samedi 29 octobre 2022

Samouraï. Fabrice Caro.

L’écrivain, mis en scène en 220 pages délicieuses lues d’un trait, est un velléitaire qui a de la suite dans les idées. Depuis le bord de la piscine des voisins : 
«  Et pendant que le chlore fera son œuvre, je me plongerai dans la mienne, Sol y sangre, poser enfin les premiers mots, remplacer enfin le nom de ce fichier, inscrire en lettres de feu Sol y sangre en lieu et place de ce roman sérieux neurasthénique et froid. »
Il vient d’être largué par sa compagne et une de ses connaissance, par ailleurs parent démissionnaire, ne va cesser de lui présenter des remplaçantes potentielles, prétextes à des portraits très contemporains d’une psychologisante, genre « tu as mal au dos parce que t’en a plein le dos » ou de l’amatrice de théâtre butō : 4h 20. 
« Je savais qu’elle venait d’ouvrir pour la première fois la porte de mon petit débarras personnel, celui qui abrite mes zones d’ombre et mes faiblesses, porte que j’avais pris soin jusqu’alors de dissimuler derrière un grand tapis mural coloré. » 
Le titre signifie tout le contraire, le narrateur Alan est un mou, fonctionnant à l’auto-dérision tendre, à la satire douce à propos des apéritifs dînatoires, des centres de re-mise en forme, voire du monde littéraire, des piscines ou des amitiés … 
«  Un jour cela va mal finir, le méchant va réussir à occire le gentil et tout ça me semble un assez bon résumé de la condition humaine et de son échec cuisant. Si les choses étaient bien faites, si l’humanité avait un semblant de sens moral, dans un darwinisme positif et bien pensé, en toute logique c’est le gentil qui devrait étrangler le méchant. »
 L’artiste à l’humour Allenien est reconnu : une exposition lui est consacrée à Angoulême, « Mecque » ou « Lourdes » de la BD, 
Pourra-t-il conserver son charme de looser ? 
« Mais qui lui a dit que je voulais me construire ? Pourquoi ce besoin de construire ? Et si je voulais, moi, rester en chantier jusqu'à la fin de mes jours, le sac de ciment et la brouette toujours dans le jardin, en quoi ça la dérange ? »

vendredi 28 octobre 2022

Dans la case.

Nous vivons dans des univers même pas parallèles : classe sociales, générations, communautés, font monde à part. Il conviendrait pour certain d’ajouter un rideau, un voile, une cloison entre homme et femme.
La diversité des pigmentations de peau ne fait plus la pub (United colors) et le beau temps.
La notion de races est remise au goût du jour par les descendants de ceux qui ont souffert de leur couleur. L’expression « ça craint sa race » devenue banale comme les outrages à nos génitrices et à nos génitoires jouent sur les mots et - on va dire- ajoutent de la vigueur à notre langue.
Alors qu’est cultivée l’incertitude quant à l‘appartenance à un sexe, l’interdiction pour un homme de se mêler à une conversation entre femmes est d’un ridicule achevé.
A l’heure où les fatalités nous écrasent, « c’est comme ça », il parait plus facile de changer de genre que de religion.
L’envie d’enfant semble plus forte chez ceux qui ne peuvent en avoir, alors que les fécond.e.s boudent la maternité.
Je pensais avoir mis de la distance avec l’école depuis le temps que je n’y pose plus mon cartable, mais le spectacle de deux mamans se battant entre elles plutôt que de séparer leurs petits se heurte à mon incompréhension. C’était à la fête de l’école où les responsables des parents d’élèves dansaient la Zumba.
Une maîtresse demandant à des maternelles de dire bonjour passe aux yeux de certains parents pour une sévère autoritaire, m’a-t-on rapporté.
Je ne suis plus de ce monde. Est-ce que je vais m’interdire de porter un jugement de peur de me situer en surplomb ? Je ne peux me résoudre au silence dans la promiscuité de ceux qui s’autocensurent, ne parlent que sous pseudos, « pas de vagues ».
Bien sûr j’ai renoncé à l’inopérant et agaçant « de mon temps » et je sais que les fractionnements de la société, la multiplication des singuliers, interdisent toute généralisation. Mais depuis mon écran, je persiste à me donner l’illusion de participer aux débats et me permets de porter des jugements sur les emballements médiatiques dominants.
Les mots sympas du prix Nobel de physique à l’égard de son prof de terminale auraient pu servir l’image de l’école beaucoup mieux que les états d’âme de Mbappé. On entend surtout les plaintes des acteurs de l’éducation nationale via les journalistes, et bien peu, ceux qui se battent contre les prédestinations sociologiques devenues l’alibi de toutes les paresses.
L’antienne de l’école-qui-creuse-les-écarts ne fige-t-elle pas le problème comme un élève qualifié de fainéant va se conformer à cette image ? Il me semble que l’on ne demande plus à l’école de tout régler, pourtant l’obésité, la laïcité, les inégalités, le ludique, les « dys », le poids des cartables, les cours de récré genrées, écrire, les menus hallalovégans, lire, les crocs-top, compter, les JO, parcours sup', les chauffeurs de car, Internet, les familles monoparentales, la poésie, l’acné, les tampons périodiques, la paperasse, l’écriture inclusive, la surveillance des toilettes, l’activité physique, la verticalité, le sommeil, les écrans …
«  Tant va la cruche à l’autre qu’à la fin elle se case. » Bélinda Ibrahim
Je ne vais pas faire le mariolle en prétendant échapper au confort de ma case dans le domaine culturel que j’ai le privilège d’avoir le temps d’arpenter à loisir.
Concernant les livres, je n’ai jamais lu une ligne de Guillaume Musso ni de Virginie Grimaldi, les plus vendus l’an dernier.
Il se trouve de surcroit que mes plans hebdomadaires de cinéma rencontrent très rarement des films en tête du box office, et je ne parle pas de mon ignorance la plus noire des nouveautés musicales. 
Sur les réseaux sociaux, j’évite certains personnages tout en regrettant comme d’autres que les ordinateurs qui devaient nous rapprocher nous éloignent, préférant me conforter entre proches que de me confronter à des anonymes. Quelques essais de contradictions se heurtant à des surdités violentes se sont mués en timides aboiements de loin. 
« Un couple de séparatistes basques vient de demander le divorce » Marc Escayrol

jeudi 27 octobre 2022

Les femmes photographes. Hélène Orain.

La conférencière devant les amis du musée de Grenoble dont elle est une familière des lieux https://blog-de-guy.blogspot.com/2020/01/du-noir-et-blanc-la-couleur-voyage-dans.html
amorce son exposé sous l’image de la « Kodak girl » vouée aux portraits de famille avec des appareils simples, bien que papa appuie le plus souvent sur le déclencheur.
L’exposition de 2015 « Qui a peur des femmes photographes ? » a alimenté une thématique ayant révélé quelques talents longtemps cachés. 
Sur l’affiche figure le portrait de la tante de Virginia Woolf, Julia Margaret Cameron.
Celle-ci, photographe maintenant célèbre, adepte du plein cadre et des fonds neutres, 
a donné au flou un caractère artistique. « I wait ».
Ses portraits révèlent l‘intimité de « Charles Darwin »
ou de l’astronome « Sir John Herschel ».
Pour « Iago » elle a justifié sa réputation de « tyrannique bienveillante ».
Proche du mouvement des préraphaélites, 
ses sujets sont allégoriques, « The kiss of peace ».
Mais «  Vivien and Merlin » devant illustrer un poème de Lord Tennyson 
ne rencontra pas son public.
D’autres femmes l’avaient précédée, pas seulement des petites mains minutieuses pour retoucher les images ou modèle donnant des avis techniques avant de s’exprimer seules, telle « Constance Talbot ». Son portrait constitue une première par son mari Henry Fox Talbot inventeur par ailleurs du procédé négatif-positif, du photogramme.
La botaniste Anna Atkins réunit en livre ces images sous forme de cyanotypes.
Lady Mary Georgina Filmer expérimente des photomontages,
Clementina Hawarden
, en pleine époque victorienne, 
photographie ses filles pieds nus et cheveux lâchés.
Gertrude Käsebier
, représente son mariage malheureux : « Sous le joug et muselés ».
Elle est reconnue par le public : « The Manger » et par ses pairs pour ses portraits de
«
 Florence Evelyn Nesbit »
ou « The red man » dont elle a retiré les atours pour mettre en valeur son individualité.
L’a
utoportrait de Frances Benjamin Johnston en « Nouvelle femme » affiche ses convictions féministes au temps des
« 
Jeunes suffragettes faisant la promotion de l’exposition de la Women’s Exhibition de Knightsbridge » saisies par Christina Broom en 1909.
La modernité s’est déplacée d’Angleterre en Allemagne quand Gisèle Freund connue pour ses photographies d’écrivains, « Virginia Wolff »,  fuit l’Allemagne nazie en 1933.
Lucia Moholy documente les créations du Bauhaus et dans la même mouvance
Florence Henri
présente ses « Pariser Fenster ».
Les points de vue originaux de Germaine Krull la placent à l’avant-garde des années 20.
Dora Maar
, (Henriette Theodora Markovitch)  dont la notoriété passait par son rôle d’assistante de Man Ray et amante de Picasso, se voit aujourd’hui reconnue dans toute sa puissance. « Mannequin en maillot de bain »,
« Le simulateur »,
« Assia ».
Pour « Magnolia Blossom » d’Imogen Cunningham auteure de « La photographie comme profession pour les femmes », 80 prises ont été nécessaires.
Mère de jumeaux elle présente souvent des doubles. 
« La photographie n’est pas une meilleure profession pour une femme ou pour un homme, c’est simplement une profession. »  
« Je suis une photographe, pas une femme. Je ne crois pas que cela fasse de différence quand on travaille. » 
Berenice Abbott
saisit les transformations de New York. « West Street » 1938.
De Dorothéa Lange auteur de l’iconique « Migrant Mother », je retiendrai aussi
« Deux hommes marchant le long de la route près d'un panneau d'affichage indiquant « La prochaine fois, essayez le train. Détendez-vous » 
« Laquelle de mes photos est ma préférée ? Celle que je prendrai demain. » I. Cunningham

mercredi 26 octobre 2022

La Roche sur Yon

Nous quittons les Sables d’Olonne direction Nantes avec un temps mitigé et venteux.
Nous nous accordons une étape à La Roche sur Yon.
Nous trouvons à nous  garer facilement  Place Napoléon en bordure du jardin dominé par la statue équestre de l’Empereur.
Des animaux mécaniques voisinent avec des canards et des poissons bien vivants dans des bassins alimentés uniquement par les eaux de pluie.
Devant chacun des automates, des commandes sur des consoles avec des explications dessinées  permettent de les manœuvrer.
Ainsi, une chouette, un ibis, une loutre, des grenouilles poissons un  crocodile du Nil ou encore de flamants roses s’agitent tout en produisant des claquements et des grincements de moteur arthritique. Une employée de l’Office du tourisme débloque chaque jour  les accès à toutes ces machineries de 10h à 18h, en libre accès aux petits comme aux plus grands.
Sur l’un des côtés de la place, à l’opposé de l’église, des murs recouverts de reproductions sous forme de grosses vignettes attirent notre regard.
Elles sont de Benjamin Rabier. Ce dessinateur illustrateur natif de la ville doit sa célébrité en partie à ses dessins de La vache qui rit et du canard Gédéon. Nous prenons plaisir  à regarder ces images un peu vieillottes des années 30, entre caricature et BD.
Nous nous avançons ensuite vers le théâtre bien restauré de style romain. Il s’élève derrière  un petit jardin consacré à une  végétation abondante dont un  panonceau désigne chaque espèce. Pour l’agrémenter, une grande fontaine laisse couler l’eau de trois bidons placés sur le haut d’une colonne.
Nous n’investiguerons pas plus la ville, simple étape sur notre trajet, pour  nous rendre à notre véritable destination : NANTES ; nous la rejoignons par la départementale.

mardi 25 octobre 2022

La revue dessinée. N° 37. Automne 2022.

Plusieurs reportages consacrés à l’alimentation privilégient la dénonciation, les abus, mais délivrent aussi des informations pertinentes et fouillées.
A Vittel comme à Volvic, les multinationales pompent abusivement les eaux,
et les industries de la frite dictent leurs conditions de l’usine aux champs dans les Hauts de France.
Il en est jusqu’aux abeilles domestiques qui concurrencent les sauvages. "Bad BZZZ".
Avec le sérieux de la galaxie Médiapart, la variété des styles des différents dessinateurs n’atténue guère la teneur pessimiste de la maison. 
En 228 pages seul l’humour pourtant constitutif de bien des BD est modéré.
Les couleurs ont beau être fidèles à des ambiances sénégalaises, elles ternissent quand est évoqué le sort des petits pêcheurs dépossédés de leur gagne-pain par les bateaux industriels qui croissent au large. Les réactions de certains d’entre eux sortant des déplorations habituelles ouvrent d’autres voies que les fatals embarquements vers l’Europe.
Le courage de Louisette Ighilahriz violée par des soldats français pendant la guerre d’Algérie est remarquable, son témoignage exceptionnel. 
Et l’histoire d’une femme mise à l’isolement pendant 20 ans car elle était porteuse saine de la typhoïde est incroyable.
Le milieu scolaire m’était familier et je connaissais le sort des maîtres auxiliaires, je n’arrive pas à croire que les conditions des profs contractuels d’aujourd’hui sont à ce point précaires. Il faut un complément en fin de « reportage » pour apprendre qu’au bout de 6 ans ils peuvent prétendre à un CDI.
Ma rubrique habituelle préférée ne me déçoit jamais, même si les dessins ne sont pas à mon goût : cette fois « la sémantique c’est élastique » bavarde autour du mot : « province ». L’alternative ping-pong ou tennis de table me laisse aussi indifférent que Siouxsie, une punk qui m’est aussi inconnue que le film évoqué ce trimestre : « Cry baby ».
Par contre le rappel de l’histoire de la dépénalisation de l’homosexualité n’est pas inutile.   

lundi 24 octobre 2022

Les Harkis. Philippe Faucon.

Même si les acteurs peuvent paraître parfois un peu raides, les réserves esthétiques ont peu d’importance face au rappel nécessaire d’une trahison qui déshonora la France. Le chemin est si long pour évoquer tous les non-dits d’alors. La capacité de regarder son passé, fut-il peu glorieux, passe pour faire honneur au courage de ce côté de la Méditerranée, à essayer de « démêler les douleurs » comme dirait Benjamin Stora.
Dans ce pays de pierres, de jeunes algériens s'enrôlent ou sont enrôlés dans l’armée française à la fin des années 50. Ils vont être massacrés par dizaines de milliers après la victoire des nationalistes. Ceux qui ont réussi à rejoindre le pays qui les avait engagés vont être accueillis avec parcimonie.
Aucune leçon facile ne nous est assénée après tout ce que nous avons appris. La description des destins individuels est bien typés au sein d’une harka, avec un épisode riche de sens quand pour obtenir des renseignements les harkis se font passer pour des « fellaghas ». 
Le réalisateur sans esbroufe a toujours été intéressant:
 
 

dimanche 23 octobre 2022

Barulhos. Compagnie Malka.

J’ai bien aimé, même si le titre est trompeur, puisqu’il s’agirait en portugais des bruits du quotidien. Le spectacle d’une heure commence par le silence pour se continuer avec les stridences habituelles des musiques concrètes et des rythmes techno appuyés. 
A vrai dire, le silence initial n’est pas intégral : les frottements des vêtements rythment les mouvements.
Il y a bien quelques échos de manif, des déclarations tronquées en différentes langues qui rendent le propos aussi clair que lorsqu’on se trouve devant des panneaux en cyrillique. 
Mais par rapport au spectacle de danse précédent où les danseurs s’agitent dans le silence la moitié du temps, 
avec toute la mauvaise foi qui convient dans un débat culturel entre proches, j’en serai à trouver l’artiste de Saint Martin d’Hères supérieur au new-yorkais : six danseurs ont plus de densité que deux êtres perdus sur une grande scène, d’autant plus que les pas de deux ont séduits les moins emballés par les arabesques de ce soir.
Virtuosité, mouvements d’ensemble harmonieux, lenteur et vivacité, enlacements et solitudes : une jolie troupe. 
La salle, où l’on surplombe la scène nous rendant proches des acteurs, valorise leur travail. Mais quel spectacle ne vise pas à « retisser le lien social et retrouver l’autre » alors que le hip hop « ça déchire! », ne disait-on pas ?
A abuser de mots défraichis « le plaidoyer dansé pour un espace de paix et de partage » risque de se fondre dans le brouhaha; heureusement la vigueur des corps prend le dessus.