« Ma vie n’a pas
été riche mais elle a été belle ». Qui peut dire mieux que cette vieille paysanne ?
Cette phrase figure à côté de son portrait dans une
exposition à l’ancien musée place Verdun de « photographies de
l’intime » recouvertes parfois de trop de textes comme pour nous consoler d’être
submergés d’éclats trop brefs derrière nos œillères numériques.
La force de cette phrase simple s’affirme dans le même
mouvement avec ou sans « mais » quand la réussite n’était pas indexée sur l’argent. Ce bilan se
conclut sur un beau mot que trop de bluettes avaient déprécié :
« belle ».
Cette putain de beauté n’est même plus recherchée, quand
elle n’est pas bannie dans les lieux où on allait la quérir jadis, dans les
écoles des beaux arts et autres lieux d’exposition.
Des tas de gravats subventionnés dans les centres d’art
contemporain s’emballent sous les mots, et n’attirent même plus l’indignation,
tant ils sont déserts. Est-ce que depuis des tas de toiles blanches ou lacérées,
il y aurait encore une pointe d’humour pour imaginer d’autres propositions genre
« un couteau sans lame auquel il manque le manche » ?
Derrière un cartel vide, une œuvre sans titre d’un auteur
anonyme attendrait qu’un rayon de soleil vienne éclairer quelque rare
poussière, sans empreinte carbone, à visée inclusive, anticoloniale,
végétarienne, et +.
Banksy, le fameux artiste, a apposé un de ses pochoirs sur
les ruines de murs ukrainiens et quelques riverains - des médias ont dit
« malfrats » - ont tenté de décoller l’œuvre rejouant ainsi la porte
du Bataclan dérobée, voire une déchiqueteuse lors d’une mise aux enchères qui interrogeait sur la marchandisation de l'art.
C’était contre la guerre, c’était gentil, il aura mérité
plein plein de like, quant à moi je préfère des dessins de presse moins
inconvenants car non apposés sur des décombres.
Il y a des jours où les tons pastels de la poésie ne peuvent
rien et virent au vomi, quand sous la torture des fachos russes tatouent des
croix gammées dans le dos d’ukrainiens pour justifier leurs horreurs.
Il fait froid, les musées ferment en Hongrie et les douilles
s’accumulent dans les coins.
Peut-on approuver le diagnostic d’une société dépressive et
ne pas en porter les symptômes ? Le croulant évitera de nommer décadence l’accumulation de
tant de signes assombrissant le paysage.
Les mouches du coach tournent autour d’individus qui ont
perdu toute envie de s’en sortir par eux-mêmes. Mes semblables revendiquent
leur autonomie et en appellent sans cesse à la collectivité. Leur
individualisme s’excuse en vociférations de groupe mais crient de solitude.
Se posant en victimes, leur liberté est bien compromise par
un assistanat qui ne sert pas que les plus modestes mais étaye aussi les
considérables.
Cette altération du sens du collectif dans un ensemble où
chacun devrait faire sa part va de pair avec le brouillage de notre rapport au
réel. Le recours aux livres, aux romans, à la presse écrite, a pendant
longtemps posé son bonhomme, aujourd’hui il baisse pavillon et son petit fils
va vers d’autres distractions : les métavers (« version future d'Internet où des espaces
virtuels, persistants et partagés sont accessibles via interaction 3D ou 2D en
visioconférence »).
A la sortie du collège, dans le bus, chacun suit son écran, et
même le sexa au volant de sa voiture... et que fait le retraité septua à
l’instant ?
Le virtuel est passé devant et la réalité devient incroyable : papa cogne maman pour de vrai !
Les chiffres des violences conjugales sont effarants mais qui
saurait mesurer les violences plus sourdes qui ont amené à
multiplier le nombre des familles monoparentales ?
Les hommes sont évidemment les plus blâmables sur ce coup, encouragés
par des jugements concernant la garde des enfants, le plus souvent en leur
défaveur. La parole des femmes en cas de maltraitance est mieux prise en
compte, pourrait-on ne pas considérer qu’il n’y a pas que des hommes irresponsables,
en position du démissionnaire, parmi les parents fâchés?
« On a dit que la beauté est une promesse de bonheur.
Inversement
la possibilité du plaisir peut être un commencement de beauté. »
Marcel Proust.