jeudi 25 mars 2021

Papiers découpés. Stéphanie Miguet.

Les musées sont fermés, alors les galeries connaissent une certaine affluence.
Chez « Alter Art » au 75 rue Saint Laurent à Grenoble du mercredi au dimanche de 15h à 19h, https://sites.google.com/site/alterartorg/home
il vous faudra peut être patienter dans la rue avant d’apprécier le travail de Stéphanie Miguet.
Ce dimanche, on nous proposait même un verre de vin pour être raccord avec l’ambiance conviviale des scènes romantiques présentées dans ce lieu modeste aux propositions souvent sympathiques.
Les techniques du papier découpé traversent le temps et l’espace depuis la Chine pays du papier
aux alpages suisses où des paysans célébraient au ciseau la montée aux alpages (« la poya ») 
ou magnifiaient des images religieuses en dentelles au canif (« canivet »).
Matisse fut une référence colorée d’un genre familier
pour le lecteur de livres dépliants pour les petits ( « pop up »)
voire pour une réalisatrice d’origamis faisant appel à des vertus mobilisées en général au yoga. 
Le Marquis de Silhouette a fourni à nos représentations du XVIII° siècle quelques profils élégants.
Au delà de la délicatesse impressionnante des gestes, les histoires racontées par l’artiste nous reposent des agressions, des jérémiades communes, en privilégiant l’unité d’un immeuble où les familles sont réunies, la cohérence des étapes d’une vie, l’harmonie d’un soir d’été aux terrasses d’une ville où il fait bon vivre.
Il a fallu évider et parfois trancher au scalpel pour faire ressortir les beaux contours d’un couple d’amoureux, l’élégance d’une terrasse, les vibrations d’une rue, l’équilibre d’une danseuse, l’allégresse d’un squelette. 
Bien que le lieu ne soit pas immense on peut s’attarder  devant ces décors paisibles, ces personnages qui ne font pas d’histoires et apprécier le printemps.

mercredi 24 mars 2021

Craonne

Nous prenons le petit déjeuner avec des biscuits roses, spécialité de Reims et nous décollons vers 9h, direction Saint Quentin.
les petits pavillons modestes cèdent la place à quelques immeubles HLM bas. Nous ne traversons plus les vignes en ayant pris la direction du Nord Ouest mais plutôt des champs de chaume blond, immenses et plats. Le long de cet itinéraire sans autoroute ni péage, l’habitat désormais favorise les briquettes rouges.
Des panneaux indicatifs, avant l’arrivée à Laon, signalent  la présence marquante de la guerre de 14-18 dans les parages. Ils annoncent un cimetière anglais ou un monument des chars d’assaut, un petit cimetière en bord de route rassemble des petites croix identiques régulièrement espacées.
Déjà en 1814, la bataille de Laon avait été une des dernières de la campagne de France, Blücher l’emporta de nouveau contre Napoléon.
Puis apparaissent les noms de CRAONNE et chemin des dames
Nous n’avions pas imaginé être si près de ces lieux chargés d’histoire, que nous ne situions pas vraiment.
Nous nous détournons de notre route.
Craonne reconstruit après-guerre est tout juste un hameau avec une petite église, sans même un café sur la place. 
Craonne le vieux n’existe plus, à la place une forêt masque le terrain bosselé par les tirs de mortier et les bombes. 
Là, des panneaux  expliquent avec texte et images  le chemin des dames, l’origine de ce nom, les mutineries, les grottes et les caves où les Allemands coincés par une explosion française moururent asphyxiés. Le nom charmant du chemin destiné aux filles de Louis XV est devenu pour l’histoire celui du lieu des désastreuses offensives commandée par le général Nivelle.
Adieu la vie, adieu l'amour,  
Adieu toutes les femmes 
C'est bien fini, c'est pour toujours  
De cette guerre infâme  
C'est à Craonne sur le plateau  
Qu'on doit laisser sa peau  
Car nous sommes tous des condamnés 
C'est nous les sacrifiés 
Passant, souviens toi…

Mais nous n’avons pas trouvé de monument en l’honneur des soldats morts ou évoquant les batailles terribles. Personne ne vient troubler cette terre ensanglantée, si ce n’est les forestiers que nous entendons  travailler au loin. Nous n’avons pas pris le temps de monter jusqu’à l’observatoire.

mardi 23 mars 2021

Les grands espaces. Catherine Meurisse.

Je place cette auteure au plus haut depuis le partage pudique, profond et original de son chagrin après les assassinats de Charlie. 
En 90 pages elle traite de la nature et de la culture non en les opposant mais en les réconciliant à travers de tendres souvenirs d’enfance.  
Au Louvre :« Je découvrais ces lieux, ces œuvres, ces vestiges, ces peintures, et étrangement, il me semblait les connaître depuis toujours. Le feuillage des arbres de Corot, les bosquets de Fragonard, les buissons de Watteau, la campagne de Poussin, c'était mon jardin, mes paysages... mes grands espaces. » 
Si je ne suis pas d’accord avec son indignation devant la multiplication des lotissements qui permettent de loger des personnes qui n’ont pas forcément les moyens de retaper une vieille ferme comme ses parents ont pu réussir à le faire, je la suis pas à pas quand elle participe à la journée où l’on tue le cochon, ou quand avec sa sœur, elles font musée de tout ce qu’elles découvrent.
L’humour évite toute nostalgie et mièvrerie mais traite de l’évolution de la campagne avec une efficacité qui n’oublie pas les nuances. En dehors de l’harmonieuse famille qui plante des rosiers de chez Montaigne ou baptise un chêne « Swann », les habitants du village ne sont pas jugés comme des bêtes curieuses, ce qui lui permet de dénoncer avec vigueur les évolutions des techniques agricoles qui ont arasé les haies et artificialisé les sols.

 

lundi 22 mars 2021

En thérapie. Fin.

Séduit dès le début,
au bout de 35 chapitres, je n’ai pas ressenti une once de déception.
Je n’ai pas manqué les rendez-vous du jeudi soir, me réjouissant d’entrer dans la dépendance propre aux spectateurs qui ne sont pas novices comme moi en matière de série.
Il est bon aussi de partager des émotions avec un large public assurant le succès de cette production exigeante et populaire d’Arte.
Aimant contrarier ceux qui ne savent exprimer que critiques et ne vivre qu'en opposition, j’ai été comblé dans mon parti pris d’aimer voir les personnages évoluer et j’ai trouvé par ailleurs le tricotage de l’intime le plus secret et du général le plus explosif parfaitement mené.
Les destins peuvent être tragiques ou aller vers des happy end prometteurs, la parole étant le remède dispensé par un être qui sait davantage aider ses patients que d’être à son avantage au sein de sa famille. Les souffrances qui entravent la liberté sont exprimées après un accompagnement personnalisé qui ne se substitue pas au libre arbitre de chacun mais permet de l’éclairer.
Les acteurs  devenus familiers étaient en situation pour donner le meilleur d’eux-mêmes avec leurs silences expressifs pouvant prendre leur temps, et nous surprendre.
Si les policiers donnaient leur avis à chaque fois que passe un film les concernant, une chaîne spéciale n’y suffirait pas; cette fois des psychologues sollicités, nous ont rassurés en disant que toutes les séances ne sont pas aussi éprouvantes. Cette profession est  souvent convoquée d’une façon mécanique comme recours au moindre problème mais nous sortons de cette banalisation, en nous asseyant en face du divan pour comprendre combien les spécialistes peuvent aider à aller au cœur des douleurs; humains forcément humains.

dimanche 21 mars 2021

Trafic. Gaëtan Roussel.

Les temps sont bousculés, l’ancien chanteur  de Louise Attaque 
« Et je voudrais que tu te rappelles
Notre amour est éternel
Et pas artificiel » 
vient de sortir un album solo avec la participation de Souchon. 
Mais je ne le connais pas encore, alors que je viens tout juste de découvrir ce CD de 2018.
La voix accroche et le contraste est délicieux quand il chante en duo avec Vanessa Paradis, « Tu me manques (pourtant tu es là) » 
«  La vie d’une étincelle, un rayon
La surface de la terre, les saisons »
Chez lui, il y a du Bashung, avec qui il a collaboré, mais les couleurs fluo, la géométrie glacée de l’habillage architecturé du livret ne s’accorde pas, à la sensibilité qui s’exprime dans nombre de morceaux. 
« J’entends des voix »
« J’entends trouver le bonheur » 
Et que s’affirme l’incertitude : « Je veux bien, je ne sais pas » : 
« Je veux bien fendre l’armure » 
Jusqu’à « N’être personne »: 
« Une image envolée
Des battements de cœur irréguliers » 
Car « J’ai tellement peur » : 
« De devenir aigri
De manquer de pudeur » 
Au « Début » sent déjà la fin : 
«  Ratée ratée ratée
Je t’ai ratée » 
« Dedans il y a de l’or » mais pas toujours : 
« Le mot encore
Dedans il y a fin »
C’est que « La question » est toujours là: 
« Est-ce qu’elle est l’heure de venir ?
Est-ce qu’elle est toujours ou parfois ? » 
Je ne crois pas que « Hope » soit l’histoire d’un fleuriste, mais plutôt une question de mémoire enfuie : 
« Tu ne connais plus le nom des fleurs du jardin
Tu ne connais plus le nom des fleurs » 
Et c’est bien dit : 
« Tu dis pourquoi sans même dire un mot ». 
Au bout d’une vie, où se sont succédé « Le jour et la nuit » : 
 « Suis le moment
Elle me dit fuis le miroir » 
Quelle musique reviendra ?
Celle là conviendra, rauque alanguie ; elle paraitra nouvelle.

 

samedi 20 mars 2021

Richesse oblige. Hannelore Cayre.

L’auteure de « La Daronne » mène deux récits alternant entre les recherches d’une narratrice, handicapée résolue à bénéficier de l’héritage d’une famille riche dont elle dénonce les mauvaises actions et le récit de la vie d’un ancêtre communard ayant bénéficié lui aussi de l’argent de la famille pour acheter un remplaçant qui mourra sur le champ de bataille en 1870.
Cet épisode de l’achat d’un remplaçant après tirage au sort défavorable ouvrant sur neuf ans de service militaire est instructif comme est dramatique le récit d’une pollution inspiré d’une escroquerie réelle qui avait vu le navire Probo-Koala déverser ses déchets toxiques en Afrique, intoxiquant des dizaines de milliers de riverains du port.
Le XXI° siècle ressemblerait paraît-il au XIX° : 
« ll suffisait d’avoir lu Balzac, Zola ou Maupassant pour ressentir dans sa chair que ce début de XXIe siècle prenait des airs de XIXe. » 
Les anachronismes ne manquent pas,  ainsi la critique de la société de consommation n’était pas, me semble-t-il, au cœur des revendications des communards dont il est intéressant par ailleurs de savoir que ceux de 1848 ne voyaient pas forcément d’un bon œil, arriver des jeunots.
Des limites très visibles sont tracées entre les bons et les méchants, bien que les personnages généreux aient bénéficié des pouvoirs donnés par un argent dénoncé pendant 220 pages.
Le roman à thèse aborde les menus proposant de la viande des animaux du jardin d’acclimatation quand les prussiens assiégeaient Paris, aussi bien que la pollution actuelle ou la légitimité des gilets jaunes, la cause de la souffrance animale, les turpitudes de l’art contemporain, le montant des loyers parisiens, excessifs, le matriarcat dans les îles bretonnes
« Croche dedans si tu peux, il n'y en aura pas pour toutes! » 
… les plantations d’arbre à Auroville, le chantier du nouveau palais de justice peu soucieux des handicapés… il n’a pas le temps de s’attarder  sur les protagonistes.
Ainsi la narratrice, Blanche de Rigny, a eu une fille par inadvertance mais celle-ci n’apparaît que comme une poupée à qui fermer les yeux quand la justice appelle sa génitrice, sinon elle la confie à Tatie, autre pantin sans âme, son amie. 
« Et qu'on ne vienne surtout pas me parler à propos des stups, de santé publique, vu ce qu'on mange et ce qu'on respire tous les jours. »

vendredi 19 mars 2021

Place aux jeunes !

Pour que les jeunes prennent la place, les vieux doivent déménager. Parole de boomer.
Tombant plus qu’à mon tour dans le « c’était mieux avant », je m’en voudrais de rajouter une couche au jeunisme frétillant surtout chez les plus âgés, mais je déplore quand même que tant d’Elkabbach ne décrochent toujours pas.
Contre le cours du jeu, entre 14 et 18, ce sont les ainés qui ont mis leurs fils en terre.
Aujourd’hui, alors que nos restes tiennent dans un cendrier, nous ne savons plus le prix de la mort. 
« La mort d'un homme est une tragédie. La mort d'un million d'hommes est une statistique. » Staline
A remarquer tant de noms italiens sur les pierres d’un cimetière voisin, je me suis dit que pour « vivre ensemble » dans l’instant, il a fallu aussi que nous ayons à occuper le même sol, pour l’éternité. Depuis la nuit des temps, nous avons cherché autour de nos douleurs; mais la cohabitation des absents avec les présents se complique avec nos difficultés à admettre notre incomplétude, nos incapacités à voir le noir. Notre oxygène s’altère en carbone, notre burger saigne et il faut faire la vaisselle et ranger sa chambre.
Face aux lois d’une nature en petite forme, les intransigeants prospèrent : dans peu de temps de nouveaux disciples des Jaïns, ceux qui balayent devant leurs pieds pour ne pas écraser d’insectes, vont culpabiliser les végétariens les plus intransigeants : lentilles pour tous à la Croix Rousse ! 
Si l’adage qui reconnait aux marginaux d’exprimer le futur avant tout le monde se vérifie comme on a pu le voir avec la banalisation des tatouages ou les trois voiles de Creil vite dupliqués, des doutes peuvent naître concernant les destinées du cinéma quand se retient surtout la vulgarité de certains artistes dans un moment de célébration.
 « Ceux qui viennent à la porte du ministère avec une sébile dans une main et un cocktail Molotov dans l'autre devront choisir » Maurice Druon
Il est difficile de tracer un avenir quand revenir surtout sur les maux du passé devient l’obsession en 21, au XXI° siècle.
Les musées sont fermés, dans un pays aux allures de musée sous ses hauts plafonds, traversé par quelques intermittents du spectacle et des livreurs de sushis.
Qui veut travailler dans une boulangerie, conduire un camion, torcher mémé, supporter les parents d’élèves… ? 
« Le printemps maladif a chassé tristement 
L’hiver, saison de l’art serein, l’hiver lucide,» 
Stéphane Mallarmé
Quelques notes de poésie comme un prétexte à écrire le mot « lucide » avant qu’il soit hors d’usage.
Dans les querelles qui touchent l’université dont la seule appellation évoquait ces derniers temps la misère des étudiants, l’indigence atteint le débat lui même. Alors que le CNRS décrète que l’« Islamo gauchisme » n’est pas un concept scientifique, Science Po Grenoble déclare que l’« Islamophobie » est un terme scientifique. Il est vrai que pour se la jouer sciences dures ces émanations proviennent de « labos » de sociologie. 
Mais qui suis-je, comme dit le pape, pour juger l’enseignement supérieur et ses magisters ? 
« L'Histoire dit les événements, la sociologie décrit les processus, la statistique fournit les chiffres, mais c'est la littérature qui les fait toucher du doigt, là où ils prennent corps et sang dans l'existence des hommes. » 
Claudio Magris
Les librairies sont ouvertes.
Le monde avec sa dette est ignoré, les salles de spectacles sont fermées, mais nous sommes collés face à un théâtre d’ombres.
Lors de retrouvailles de courbatus, j’avais ressorti ma scie : « Jadis les enfants ne parlaient pas à table, et puis on n’a plus entendu qu’eux », une amie a ajouté :  
« maintenant on n’entend plus personne avec les portables »
………… 
Le tableau est d’ Agnès Colrat https://www.colrat.fr/