jeudi 8 février 2024

Art et politique au XIX° siècle. Sybille Bellamy- Brown.

Le néo-classicisme aux racines venant du « grand siècle », reprenant la Renaissance inspirée de l’Antique, continue dans les salons pendant la révolution française.  
« Le serment du jeu de paume » de David
évoque son « Serment des Horaces » appartenant à l’histoire romaine depuis Corneille
ou « La Bataille de San Romano » d’Ucello aux armes enchevêtrées 
semblables aux corps disproportionnés des acteurs de l’Histoire.
La singularité des représentations prend appui dans l’actualité.  
Charles Thévenin 1795 « La prise de la Bastille ».
Les gravures, les sculptures adoptent le vocabulaire antique, Chinard « La République »,
l’architecture s’invente sur le papier : Boullée « Cénotaphe de Newton ».
Reboul, député de l’Hérault, a pu dire en 1795 :  
« détruire les statues, ce n’est pas, comme on vous l’a dit, détruire le despotisme, c’est détruire des monuments élevés par les arts et qui font honneur aux arts. Les artistes de toutes les nations vont étudier leur art devant les statues des Néron et des Caligula, qui ont été arrachées aux mains des Goths et des Vandales. Je vous demande si un peuple qui a l’amour de la liberté peut vouloir imiter la conduite des Goths et des Vandales »
« Alexandre Lenoir s'interposant devant les révolutionnaires à la basilique Saint-Denis »
Préservant le patrimoine et créant le musée des monuments français, le courageux artiste a contribué à la création d’une identité nationale dépassant les multiples changements politiques.
Depuis le « Passage des Alpes au Grand Saint Bernard » sur le dos d’un mulet loin de la  fière posture équestre, Napoléon s’est installé dans le récit national.
Il soignait sa communication, gardant les symboles du pouvoir antérieurs,
et conservait le sens de la mesure en demandant que disparaissent des allégories dans le ciel de la toile de David « Les soldats prêtant serment après la distribution des aigles ».
Le « Cuirassier blessé quittant le feu » peint par Géricault 
au moment de la destitution de l’empereur ne marque pas la fin de celui-ci.
« 
Napoléon sortant de son tombeau ». Horace Vernet. 
Louis Philippe fait revenir les cendres du « Petit caporal » en 1840. 
Bien que Daumier ait été enfermé plusieurs fois à la prison Sainte Pélagie pour ses caricatures du roi des français,  
« Gargantua » sur sa chaise percée, son trône, passera à la postérité.
C’est le temps de l’art troubadour, « François premier armant son petit fils » 
de Pierre Révoil, de l’intimité, de la petite histoire,
et aussi de la dénonciation  
« Scènes des massacres de Scio : familles grecques attendant la mort ou l'esclavage »
ou de la célébration des « Trois glorieuses » 
« La Liberté guidant le peuple » de Delacroix devenue une icône républicaine.
Violet Le Duc
en 1844 redonne à Notre Dame un éclat néo gothique venant d’être réhabilité par les romantiques : 
« Restaurer un édifice, ce n'est pas l'entretenir, le réparer ou le refaire, c'est le rétablir dans un état complet qui peut n'avoir jamais existé à un moment donné » 
https://blog-de-guy.blogspot.com/2023/03/notre-dame-de-paris-benoit-dusart.html
La France est bien la terre où est né le style gothique dont les allemands développent une philosophie inspirée aussi par la nature.  
« Cathédrale gothique au bord de l`eau » Schinkel.
Paris reçoit l’exposition universelle cinq fois en un siècle (1855, 1867,1878, 1889, 1900). Cette dimension  internationale va avec un enracinement régional où l’architecture se fait basque ou normande. 
« L'Alsace, elle attend » Henner
Napoléon III  ne verra que la façade de l’ « Opéra » Garnier à l’architecture de cour, cependant emblématique de son règne.
L’oncle tutélaire domine la scène du « Baptême du Prince Impérial » par Couture. 
https://blog-de-guy.blogspot.com/2022/02/design-et-architecture-laurent-abry.html
Dès 1871, Meissonier rend hommage aux morts lors du « Siège de Paris »
alors que va s’édifier le « Sacré Cœur » au style roman d’Abadie pour expier les fautes d’une France pécheresse, communarde.
Goethe : « Paris sera mon école, Rome mon université ».
D’autres influences traversent le continent, Akseli Gallen- Kallela, depuis la Finlande, « 
La Défense du sampo » et ses légendes Nordiques, 
alors que l’art Nouveau émerge à Barcelone concurrente de Madrid, à Nancy sur la nouvelle frontière, en Belgique pays neuf et que s’affirme l’Autriche Hongrie. 
« Les saisons » d’Alphonse Mucha. 
« Une œuvre d'art n'est jamais immorale. L'obscénité commence où l'art finit. » Poincaré.

mercredi 7 février 2024

Le grand Bal. Compagnie Dyptic.

On peut comprendre que le spectacle ne dure pas plus d’une heure tant est manifeste l’énergie  de la puissante troupe, nommée ainsi pour respecter le propos du journal de salle, où le collectif passe avant les individualités.
Pourtant danseurs et danseuses excellent chacun dans une chorégraphie inventive sur une musique envoutante et variée.
Leurs visages évoquant les sculptures de Messerschmidt murmurent ou arrondissent la bouche pour un cri inaudible comme dans un cauchemar.
Si les virtuoses du hip hop dont se réclament les auteurs Souhail Marchiche et Mehdi Meghari. se retrouvent souvent seuls, ce type de danse innerve tout l’ensemble.
Il serait question de transe réveillant des individus ankylosés par le confinement que je n’ai su bien percevoir, ne voyant pas l’intérêt d’une longue arrivée par la salle des acteurs. Cependant, la variété des séquences, tour à tour angoissantes ou joyeuses, emporte le public.

mardi 6 février 2024

Ce qui se conçoit bien. Manu Larcenet.

Comment j’ai pu ignorer que le second album de la série « Thérapie de groupe » était paru ?https://blog-de-guy.blogspot.com/2020/06/therapie-de-groupe-manu-larcenet.html 
Mais qui mieux que lui pour le situer depuis « la Clinique des Petits Oiseaux Joyeux »?
« Jean-Eudes de Cageon-Goujon, alias Manu Larcenet, n'est plus... L'ex-star de la bédé mondiale, celui que tout le monde s'arrachait et adulait, a chu... interminablement. Comme une merde. » 
Sa crise de créativité est très créative : 
« Visiblement incapable de trouver une idée du siècle digne de ce nom, je passai directement de la case "incomparable génie de l'art séquentiel international"... ( selon le "Washington review of fancy comics") à celle d'"artiste fini"... (selon "le courrier communal de Brouilly-les-Ragondins"). »
Bien fourni en drogues, il s’éclate à l’atelier de dessins de l’hôpital psychiatrique, et autour de « L’ Albatros » de Baudelaire, rencontre Bosch et Bruegel, présente un débat entre Boileau 
« Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément. »  
et Nietzsche :« Il faut du chaos en soi pour enfanter une étoile qui danse ». 
Les dialogues fournis sont hilarants, et dans le foisonnement des dessins aux styles variés, les questionnements de l’artiste tourmenté vont au-delà des problématiques de l’histoire de l’art en nous faisant retrouver un auteur attachant.

lundi 5 février 2024

Making Of. Cédric Kahn.

Film dans le film, comédie dans la tragédie, faux documentaire sur le tournage d’une fiction racontant l’histoire romancée d’une vraie lutte sociale.
Cet emboitement est malicieusement construit avec banderole vintage où le mot autogestion apparaît, ça faisait si longtemps. 
Histoires de financement du tournage, de couples qui fatiguent et d’autres qui naissent.
Comment raconter la vie et séduire le public ? Est-ce que la condition d’acteur est comparable à celle des ouvriers ? Quelle fin choisir : les ouvriers fondent une SCOP ou perdent le combat ?Jonathan Cohen joue un leader d’assemblée générale, cabot parfait devant Denis Podalydès en réalisateur irrésolu bien secondé par une directrice de production Emmanuelle Bercot, une femme qui bien sûr assume les vérités difficiles à annoncer, contrairement à Xavier Beauvois le producteur fuyant, tous excellents ainsi que l’hystérique Souheila Yacoub et Stefan Crepon le pizzaiolo rêvant de cinéma.

samedi 3 février 2024

Continuer. Laurent Mauvignier.

Les montagnes kirghizes seraient surpeuplées si tout le monde pouvait résoudre la crise d’adolescence de son garçon comme la mère-courage dans ce récit puissant, violent, émouvant.
Samuel, risque de tourner mal, alors sa mère  Sibylle sacrifie tout pour le sauver du silence, de la haine. Il faudra du temps pour que vienne le temps de la réconciliation et que tous deux se réparent. 
« Samuel était resté éperdu de honte et mortifié. Sa mère se faisait des illusions si elle pensait qu’elle pourrait changer quelque chose en lui, de lui, si elle croyait qu’il lui suffirait de prendre quelques semaines de grand air, accompagné de chevaux et de montagnes, de silence et de lacs, pour que soudain tout dans sa vie se déplie et devienne simple et clair, pacifié, lumineux, pour qu’il cesse enfin de se sentir écrasé à l’intérieur de lui-même, comme si on allait arrêter un jour d’appuyer sur son cœur, sur son âme, sur sa vie, comme si l’étau pouvait un jour se desserrer. »
La densité de cette production irait vers la métaphore, le conte, si l’écriture n’était pas aussi incarnée.Les premières lignes tiendront leur promesse : 
« La veille, Samuel et Sibylle se sont endormis avec les images des chevaux disparaissant sous les ombelles sauvages et dans les masses de fleurs d’alpage ; les parois des glaciers, des montagnes, les nuages cotonneux, la fatigue dans tout le corps et la nuit sous les étoiles, sur le sommet d’une colline formant un replat idéal pour les deux tentes. Et puis au réveil, lorsque Sibylle sort de sa tente, une poignée d’hommes se tient debout et la regarde. Il lui faut trois secondes pour les compter, ils sont huit, et une seconde de plus pour constater que les deux chevaux sont encore à quelques mètres, là où on les avait laissés hier soir. Samuel se lève à son tour, il ne comprend pas tout de suite. Il regarde sa mère et, à l’agressivité qu’il reconnaît dans la voix des Kirghizes quand ils se mettent à parler, à questionner en russe, et surtout parce qu’à sa façon de répondre il voit que sa mère a peur, il se dit que la journée commence mal. » 
Au bout de 235 pages nerveuses, nous avons chevauché dans des paysages magnifiques, étreints par l’angoisse que le lauréat présumé chaque année du Goncourt sait décidément bien amener.
Ce sentiment est délicieux car excité par un style toujours aussi séduisant et efficace sur une trame qui nous tient en haleine tout du long, alors que la peur est au cœur des problèmes à résoudre pour des personnalités durement campées mais passionnantes..

vendredi 2 février 2024

Euh !

Quand nous dénoncions la présence U.S. au Vietnam, nous prenions exemple sur les chevelus qui s’y opposaient depuis Berkeley : le maître du monde s’affirmait au napalm et la contre culture de là-bas nous séduisait. La guerre en ces années brûlait des fillettes qui s’enfuyaient le long des rizières mais il était « interdit d’interdire » à nous, enfants de l’après guerre précédente, fantasmant sur « jouir sans entrave ».  
Tina est morte et Woody est plus morose que jamais.
La planète s’est encore rétrécie mais la sempiternelle rupture générationnelle se reproduit, encore, alors le vieil observateur ne peut que regretter : aujourd’hui entre Trump et « woke » avec qui rire et danser ?
Nous restons formatés par Google gum et sous X que les médias traditionnels vilipendent tout en ayant comme principales inspirations ces « gafafeurs », en toute intelligence artificielle avec  les Dieux de la Silicon Valley.
La subtilité a disparu aussi de la vieille Europe quand se vérifie la banale remarque que les mouvements de la société US débarquent chez nous peu de temps après. La 666 a été rendue  au désert  et le dernier des shérifs a été revêtu de goudron et de plumes.
Nous sommes dans le double-face des bigots, avec jovialité surjouée et brutalité, positivité affichée et compétition impitoyable, puritanisme déclaré et grossièreté.
La judiciarisation de la société marque la méfiance générale sous des proclamations de tolérance à géométrie variable et les injonctions concernant la vie privée se multiplient alors que se blinde chaque personnalité derrière son quant à soi. 
L’argent  est devenu la mesure de chaque geste et l’individualisme a vaincu. 
« Etre pauvre, c'est être étranger dans son propre pays, c'est participer d'une culture radicalement différente de celle qui domine la société normale. » Michael Harrington
Nous nous asseyons de moins en moins à table, et les émissions de cuisine à succès ne comblent pas des plans de travail de plus en plus vastes, nous ne lavons plus une salade. La planche à repasser devient ringarde et le coup de peigne superfétatoire. Les devoirs se font sur les genoux et les bonjours s’ignorent au détriment d'autoportraits au téléphone, alors il faut multiplier les émojs pour faire croire en sa présence et à son attachement. On ne va plus guère au cinéma et le canapé recueille plutôt un avachi solitaire que la famille autour d’un même programme.
En contrepoint de cette complainte d’un vieux du vieux monde, je sors - un court instant - de mes déplorations pour apprécier dans les vœux de la municipalité de Saint Egrève la reprise de la formule olympique : « l’important est de participer ». Outre qu’elle évoque un évènement à venir susceptible de réunir une nation querelleuse, ce souci de contribuer, d'être avec les autres, se remarque localement tout au long de l’année avec valorisation de chaque membre du conseil municipal et appel aux citoyens à apporter leurs contributions à la réflexion collective. Pourtant du même parti écologiste que le célèbre maire de Grenoble, la pratique de la nouvelle équipe municipale est discrète, respectueuse, tout le contraire du sectaire promoteur du burkini ne sachant que mettre sur le dos de l’état ses manquements.  Au point qu’il me donnerait envie de reprendre un double scotch quand il demande de souscrire au « Dry January », alors que vous êtes en train d’adopter tout seul un comportement plus vertueux en matière de liquide alcoolisé. 
« Est fanatique celui qui est sûr de posséder la vérité. Il est définitivement enfermé dans cette certitude ; il ne peut donc plus participer aux échanges ; il perd l’essentiel de sa personne. Il n’est plus qu’un objet prêt à être manipulé. » Albert Jacquard 
Je viens aussi de me régaler d’un article, tellement inhabituel : compte rendu d’une classe dédoublée à Noisy- Le- Sec par une journaliste allemande décrivant un bonheur d’apprendre et à enseigner qu'elle juge inspirant pour son pays. 

jeudi 1 février 2024

Klimt. Raoul Ruiz.

Ruiz
, le réalisateur du film à propos du peintre autrichien, est né au Chili, puis a adopté la nationalité française après s’être exilé au moment du coup d’état de Pinochet en 1973.
L’onirisme de « Trois tristes tigres » tourné précédemment, « L’hypothèse du tableau volé » et les dédoublements de  « Trois vies et une seule mort » ont des caractéristiques qui se retrouvent dans son film de 2005 parmi la soixantaine qu’il a proposée dont «  Le temps retrouvé » de Proust.
Ruiz a travaillé à la maison de la culture de Grenoble du temps 
de « Richard III » de Lavaudant et  du « Mammame » de Galotta.
Mêlant réel et imaginaire autour de Klimt à la renommée internationale, la production se devait d’être européenne. John Malkovich qui avait déjà joué dans «  Les âmes fortes «  d’après Giono interprète, sans passion, le leader du mouvement de la Sécession de Vienne.
Klimt, l’artiste art nouveau, né en 1862 d’un père orfèvre 
et d’une mère chanteuse lyrique, intéressé par les arts appliqués,
sera d’abord décorateur avant de prendre pour compagne Emilie Flöge créatrice de mode.
Il se détache de l’académisme, faisant scandale avec son affiche à l’occasion de l' « Ouverture du palais de la Sécession » dont l’intitulé était : 
« À chaque époque son art, à tout art sa liberté ».
Il a vécu très longtemps chez sa mère, mais sa progéniture compte quatorze enfants. 
« Le baiser »
 Les nazis l'ont catalogué parmi les artistes dégénérés ;
ils ont brulé de ses œuvres « La Philosophie » qui avait reçu une médaille d'or en 1900 
à l' Exposition universelle de Paris et en ont volé d’autres.
« La frise Beethoven »
réunissant la peinture, la musique et l'architecture 
se voulait œuvre d’art totale. 
Egon Schiele
son successeur meurt aussi en 1918.
Le traitement cinématographique éclaté adapte des personnages, en invente aussi, dans un univers viennois qui est celui de « La ronde » tourbillonnante de Max Ophüls inspiré d’Arthur Schnitzler, médecin écrivain à l’époque d’un certain Freud.
Méliès
, le prestidigitateur, représenté dans le film n’a jamais rencontré Klimt.
Les couleurs sont exubérantes, les visions étirées, les traits sinueux, 
en ce début du XX° siècle malade.
Cependant quand la réalité est déformée sous des feuilles d’or,
chacun peut se permettre de rêver.
Ruiz comme Klimt eurent affaire avec la censure.
Et si l’histoire de l’art se confond avec l’histoire de la nudité, nous voilà en pleine régression quand
une professeure qui a présenté à ses élèves « Diane et Actéon » du peintre Giuseppe Cesari fait scandale au XXI° siècle, décidément malade lui aussi.