samedi 9 février 2013

La malédiction des colombes. Louise Erdrich.


La manière dont on lit influe bien sûr sur nos opinions.
A trop trainer, je me suis perdu parfois parmi les personnages, mais l’écriture de l’écrivaine américaine parmi les plus célèbres m’a fait reprendre chaque fois ce roman de 460 pages avec plaisir. 
Avec ses talents de conteuse, elle fait croiser les récits de quatre personnes qui reconstituent ce qui hante la mémoire d’une ville du Nord Dakota : un lynchage après un crime abominable. Son attention aux choses les plus infimes de la vie, aux tremblements de l’atmosphère,  constitue une prose poétique qui va trouver des saveurs jusque dans des vies mal parties.
Au-delà  du charme aux couleurs indiennes, elle nous fait aborder des mystères nouveaux, pas seulement les dramatiques mais aussi les loufoques. Elle illustre parfaitement l’expression pourtant trop rebattue : « elle réenchante le réel ».
« J’avais cru que je me sentirais joyeuse, mais j’éprouvais une peine confuse, ou peut-être de la peur, car ma vie me paraissait une histoire vorace dont j’étais la source, et avec ce baiser j’avais maintenant commencé à me livrer toute entière aux mots. »
Des moments épiques : par exemple quand celui qui doit prendre la succession d’un défunt  après avoir joué du violon que l’on vient d’extirper du cercueil, le brise !
Foisonnant  et chaleureux.
« Et il n’y aura rien d’autre qu’un bal éternel, la poussière venant s’ajouter à la poussière, où que l’on porte le regard.
 Oh là là ! Trop apocalyptique, me dis- je au moment de quitter ma maison pour rejoindre celle de Neve et aider mon amie à affronter une nuit sans sommeil. »

vendredi 8 février 2013

« Etats généraux de la république » avec Libération à Grenoble.



Le journal Libération qui est parfois plus concis dans ses titres a multiplié les accroches : « Partout en Europe jeunes débattez-vous » pour une édition nouvelle de forums que nous avons la chance de suivre à la MC2 à Grenoble depuis des années après d’autres « Etats généraux du renouveau ».
Bien des fois on a pu s’apercevoir en fin de discussion que la dimension européenne qui figurait pourtant dans l’intitulé avait été oubliée : un classique significatif.
Cette fois, le regret récurrent du manque de mixité parmi celles qui sont sur les estrades n’était plus de mise, alors que le souhait de voir plus de jeunes intéressés pouvait être réitéré, bien que le samedi ils aient été plus nombreux ; et  d’ailleurs, le vendredi, ne sont-ils pas en cours ?
Un autre lieu  a été proposé à la Villeneuve mais l’Espace 600 n’a pas connu d’affluence malgré la présence de Dhorasso ; fallait-il Beckam ?
Il y avait moins de monde cette année, mais sur deux jours et non trois, pour des thématiques moins nombreuses et hors échéances électorales. Un signe de plus des difficultés des politiques et de ceux qui les suivent ou les accusent  à penser hors de l’urgence.
D’autres formes ont été  expérimentées : un ring de boxe pour recevoir « les sujets qui fâchent » accueillait au moment où je passais une personne âgée - mon âge- qui regrettait qu’il n’y ait « pas plus de jeunes », alors qu’un jeune à côté d’elle attendait qu’elle lâche le micro dans lequel elle susurrait la scie d’une « info différente » dont la seule différence visible était de ne pas savoir parler dans un micro.
Les livres exposés par la librairie du Square pour prolonger les débats ont marqué  la réduction  de la production éditoriale à propos de la thématique écologique : riquiqui comme banquise.
Pour se substituer au terme épuisé de  « concertation », la nov’  langue propose « co-construction ».  Le mot « plate-forme » est souvent utilisé aussi et le terme « culture populaire » accolé au développement d’Internet ouvre des perspectives.
A deux reprises la question de l’abaissement de l’âge pour obtenir le droit de voter a été évoquée.
Par contre  que l’école soit appelée en renfort de toutes les insuffisances de la société est habituel. Pour les huit débats que j’ai suivis, sur les quartiers sensibles, les transports, Internet, le sentiment d’appartenance à l’Europe,  la famille, une économie différente, et au débat sur l’école idéale bien sûr, c’est de cette pelée de cette galeuse que le salut doit advenir. 
Personnellement je la chargerai de mes lacunes en économie qui me sont apparues béantes quand je béais aux explications de Patrick Viveret.
Chaque vendredi j’essaierai de rendre compte de quelques débats sur les trente six proposés, histoire de retriturer des réflexions qui  ont pris en général le temps de se déployer ; qu’elles nous dérangent ou nous confortent.
……………..
Dans le Nouvel Observateur :


jeudi 7 février 2013

L’art des cavernes en Europe.


Bien que Jean Clottes, le conférencier aux amis du musée, directeur de la grotte Chauvet, préfère des termes moins connotés que celui d’artiste, la beauté des travaux de nos ancêtres est saisissante.
Ces œuvres préhistoriques, découvertes dans des grottes profondes, des abris ou à l’extérieur sont situées essentiellement en France et en Espagne, dans l’Oural et en Roumanie, elles comptent  leurs 35 000 ans d’âge. En Afrique du sud ont été retrouvées des coquilles d’autruche décorées datant de 60 000 ans.
Des animaux sont représentés surtout des grandes espèces, mais pas forcément ceux qui sont chassés, ni obligatoirement présents à proximité. Les biches abondantes  dans les représentations en Espagne sont sans doute des animaux possédant des pouvoirs.
Des nuages de points, des traits les accompagnent ; nous y voyons des figures géométriques comme un enfant d’aujourd’hui ne verrait que le croisement de deux traits dans une croix dépourvue de tout sens symbolique.
Les dessins d’humains sont rares et non naturalistes, les femmes ont des petites têtes avec des attributs sexuels mis en évidence, les enfants sont bien plus rares que des créatures composites aux bois de cerf, aux pattes de lion.
Les mains au nombre varié de doigts seraient des marques propitiatoires (qui permettent d’attirer les faveurs des dieux).
Les exécutants les plus habiles ont suivi des enseignements et la variété des techniques en gravure, peinture, modelage, sculpture est impressionnante, ils s’adaptent aux supports. Souvent les tracés complètent des reliefs naturels, les animaux semblent prêts à sortir des noires profondeurs.
Commencé  en noir du bout d’une torche le trait se grave plus loin dans la roche tendre.
Le moyen duc tracé au doigt dans la pellicule argileuse a tourné sa tête pour nous suivre.
La magie de la chasse n’explique pas uniquement la profusion des représentations animales sur les 400 sites européens. 150 mammouths sont recensés à Rouffignac, les animaux totems ne sont pas tués, ce sont des mythes, des acteurs d’histoires sacrées.
En ces temps stables les religions n’évoluaient pas.
Le spécialiste de l'art préhistorique du Paléolithique recherche vers les rites chamaniques pour expliquer  la présence de tels ornements dans ces cavernes.
Les pratiquants entreprennent un voyage vers un monde surnaturel ou reçoivent la visite d’un esprit. Les univers, à leurs yeux, sont fluides, perméables.
Dans la foule des anecdotes que le  conférencier, plongeur émérite (il lui fallait ce diplôme de plus pour accéder à la fabuleuse grotte Cosquer à Cassis) : celle concernant des peintures  anciennes dans une zone tribale indienne recouvertes par le texte de la charte de l’ONU, nous scie les pattes.
Nous effleurons les vertiges du temps : le sanctuaire à 35 m sous le niveau de la mer méditerranée était à 200 m du bord, aujourd’hui il est inaccessible au public, ce qui en subsiste sera englouti : la planète se réchauffe.

mercredi 6 février 2013

Naples ville d’art. Eric Mathieu.


Modèle de désorganisation, Naples, celle de la Camorra, des montagnes de poubelles, et des thromboses circulatoires, la ville du chaos est passionnante!
Inspiré, le conférencier Eric Mathieu a su communiquer sa passion de la ville et des artistes aux amis du musée de Grenoble.
Dès le XVIII°  on savait qu’une personne sur six seulement travaillait là bas, un religieux sur six était un repris de justice, et une religieuse sur six venait de la prostitution.
Le royaume de Naples « La plus grande maîtresse de l’Europe »  passa de l'Autriche à la Sardaigne aux  Bourbons d'Espagne et connut les Bourguignons et les Angevins à sa tête.
Son vaste centre historique qui porte toute cette diversité historique est classé dans le patrimoine mondial de l’UNESCO.
La plus grande ville d’Europe au XVII° siècle comptait 400 000 habitants, trois fois la population de Rome, elle va chuter à 120 000 habitants après la peste de 1635.
Survenant après les éruptions de l’Etna de 1631 et des révoltes en 1647, ces évènements forment le caractère et la présence de 575 églises ne sera pas superflue.
Les fêtes durent après les ébranlements mortels.
L’église Pio Monte della Misericordia, Mont de Piété toujours en activité,  est riche, pas seulement du monumental Caravage intitulé « les sept œuvres de la miséricorde ».
« Nourrir les affamés. Donner à boire aux assoiffés. Vêtir les dénudés. Héberger les sans-logis.Libérer les prisonniers. Visiter les malades. Ensevelir les morts »  
Ce tableau  est complexe : celui dont on sait à présent qu’il est né à Milan, ajouta après une première couche de vernis, la vierge oubliée qui figurait dans le contrat.
Avec ses « modèles à 10 pesetas » comme disait Picasso, Merisi le vrai nom du plus cité des peintres dans nos conférences, marie culture savante et populaire, le divin et le prosaïque.
Le mauvais garçon protégé par les Colonna échappe à la loi papale et livre des tableaux où il se représente en Goliath  vaincu pour se faire pardonner. Il est présent  aussi dans son armure derrière Sainte Ursule qui vient de recevoir une flèche.
Il était fait pour Naples et la  représentation de la fin de Saint André était pour lui : le saint avant sa mort fut entouré d’une lumière qui dura trente minutes.
A Capodimonte  se trouve le christ à la colonne de notre chouchou avec  Artémisia Gentileschi et son Holopherne qui pisse le sang.
Ribera, suiveur du Caravage,  fut également un chef de bande qui menaça ses concurrents.
Il peint un aristocrate devant  des intestins de mouton, plat populaire pour illustrer un des cinq sens.
Les œuvres de Giovanni Battista Caracciolo se retrouvent dans de nombreuses églises napolitaines à la suite du maître des ténèbres, il accentue les reflets argentés des tissus.
Dans la rubrique faits divers alimentée par les artistes : Baglione est un ennemi personnel du Caravage qu’il admire pourtant et qu’il attaque.
Le Dominiquin,  représentant du baroque mourut empoisonné, Ribera le remplaça.
Dans l’abondance des chefs d’œuvres, d’une période pourtant brève, présentés en deux heures, il fallait un sculpteur magnifique : Giuseppe Sanmartino qui représenta le christ allongé sous un voile de marbre si léger que des interprètes jugent encore possible l’intervention de Raimondo di Sangro, un génial inventeur qui aurait transformé le tissu en pierre. Canova en voyant le chef d’œuvre aurait dit qu’il aurait donné quinze ans de sa vie pour l’avoir réalisé.
 C’est au siècle suivant, au XVIII°, que Pompéi fut découverte.

mardi 5 février 2013

La tour des miracles. Brassens. Davodeau Prudhomme.


La bande dessinée convient bien à cette adaptation du roman de Brassens dont la langue  est respectée avec l’esprit de la bande de copains qui vivaient chez Jeanne, la Jeanne.
« En ce temps-là nous habitions Montmartre. Une maison miraclifique de sept étages par temps calme et de six les jours de bourrasques. Nous occupions tout l’étage amovible et l’avions baptisé " l’abbaye gré-du-vent ", mais chez les pupazzi de pacotille on ne le désignait pas autrement que sous le nom de " tour des miracles " par allusion à la fameuse cour de malandrins. »
Le dessin qui évoque Dubout avec ses femmes callipyges a des airs surréalistes.
On retrouve les mots du poète qui tout en vivant au dessus de la ville en rendit toutes les fureurs, toutes les tendresses,  mais je préfère ses chansons.
Les belles images n’ont pas forcément rencontré les miennes et j’ai préféré les crayonnés qui revenaient à la réalité que les traits précis d’un l’imaginaire quelque peu daté.

lundi 4 février 2013

Comme un lion. Samuel Collardey.



Le film montre le miroir aux alouettes que constitue pour un jeune africain la carrière de footballeur professionnel mais alimente ce rêve vain avec une conclusion sirupeuse.
Pourtant des plans de stades noyés sous la brume en Franche Comté ou les terrains cabossés  du Sénégal portent  avec élégance la poésie du réel ; des personnages sont sympathiques, vivants, bien brossés.
Alors que la télévision filme de mieux en mieux le jeu,  le cinéma ne réussit pas à varier les plans, et  l’acteur principal est peu convaincant en prodige du foot. Ses passages en force à deux reprises pour montrer ses talents sont peu crédibles.
Le jeune tape un baratin bien troussé à une secrétaire mais se montre bien mutique vis-à-vis de ceux qui l’aident, hormis une effusion de dernière minute qui  surcharge encore la séquence émotion dans le temps additionnel.
Ce rêve persistant porté par les africains et leurs parents, ces agents véreux, existent comme la violence et  la solidarité entremêlés.  
Sur le même sujet, je viens de prêter à un jeune enfant talentueux balle au pied, la cassette du « Ballon d’or », film de 97 qui retrace le destin de Salif Keita, « la panthère noire », qui avait pris le taxi de Paris à Saint Etienne comme on prend le taxi de brousse. Il est joué sur un rythme reggae alors que  dans le film d’aujourd’hui  le rap est scandé dans le car qui emmène les jeunes vers la finale où l’un d’eux montre son cul par la fenêtre.

dimanche 3 février 2013

Chick Corea. Antoine Hervé



Il se prénommait Armando, mais Corea n’est pas un pseudo; avec  l’ajout de « Chick » son nom lui convient bien, qui allie un tempo claquant et du sentiment.
Notre professeur Hervé lors de sa deuxième leçon de jazz de la saison à la MC2 rassemble toujours une foule d’amateurs ; il joue d’une manière époustouflante du piano auquel il ajoute d’autres instruments de vive voix.
J’ai retenu ses interprétations de « Spain », « Children songs », « Armando’s rumba », « la fiesta »…
Il s’amuse avec les mots  et la musique en toute langue.
Pas besoin de traduire l’expression «  cross over » pour qualifier celui qu’il  évoque ce soir.
Né en 1941 dans le Massachussetts, d’origine sicilienne et espagnole, il  est mis au piano à 4 ans par son père trompettiste et montre des aptitudes à la caisse claire. Il découvre la musique classique et  le jazz.
Une de ses références majeures sera Bud Powell, par ailleurs ses dédicaces sont allées souvent au fondateur de la scientologie  Ron Hubbart qui l’avait « lavé » de ses addictions.
Interprète, compositeur, il tranche avec les usages du jazz en accordant du soin à l’écriture tout en restant un improvisateur hors pair.
Il enregistre une centaine de CD, de Miles Davis au jazz-rock, avec Bobby McFerrin, le vibraphoniste Gary Burton, toujours curieux des possibilités nouvelles apportées par la technique. Il s’illustre avec le groupe « Return to Forever ».
Aux claviers électriques, il combine jazz et rumba, des accents espagnols et  des dissonances à la Bartók.
Alors que sa formation de batteur et les commentaires sur son style insistent sur ses qualités rythmiques, j’ai surtout retenu une musique atmosphérique, aux mélodies distinguées, aux  accords recherchés.