jeudi 20 mars 2014

Ernest Pignon Ernest. Fantômes et fantasmes.

Le titre de la conférence de Christian Loubet aux amis du musée a évolué avant d’arriver à cette formulation qui caractérise l’œuvre du père du Street Art.
Né à Nice en 1942 au pays de Ben, Arman, Klein … ses premiers pochoirs sont apposés contre l’installation de la force de frappe sur le plateau d’Albion « Des milliers d’Hiroshima potentiels enfouis sous les lavandes » (René Char). Ils reproduisent les empreintes du corps d’un homme et d’une échelle saisis par l’éclair nucléaire, dont il ne reste pas la moindre photographie, c’était en 1966.
« Pour ce qui me concerne, si je suis intervenu dans la rue, […] c’est sûrement à cause de Picasso. C’est son œuvre qui m’a donné le désir de peindre et presque simultanément le sentiment qu’on ne pouvait plus peindre après lui. Tout me semblait dérisoire au regard de ce qu’il avait touché… Mais j’avais le désir d’empoigner de grands thèmes qui traitent de la vie des hommes aujourd’hui tout en mesurant que je ne ferai jamais Guernica… »
Son travail exacerbe le potentiel poétique, politique des lieux par ses silhouettes dessinées magnifiquement, tirées en noir sur papier journal.
Ainsi en 71 des images de cadavres de communards sur les marches du sacré Cœur, commémorent le centenaire de la Commune de Paris, ou d’autres au métro Charonne en 72 pour le 10° anniversaire de ceux qui étaient tombés là au moment de la guerre d’Algérie.
Il « fait passer les morts du côté de la vie » Régis Debray.
En 74, il ne manque pas de dénoncer le jumelage de sa ville natale avec Le Cap où règne alors l’apartheid.
Il acquiert de la notoriété avec le portrait multiplié grandeur nature de Rimbaud, une des figures d’un joli mai à venir.
Dans des immeubles en cours de destruction, il avait placé des sérigraphies de sans abris matelas sous le bras, et au ras des trottoirs des femmes en train d’avorter ; on disait « agit prop » à l’époque.
Il ajoute au génie des lieux, à Certaldo ville où Boccace écrivit pendant la peste le Décaméron, en peuplant la ville d’hommes nus, aventuriers de l’amour, y figure aussi Pasolini qui vient d’être assassiné.
Mais c’est surtout à Naples où il va revenir à quatre reprises qu’il a « reniflé quelque chose dans le bordel ambiant » en ces lieux de séismes, d’épidémies, de révoltes, de camorra, de tragique espagnol. S’inspirant des travaux du Caravage, de Ribera, ses corps « surgissent de leur suaire de papier au creux des murs »
« Une nuit où je collais posté sur une échelle, quatre ou cinq flics ont débarqué l’arme au poing, un peu cow-boys, sans doute alertés par des voisins me prenant pour un voleur. Je descends fissa, et le chef me dit : «  C’est une image de Caravage que tu colles ? Continue... »
Certains dessins sont restés plus de 10 ans sur les murs de Naples alors que ses personnages « les arbrorigènes » en matière végétale placés dans des arbres du Jardin des plantes se sont dégradés assez rapidement.
 A Lyon, il apposa des dessins d’hommes et de femmes solitaires, des exclus, sur les vitres de cabines téléphoniques en 96 «  l’incommunication au cœur des télécoms » R. Debray, et en 2012 il intervint à la prison Saint Paul, pour Grenoble voir la semaine prochaine.
Ses engagements l’amènent à danser avec Mandela, avant de participer à une campagne contre le SIDA. A Alger il rappelle Maurice Audin le militant de l’indépendance dont on avait fait disparaitre le corps, Mahmoud Darwich à Gaza, et Jean Genet entre désir et violence à Brest.
Dans son exposition récente « Extases », sur de grandes plaques métalliques au dessus d’un plan d’eau : Marie-Madeleine, Hildegarde de Bingen, Angèle de Foligno, Catherine de Sienne, Thérèse d’Avila, Marie de l’Incarnation, Madame Guyon sont saisies au moment de l’extase d’une passion  mystique parfaitement incarnée : une danseuse du ballet de Monte Carlo a servi de modèle sublime. 
« Le surnaturel est lui-même charnel »Péguy

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