dimanche 30 juin 2024

Pierrette Conte

 
Nous avons accompagné Pierrette Conte à sa dernière demeure, j'ai lu ce texte à l'église :
"Nous sommes si petits dans cette maison immense où les évangiles annoncent :  
« Au début était le verbe ».
Ces mots valent aussi pour les poèmes, terrain de connivence entre elle et moi, tous deux étourdis peu doués en calcul.
Pierrette.
Autour du cercueil, les mots, les images, la musique, sont convoqués pour regarder en face notre destinée commune et nous consoler lorsqu’on a entendu dire que la mort célèbre la vie.
La poésie estompe les contours et révèle des mystères, 
Anna de Noailles dit la beauté et la fragilité :
 « Le bonheur, la douceur, la joie,
Tiennent entre les bras mêlés,
Pourtant les cœurs sont isolés
Et las comme un rameau qui ploie. » 
J’ai beau savoir que les sourires dans les vieux albums sont sélectionnés,j’étais sûr de votre sincérité, belle maman, quand vous m’avez accueilli dans votre famille, et nous avons bien ri.
La prof de musique a su faire comprendre les exigences de la matière qui traverse le temps et permet d’aller vers la légèreté et au delà.
Pour la catholique sincère, la lumière dans les églises n’était pas seulement celle qui traverse les vitraux, mais une source d’espérance et de charité ou en d’autres termes d’optimisme et de générosité, comme en fut tissée une vie avec une jeunesse menacée par la tuberculose qui mena à Grenoble depuis Dax avant d’élever trois filles.
Quand vint la fatigue, Dominique et Michèle vous ont accompagnée, Geneviève n’était plus là depuis un an et vous ne l’avez pas su.
Le silence n’aura pas le mot de la fin quand il reste le souvenir d’un doux sourire, l’élégance, et encore les rimes d’Anna de Noailles. 
« … regarde fuir, sans regret ni tourment
Les rives infidèles,
Ayant donné ton cœur et ton consentement
À la nuit éternelle. »"

samedi 29 juin 2024

La vie de ma mère ! Magyd Cherfi.

J’ai retrouvé avec plaisir l’écrivain toulousain
exprimant avec ardeur la vie d’une famille où l’amour se cherche sous de virulentes répliques. 
« De la peine, je savais que j'en avais aussi pour moi, parce qu'arrive un âge où on rêve de trêve, de frères et sœurs, de vrais parents qui bien qu'âgés, nous traiteraient encore en enfants, nous époussetant un peu de poussière sur un revers de manche. » 
La truculence permet de dépasser la violence d’une existence: la mère s’émancipe sous les yeux écarquillés de ses enfants avec la complicité permise sur le tard des petits enfants. 
« Je commençais à admettre qu’on puisse être mère et vomir sa couvée, qu’on pouvait être frère et vomir la fratrie, qu’on pouvait être un bon père et ne pas vouloir de ses mômes tout le temps à la maison… » 
Mais à la longue l’humour s’émousse alors que l’évolution de la mère survient après tant de relations devenues caricaturales.
Le narrateur aime cuisiner et parfume son récit d’expressions telle celle du titre devenue familière, pour résumer parfaitement les 270 pages, point d’exclamation compris !  

vendredi 28 juin 2024

Zadig n° 21. La bagnole stop ou encore ?

Après le train qui ne posait aucun problème écologique,
le trimestriel développe un questionnement équilibré autour de l’automobile.
Un grand récit historique, illustré par une 2CV en bord de route lors d'un pique-nique et un départ des 24 heures du Mans du temps des rêves de vitesse, se boucle sur l’annonce des appellations des prochaines Renault électriques : R4 et R5. 
« La bagnole cristallise les clivages territoriaux et illustre jusqu’à la caricature le dilemme entre préservation du pouvoir d’achat et décarbonation des activités humaines. »
Si les rubriques révisant le vocabulaire automobile ou l’évocation de l’auto radio comme objet culte étaient prometteuses, la mise en forme est bien plate. 
Pourtant la revue soigne son style comme dans le récit vivant d’Arles à Paris en Blablacar 
et offre des angles originaux avec l’association CAR 80 (Conduire l’automobile d’un retraité de la Somme), 
les voitures « sans pe » (sans permis) qu’adoptent des adolescents à Marseille 
ou l’évocation de la R12 pour les voyages au bled. 
Des entretiens avec des automobilistes sur une aire d’autoroute,
avec des animateurs de sites POA (Petites Observations Automobiles) sur YouTube complètent un argumentaire documenté à propos de la voiture électrique 
et des réflexions autour du genre même si  la réflexion « femme au volant, mort au tournant » est morte.
Pastoureau « le spécialiste des pigments » n ‘apporte pas grand-chose lorsqu’il constate que la palette des couleurs de voitures est peu diversifiée, 
pas plus que Le Bras et ses cartes une fois qu’il a dit que  
«  Dans la diagonale du vide, les modèles de voitures plus écolos peinent à percer mais ils ont du succès dans l’Ouest de Paris ». 
Le dessin de Catherine Meurisse et la bande dessinée de Guillaume Long séduisent toujours. 
La conversation avec Dany Boon, acteur qui ne me passionne pas à priori, s'avère intéressante et sa trajectoire extraordinaire, depuis une enfance difficile qu’il est capable de regarder avec tendresse.
Au pays des algues vertes dont une bande dessinée a contribué à la mise en cause d’un système d’agriculture bretonne malfaisant
des agriculteurs résistent, cultivent du blé noir, du chanvre, élèvent des moutons des landes de Bretagne, des vaches armoricaines et préservent des semences : coco de belle Ile, sucrine du Berry, Potimaron Angélique, ils refont haies et talus…
Dans les vignobles bordelais, les conditions de vie de roumains ou de marocains soumis à des passeurs et à des patrons véreux sont scandaleuses, alors que les passeurs de savoir-faire anciens à Grasse sentent bon.
La nouvelle de Belinda Cannone m’a laissé indifférent, 
mais j’ai découvert un écrivain Franck Courtès, dont un voisin a affiché :  
« Oubliez le chien, méfiez vous du maître », terrible. 

jeudi 27 juin 2024

Jeux vidéo japonais. Romain Lebailly.

Le conférencier devant les amis du musée de Grenoble expose son intention de donner une place aux jeux vidéos dans le champ artistique académique à partir des créations japonaises et de leur réception en France, sous le signe de « Sega Saturn Tokimeki Memorial ».
Dans l’industrie culturelle de masse, les jeux vidéo, au-delà de l’aspect ludique et de l’économie constituent un domaine où les américains ne sont pas seuls, bien qu’à l’origine l’entreprise japonaise SEGA (Service Games) née pendant l’occupation américaine ait été dirigée par eux. Parmi les machines à sous, les flippers, arrivent les bornes des jeux d’arcade.
« Rifleman » en 1967 a adopté un habillage western
pendant que «  Pong Tron » copié sur le concurrent américain Atari souscrit aux codes nippons.
Nintendo produisait des cartes à jouer  « Hanafuda ».
Cette société ancienne devenue partenaire de Disney, 
 lance en 1977 la console desalon« Color TV-Game 6 ».  

À la fin des années 1980, au Japon et aux États-Unis, 
un foyer sur trois était équipé de « Famicom » (Family Computer). 
Les thématiques gangsters ont du succès 
et le motard de « Zippy Race » conduit de Los Angeles à New York.

 
Le jeu « Space invaders », unique dans sa façon de jouer,  
 s’inspire de « La Guerre des mondes » d’H.G. Wells
et connaît  des prolongements dans la rue avec le mosaïste « Invader ».  

Les premier jeux de samouraï n’étaient même pas commercialisés en dehors du Japon et pourtant les duels des films de sabre comme « La Légende de Zatoïchi : le masseur aveugle » ont inspiré quelques scènes finales de westerns spaghetti. 
Pour parler à tout le monde, les jeux deviennent inodores, 
le hérisson « Sonic », mascotte véloce de Sega, affronte les robots et sauve les animaux.
« Le cuirassé Yamato » véritable lieu de mémoire, avait été coulé pendant la seconde guerre mondiale ; dans une version récente son épave sert à construire un vaisseau spatial sauveur de l’humanité.
Le loup « Okami » incarnation de la déesse du soleil est très référencé parmi les mythes fondateurs, avec des sonorités de shamisen (« trois cordes parfumées »), ambiance shintoïste dans une narration sur emaki (rouleau déroulant),
ainsi que Sesshū Tōyō peignait « Paysage d’automne ».
 
Au temps de « la guerre froide »,  
le ninja du jeu de plateformes « Strider » se bat dans le même camp


que le reaganien « Rocky».

« Dragon quest » adopte sur sa jaquette les codes des mangas

alors que les sources étrangères de « Donjons et dragons » sont réinvesties en des jeux de rôle devenus un genre à part entière : les JRPG (Japonese role playing game) où s’effacent les références des débuts.
Les gameurs nourris par leur presse spécialisée  dont les catalogues offrent du choix en version originale, s’approprient les productions japonaises au-delà de leur passion initiale et se montrent curieux de culture japonaise. Le goût pour l’empire du soleil levant se développe depuis les estampes qui séduisirent Van Gogh jusqu’à Goldorak que le club Dorothée popularisa.

Japan Expo, créée par des français, témoigne chaque année pendant plusieurs jours, de l’intérêt du public pour la culture populaire japonaise à travers manga, jeux vidéo, arts martiaux, musique J-pop, cinéma…
 

 Le soft power n’aurait-il pas désormais planté là bas des cerisiers en fleurs ? 
« J’envie aux Japonais l’extrême netteté qu’ont toutes choses chez eux. Jamais cela n’est ennuyeux et jamais cela paraît fait trop à la hâte. Leur travail est aussi simple que de respirer et ils font une figure en quelques traits sûrs avec la même aisance comme si c’était aussi simple que de boutonner son gilet. » Van Gogh


mercredi 26 juin 2024

Chroniques de Melvile. Romain Renard.

Chaque image de ces 240 pages d’une série de quatre volumes est une œuvre d’art dans le genre réaliste où le flou conforte les fantômes n’en paraissant que plus probables.
Cette interprétation d’un sombre univers pour être brillante se situe aux antipodes de la ligne claire, comme si Hopper avait manqué de crayon blanc s’il avait travaillé sur papier noir.  Melvile, ville américaine imaginaire peuplée de disparus, prend vie, d’après les écrits d’un journaliste débarqué là en 1946. Il ne devait rester que quelques mois tout au plus … 
« On avait chanté les chants d’autrefois. Ces chants qui remontaient des premiers âges. 
On avait tapé la terre de nos pieds pour lui rappeler que maintenant nous la possédions. 
Puis nous avons versé la bière et le sol de la grange la but et pour sûr ne la recracha pas. » 
L’auteur ponctue ses nouvelles d’une ténébreuse poésie, de chansons à écouter grâce à un QR code, dilatant l’imaginaire d’un univers qui doit avoir affaire avec le cinéma prochainement.
Nous découvrons petit à petit des histoires tragiques de familles ayant vécu dans cette ville de pionniers, isolée, hors du temps, entourée de forêts qui ont fait la fortune d’une dynastie dirigeant la communauté, aujourd’hui disparue. 
« Arriva alors le père, et l’homme pleurait, et personne ne vint le consoler, 
car il était dit qu’il en serait ainsi. »

mardi 25 juin 2024

Il fallait que je vous le dise. Aude Mermilliod.

Le titre énigmatique sur fond de nuages légers et ciel blanc m’avait tapé dans l’œil.
Je n’avais pas lu jusqu’au bout la quatrième de couverture qui annonçait qu’il serait question d’avortement, avant que je le comprenne et me dise : « encore ! » tellement le sujet occupe l’actualité dans le monde entier. 
« Fallait que ça tombe sur moi ! Le 0,6% de chance, c'est moi !!! Je sais même pas qui est le père !!! Ouais, ouais, je sais : faut se protéger !!! Mais merde ! J'ai un stérilet, quoi !!! » 
Et puis cette approche intime, sincère, poétique, drôle, nerveuse, par une femme à laquelle s’ajoute la rencontre avec le médecin Martin Wickler m’a convaincu de la nécessité de continuer de parler de ce sujet.
Et de modérer ma sévérité pour le dernier livre du médecin vedette dont le premier «  La maladie de Sachs » m’avait pourtant bien plu. 
Les paroles d’une chanson d’Anne Sylvestre » intitulée « Non, tu n’as pas de nom » donnent le ton entre violence et douceur : 
« Depuis si longtemps l je t’aime
Mais je te veux sans problème
Aujourd’hui je te refuse
Qui sont-ils ceux qui m’accusent. » 
Les témoignages incarnés, avec une représentation graphique de la douleur très parlante, 
se situent dans un contexte où est rappelée l’intervention de Simone Veil devant l’assemblée nationale il y a 50 ans : 
« Croyez bien que c'est avec un profond sentiment d'humilité devant la difficulté du problème, comme devant l'ampleur des résonances qu'il suscite au plus intime de chacun des Français et des Françaises, et en pleine conscience de la gravité des responsabilités que nous allons assumer ensemble. » 
Et c’est ce que font comprendre ces 160 pages : 
« … aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement. Il suffit d'écouter les femmes. C'est toujours un drame et cela restera toujours un drame. » 
Le médecin  a appris auprès d’une infirmière et cet avis vaut au-delà des soins hospitaliers : 
« Tu es là pour accueillir ça sans porter de jugements, tu vois ? Je sais que c’est pas facile mais notre boulot c’est pas de les sauver… ou d’leur faire la leçon. »
 Quand les mots des amies peuvent parfois tomber à côté, la simplicité peut se révéler d’une grande profondeur: 
« Avorter, c’est un choix de maman » 
Qui pourra avoir la modestie de ce papa ? 
« C'est une décision trop importante pour que tu t'encombres de nos opinions...
On sera là quoi que tu décides. »

lundi 24 juin 2024

Border Line. Alejandro Rojas, Juan Sebastián Vasquez.

Ce film de 1h 17 parait bref par rapport aux formats habituels, mais l’attente dans l’aéroport de New-York est longue pour un couple venu d’Espagne, lui vénézuélien, elle catalane.
La tension monte et les questions intrusives de la police aux frontières amènent le thème des migrations au cœur des histoires intimes.
Même nés du bon côté du mur, nous sommes impliqués dans cette histoire parfaitement construite et remarquablement jouée d’un homme et d’une femme cherchant à vivre mieux. 
Les émotions suscitées par les tergiversations autour de la permission d’entrer aux Etats-Unis nous amènent au-delà des clichés qui voient l’étranger comme le danger ou comme le rédempteur et nuancent ces idées générales ne manquant pas d’enflammer les débats en ce moment et partout dans le monde.