vendredi 30 juin 2023

Scolaire.

Cette dernière page de la saison s’inscrit dans un calendrier aux allures scolaires ; je reprendrai mes écritures en principe à la rentrée.
A tous coups, le mot « scolaire » ramène chez moi quelques obsessions, bien que ma légitimité s’amenuise pour m’exprimer sur un milieu quitté depuis bientôt 20 ans.
Quand s’affole l’immédiateté, ce regard rétro implorera l’indulgence malgré les rabâchages: l’école-devenue-une-activité-entre-deux-week-ends ne dicte plus un tempo voulu par l’industrie du tourisme.
Je me garderai cependant de désigner comme unique coupable un secteur d’activité, fut-il prépondérant dans notre vieux pays où poussent musées et autres attractions sur les friches industrielles, tant la désignation simpliste par exemple de « Big pharma » comme mère de tous les maux a épuisé toute tolérance.
La dénonciation systématique de boucs émissaires pèse méchamment dans le débat public, alors que s’impose la mise en évidence de la complicité de tous dans une consommation effrénée de loisirs modifiant en profondeur les mentalités.
Quand la retraite devient le graal, le travail est grillé.
A réenfiler les perles élimées de valeurs caduques, j’aggraverai mon cas en n’apportant pas de nuances, en généralisant. 
« Un grand nombre de secteurs ne va pas se relever avant longtemps : la restauration, le tourisme, l’industrie du spectacle » Quand Jacques Attali à propos de la pandémie de Covid 19 prophétise ainsi, on peut se permettre de causer aussi. 
A l’encontre de la tendance à éviter le labeur et ses pollutions, je n’ignore pas la volonté de ré industrialisation de l’exécutif pas plus que les progrès en matière de chômage qui ont fait passer cette préoccupation jadis prioritaire au second plan. Et dans la lignée de mon légitimisme, concernant les décisions réformant des retraites qui n’ont guère flatté l’opinion, je reprendrai volontiers l’image d’un journaliste allemand à propos d’une question quelque peu orientée sur la semaine de quatre jours en la mettant à la sauce bretonne : qui refuserait un Kouign aman à la chantilly qui fasse perdre 5 kg ?
D’après la même source étrangère, il semble que la crise des recrutements dans les écoles, dépasse les limites de l’hexagone, la multiplication des temps partiels appelant un nombre plus grand de candidatures.
Le salaire n’est pas la cause unique de la crise des vocations en milieu scolaire.
Ma persistance à lire « Le Monde » prend des allures encore plus aristocratiques avec une porteuse qui glisse dans ma boite désertée de tout autre papier, le jadis « journal de référence », la Poste n’étant plus en mesure d’assurer ce service d’une façon fiable.
Mais le vieux lecteur a de quoi « stresser » quand dans les titres, est dénoncé le stress de lycéens au moment de leur orientation, alors que l’épreuve de philo ne les stresserait pas suffisamment ! Je me trouve ridicule à penser que la philo ne servirait pas seulement à gagner des points. La marchandisation du monde touche aussi ceux qui la dénoncent quand ils refusent toute tâche non rémunérée. Leurs élèves les suivent en comptables de points pourtant accordés généreusement au bout d’une scolarité qui a évité tout chiffrage.
Titulaire d’un bac en 68, j’approuve Luc Ferry : 
« Pour ne pas avoir le bac, il faut en faire la demande » 
Un dernier paradoxe relevé avant de solaires vacances: les radicaux écologistes venus de loin en voiture pour s’opposer à une ligne ferroviaire Lyon Turin avaient noté sur un panneau :
« Plus de trains, c’est plus de camions » avant de s’approvisionner en cailloux depuis le balast  où roule la SNCF sur les voies qui conduisent aux plages et autres grèves.          

jeudi 29 juin 2023

Histoires de peintures. Daniel Arasse.

345 pages à déguster en 25 chapitres et plutôt deux fois qu’une 
pour traverser 10 siècles de peinture depuis une Joconde revisitée avec finesse jusqu’à Rothko ; de l’invention de la perspective à la figure engloutie.
45 toiles en trop petit format sont regroupées au centre du livre de poche, simples rappels format Smartphone pour des développements exigeants où peut s’appliquer la réflexion de Saint Bernardin à propos de l’Annonciation, quand  
« l'infini vient dans le fini, l'incommensurable dans la mesure ».
Nos horizons peuvent s’élargir sans risquer l'anachronisme, notion fouillée ainsi que les restaurations, les détails, les photographies, les façons d’exposer: 
« La perspective construit d’abord un lieu d’architecture, qui est une place, et sur cette place l’Histoire se déroule […] Alors que la maison privée, en particulier celle du prince, est le lieu de la trahison et de la fourberie. » 
Rien que le positionnement de Judas dans la Dernière Cène, isolé ou dans le groupe, permet de comprendre le passage d’ 
« un système mnémonique, juxtaposé, clos, répétitif même, à un système rhétorique de persuasion du spectateur ».
A propos de l’Olympia de Manet et de la Vénus d’Urbino du Titien : 
« On peut s’interroger sur la façon dont une œuvre peut suggérer un regard tout à fait inattendu, singulier, personnel, appropriateur, de tel artiste sur tel artiste du passé. »
Nous sommes conduits au-delà des images des dieux des anciens  
« enchevêtrés les uns avec les autres, qu’un même dieu montre souvent diverses choses et que divers noms signifient parfois une même chose »  
quand Freud est cité : 
« Des associations d’idées mènent d’un élément du rêve à plusieurs pensées, d’une pensée à plusieurs éléments. » 
La description d’une Annonciation par une étudiante peut aussi nous éclairer : 
« A gauche, il y a un jeune homme richement vêtu avec des ailes. C’est peut être un ange. Ce jeune homme a l’air de rendre hommage à une jeune femme vêtue d’un très beau manteau bleu. Au dessus à gauche, bizarrement il y a un vieillard accoudé sur un nuage, peut être Dieu. »
Oui il est question du maniérisme, de « pensements » et du « désoeuvrement de l’art » pour permettre de savoir pour mieux voir.

mercredi 28 juin 2023

Musée de Paladru.

Le MALP (Musée Archéologique du lac de Paladru) a trouvé sa place au bord du lac
où des fouilles entreprises à partir de 1972 ont fourni en objets rares l’immense salle d’exposition sous sa coque évoquant l'emblématique pirogue de l’an mil découverte en ces eaux.
Outre l’explication des techniques de fouilles
et de conservations qui font la singularité des collections regroupant 600 objets,
deux parcours sont proposés.
L’un est consacré au néolithique (2700 ans av JC) où un couteau à moissonner au manche en osier parfaitement
préservé dans les limons du lac se présente comme une pièce exceptionnelle.
L’autre circuit détaille la vie des chevaliers paysans au moyen âge qui vivaient de l’autre côté du lac avant la montée des eaux, depuis les pièces d’harnachement des chevaux aux jeux d’échecs.
La majesté du bâtiment inauguré enfin en 2022 et son emplacement attirent de nombreux visiteurs où une muséographie très pédagogique redonne une seconde vie aux trésors que présentait la maison de pays de Charavines.

mardi 27 juin 2023

Orwell. Christin Verdier.

Eric Blair, étudiant à Eton, flic en Birmanie, combattant de la guerre d'Espagne, est devenu Georges Orwell du nom de la rivière où il aimait pêcher. 
La postérité a donné l’adjectif « orwellien » pour désigner un univers totalitaire tel qu’il l‘a décrit dans « 1984 » ou dans « La ferme des animaux ». 
« La guerre, c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force. »
Confronté au colonialisme, à la misère, il se montrera visionnaire avec « Big Brother ». 
« Conjuguant excentricité bohème et compassion sociale, il se fait "indigène" dans son propre pays. » 
Entre 1903 et 1950, il fut journaliste en immersion, socialiste, antistalinien, patriote, jardinier, ermite, comme il est précisé sur la couverture du beau livre de plus de 150 pages aux dessins limpides de Verdier en accord avec le récit agrémenté de dessins de Julliard, Larcenet, Blutch, Bilal… pour illustrer quelques œuvres de l’écrivain majeur que tous les bords politiques de gauche comme de droite citent:
« Depuis la guerre d'Espagne, je ne puis dire honnêtement que j'ai fait grand-chose, sauf écrire des livres, élever des poules et cultiver des légumes. Ce que j'ai vu en Espagne, et ce que j'ai connu depuis du dysfonctionnement intérieur des partis de gauche, m'a fait prendre la politique en horreur. »

lundi 26 juin 2023

L'île rouge. Robin Campillo.

Comme ci comme ça, moite/moite pour ce film en milieu militaire où pendant la première partie le rouge de la latérite est le seul indice d’une localisation à Madagascar et devient en conclusion la coloration d’une décolonisation arrivant en 1972 dix ans après sa proclamation.
Loin de « Coup de torchon »  vraiment moite
nous pouvons regretter aussi la puissance subtile de Gaël Faye
cependant des séquences sous leur aspect anodin laissent percevoir une inquiétude; l’innocence va se perdre, fatalement.
Le tendre récit à hauteur d’un enfant amateur de Fantômette disparaît quand les autochtones fantomatiques s’émancipent au moment des prolongations qui nous ont menés à près de deux heures de projection, Napoléon d’Abel Gance on the beach, compris.
Décidément, touristes, fils de parachutistes, nous ne sommes plus les bienvenus à la descente de gros porteurs dans les îles aux plages magnifiques.

dimanche 25 juin 2023

Si vous voulez bien passer à table. Grégory Faivre.

Succulente pièce, fidèle au programme annoncé, quand le théâtre rencontre la cuisine : 
« les deux univers habillent le réel pour le rendre plus supportable et il s’y joue quelque chose de précieux et fragile dans le rapport à l’autre, à la curiosité et à la diversité. » 
La politesse du titre est prouvée après une heure quarante cinq, et sa modestie usant du français sans mot démesuré, permet de s’adresser à tous les publics, ce qui n’est pas donné à toutes les compagnies.
Des fables de la Fontaine et des références légères à Brillat Savarin ou Dumas rehaussent le goût des autres. Les points de vue varient de chaque côté des portes battantes entre salle et fourneaux et brossent de savoureux portraits entrecoupés de séquences rythmées par la musique des casseroles, fouets et couteaux. Par quoi commencer une vinaigrette ? Les mots des producteurs locaux : « Oui chef ! » « Ya pas de souci » s’accordent avec la poésie des intitulés de plats: de « sarabande folle de douceurs exquises » à la « purée » finissant en « écrasé de pomme de terre ». 
Nous retrouvons des saveurs familières, en divers lieux, mais en ces temps amers, j’ai apprécié particulièrement la mise en valeur du goût du travail bien fait qui atteint même le débutant ne sachant pas ce que « pocher un œuf » veut dire. Hommes et femmes sont valorisés, aussi bien la végan que la bouchère alors que le destin des amoureux peut basculer autour d’un Martini. 
Les ingrédients sont sublimés, quand une île flottante peut révéler bien des mystères comme une tarte aux pommes réveiller les souvenirs et le lard fumé dans une quiche contribuer à étayer une personnalité.

samedi 24 juin 2023

Journal. Jules Renard.

L’ouvrage est tellement cité que j’ai voulu aller voir dans les 325 pages où gisent tant de formules nerveuses, mais après avoir croisé quelques pépites, il me reste l’impression de n’avoir attrapé que quelques brèves de comptoir, fin XIX°.
Oui bien sûr, j’ai connu dans ma jeunesse, les bigotes, comme on n’en fait plus : 
« Elles couchent avec Dieu le dimanche, et le trompent toute la semaine ». 
 Et l’humour noir sera toujours à la mode : 
« Pendant la guerre, un homme se résigne à manger son chien, regarde les os qu’il laisse et dit :
- Pauvre Médor ! Comme il se serait régalé. » 
Quand un orage éclate, subsistent quelques moments de poésie et de modestie: 
« Un combat de nuages. Quelques-uns reviennent comme blessés, vidés. Des petits se sauvent, puis y retournent. Une armée nombreuse et épaisse de pluie accourt de là-bas. Et cela devient si impressionnant que le carnet se ferme sur le crayon. » 
La page consacrée à la ville et à la campagne peut être riche, il partageait son temps entre les deux :
« De mon village je peux regarder l’âme humaine et la fourmi. »
« C’est en pleine ville qu’on écrit les plus belles pages sur la campagne. »
Mais ses réflexions à propos des femmes, vraiment lourdes, pèsent sur mon jugement : 
« Comme des ciseaux, la femme, avec ses cuisses qui s'ouvrent, coupe les gerbes de nos désirs. » 
Pourtant en souvenir de pages bouleversantes, je garde l’auteur de « Poil de Carotte » parmi mes auteurs favoris même s’il se regarde écrire : 
« …ce que je viens d’écrire n’est déjà plus ce que je voulais écrire. » 
 « Le mot le plus vrai, le plus exact, le mieux rempli de sens, c'est le mot « rien ». »
« Quand je pense à tous les livres qu’il me reste à lire, j’ai la certitude d’être encore heureux. »