vendredi 20 décembre 2013

L’héroïsme : une valeur d’aujourd’hui ?



« Un bon héros est un héros mort »
«Il n’y a point de héros pour son valet de chambre»
Les formules définitives à graver au fronton de  mausolées ne manqueraient pas, mais en ces temps ricaneurs, j’ai bien aimé dans Libé, la pensée originale de Susan Neiman philosophe lors d’un article préparatoire au débat organisé par la Villa Gillet, à l’hôtel de région à Lyon:
«  Hegel s’était posé la question : «Il n’y a pas de héros pour son valet de chambre ; mais non pas parce que le héros n’est pas un héros, mais parce que le valet de chambre est un valet de chambre.» Le valet a une vision du monde fruste et grossière, et il fera tout en son pouvoir pour la corroborer. Les gens mesquins et dénués de générosité voient la mesquinerie et la parcimonie partout ; les âmes généreuses, elles, recherchent leurs semblables. »
Elle rappelle : « Le terroriste des uns est le combattant de la liberté des autres. »
Lors de ce débat bien mené, le reporter JP Mari de l’Obs a  souvent joué au journaliste, contribuant à créer la confusion entre victime souffrante et héros, en enchainant quelques généralités  telles que « soldats de la paix », mais Vincent Azouley expert en Grec à l’ancienne, familier d’Ulysse, héros incontesté  bien que mal parti et la philosophe ont élevé le débat bien mené par Olivier Pascal Mousselard lui aussi journaliste à Télérama comme je les aime, n’envahissant pas l’espace, posant des questions vives et cadrantes. Il s’interrogeait pourquoi à la mi-temps de France All blacks sur le service public lançant une série de documentaires sur 14-18, il n’était plus question que  de « tous ces héros » pour qualifier les combattants : est ce plus vendeur ?  
Sans aller comme un écrivain suisse, Benjamin Wilkomirski, qui s’était inventé une enfance en camp de concentration, il est certain qu’aujourd’hui la reconnaissance passe par la  compétition des souffrances : ce n’est plus l’acteur qui parle mais ce que le monde nous fait subir.
Le héros se détache de l’humaine condition en mettant en jeu la vie et la mort mais le grand homme se juge dans la durée.
 À Ulysse qui le félicite de régner parmi les morts, Achille répond :
« J'aimerais mieux être sur terre domestique d'un paysan,
Fût-il sans patrimoine et presque sans ressources,
Que de régner ici parmi ces ombres consumées. »
Giordano Bruno a été brûlé, Brecht dans « La vie de Galilée » met en scène le disciple de l’auteur de « pourtant elle tourne », indigné par le fait que son maître se soit renié, il dit :
« Malheureux le pays qui n'a pas de héros! »
Galilée répond :
« Malheureux le pays qui a besoin de héros. »
Quand le néo libéralisme triomphe, le héros qui doit inspirer, nous élever, nous libérer  ne se trouve pas chez les sportifs (« Shako président », le « r » n’a pas sauté il s’agit de celui qui a été décisif contre l’Ukraine en foot), ni dans une boite de Viagra pour accéder au titre de « héros de l’amour ». 70 vierges qui attendraient au paradis ne sont qu’un faux prétexte pour risquer sa vie : le fondamentalisme est plus sérieux. 
J’ai le sentiment d’un éternel retour avec une invitation à nous réapproprier les mots, c’est que nous ne serions pas sorti des prémices : « au commencement était le verbe ».
………….
Dans le Canard de cette semaine :  

jeudi 19 décembre 2013

Biennale d’art contemporain de Lyon. 2013.



Est-ce que parce que l’art contemporain est un marqueur culturel impitoyable, un domaine de spéculation affolant, que nous devons nous interdire de nous tenir au courant de ce qui se présente à nos yeux ?
Les obstacles sont nombreux : un verbiage le plus souvent abscons accompagnant les œuvres,
une communication hiératique : l’œil poché qui annonce la biennale, une tête de cochon ou une bulle de chewing-gum sont-ils incitatifs ?
Quand on annonce « un moment  délicieusement érotique de superposition, et nous nous réjouissons de repérer la perfidie » pour des bouteilles pendues sous un cadre, il y a de quoi débander, nous débander.
La profusion des artistes est-elle décourageante ou permet-elle, aux familiers du zapping, des découvertes, en épargnant les raseurs ?
Je livre quelques mots depuis deux lieux : le MAC et la Sucrière, en passant par-dessus les vêtements sur le sol, quelques bites, des BD agrandies, quelques rames de papier, des parpaings, des titres bidons et des provocations datant de Mathusalem accompagnées de tant d’oublis.

Pour être peu sensibles aux vidéos proposées en général en ces lieux, je change d’avis avec Takao Minami qui respecte le thème de cette 12° biennale consacrée au récit « Entre temps, brusquement et ensuite. » Des personnages fragiles irisés de lumière traversent des paysages rêvés participant à un univers original, poétique qui nous offre une belle découverte tout en nous paraissant familier. 
Gustavo Speridiao a apporté pour moi une touche d’humour au cours d’une pérégrination qui n’était pas là pour rigoler. Une histoire de l’art vraiment personnelle : une série de  photographies souvent originales aux titres décalés.
« Nous sommes les pirates d’une histoire inexplorée » sonne pas mal comme titre de Takewata qui s’attaque à Fukushima, rien que ça.
Le collectif Madein company présente sous vitrine des gestes des religions, du sport ou  de la politique qui se ressemblent. Cela conviendrait mieux à un musée d’anthropologie mais les rapprochements sont stimulants.

Paulo Nazareth a payé de sa personne en faisant le trajet de Johannesburg à Lyon à pied, il a déposé quelques étiquettes ramassées au cours du périple.
Les projections d’images poétiques sur du sable de Gabriela Fridrksdottir font partie d’une installation qui regroupe une vidéo aux allures chamaniques, des bouteilles en verre soufflé, une construction semblable à un fruit dans un environnement soigné de sons comme dans quelques autres propositions succinctement décrites ci-dessus. 

mercredi 18 décembre 2013

Ethiopie J 13. Konso.



Nous devons pas mal rouler aujourd’hui revenant sur nos pas vers Key Afer. Dans la plaine, nous bifurquons par une piste rectiligne que nous suivons un long moment avant d’atteindre un village Arbore.
Le rituel commence : un guide local nous explique les coutumes du village constitué de trois tribus différentes, qui ont créé une langue commune pour cohabiter.
Les filles ont la tête rasée et s’habillent de peaux de bêtes alors que les femmes mariées se laissent pousser les cheveux et se ceignent la taille avec du tissu.
Autour de nous la population grossit,  sauf des femmes occupées à refagoter l’armature d’une case, remplaçant les parties noircies par le feu.
La séance photo peut commencer, nous choisissons les figurants  par groupes de trois. Les demandes de soap, t-shirt, de nos bracelets se multiplient, les soldes pour les photos arrivent…  nous parvenons à remonter dans les 4X4, après avoir acheté un tabouret.
Nous subissons une nouvelle crevaison après avoir croisé des pintades peu farouches.
Nous mangeons dans un  restaurant routier, assez grand, avec plusieurs paillotes. On nous sert deux plateaux pour 6 sans viande à cause du jeûne car nous sommes vendredi.
Nous nous régalons de purée de pois cassés et lentilles rouges légèrement pimentées.

Des merles métalliques s’approchent des plats qu’ils picorent en compagnie des worabées (tisserins jaunes) de façon assez effrontée. Les becs affamés font inévitablement basculer dans un grand bruit de métal des plateaux disposés avec les restes sur une murette.
La route vers Konso passe dans des paysages verdoyants de collines où se distinguent des terrasses et grimpe en pente non négligeable vers des altitudes plus élevées.
La ville de Konso se répartit autour de la rue centrale descendant sérieusement jusqu’au rond-point faisant référence à l’UNESCO.
Notre hôtel, « The green Hôtel » n’est pas très reluisant avec une cour ravinée où sont plantés quatre totems en bois et deux abris circulaires surmontés de toits de chaume traditionnels. Nous logeons dans des chambres au rez-de-chaussée, le premier étage est encore en construction. Pas d’eau courante, nous nous contenterons du seau d’eau, quant à la lumière , Achenafi, un de nos accompagnateurs, court acheter des ampoules.
Nous partons à pied, dans la ville que nous pouvons parcourir tranquillement : « welcome ».
Nous nous asseyons un moment sur un banc de terre adossé à la case d’handicraft d’où nous observons la vie de la rue : femmes croulant sous le poids de fagots, habillées de jupes traditionnelles blanches retournées et ceinturées en haut, des enfants, des motos, des hommes en habit musulman ou européen et une colonne de jeunes portant leurs pelles, rentrant du travail.
Autour d’une table bancale nous nous réunissons pour discuter, lire, compléter nos journaux. Girmay nous raconte comment enfant il attirait les pintades avec des plumes pour les prendre  au collet.

mardi 17 décembre 2013

La vie secrète des jeunes. Riad Sattouf.


Le dessinateur de Charlie hebdo a beau annoncer au début de chacune des scènes, qu’il croque, que ce sont des situations « vues et entendues », nous sommes partagés entre l’effarement et l’admiration de voir la réalité si efficacement attrapée.
Dans le métro, les fast food, dans la rue, quand le téléphone portable amplifie l’impudeur, les jeunes ne sont guère saisi à leur avantage dans les traits de leur visage, ni dans leurs paroles.
Les relations sont souvent violentes et quand il s’agit des enfants, on ne rigole pas ; c’est parfois ignoble.
Cette accumulation sur 160 pages poursuivie sur trois tomes est un document utile sur l’état de la société qui se lit facilement grâce à un humour qui met à distance les plus sordides situations.
La transcription des langages est fine, cocasse et sans pitié pour les tics et la vacuité.
Je vais essayer de lire La Bruyère avec ses portraits piquants auxquels j’ai pensé à cette occasion. 
Plus vif que l’émission strip tease mais de la même acuité, il cultive chez nous un pessimisme des plus tenaces. Faut-il en rire ou en pleurer ? Pour les héritiers d’Hara Kiri, « le journal bête et méchant », le vivier où barbotent les stupides, les perdus, les brutaux est encombré, avec donc d’autres volumes à dévorer.

lundi 16 décembre 2013

Nos héros sont morts ce soir. David Perrault.



Film en noir et blanc avec des personnages qui ne le sont pas moins, contrastés.
Sur les rings de catch, « Le spectre » rencontre l’ « Equarisseur de Belleville » et inversement, reproduction de la rivalité de « L’ange blanc » contre « le bourreau de Béthune » que tout le monde savait factice dans ces années de guerre d’Algérie qui, elle, n’était pas du jeu.
Ambiance de bistrots enfumés, avec œuf dur sur le zinc, juke box, personnages à la Gabin, serveuse lettrée, méchant méchant.
Le dilemme primaire dans lequel sont présentés les personnages aimablement éclairés ne nous touche guère. Certains spectateurs avaient marché avec le muet « The artist », pas sûr que ce film parlant qui suivrait le filon rétro séduise autant.
« Il ne faut pas effaroucher les songes » est-il dit, certes, mais d’autres formules, copies décolorées de ces années 50 finissantes, telle qu’«  il faut prendre et non comprendre » ne rentrera pas dans le répertoire des répliques cultes de films qui valaient alors pour leurs dialogues savoureux.

dimanche 15 décembre 2013

Katlehong Cabaret.



Depuis une banlieue de Johannesburg huit danseurs musiciens et chanteurs ont débarqué sur la scène de la grande salle de la MC2  et nous ont enchantés.
Poings levés et les deux pieds surtout pas dans le même sabot, en bottes de caoutchouc ou en claquettes avec humour et une énergie communicative, ils nous ont régalés. 
Quand les morts sont évoqués par le meneur de revue, on le croit, car si leurs danses tapageuses évoquent la tradition, elles s’emparent aussi du hip hop, en des défis, des séquences bien menées.
La chanteuse avec conviction et sensibilité entraine les danseurs chanteurs inépuisables.
La danse « festive et rebelle »,  est élémentaire, humaniste : c’est la culture pantsula.
Je recopie sur le site www.danseraparis.com/
« Pantsula est un mot zoulou qui signifie "marcher avec les fesses retroussées" ou "se dandiner comme un canard"; ce qui représente une des caractéristiques de cette danse. Egalement, les danseurs frappent et glissent sur le sol avec leurs pieds.
Cette danse, en constante évolution grâce aux mouvements qui s'inspirent de situations et de gestes du quotidien, est une danse urbaine codifiée qui demande beaucoup de virtuosité.
Le mouvement libérateur que représente la Pantsula s'exprime à travers une danse énergique, puissante où il est constamment nécessaire de se démarquer par la recherche de pas originaux. « 
Bien d’autres spectacles en comparaison apparaitront plus fades et maniérés et nos « clap clap » des politesses, alors que c’était toute une salle debout qui battait ce samedi.

samedi 14 décembre 2013

Les variations Bradshaw. Rachel Cusk.


La littérature joue à la musique : 32 chapitres comme les variations Goldberg de Bach,  pour décrire quelques couples anglais qui cherchent une partition leur convenant au mieux : ils se cherchent, s’ennuient, doucement, entre rêves et compromis.
 « - Je lisais un livre, un peu plus tôt, raconte Thomas, sur un homme qui tue sa femme parce qu’elle joue du piano. » […]
«- Vous devriez lire des livres plus joyeux, suggère Olga. Pourquoi se rendre la vie plus difficile ? […]
- Je ne sais pas pourquoi ; Je n’y ai jamais réfléchi. Vous lisez des livres joyeux vous ? » […]
- Moi je lis des magazines »
Le regard de l’auteur est minutieux, cernant les enjeux des moindres gestes du quotidien, en exalte la portée pour l’achat d’un manteau, l’adoption d’un chien …
« L’aéroport d’Amsterdam avec ses bâtiments gris et bas surgit sous des rideaux de pluie horizontaux. Des véhicules en forme de boites sont garés sur le tarmac entre des mares d’eau ridées par le vent. L’anonymat de ce lieu est presque excitant. Lui aussi est rationnel, impersonnel. Il lave Tonie des heurts qu’entrainent les relations humaines. Il la délivre de tout ce qui est privé et particulier, de l’émotion elle-même. »