samedi 16 avril 2022

La carte postale. Anne Berest.

J’ai apprécié cette enquête palpitante qui m’a semblé renouveler les récits concernant la Shoah. En effet la reconstitution de la vie de plusieurs générations juives depuis le début du XX° siècle nous concerne tous, quand on peut entendre dans les cours de récréation :  
« on n'aime pas trop les juifs ».
Ce type de phrase rapporté par la fille de l’auteur avive la nécessité d’écrire ses 500 pages avec l’aide de la grand-mère.
Au bout de recherches où sont revus les trajets des ancêtres depuis la Russie, en Lettonie, en Palestine, puis en France, contournant les silences tout en se montrant respectueuse de ceux qui portent des blessures inguérissables, Anne Berest sait : 
«  Je suis fille et petite fille de survivants.» 
C’est à Auschwitz que s’est terminé la vie de quatre d’entre eux : Ephraïm, Emma, Noémie et Jacques dont les noms figurent sur une carte postale énigmatique reçue récemment, fil conducteur d’un récit passionnant où le passé est toujours évoqué dans un contexte très actuel. 
« Dieu était mort dans les camps de la mort » 
Dans ses efforts pour obtenir la nationalité française, Ephraïm repensait à une expression de son père : 
« Une foule de gens. Et pas une seule vraie personne parmi eux. » 
Les gendarmes sont venus frapper chez les parents après que les enfants aient été déportés : 
«  Ils ont une valise pour deux, presque rien, mais quelques objets qui feront plaisir aux enfants, quand ils les retrouveront. Emma a pris pour Jacques son jeu d’osselets et pour Noémie un carnet neuf avec du beau papier. » 
Anne et Claire, les petites filles deviendront écrivaines.  
« Fier comme un châtaignier qui montre tous ses fruits aux passants »
Quelques phrases prélevées ça et là ne pourront rendre la profondeur de ce livre qui a eu le prix Renaudot des lycéens, elles pourraient dire simplement la diversité de l’écriture :  
« Le véritable ami n’est pas celui qui sèche tes larmes. C’est celui qui n’en fait pas couler. »
« Oh tu sais, ceux qui médisent de moi dans mon dos, mon cul les contemple. »
« Je cherche dans les livres d’histoire celle qu’on ne m’a pas racontée »

2 commentaires:

  1. "Dieu était mort dans le camp de la mort."
    Cette phrase est un énigme pour moi...
    Je sais que quelqu'un comme Jankélévitch a estimé qu'avec la Shoah... Dieu était allé trop loin (tiens, la polysémie me plaît.).
    Le peuple juif sait depuis le début de sa grande et longue histoire tourmentée, qui est raconté sans enjolivement dans la Bible, que la tentation est toujours énorme de rendre Dieu responsable des effets de la liberté de l'Homme.
    Il est dit dans le Deutéronome, par Dieu, quelque chose comme "Je mets devant vous la vie et la mort ; choisis la vie."
    Il y a de multiples façons de choisir la mort, et tout cela finit par devenir très subtil quand on commence à l'explorer un peu.
    Credo.
    J'ai bien aimé la phrase, "Une foule de gens. Et pas une seule vraie personne parmi eux." Cela avait terriblement frappé Jésus aussi, lui qui a trop bien expérimenté les effets de décevoir... la foule de gens.
    Pour l'ami qui ne fait pas couler tes larmes... bien, c'est une vision bien simpliste de l'amour humain. La première inégalité à laquelle doit faire face l'Homme est bien dans et par l'amour. Sinon, la vie ne serait pas aussi douloureuse et terrible... à certains moments.

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  2. Je me relis, et je suis contente de ce que j'ai mis en commentaire. Pendant cette fin d'année, j'ai lu le roman de Mika Walter, "Le secret du royaume" qui raconte l'histoire d'un jeune et riche citoyen romain qui se trouve par l'hasard de ses périples à Jérusalem, au pied de la croix de Jésus au moment de la mort de celui-ci. Le roman raconte les turbulences tragiques dans la confrontation entre deux peuples, chacun avec sa vision de ce qui fait communauté, et sa vision de ce que doit être la loi pour l'Homme. Avec en prime, les effets de l'hérésie de la prêche de Jésus dans le monde juif. Cette bombe va chambouler Rome aussi. Très édifiant, et à lire pour une époque qui ne comprend pas à quel point ces confrontations ont façonné notre monde moderne. Pour ceux qui veulent voir, et comprendre.
    Autre roman, lui aussi ancien, qui permet d'avoir une bonne idée de ce qui fait l'exclusivité de l'identité juive, c'est "Le Manoir" de Singer, situé en Pologne au moment où la Russie détruit l'aristocratie polonaise dans les années 1800 et quelques, propulsant le commerce a la place qu'elle a encore dans notre monde, et favorisant l'assimilation des Juifs dans ce qui devient notre modernité.
    L'assimilation n'est pas de tout bénéf pour l'Europe, ni pour les Juifs eux-mêmes, qui tiennent encore et toujours à leur statut exclusif... si, si.

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