vendredi 16 octobre 2020

Génération offensée. Caroline Fourest.

La chroniqueuse de Marianne est pour moi une valeur sûre et son livre résolument féministe, anti raciste, décrivant des dérives inquiétantes d’une gauche sectaire et identitaire, donne des motifs pour se rassurer car la France résiste mieux que le Canada et les Etats Unis aux ravages du politiquement correct.
Ce n’est pas demain que chez nous les réseaux sociaux s’en prendront à une maman qui a organisé un anniversaire déguisé sur le thème du Japon sous prétexte d’ « appropriation culturelle » ou que des étudiants toujours pour le même motif ont demandé l’interdiction de cours de yoga ! 
Mais une certaine gauche bien de chez nous se situe loin de l’universalisme, et des universitaires à la remorque des campus américains sont bien indulgents avec les nouveaux censeurs. L’UNEF ne se bat plus pour la laïcité et fait interdire  la lecture de  « la lettre aux escrocs de l’islamophobie » de Charb alors qu’une de ses dirigeantes au moment de l’incendie de Notre Dame se permet sur Twitter : 
« Les gens ils vont pleurer des bouts de bois wallah vs aimez trop l’identité française alors qu’on s’en balek objectivement c’est votre délire de petits blancs » 
Pierre Jourde a raison de dire que ce syndicat étudiant est devenu un « syndicat de talibans ».
Ariane Mnouchkine que certains ont cherchée quand elle a voulu interpréter, avec sa troupe cosmopolite du théâtre du Soleil, « Kanata » d’un metteur en scène Québécois, à propos des populations autochtones canadiennes argumente :
« Les cultures ne sont les propriétés de personne. … Elles ne sont pas isolées, elles s’ensemencent depuis l'aube des civilisations. Pas plus qu'un paysan ne peut empêcher le vent de souffler sur son champ les embruns des semailles saines ou nocives que pratique son voisin, aucun peuple, même le plus insulaire, ne peut prétendre à la pureté définitive de sa culture. » 
Interrogée par le journal « Elle » Caroline Fourest résume :
« Nous vivons une époque qui cultive la victimisation. Le meilleur moyen de capter l'attention est de se dire « offensé ». C'est une expression qu'on entend toute la journée sur les campus américains, où les élèves se plaignent de « micro-vexations » quand un enseignant risque de les faire réfléchir ou de les perturber au point d'exiger des « safe space » (« espaces sûrs »). Dans certaines universités prestigieuses, les professeurs sont obligés de les avertir de contenus « offensants » avant d'étudier des œuvres classiques, comme « Les Métamorphoses » d'Ovide. » 
 Et les profs s’écrasent devant la génération « Millennium ». 
« À force de voir le monde de façon décontextualisée et anachronique à travers Internet, elle se croit pourtant parfois esclave, indigène, voire menacée d’extermination. Lyncher numériquement lui sert d’école politique, de parti, de mouvement. Elle y a appris à s’emballer au moindre tweet, à vociférer plus vite que son ombre pour récolter le plus grand nombre de « likes ». Au point d’imiter à merveille les bons vieux procès de Moscou, plus faciles à organiser que jamais. Ils se jouent désormais à l’université. »

jeudi 15 octobre 2020

Venise. L’atelier de Giovanni Bellini. Gilbert Croué.

Sous la vue cavalière de « Venise » par Jacopo de Barbari, saisissante de précision, le conférencier devant les amis du Musée de Grenoble pouvait situer l’atelier de la famille Bellini, haut lieu de la Renaissance. Si en d’autres contrées la modernité s’inventa, Giotto avait rompu avec les manières byzantines bien avant 1500, mais les fresques du Florentin n’eurent pas d’écho à Venise en milieu quelque peu humide. La peinture alors n’était pas un art aussi prestigieux que la mosaïque ou l’architecture.
« La Vierge d'humilité adorée par un prince de la Maison d'Este » (1440) par le père, Jacopo Bellini, respecte la hiérarchie des grandeurs et le donateur est plus petit que les divinités, mais plutôt qu’un fond doré représentant la lumière céleste, sous un ciel bleu, un paysage raffiné s’offre à nous.
Sa « Flagellation du Christ » se préoccupe surtout de perspective. 
Gentile Bellini, un des fils, était devenu peintre officiel des doges, il a travaillé à Constantinople lorsque la paix fut signée avec l’empire ottoman (1480). 
Sa « Procession sur la place Saint-Marc » d’une longueur de 7 mètres, nous renseigne sur la magnificence de la basilique, plus sobre aujourd’hui après les travaux du XIX° siècle.
Vittore Carpaccio
fréquentait l’atelier http://blog-de-guy.blogspot.com/2019/05/les-confreries-venise-fabrice-conan.html. « Le Miracle de la relique de la Croix au pont du Rialto » dont la partie supérieure s’enlevait pour le passage des bateaux à voile se déroule parmi la multitude.
« La Fuite en Egypte » advient dans la lumière douce de la Vénétie sur fond de verdure humaniste. 
« La Crucifixion »
 aux personnages alignés a été réalisée par Giovanni Bellini, le plus célèbre de la famille, à l’âge de 15 ans au début d’une carrière de 70 ans.
La comparaison avec Mantegna (M) qui épousa la sœur Nicolosia Bellini va de soi, 
« Le Christ au jardin des oliviers » du passionné d’archéologie (M) connu pour ses raccourcis est plus minéral que celui de G.Bellini (GB) qui privilégie l’atmosphère.
Le « Christ bénissant » de ce dernier, d’une grande humanité, est bien sur terre. 
« La Pietà »
derrière la margelle où se présentent des demi-corps, dont le prix de la représentation était divisé par deux, est expressive et tendre jusque dans les mains.
Le « Polyptique de Saint Vincent Ferrier » est une œuvre considérable, Saint Christophe traverse le siècle.
La figure centrale du « Retable de Pesaro » figure un discret couronnement de la vierge parmi les hommes.
Une autre « Pietà » qui le surmontait avec une belle relation entre les personnages réserve une place modeste à Jésus.
Le sommeil de l’enfant sur les genoux de la « Madone des prés » présage le sacrifice à venir. Antonello de Messine après des démonstrations de peinture à l’huile de lin, convertit l’atelier à cette nouvelle technologie pour laquelle l’apport de Van Eyck avait été capital.
« Le Calvaire » (G.B)  avec la mer au loin et ses personnages à l’arrière plan est influencé par les Flamands.
« Le retable de San Cassiano » s’il ne comporte plus que le panneau central, introduisait le décor d’une voûte à caissons devenu un topos de la peinture vénitienne.
Pour la « Basilique de Santa Maria Gloriosa dei Frari », San Benedetto grandeur nature   impressionne par son regard
et le « Retable de San Giobbe » est comme « une extension virtuelle de l'espace réel de l'allée ». Si le maître s’est méfié de Léonard de Vinci, il a accueilli Dürer sans réserve ;
dans sa « Vierge au serin » le christ tient une sucette vénitienne, du sucre contenu dans un tissu.
Le Titien terminera le dernier tableau de G.Bellini «  Le festin des Dieux » (1514/1529) dans lequel  Priape est empêché d’aller plus loin avec la nymphe réveillée par les braiments d’un âne. Ce festin animé mesure le chemin parcouru depuis les primitifs jusqu’à la lumière renaissante à l’image de l’atelier Bellini au cœur de la Sérénissime, qui a permis à tant d’artistes notoires d’échanger, de s’enrichir.
Giorgione son élève a réalisé «  La tempête » où le paysage prend toute la place, si bien que les interprétations sont  très variées concernant le sujet de ce tableau, important repère dans l’histoire de l’art.
«  Le Concert champêtre » attribué alternativement à Giorgione ou au Titien, nous fait penser au déjeuner sur l’herbe de Manet 
alors que la « Jeune Femme à sa toilette » ultime tableau de l’octogénaire annonce Ingres.
Mais je ne résiste pas à publier à nouveau le lumineux portrait du  « Doge Leonardo Loredan » qui sait la nuit à venir.

mercredi 14 octobre 2020

Côte d’Azur 2020 # 2. Moans Sartoux. Valbonne.

 
« Mouans-Sartoux a toujours été une des communes les plus pauvres du département. Cela nous a donné l'obligation d'avoir des idées »
La commune de gauche de père en fils Aschieri, forcément « Aschierix » dans un environnement pas vraiment progressiste, a été depuis longtemps un îlot de résistance à la bétonisation et à la privatisation de l’eau, elle est pionnière en ce qui concerne la cantine bio.
« Chez nous, on ne jetait rien, on ne gaspillait rien. On consommait peu car on n'avait pas d'argent. »
Alors quand on se promène dans ses rues on peut penser que les habitants prennent leur part dans l’embellissement des rues sans attendre que tout vienne d’en haut.
Nous sommes retournés à son Musée d’art concret 
http://blog-de-guy.blogspot.com/2008/11/art-concret.html où sont exposées des œuvres de Francisco Sobrino.
L’espagnol,  cofondateur du G.R.A.V. (Groupe de Recherche en Art Visuel) a connu Vasarely et Morellet. 
Dans le genre cinétique, il utilise l’inox et le plexiglas connoté année soixante mais redevenu tendance avec les hygiaphones qui ont poussé dans tous les lieux d’accueil.
Le contraste est important avec le tout proche Musée rural installé dans les anciennes écuries du château évoquant un passé où la culture des fleurs était dominante.
Nous poursuivons notre visite du pays de Grasse par Valbonne, appelée aussi Valbonne Sophia-Antipolis car la première technopole d’Europe est installée dans les bois de la commune. La cité ancienne aux rues à angles droits est chic et charmante, avec un des plus beaux magasins d’antiquités et de décoration que nous connaissons.
La commune dont la population est équivalente à Saint Egrève (15 000 habitants) sera désormais administrée elle aussi par les écologistes, elle rejoint Moans Sartoux, la doyenne verte,qui pourra se sentir un peu moins atypique dans ce département des Alpes Maritimes.

 

mardi 13 octobre 2020

The New Yorker. Encyclopédie des dessins d’humour.

Un anniversaire à chiffres ronds m’a valu ce beau cadeau de 1506 pages pesant ses six kilos en deux volumes. 
«Donc, ce livre parle de tout : de sexe, d’histoire, de conscience et de chats.» 
Les milliers de dessins extraits du magazine qui avait mis Sempé à plusieurs reprises en une ne pouvaient être qu’excellents, même si le plaisir d’une nouvelle surprise se partage avec la nécessité de ne pas tout avaler d’un coup.
Les commentaires ponctuant les dessins sont à la hauteur et le traducteur Jean Louis Chifflet nous facilite bien la tache.
L’ordre alphabétique fantaisiste ne sera pas forcément d’un grand recours puisque nous commençons avec « A la maternité » jusqu’à « Ivrognerie » pour le premier volume et de « Jalousie » à « Zorro », endormi qui laisse échapper un « Z » caractéristique du sommeil en BD.
Tant de douce ironie en dose massive nous rachète des caisses de niaiseries ou de grossièretés devenues tellement habituelles sur les réseaux qu’on les prendrait pour « traits uniques » si possibles gribouillés, comme on dirait « pensée unique »… encore que le terme pensée paraitrait exagéré dans certains cas.
Si je n’ai pas compris deux dessins, je n’ai cessé de me régaler de tous les autres, au goût parfois un peu rétro, qui ont l’élégance de ne pas paraître démodés, toujours fins, inattendus, exprimant le meilleur d’une contrée assombrie par l’ombre de Trump.
Les dessins consacrés au mari de Mélania  ne comptent d'ailleurs pas parmi les meilleurs, alors que rien qu’à la lettre T figuraient « Téléphones portables », « Tennis », « Thanksgiving », « Tortues », « Travaux en cours », « Tricot » et « Tunnel de l’amour »…



lundi 12 octobre 2020

La femme qui s'est enfuie. Hong Sang-Soo.

J’ai choisi de préférence, aux comédies près de chez-nous proposées en ce moment, un film  des contrées lointaines, pensant retrouver les délices d'une cérémonie du thé qui m’avait bien plu récemment http://blog-de-guy.blogspot.com/2020/09/dans-un-jardin-quon-dirait-eternel.html.
Chaque réalisateur a sa façon de voir mais je confirme mon imperméabilité envers le coréen que j’avais trouvé déjà bien vain dans un film de l’entre-soi 
Le titre lui-même n’est même pas vérifié quand une jeune femme va chez ses copines dont on n’est pas sûr non plus de leur proximité tant leur conversations sont vaines, dépourvues de toute émotion, de tout intérêt.
Alors qu’un film lorsqu'il est réussi sait nous révéler sous la banalité des mots ou des situations, la profondeur, l’ambigüité des relations humaines, pendant une heure et quart nous attendons en vain. Les hommes filmés de dos sont des intrus et vus méchants comme des coqs. Aucune subtilité n’émerge de la lenteur et l’étrangeté des rapports entre ces femmes n’évoque nullement l’universalité des délices de la sororité.  

 

dimanche 11 octobre 2020

Stance II / Dentro. Catherine Diverrès.

Premier spectacle d’une saison enmasquaillée : une silhouette noire sur fond noir s’anime au bout d’un moment, sa main accroche l’œil d’un projecteur solitaire.
Venant d’émerger tout juste du livre de Carrère, « Yoga », je me dis que la danse est une bonne source de méditation, et dans le prolongement de mes photographies de vacances, je persisterais volontiers à vouloir saisir les belles postures qui s’enchainent, fuyant à toute vitesse.
Je ne me souvenais pas d’avoir été enthousiaste à ce point lors du dernier passage de la chorégraphe à la MC2http://blog-de-guy.blogspot.com/2020/01/jour-et-nuit-catherine-diverres.html .
Cette fois assis au premier rang, nous percevons l’implication totale de la soliste et des duettistes qui se partagent l’heure, d’abord sur un poème de Pasolini (La terra di lavoro) dont je ne peux retrouver la traduction, puis sur un texte espagnol. Le silence est fort après quelques notes ténues de piano et des bruits de mécanique. 
La remarque sera bénigne concernant la personne créditée comme costumière qui n’a pas eu beaucoup de travail pour t-shirts noirs, pantalons noirs et robe noire.
La rencontre des deux danseurs est belle et remarquable la soliste dans un exercice toujours périlleux sur des musiques peu liantes. Solitude et tendresse se traduisent dans des mouvements à la fois retenus et explosifs que des critiques comparent à des calligraphies alors que cette forme d’écriture se fait dans une fluidité qui me semble fugace s’excusant presque.
Des pieds nus jouent dans les cercles d’une lumière insaisissable et parcimonieuse, les tensions s’affrontent à l’harmonie ; à la sortie de la salle Rizzardo nous rallumons nos écrans.       

samedi 10 octobre 2020

Un couple. Emmanuelle Bernheim.

Faut-il être amateur de second degré pour trouver que le titre peut convenir ?
Un homme et une femme finiront par coucher ensemble, il et elle comblent leurs silences par de paresseuses et conventionnelles présomptions. 
« Loïc sonna à la porte d'Hélène. Il l'entendit marcher sans hâte. Elle ne courait pas pour venir lui ouvrir. Elle n'avait pas guetté son arrivée, feuilletant un journal sans pouvoir le lire. » 
Leurs solitudes n’essayent même pas de se retrouver côte à côte, alors on se dit : tiens ça doit être moderne, comme l’enseigne d’une boutique intitulée « mercerie moderne » qui aggrave son cas dans la désuétude avec cet adjectif devenu rare.
Cependant une écriture clinique courant sur 95 pages concises traite parfaitement cette non- relation entre un médecin et l’employée d’une agence.
«  Il s’endormit en même temps qu’elle. » 
Des envies de récits sucrés peuvent vous venir après tant de rendez-vous manqués, de pièges, de goujateries, de tue-l’amour, mais comme pour le café, avec le temps on s’est mis à  en apprécier surtout l’amertume.