mardi 18 décembre 2012

L’art de voler. Antonio Altarriba. Kim.



Voilà encore un récit désenchanté au temps de la guerre d’Espagne.
Son titre élève vers l’abstraction une trajectoire qui eut à se heurter à tant de murs de pierres.
Ces 200 pages sont prenantes, chaleureuses, intéressantes.
On a beau savoir des choses sur cette période, le scénario du petit fils au « chagrin réparateur », qui rend hommage à son grand père est émouvant.
Les dessins riches allègent parfois des duretés de la vie en jouant avec l’imagination, ils rendent le parcours fluide.
Eternel choc de l’idéal et de la réalité : sauf que les baffes sont bien réelles, le poids des conformismes à la campagne, à fuir. Les camarades tombent sous de vraies balles, les trahisons remettent la faim au ventre, le froid de la neige mord les espadrilles.
Depuis la voiture en bois de l’enfance, à l’Hispano Suisa qui traversa l’Ebre,  avec des camions qui transportèrent des denrées au noir, jusqu’à la chaise roulante d’un voisin de maison de retraite, Antonio conduit.
Il se jette dans le vide depuis le quatrième étage au bout d’une vie pleine.
Une fois encore je n’avais pas mesuré l’ampleur du silence s’imposant avec ce poids au moment du retour, après la résistance en France, le combat dans les rangs républicains, l’exil.
Alors le récit de cette épopée individuelle avec ses contradictions, ses faiblesses et une soif de liberté revigorante, est une belle illustration de la nécessité de remettre au jour des mémoires qui valent pour tous.

lundi 17 décembre 2012

Les hauts de Hurlevent. Andrea Arnold.



Du monument romantique du XIX° revu de nos jours, il ne reste pas une brindille de romantisme.
Des chiens sont toujours dans les pattes des personnages avares de mots, et ils mordent.
Film glaçant pas seulement par la pluie qui trempe les pauvres oripeaux mais par l’âpreté de la lande, la sauvagerie des créatures. La vie est rude, la mort frappe mais les vivants ne s’en émeuvent guère.
Lorsque je photographie, j’abuse des gros plans, alors là, j’étais dans mon élément.
Je sais les délices de s’enfermer dans la belle image d’une graminée, d’un graffiti sur un mur,  mais l’esthétisme peut amener à brouiller le réel, à passer à côté des relations humaines.
Je n’ai pas perçu dans ce film de plus de deux heures, les passions qui pouvaient animer les personnages même si les coups ne manquent pas, mais pourquoi tant de haine et si peu d’amour?
A voir une séquence d’une autre adaptation cinématographique du roman unique d’Emilie Brontë, je n’ai pas persisté à cause d’une musique qui pousserait à sortir dare dare n’écouter que le vent sur la lande. Cependant, la version graphique de 2012 bien jolie mais peu en chair ne m’a pas plus convaincu.

dimanche 16 décembre 2012

Dave Brubeck. Antoine Hervé.



GreNews a beau jeu de relever une phrase qu’ils estiment malencontreuse dans la plaquette des programmes de cette soirée à la MC2 : le « sémillant nonagénaire toujours sur la brèche »  destinée à présenter dès le mois de juin le musicien qui allait disparaitre en décembre.
La musique de Dave Brubeck est bien  là, vivante, fringante, frétillante, aux nuances changeantes.
Antoine Hervé qui nous présentait le pianiste compositeur n’a pas perdu de son humour,  sa séance a gagné en émotion.
Quand il reprend les mots de Jack Lang qui disait que le jazz « était la plus savante des musiques populaires ou la plus populaire des musiques savantes », il ne peut que rencontrer une remarque que je réitère volontiers « se cultiver, c’est reprendre » calquée sur le très couru « apprendre, c’est répéter ».
La musique d’« A bout de souffle » je me souvenais qu’elle s’appelait « Blue rondo à la turque », et peu m’importe que « Le jazz et la java » de Nougaro se soit nommé « Three to get ready », les retrouvailles furent un plaisir jubilatoire. Le récit de la manière désinvolte de titrer les morceaux de jazz fut  par ailleurs un moment de détente.
Les insertions malicieuses du pédagogue virtuose sur «Take five » clôturèrent une soirée réussie avec trois rappels d’un public qui tint le tempo. Pourtant Brubeck avait recherché parfois des rythmes novateurs pour contrarier les foules scandant des cadences trop convenues.
Les trois morceaux les plus connus figurent dans le même album : « Time out » aux rythmes asymétriques.
Sa musique déhanchée  joua sur «  Les rythmiques du diable ».
Il forma un quartet avec Paul Desmond au saxo, Joe Morello à la batterie et Eugène Wright à la contrebasse, et nourrit ses compositions des apports de chacun.
Présenté comme un cowboy avec un soupçon de sang indien, le blanc qui de surcroit connut un succès planétaire durable avait donc des caractéristiques qui tranchaient avec la culture traditionnelle du milieu jazz. Il faisait aussi le pont avec des musiques du monde,  les contre points de la musique savante : il eut Darius Milhaud comme maître et s’il rencontra Schönberg le pape du dodécaphonisme, le jeune apprenti se fia plus à ses intuitions qu’à un esprit de système.
Issu pourtant d’une famille de musiciens, il sut cacher qu’il  ne savait pas lire la musique du moins au début de ses études. A la fin de la seconde guerre mondiale après avoir débarqué à Omaha Beach il fut remarqué par un gradé qui le dispensa de la mitraille, la musique lui sauva peut être la vie à ce moment là, en tous cas il lui consacra sa vie.
Nos trajets en sont  rendus plus guillerets.

samedi 15 décembre 2012

Je vais passer pour un vieux con. Philippe Delerm.



Parmi les phrases qui en disent long, le véloce écrivain débite quelques tranches évidentes :
le « Tout d’abord bonjour »  agressif de l’employé de la FNAC,  
« Comment il l’a cassé ! » bien dans l’air du temps,  
« C’est vraiment par gourmandise », « Quand on est dedans elle est bonne » …
Delerm remet du sens à des expressions banales, par exemple la proposition
« sinon moi je peux vous emmener » n’est guère empressée.
D’autres plus particulières méritent  aussi quelques commentaires rondement menés :
«  Attention l’assiette est chaude » qui amène les clients à prêter attention à ce qu’ils mangent.
J’ai adoré : « Et là, c’en était pas une ? »  qui parlera à tout conducteur à la recherche d’une place, aidé par des passagers de bonne volonté.
« Qu'il est joli, cet imparfait ! Comment peut-on charger un temps verbal de connotations si contradictoires ? Une forme de pleutrerie d'abord. On ne saurait imposer frontalement au maître du volant, au pilote des destinées, l'idée qu'il a tout simplement ignoré une opportunité unique.
Un effort de participation aussi. Bien sûr on va se laisser chouchouter, emmener, mais il serait quand même décent de manifester un peu d'initiative. Une prudence cauteleuse aussi. Si la place entr'aperçue se révélait trop petite, si les efforts scabreux pour la rallier en marche arrière s'avéraient inutiles, il est raisonnable de la considérer comme une possibilité déjà condamnée. C'est le cas, de toute façon, puisqu'un coup d'oeil sur le rétroviseur latéral vous a déjà indiqué que vous étiez suivis. »
Ironique, tendre, Delerm nous repose, nous rassure.

vendredi 14 décembre 2012

Dégrisement.



Maintenant que le divertissement offert par Fillon et Copé a perdu de sa saveur, il est temps pour moi de ne plus  me laisser distraire et affronter la déception née de l’exercice du pouvoir par la gauche.
Cette gaucherie attentiste vient de cette culture d’opposition qui nous permettait de trouver toujours pire en face, et puis il y a les délices qui ont perduré d’être débarrassé d’une clique à claques.
Les palinodies lorraines. Chaque citoyen savait que la situation économique était difficile et  se montrait plus sage que ceux qui ont adressé jusqu’à la dernière minute des promesses qu’ils savaient pourtant ne pouvoir tenir. Pour quelques flaflas immédiats que de ravages à long terme.
Les bonnes paroles concernant les urgences écologiques se heurtent à l’inertie des plus gros états, mais une part de l’écart entre les paroles et les actes pourrait se résoudre par exemple avec des espaces verts chez la Dame des Landes, la nôtre.
Si les discours du ministre de l’éducation sonnent dans le vide, c’est que la désaffection pour le métier d’enseignant a des causes plus profondes qui ne se résolvent pas en quelque annonce.
Cette société qui estime que la transmission est un métier risqué et non plus une ardente nécessité, un plaisir, un honneur, est bien malade.
Nous n’avons plus de monuments à construire, fussent-ils en carton.
Des couacs venant des cancans du côté de Valérie Trierweiler pourraient être anecdotiques si le président que j’ai tellement aimé en « normal » ne laissait apparaître ses préoccupations privées au détriment de sa fonction.
Mais c’est la pusillanimité concernant le non cumul des mandats qui est  la plus grave à mes yeux car elle dépend de tout un édifice politique et pas seulement d’une personne.
Cette mesure simple, économe, réhabiliterait la politique, permettrait d’admettre des mesures difficiles à venir. Mais « ils » font leur niche.
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Dans le Canard de cette semaine: 


jeudi 13 décembre 2012

La fête des lumières 2012 à Lyon.



Les églises du centre ville ont affiché sur une bannière « Merci Marie, Lyon depuis 1852 ».
Cet intitulé m’a fait penser à une entreprise de macarons dont la maison a été fondée dix ans plus tard. Mais le public se pressant dans les rues ne vient pas à une « catho pride ».
Pour ce que j’ai vu, l’admiration par la foule de la basilique de Fourvière tenait plus aux volutes colorées projetées sur ses murs autour du 8 décembre, qu’à l’histoire de son édification voulant  affirmer la puissance du clergé lyonnais depuis « la colline qui prie ».
Chaque année, nous ne pouvons embrasser la totalité d’une soixantaine de propositions « des designers, plasticiens, architectes, vidéastes, infographistes et éclairagistes », c’est que la frustration - n’est ce pas - fait partie du plaisir.
Quatre nuits de poésie, c’est pas tous les jours !
Restés dans le centre ville, nous avons croisé une grosse vache, un tigre, et d’autres animaux lumineux venus d’Inde,
après avoir admiré sur la place des Terreaux bondée, les façades qui dansent et un acteur qui décroche la lune.
Sur le théâtre des Célestins, la main d’un peintre dépose vivement ses couleurs, gratte, recommence à la craie, recompose agréablement la façade.
La statue de Louis XIV à Bellecour s’illumine sous les coups de pédales vigoureux  de certains spectateurs.
La rue de la Ré est magnifiée par des arcades très Bollywood d’un kitch réchauffant nos nuits d’hiver qui commencent à devenir sévères.
Un roi des dragons bien pointu se reflète dans un bassin et des oriflammes sur le pont Lafayette prennent le vent joliment.
Même pas le temps de siffler un canon de vin chaud !

mercredi 12 décembre 2012

Bordeaux # 3. Le fleuve.


En bateau sur la Garonne, nous percevons la courbure du fleuve où se justifie la dénomination «  port de la lune » qui accueille aujourd’hui les bateaux de plaisance et de croisière.
Nous comprenons l’éloignement entretenu par les bordelais avec l’autorité centrale quand on mesure la largeur et la puissance des eaux aux couleurs chocolat en empruntant un bateau.
Une péniche chargée de morceaux d’Airbus attend que la marée baisse pour passer sous le pont de pierre.
Le pont de pierre qui a autant d’arches que Napoléon Bonaparte a de lettres a été le premier pont construit au XIXe siècle et il est resté la seule possibilité de relier les deux rives en attendant le pont d’Aquitaine en 1965, pont suspendu de plus d’un  kilomètre et demi de longueur.
Un nouveau pont dit « Baba » avant son baptême officiel, relie Bacalan à la Bastide, et dresse déjà deux élégants pylônes qui permettront de lever le tablier central pour laisser le passage aux bateaux imposants.
En aval la dénomination « terminal » convient à Bassens qui reçoit les conteneurs comme celui du Verdon à l’embouchure. D’autres sites sont spécialisés pour recevoir ou expédier céréales, bois, papier, produits pétroliers, vin …
La ville a toujours mis ses vins sur les eaux.
Sous une architecture audacieuse, un Guggenheim  consacré au vin est prévu pour les années à venir, le Centre culturel et scientifique du vin.