Je proposais régulièrement à mes CM2 un chapitre du livre de Jules Renard. Ils pouvaient partager l’injustice qui s’abattait sur un enfant à travers un texte du patrimoine à l’issue surprenante et au style efficace. Quelques adaptations télévisuelles de ce court roman ne m’avaient pas convaincu, alors quel plaisir de découvrir cette œuvre dans son intégralité ! Les productions d’aujourd’hui pour la jeunesse sont parfois noires mais n’arrivent pas à la cheville de la cruauté de madame Lepic. Ces temps là étaient sauvages; les lièvres saignent du nez à la cave et les griffes ne sont pas que pour les chats. Poil de Carotte lui-même mérite souvent les beignes qui lui pleuvent dessus, mais elles ne le feront plus pleurer, et il faut qu’il se fasse saigner les joues pour imiter un de ses camarades qui rosit facilement.
« D’ordinaire les habits de toute la famille accrochés au portemanteau l’impressionnent. On dirait des suicidés qui viennent de se pendre après avoir eu la précaution de poser leurs bottines, en ordre, là-haut sur la planche. »
La rudesse des conditions de vie est aggravée par cet amour sans espoir du petit qui use de la ruse et de paroles sentencieuses pour tenter de survivre. Afin de ne pas désespérer le lecteur, il faut savoir qu’une fois la mère se montrera magnanime, et une fois Poil de Carotte refusera une corvée.
C’est du brutal, mais de la littérature à son sommet, d’une sobriété essentielle :
« - Personne ne m’aimera, jamais, moi !
Au même instant madame Lepic, qui n’est pas sourde, se dresse derrière le mur, un sourire aux lèvres, terrible.
Et Poil de Carotte ajoute, éperdu :
- Excepté maman. »
Terrible, éperdu.
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