sont nocifs.
Fukushima et ses paysages traversés de films plastiques est un cauchemar
que n’avaient pas envisagé les premiers surréalistes qu’il est intéressant de retrouver à l’heure ou Photoshop permet des collages étonnants.
Dans la profusion des auteurs à dominante latinos, l’exposition consacrée à Masahisa Fukase nous permet d’apprécier l’originalité du japonais, l’« incurable égoïste », parle de notre antisociale société avec une verve qui n’efface pas la noirceur.  

mercredi 4 octobre 2017

Venise en une semaine. # 4. Les îles du Nord.

Levés à 8h, nous ne traînons pas au petit déjeuner avec petits biscuits vénitiens tartinés de confiture d’oranges amères.
Nous nous rendons devant la gare San Lucia où sont installées les billetteries de tickets de vaporetto et nous choisissons parmi les propositions un billet à 30 € pour deux jours, trajets illimités, valable pour Torcello, Burano, Murano…
A l’embarcadère D, nous montons dans le vaporetto qui navigue tranquillement vers Murano entre les « bricola » : groupe de poteaux qui délimitent les canaux navigables.
Nous descendons au premier arrêt de l’île, la Colona, avec quelques touristes et remontons le quai le long du canal où s’accolent les boutiques de verroterie qui firent la réputation de la ville.
Nous tombons par hasard sur la Chiesa di San Pietro Martire, sans grand intérêt malgré le baptême de Jésus par Le Tintoret. Assis à la fraîche, nous consultons Le Routard qui nous conseille le muséo del vetro
Nous nous y dirigeons en musardant sur les quais et les ponts qui enjambent les canaux.
Pas d’enseigne tapageuse, l’entrée du palais qui l’abrite est presque confidentielle. Nous achetons nos billets à 12 € l’un, nous sommes renseignés une fois de plus parfaitement en français.  
Nous ne nous ennuyons pas dans les salles qui retracent chronologiquement l’histoire des objets en verre. La première salle sert d’écrin sombre à des verres anciens épais et presque opaques, la plupart retrouvés dans des sépultures : vases funéraires, flacons lacrymatoires, rangés dans des vitrines et classés par couleurs.
La deuxième salle propose de la vaisselle du XV° et XVI° siècle où des lustres monumentaux pendent avec noblesse depuis de beaux plafonds.


Comble de raffinement et de l’inutile : un artiste a créé un décor de table en verre représentant un jardin avec des portiques, de vasques, des arbres, des fontaines, au milieu de parterres en carton. Qui va faire la poussière sous la vitrine ?
Les verriers se sont aussi intéressés au domaine du vêtement avec la fabrication de passementeries exposées sous forme de planches destinées aux représentants, avec également des  boutons aux couleurs et formes variées, et bien sûr des perles destinées à parer les vêtements ou confectionner des bijoux.
Nous suivons le temps jusqu’à la période contemporaine  qui ne nous séduit pas particulièrement, avec les vases et de la vaisselle montrant l’imagination et la virtuosité des maîtres verriers. Au mur des écrans diffusent de courtes vidéos qui nous font découvrir le travail des artisans en permettant d’admirer leurs gestes précis et rapides.
A peu de distance du musée s’élève la Basilica dei santi Maria e Donato, originale par son abside extérieure tournée vers le canal, richement décorée de deux rangées d’arcades superposées. 
A l’intérieur de l’église sous les lustres à pendeloques en verrerie transparente, nous posons nos pas sur des pavements inégaux et d’anciennes mosaïques polychromes, parfois figuratives comme ce couple de paons.
Dans le style byzantin, comme à St Marc, une mosaïque dorée où se détache une vierge orante (en prière) attire les regards au dessus de l’autel.
Nous passons de l’ombre à la lumière, à nouveau baignés par le soleil généreux de la lagune et marchons jusqu’au Faro en longeant le quai dans cette île plus « villageoise » que sa grande sœur Venise.
C’est là que nous embarquons dans le vaporetto bien rempli pour les 40 minutes de voyage.
 Nous ne profitons pas de l’arrêt à Mazzorbo qui permet ensuite de gagner Burano à pied en passant par un pont. 
Nous descendons avec le flot de nos semblables dans l’île célèbre pour sa dentelle dont la technique fut enseignée en France et jusqu’en Chine.
Au lieu de nous engager dans la rue principale, nous prenons la tangente et tout de suite nous nous retrouvons loin du monde pour admirer les maisons aux couleurs toniques le long de petits canaux : vert cru, anis, rose pâle, framboise, rouge orangé, bleus différents avec des portières en tissu assorties aux murs de ces maisons de pêcheurs qui d’après la légende espéraient par la vivacité des tons retrouver leurs pénates les jours de fortes brumes.
C’est là que réside l’intérêt de l’île, dans ces maisons modestes mais voyantes car la dentelle ne semble pas passionner grand monde. Nous négligeons d’ailleurs le musée qui lui est consacré. Nous déjeunons près de le chiesa San Martino Vescovo dans un restau dont seul le café à 2, 50 € est notoire.

mardi 3 octobre 2017

Ich Bin Vraiiiiment gland ! Lefred Thouron.

Le dessinateur, dont j’apprécie souvent la causticité dans le Canard Enchaîné auquel il apporte une pointe de moderne inspiration, livre ici ses esquisses anguleuses hors des péripéties politiques.
Mais la multiplication des absurdités banalise les gags, les annihile.
Les domaines ont beau varier : au super marché, en vacances, devant la télé, au restaurant,  devant le distributeur de billets… le rejet de la société de consommation se finit souvent en « gerbe » ou commence en crotte : l’appétit est vite coupé.
Dans des albums vus précédemment http://blog-de-guy.blogspot.fr/2015/06/le-football-nest-plus-ce-quil-est.html  je n’avais pas ressenti que l’humour puisse se périmer aussi vite, et en arriver à être cynique, bien que caché sous un trait énergique.
Pas gland : petit.

lundi 2 octobre 2017

Un beau soleil intérieur. Claire Denis.

Juliette Binoche en promenade à La Souterraine, célèbre ville de la Creuse qui organise son 5° festival d’art contemporain, se révolte, exaspérée par les bavardages de ses semblables :
«  Tout vous appartient : les paysages, les oiseaux… »
Qui n’a pas prétendu vouloir tout commenter avec bien sûr tant de juste distance ?
Cette séquence en contrepoint est la plus réussie à mon goût de la comédie tellement parisienne des désordres amoureux, persillée d’une ironie perpétuelle qui effacerait les larmes, et épargnerait de la solitude.
Faut-il rire de la recherche d’un impossible amour, trop absolu, d’une divorcée, surtout à cet âge, fut-il encore flamboyant ? Le dramatique n’est pas si loin du pathétique.
La peinture des chassés croisés est bien dialoguée, mais ce milieu bobo a été tant peint et repeint, qu’il ne reste pas grand-chose de neuf, hormis le jeu brillant des sempiternels bons acteurs interprétant d’éternels personnages, pris dans des situations déjà vues. Cette molle satire au titre pince sans rire ne serre aucun cœur, ni ne titille guère les zygomatiques.