vendredi 26 juin 2020

L’écologie en bas de chez moi. Iegor Gran.


Ce livre de 165 pages,  iconoclaste et salutaire, bouffe de la sacrée vache bio à pleines dents.
Le pamphlet est argumenté, saupoudré d’un humour qui manque bien souvent aux apôtres de la religion en habit vert.
« Il n’y a pas de quoi rire, madame! On vous annonce l’Apocalypse et la disparition de l’île de Ré- et vous riez?… N’avez-vous donc aucune stature morale? »
L’autodérision permet d’accepter quelques poussées de mauvaise foi sur un sujet tellement consensuel que cet essai arrive à nous réjouir aisément  avec notes en bas de pages sous forme de roman dans le roman où se joue une amitié.
« Où en est l’autofiction ?.... Adorée par la critique, gobée par le public, cette ficelle où je me complais en ce moment, à quoi sert-elle ?
 A protéger la planète.
Car quand l’écrivain fabrique ses livres avec des bribes de sa vie insignifiante, il recycle. Semblable à la dame du 3°, escalier C, il attrape l’emballage de ses jours, le découpe en morceaux et le fait entrer dans la poubelle de son œuvre. Parfois il a besoin de forcer un peu pour fermer le couvercle. »
Il commence dans la facilité à partir d’un article fourni à Libé en 2009 lors de la sortie à grand tapage du film « Home » de Yann Artus Bertrand pour dénoncer le marketing au service de la moraline. Son histoire personnelle, il vient d’URSS, le rend particulièrement sensible au conformisme, aux embrigadements. Des arguments sont apportés concernant les calculs de probabilité, et des réflexions plus générales concernant la science et la culture sont pédagogiquement menées débusquant quelques niaiseries du politiquement correct.
« Le b.a.-ba de l’humanisme, c’est de voir en chaque être humain une richesse pour le monde et non une bouche à nourrir, un tube qui produit du CO2, un ver intestinal de la nature. »

jeudi 25 juin 2020

Les Bidochon sauvent la planète. Binet.

Si eux aussi s’y sont mis depuis quelque temps, ne serait-il pas trop tard!
L’humour en charentaises de l’auteur qui avait réussi à créer des personnages emblématiques renvoie à la préhistoire: l’année 2012 est la date de parution de cette livraison très vite expédiée.
Dans ce 21° album, Robert et Raymonde confirment leur désuétude comme les ampoules basse consommation lentes à l’allumage.
- Vous n’aimeriez pas que vos petits-enfants vivent, un jour, dans une nature toute propre ?
- Bof ! J’ai déjà pas d’enfants…
Quand le ridicule  trop appuyé est aggravé par les maladresses, nous sommes renvoyés à notre part Bidochon, sans arriver toutefois à nous arracher une quelconque connivence, une once d’empathie avec ces créatures de bonne volonté.
Ils trient leurs déchets; tout le monde  devrait pouvoir y arriver.

mercredi 24 juin 2020

L’effet maternel. Virginie Linhart.

Après un livre consacré à son père, ancien maoïste,
celui là met en scène la mère ancienne féministe, qui voit ainsi les hommes:
«  Ils pouvaient être utiles, apporter une aide financière, professionnelle, sociale, une distraction sexuelle, sentimentale, émotionnelle, mais ce n’étaient que des hommes. »
La réalisatrice de documentaires raconte sa propre histoire sans s’exonérer de ses responsabilités, évitant les règlements de compte littéraires si fréquents que ça en deviendrait un genre, pourtant c’est du rude.
« Je ne mesure pas l’ironie du sort, qui ne doit rien au hasard, ces rencontres avec un premier psy, mutique comme papa, puis avec un second, qui mélange tout comme maman. »
Sa construction en tant qu’adulte est périlleuse depuis les silences sur les ravages de la Shoah chez les grands parents, jusqu’au bonheur d’être mère après de nombreux essais dont un avec un amant qui a été aussi celui de sa mère. Pourtant rien de scabreux, même si en ces milieux où les moyens intellectuels ne manquaient pas, la douleur, le désespoir, la déraison peuvent être à l’œuvre.
Avec une lucidité clinique que laisse deviner le titre, sans pathos, elle a compris que « la famille génère de l’abandon ».
Fille de 68, elle digère mal le conformisme qui a atteint jusqu’aux flamboyants militants d’alors :
« J’attends qu’ils me comprennent et même qu’ils me soutiennent parce que ma trajectoire est le fruit de la leur. Et s’ils l’ont oublié, pas moi. »
J’avais écrit dans un premier jet : « Une femme libre, un livre clair. » La formule voulait claquer mais serait trop sommaire : la thérapie avance, la description de la démarche est honnête, mais rien n’est bouclé : la maison, lieu de bonheurs estivaux et de rivalités irrésolues, est toujours en vente.

mardi 23 juin 2020

Thérapie de groupe. Manu Larcenet.

Larcenet est au top quand il est au fond du trou : en recherche de créativité, il fournit des pages drôles sur tous les tons, de tous les genres, manga, fantastique, auto-ironique, poétique…
Depuis le blanc angoissant d’une feuille attendant l’idée du siècle, il développe avec bonheur la phrase de Nietzche :
«  Il faut du chaos en soi pour enfanter une étoile qui danse. »
Dans cette BD  le lecteur est complice du créateur excessif, pathétique, sincère et sans illusion.
Nous retrouvons en une cinquantaine de pages toutes les facettes de son talent noir
ses personnages drôles et émouvants de sa série en milieu verdoyant.
Il ne rencontre pas que son boucher aux rouges visions mais aussi des cadors de l’histoire de l’art, jouant avec les couleurs comme dans d’autres albums bariolés
nous arrachant des sourires alors que le personnage nommé Jean-Eudes de Cageot-Goujon  qui a refusé la Légion d'honneur parce qu’il estimait qu'il en méritait deux, est tragique.

lundi 22 juin 2020

Schnock. N° 33.

La seule chose ratée, à mon avis, est le dessin de couverture avec un Lino Ventura peu reconnaissable, lui qu'on a surtout connu en noir et blanc. Pourtant quelle gueule il avait l’Italien !
Le trimestriel des vieux de 27 à 87 ans procure cependant toujours le plaisir des retrouvailles et des découvertes http://blog-de-guy.blogspot.com/2020/05/schnock-n-29.html . L’écriture travaillée donc désuète est au service d’un récit du temps passé pas forcément idéalisé.
L’édito qui évoque les grands disparus de 2019 nous met d’emblée dans l’ambiance en rappelant que l’un des auteurs de la nécrologie récente de Michel Serres dans Le Monde était mort depuis 2007.
Ce numéro s'ouvre comme d’habitude sur un recueil de quelques vacheries :
- Sarkozy quand il parle de Xavier Bertrand :
« Il ne faut pas oublier que c’est un agent d’assurances. Et comme tout agent d’assurances, quand on a besoin de lui, il n’est pas là. »
- il rappelle quelques marques de cigarettes : Royales, Gallia, Françaises, ou Camel que Kopa fume en laçant ses crampons.
- il revient sur les cinquante ans de carrière d’Yves Simon qui fit la première partie de Brassens et écrivit dans « Actuel ». http://blog-de-guy.blogspot.com/2018/09/generationss-eperdues-yves-simon.html
- il m’a fait découvrir Anne Vernon partenaire de Daniel Gélin dans "Edouard et Caroline" et  première épouse de Robert Badinter.
Marcel Bluwal évoque « Vidocq », le feuilleton qu’il réalisa lorsque Claude Brasseur remplaça Bernard Noël décédé brutalement, avec un rappel pour les nuls style télé 7 jours « à l’intention de ceux qui ont manqué le début ».
Popeck  me laissait indifférent, il  répond  à une interview intéressante et les souvenirs croisés de Fabrice et Sophie Garel qui officièrent à radio Luxembourg témoignent d’une époque aux ondes légères.
Le dossier principal est consacré à  Lino Ventura dont le fils dit :
« une tête de lard, un casse-couilles, mais avec une infinie tendresse ».
Sa carrière se définit autant par les films qu’il a tournés avec Sautet, Molinaro, Hossein… de Tobrouk à Tendre poulet, des Misérables aux Tontons que par ceux qui lui ont été proposés et qu’il a refusés : « Mesrine », « La chèvre » où il devait jouer avec Villeret, « Les choses de la vie »… « Apocalypse now »

dimanche 21 juin 2020

Souchon en concert. Ici et là.

Le chanteur rêveur, révélateur, est si léger qu’il nous autorise à nous laisser aller sans retenue à une nostalgie qu’il distille depuis ses débuts lointains.
Nous sommes assis à nouveau avec lui à regarder depuis :
« Un terrain vague en pente
Au dessus d’la ville
Des vieux matelas des plantes
Et des bidons d’huile »
Et le public qui comblait le Summum peut d’emblée se souvenir de ses rêves :
« Moi je voulais les sorties du port à la voile
La nuit barrer les étoiles »
Et reconnaître :
« Je suis mal en homme dur
Et mal en petit cœur ».
Mais il ne joue pas trop de la familiarité, l’humour est là, juste comme il faut.
« Si la vie est un film de rien
Ce passage là était vraiment bien »
Les nouveautés sont à la hauteur des chansons qui ont accompagné nos vies.
 «  Les murs écroulés du monde,
Filez nos belles enfances blondes »
Et finalement j'ai même trouvé que je n’ai pas payé trop cher (15 €) le programme de quelques feuilles en plus de la place à 69 €, puisque j’ai pu comprendre de quoi il retournait  avec ce : « fancy-fairs. En Belgique, fête de bienfaisance. Cérémonie organisée par une école ou une association, dans un but caritatif, afin de lever des fonds pour soutenir une cause. De l'anglais "fair", foire, et "fancy", fantaisie. » J’entendais jusque là dans le  morceau « Le baiser » « folcifère à la fraise » comme une friandise.
« Ames fifties », il drope comme toujours les mots :
« Dans le Radiola
André Verchuren »  
Juste avant :
« Les enfants soldats
Dans les montagnes algériennes. »
Et si des grincheux estiment qu’il est désormais incorrect de fredonner
« La faiblesse des hommes elles savent
Que la seule chose qui tourne sur terre
C’est leurs robes légères »
Je les plains, il.e.s ne sauront pas ce que sont les «  chansons d’été » parce que :
« Chanter c'est lancer des balles
Des ballons qu'on tape
Pour que quelqu'un les attrape
Et que ça bebop a lullap »
Dans un concert précédent, il avait commencé son tour de chant avec la chanson des ballons, cette fois, il finit avec « La vie ne vaut rien » :
« Là je dis rien, rien, rien, rien ne vaut la vie »
Et juste pour rappeler le titre car le bonheur des mots et des musiques enjouées excitent "l’albatros pataugeant dans l’ice cream" et son besoin de graver tant d’autres souvenirs de ce tour de chance :
« Ici Khâgne Hypokhâgne grimpe à Normal Sup'
Là l'escalator est en panne, on tourne dans la ZUP
Fantin-latour et Degas, allez va au musée
En bas d'la tour y a deux gars, allez va t'amuser »

samedi 20 juin 2020

L’abyssin. Jean Christophe Rufin.

« Le Roi-Soleil était défiguré. Certaine lèpre qui, dans les pays de l’Orient, corrompt les huiles, s’était introduite jusque sous le vernis et s’y étalait de jour en jour. Louis XIV avait sur la joue gauche, celle que le peintre lui faisait tendre en majesté vers le spectateur, une grosse tache noirâtre, hideuse étoile qui projetait jusqu’à l’oreille ses filaments d’un brun rouillé […] Le tableau ornait le consulat de France du Caire depuis trois ans»
La virtuosité de ces première phrases ne se démentira pas jusqu’à la 800 ième page, avec reprise subtile d’un motif essentiel entrevu au cours de ce récit haletant. Les talents de médecin du personnage principal lui ouvriront les portes des rois d’Ethiopie et de France pour l’amour d’une belle.
Etranges majestés :
« Il dispose d’un officier pour dédoubler chacun de ses organes. Il y a l’œil du Roi, qui lui rapporte tout ce qu’il voit dans la cour. L’oreille du Roi écoute pour lui. Il y a le chef de sa main droite et celui de sa main gauche, pour les armées. Et vous allez entendre le serach masery celui qui répète ses phrases à voix haute. »
L’auteur a été médecin et diplomate : « La diplomatie est un art qui requiert une si constante dignité, tant de majesté dans le maintien, tant de calme, qu’elle est fort peu compatible avec la précipitation, l’effort, bref avec le travail. M. de Maillet, en diplomate avisé, ne remplissait jamais si bien son rôle que dans ces moments où, n’ayant positivement rien à faire, il pouvait s’y consacrer tout entier. »
Roman épique où tous les rebondissements forcément heureux sont bienvenus  avec quelques portraits savoureux :
Le héros traverse la France à cheval :
«  Jean Baptiste riait, ouvrait la bouche pour mordre la pluie froide qui, dans ces années de tropique lui avait tant manqué sans qu’il le sût. »
Après tant d’épreuves, les amants se trouvent :
«  L’écart des naissances, la volonté d’un père, l’indifférence d’un Roi et la méchanceté de tant d’hommes n’encombraient pas plus leur chemin que les petits cailloux de lave éteinte qui roulaient sous leurs pieds. »