vendredi 2 octobre 2020

Le goût du vrai. Etienne Klein.

La collection «  tracts » chez Gallimard au format court (58 pages) participe utilement au débat d’idées. 
Entre deux humoristes, l’entretien radiophonique du matin, m’a donné envie d’aller plus loin, tant la réaction du philosophe des sciences évitant de s’adresser principalement à ses pairs est claire comme de l’eau de roche
Il met en évidence quelques biais qui entravent nos compréhensions :
on croit ce que l’on aime croire,
on croit not’ maître,
on a oublié que « le cordonnier doit s’arrêter au bord de la chaussure »
et que « la science prend souvent l‘intuition à contre-pied ».
Jadis, le temps était constructeur, aujourd’hui «  la rhétorique de l’innovation s’appuie sur l’idée d’un temps corrupteur ». Le progrès a disparu.
Le vulgarisateur illustre d’une façon convaincante la réconciliation de la connaissance et de la passion, « l’émotion de la quête » pour combattre le populisme scientifique.
Mais « circulent dans les mêmes canaux de communication des éléments appartenant à des registres très différents : connaissances, croyances, informations, opinions, commentaires, fake news… »
L’enseignant en physique quantique parsème ses pensées de riches citations : 
« Il est difficile de dire la vérité, car il n’y en a qu’une, mais elle est vivante, et a par conséquent un visage changeant » Kafka.
Il  replace nos querelles dans l’histoire, datant de Galilée la séparation de l’homme et de la nature, sans renoncer aux avancées scientifiques pour réparer les dégâts causés à la planète. 
« Est-ce avec la physique d’Aristote que nous stabiliserons le climat ? 
 Avec la médecine d’Avicenne que nous parerons aux attaques du coronavirus et de ses successeurs ?
Avec la biologie de Pline l’Ancien que nous préserverons la biodiversité ? »

jeudi 1 octobre 2020

Femmes des années 40. Musée de La Résistance.

Sous le slogan des années 70 : 
« Il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme»,
un panneau en fin de parcours de l’exposition qui se tiendra jusqu’au 4 janvier 2021 pose la question : «  la libération a-t-elle libéré les femmes ? »
Le droit de vote qui ne figurait pas dans le programme du Conseil National de la Résistance leur avait été accordé enfin en avril 44, mais des rappels d’une longue marche débouchant sur des thématiques actuelles sont nécessaires :
création du premier planning familial à Grenoble en 1961
alors que la contraception n’a été reconnue qu’en 1967
juste après qu’elles n’aient plus besoin du consentement du mari pour ouvrir un compte en banque (1965).
« La pression nataliste était à son paroxysme durant les années d’après guerre. »
Et il est nécessaire de se rappeler Olympe de Gouges 
« La femme a le droit de monter à l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune»
pour que celles qui sont mortes dans les camps ou qui ont résisté aient droit de cité dans nos mémoires.
Les femmes ont toute leur place dans la collection permanente très bien présentée du musée de la rue Hébert à Grenoble, bien au-delà des tentatives orthographiques récentes qui compliquent les accords, alors que l’engagement vers une égalité homme/femme est toujours nécessaire.
Marie Reynoard n’est pas que le nom d’une école pour parodier une accroche publicitaire du musée : « Jean Perrot n’est pas qu’une avenue », mais ces hommages qui éveillent nos curiosités sont tout à fait indispensables à l’heure où l’on déboulonne plus facilement qu’on n’honore. Parmi les héroïnes dont la jeunesse se remarque souvent, le récit de la fin atroce de l’ancienne prof au lycée Stendhal, dirigeante du mouvement Combat, désigne les infirmières du camp de Ravensbrück qui l’ont achevée.
Les témoignages ne manquent pas qui n’ont pas forcément valu une médaille, mais c’est tout l’intérêt de cette mise en valeur des actes du quotidien pour assurer les repas, l’habillement et les soins qui leur étaient habituellement dévolus.
Vêtements, tracts, affiches, cartes de rationnement mais aussi de grossesse, tampons pour faux papiers, constituent des supports émouvants. Les « queutières » faisaient la queue pour les autres. 
Ne sont pas oubliées celles qui firent de « la collaboration horizontale » (100 000 enfants nés de la guerre) pas forcément aussi coupables que celle qui s'était infiltrée dans le maquis du Vercors et travaillait pour les nazis, mais elles avaient déchaîné quelques tondeurs ou frappeurs qui n’avaient pas compris les mots d’Yves Farge commissaire de la République:  
« gardons nous des jugements prématurés et des égarements de la passion. » (26 août 44)

 

mercredi 30 septembre 2020

Queyras. Pierre Witt. Marianne Boilève.

Ces 144 pages composent bien plus qu’un joli livre de syndicat d’initiative, car le texte n’est pas qu’un accompagnement aux photos en noir et blanc, mais une occasion de réfléchir au progrès, à la tradition.
Le propos n’est pas nostalgique et si la sympathie envers les habitants de haute montagne est évidente, les contradictions sont évoquées, l’entre soi pointé.
Une écriture poétique anime les pierres polies des étables jusqu’aux roches inaccessibles. 
«  Le Queyras, une île frangée d’immenses vagues pétrifiées, infinies… Assauts successifs, écume de neige, obliques de pierre, lancés en tous sens par un vent nerveux. » 
La métaphore de l’île est particulièrement efficace et l’évolution des hommes vis-à-vis de la nature finement exprimée : 
«  … d’alliée nourricière, la nature a été promue attraction de choix dans un cirque de montagnes à la magnificence estampillée. »« Maintenant les forêts peuvent manger le bas des terres arables, le loup peut revenir : les visiteurs apprécient. Les paysans moins, mais qu’importe, il y a en a si peu. »
La couverture un peu terne n’est pas significative des portraits photographiques dynamiques ni des paysages d’ombres noires et de lumière blanche forts, beaux. 
« Et comme on fredonne un refrain réveillé de l’enfance, ils caressent avec nostalgie ces « sept mois d’hiver, cinq mois d’enfer », label livresque accordé au temps passé. »

 

 

mardi 29 septembre 2020

Michel et le grand schisme. Pierre Maurel.

« Tous ces flics et ceux qui les soutiennent, qu’ils soient politiques ou de simples citoyens, qui soutiennent cette violence gratuite, ils ont cassé la mayonnaise. Définitivement. Ils ont déclenché une sécession invisible. »
 
La quatrième de couverture annonce lourdement la couleur : jaune comme les gilets, avec en face parmi les citoyens cités dont je suis, ceux qui ne voient pas seulement la violence policière. 
Pourtant les 80 planchettes aux petits dessins vite expédiés ne sont pas aussi irrévocablement manichéennes.
Michel, qui traine son micro dans les manifs, tient des propos radicaux mais sa naïveté, ses rondeurs et ses maladresses le rendent émouvant. Obligé de faire des petits boulots pour subsister, il doit subir bien des humiliations comme sa copine qui travaille dans la grande distribution. 
A l’imitation de quelques manifestants qu’il avait rencontrés, il va quitter la ville pour vivre à la campagne, pas trop loin quand même d’un restaurant à couscous, d’un marchand de pizzas et des amis. Mais comment a-t-il financé cette maison de rêve à une heure de la capitale ?
Le chroniqueur, un verre à la main, voit les trottinettes accumulées, les Smartphones multipliés, les SDF entassés au pied des grandes affiches des grands magasins où les pères Noël font peur aux enfants. 
Il est édité par «  L’employé du moi ».
Je préférais « Monsieur Jean », le bobo, plus léger, avant que les barrières de toutes tailles et de tous périmètres se dressent :

 

lundi 28 septembre 2020

Dans un jardin qu’on dirait éternel. Tatsushi Ômori.

Avec ce film, l’art de préparer le thé révèle les secrets d’une sagesse permettant d’enrichir une condition humaine exigeante et bienveillante.
Le moindre geste doit être élégant. A force d’être réfléchi il permet à l’âme d’être attentive au monde, aux saisons, à la pluie, aux saveurs, au silence, aux autres.
« Chaque  jour est un bon jour ».  
Un bol pour l’année du chien ne servira que tous les 12 ans.
La maîtresse du thé est l’actrice des « Délices de Tokyo » 
Tant de simplicité permet d’accéder à la complexité en prenant la mesure du temps.
Délicatesse, méditation, attention, poésie, beauté, bonté, respect, sérénité, répétition.
Le titre dit bien : « qu’on dirait éternel », on voit le jardin par les portes coulissantes à franchir en faisant attention. La nature dicte le récit et les femmes mettent de la grâce dans chaque mouvement. « Oui ».  
On en oublie les clameurs du présent et cette œuvre conçue avec l’amour du travail bien fait, en accord avec son sujet, se déguste comme les gâteaux originaux qui se prennent avant la boisson attentivement préparée, accordée aux  circonstances.
Les traditions les plus codées permettent à une jeune fille de ce siècle, de surmonter les obstacles en évitant de tomber dans une zénitude niaise, pour devenir maître de sa vie.

dimanche 27 septembre 2020

Juliette Gréco.

Les mots de Mauriac, exhumés au moment de la disparition de celle qui mis en valeur tant de grands auteurs, rendent bien fade toute autre appréciation :
« Gréco, ce beau poisson maigre et noir, n’a pas besoin de sauce pour passer. Gréco fournit elle-même les câpres ! Noire et blanche, c’est la reine de la nuit. Son personnage est composé avec une science qui ne doit rien au hasard. Qu’elle est belle ! Et peut-être était-elle laide au départ. C’est une statue d’ivoire et de jais. Même les pommettes, on dirait qu’elle les a elle-même modelées. Beaucoup de chanteuses sont interchangeables. Gréco est le chef-d’œuvre unique de Gréco. Elle ne sera jamais prise pour une autre et aucune ne pourra jamais l’imiter. »
Et moi qui croyais qu’on ne voyait que Sartre dans les caves de Saint-Germain-des-Prés, je goûte l’ironie de la conclusion de l’article du « Monde » extrait du Bloc Notes de celui qui fut un pilier du « Figaro ».
Dans notre mémoire, le Saint-Germain-des-Prés d’antan est plus présent que l’actuel et si j’ai connu davantage de prés à vaches que La Rhumerie et autre Magot, j’ai plus de tendresses pour le pont des Arts que pour celui de Catane. La réalité virtuelle avec ses apprêts a bien des attraits, même si comme disait Béart: « Il n’y a plus d’après… ».
Ce quartier chic du 6° arrondissement nous appartient comme Versailles ou « la grande route de Marchiennes à Montsou » * mais je ne sais dire à la manière d’une jeune chroniqueuse télé: « La » Gréco, comme si  elle était une familière de l’artiste et de cette époque. J’avais trouvé ce bref hommage entre deux brèves enjouées aussi prévisible que les RIP (Requiescat In Pace) expéditifs des réseaux sociaux.
La « dame en noir » - il y en avait d’autres- Piaf et Barbara, était suffisamment appliquée, jusqu’à en apparaître mécanique à la manière d’un Montand toujours très professionnel.
Mais l’insistance sur le trac qui l’accompagnait à tout coup parle plus de notre époque burnoutée que de l’angoisse qui accompagne naturellement ceux qui veulent satisfaire leur public, soucieux simplement de bien faire leur boulot.  
Sa liaison avec Miles Davis a été plus commentée que la pérennité d’autres relations, entrant dans les thématiques à la mode, alors qu’elle avait, elle, dérogé courageusement aux usages d’alors. 
On a moins parlé de l’hôtel Lutécia où l'interprète de "Sous le ciel de Paris" donnait ses rendez-vous depuis qu'elle avait retrouvé, là, sa mère et sa sœur après leur libération du camp de Ravensbrück.
Les retours vers le passé n’échappent pas aux effets de l’actualité, aux manières actuelles, aux évolutions de nos sensibilités. 
Si dans ma jeunesse, «  J’arrive »  de Brel ne me plaisait guère, alors que j’adulais le fort en gueule, le rappel que Gréco la chanta, rendent ces paroles adaptées aux circonstances. 
« De chrysanthèmes en chrysanthèmes
Nos amitiés sont en partance
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
La mort potence nos dulcinées
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
Les autres fleurs font ce qu'elles peuvent
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
Les hommes pleurent, les femmes pleuvent
J'arrive, j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois traîner mes os
Jusqu'au soleil jusqu'à l'été
Jusqu'au printemps, jusqu'à demain
J'arrive, j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois voir si le fleuve
Est encore fleuve, voir si le port
Est encore port, m'y voir encore
J'arrive, j'arrive
Mais pourquoi moi, pourquoi maintenant
Pourquoi déjà et où aller?
J'arrive bien sûr, j'arrive
N'ai-je jamais rien fait d'autre qu'arriver?
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
A chaque fois plus solitaire
De chrysanthèmes en chrysanthèmes
A chaque fois surnuméraire
J'arrive, j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois prendre un amour
Comme on prend le train pour plus être seul
Pour être ailleurs pour être bien
J'arrive, j'arrive
Mais qu'est-ce que j'aurais bien aimé
Encore une fois remplir d'étoiles
Un corps qui tremble et tomber mort
Brûlé d'amour le cœur en cendres
J'arrive, j'arrive
C'est même pas toi qui es en avance
C'est déjà moi qui suis en retard
J'arrive, bien sûr j'arrive
N'ai-je jamais rien fait d'autre qu'arriver? »
………………..
 * au début de Germinal : « Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d'une obscurité et d'une épaisseur d'encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves. Devant lui, il ne voyait même pas le sol noir, et il n'avait la sensation de l'immense horizon plat que par les souffles du vent de mars, des rafales larges comme sur une mer, glacées d'avoir balayé des lieues de marais et de terres nues. Aucune ombre d'arbre ne tachait le ciel, le pavé se déroulait avec la rectitude d'une jetée, au milieu de l'embrun aveuglant des ténèbres. »

 

samedi 26 septembre 2020

Anne-Marie la Beauté. Yasmina Reza.

La vieille actrice qui se confie pendant 88 pages a de la gouaille et celle qui la met en scène a toujours la même efficacité 
« …et je me suis mise à pleurer à cause de l’orgue qui te flanque le bourdon, on n’y peut rien, j’ai revu la loge et la clope, et les cheveux, les lettres d’amoureux, la Kikine sur le sofa à fleurs qui était devenue l’autre raidasse avec sa jupe-culotte. » 
Pourtant elle n’est pas du genre à s’apitoyer, quand elle résume ainsi une vie :
«  Tu fais la bédouine et quand tu es veuve tu finis dans un cagibi avec un réchaud et tes breloques empilées » 
Ce monologue est un recueil d’observations banales dont l’humour rehausse la finesse:
« Je ne supportais pas de la voir faire ça et je fais pareil. Il parait que c’est courant. » 
« Moins de bagnoles, moins de laque à cheveux. Quand l’homme s’extermine, la nature va mieux »