jeudi 13 février 2020

L’art maya à la conquête des Dieux. Laurent Abry.

Pour aller au-delà des plaisirs cruciverbistes où les Aztèques croisent Olmèques et Toltèques, ce soir avec les amis du musée de Grenoble nous suivons le conférencier chez les Mayas dans le cadre du cycle concernant les civilisations précolombiennes.
Au  XIX° siècle, Frederick Catherwood en compagnie de John Lloyd Stephens, parmi les premiers explorateurs ethnologues, découvrent envahis par la jungle tropicale les vestiges de la civilisation des Mayas disparue vers 1700 après JC et qui avait duré près de 9000 ans. Représentation de Tulum.
Leurs cités-états occupaient la péninsule du Yucatan au sud du Mexique, Belize, Le Guatemala, le Honduras, le Salvador sur une superficie égale à celle de l’Allemagne (400 000 km 2).
Malgré les autodafés de documents écrits par les mayas organisés par exemple par
Diego de Landa, un franciscain qui par ailleurs a établi une grammaire de leur langue, quatre codex ont subsisté.
Humbolt a transcrit le Codex de Dresde, le plus complet, ce calendrier sur fibres végétales avait été rédigé par plusieurs scribes. Il est question de mythes et de religion, d’observation des astres et d’horoscope dans celui de Madrid, comme dans les feuillets pliés en accordéon conservés à la Bibliothèque Nationale à Paris. L’authenticité du Codex Grolier conservé à Mexico est contestée.
« …sur la route après la ville de San Pedro, dans la première localité de la province du Honduras, dénommée Copán, se trouvent des ruines et des vestiges d'une nombreuse population et des monuments impressionnants par leur beauté, construits avec tant de talent, qu'ils ne peuvent nullement être l'œuvre d'hommes frustes… » Diego Garcia de Palacio 1576.
Les travaux, photographies, moulages d’ Alfred Percival Maudslay constituent le socle de l’archéologie mayatiste.
Parmi sept stèles du site de Copán  figure celle du Dieu de la pluie, tellement attendue par les cultivateurs de maïs, « céréale primordiale », qui a donné son nom à ce peuple.
Il était une monnaie d’échange et comme les graines contenues dans la cabosse de cacao tenue par un noble permettait la communication avec les Dieux.
Leur écriture est logosyllabique, combinant des sons, des images, des idées, de la même façon que le chinois. Si les techniques de déchiffrement des hiéroglyphes ont pu faire avancer la compréhension des Glyphes ( musée de Palenque) celles-ci restent hermétiques pour 20% d’entre elles.
L’ Ordre de lecture des textes maya a été découvert récemment. 
 Leur numération de position en base 20 connaît le zéro.
Les pilleurs ont laissé intactes les fresques de Bonampak remarquables pour leur bleu.
En  615, K'inich Janaab' Pakal I devint roi de Palenque, où un délicat bas relief le représente.
Sa tombe découverte récemment vient de révéler son masque en jade.
Un lintheau de pierre à Yaxchilan, site seulement accessible en bateau, représente un autosacrifice royal, ici l’épouse fait passer à travers sa langue une cordelette hérissée d’hameçons pour imbiber de sang un papier qui sera brulé afin d’entrer en relation avec le Serpentvision. Le roi utilisait plutôt un couteau en obsidienne pour entailler son pénis. La pratique des sacrifices humains impliquait que lors des guerres, les prisonniers soient tués. Lorsque des enfants orphelins ou illégitimes pleuraient avant d’être noyés, c’était un bon signe pour faire venir la pluie, il y avait cependant des volontaires qui pensaient revenir sous forme de papillons ou de colibris.
A Uxmal une pyramide rhomboïdale du XVI° siècle (période post classique) témoigne du savoir faire des Mayas qui ne connaissaient ni la roue, ni le fer, ni les animaux de traits : tout à dos d’homme ! 
Ces architectures en encorbellement sont exceptionnelles et la finesse des décorations remarquable.
Sur la maquette de la plus grande cité Teotihuacan, « là où sont nés les Dieux » la pyramide du soleil domine et celle de la lune est située à l’extrémité de l’allée des morts bordée d’autels.
Un jeu de balle le Pok-ta-Pok était également sacrificiel, même s’il évitait les guerres. Sans utiliser les pieds ni les mains, il s’agissait pour chaque équipe de faire passer une lourde balle de caoutchouc symbolisant le soleil dans un anneau de pierre à 5 m de hauteur sans la laisser tomber par terre.
Aujourd’hui, les touristes ne peuvent plus grimper sur la pyramide à degrés parfaitement orientée de Chichén Itzá.
Parmi les causes multiples qui expliqueraient l’effondrement de la civilisation maya pas aussi soudain qu’il a été dit, les phénomènes climatiques, « el Niño », entrainant de grandes sécheresses malgré la présence de cénotes, aggravées  par la déforestation sont les plus plausibles, alors que les hypothèses impliquant épidémies, tremblement de terre, guerres internes, révoltes, difficultés commerciales, seraient plus localisées ou étalées dans le temps.

mercredi 12 février 2020

Lacs italiens 2019 # 9. Vacciago au bord du lac d'Orta

J. & D. s’escriment à nettoyer la maison, alors qu’à 10h, deux femmes de ménage frappent à la porte ! Marzio nous attend au garage, toujours aussi chaleureux, il accepte nos doléances concernant l’appartement qu’il connait visiblement déjà et les transmettra au propriétaire une fois de plus.
A 10 h15, nous nous trouvons sur la route, déviés par le GPS avec notre accord, pour cause de voiture immobilisée un peu plus loin. Nous sommes dirigés sur d’autres autoroutes plus au nord et proches de Lecco et Côme dont nous voyons la  bretelle de sortie. 
Vers 12h, sous un soleil inattendu et qui résiste depuis ce matin nous atteignons le lac d’Orta.
Plus petit et moins urbanisé que le lac d’Iseo, nous trouvons facilement le 29 via Bardelli à Vacciago, commune d’Amena, mais nous n’avons rendez-vous qu’à 15 h, aussi, pensons nous déjeuner dans un restau au bord du lac, en suivant la route principale. Ce n’est pas si facile, certains panneaux indicateurs nous trompent ou les restaurants sont fermés : la saison est-elle déjà finie ? Nous parvenons à trouver notre bonheur un peu avant Omegna, repas pris à l’intérieur malgré le soleil, car le fond de l’air reste frais.
Après mangé, nous poursuivons le tour du lac soit 30 km environ, en nous perdant même dans Omegna en voulant aborder l’autre côté,  moins au bord de l’eau que la rive ouest. Nous avons l’impression de traverser la campagne, évitant  un bon nombre de cyclistes. Nous passons des  petits villages : Cireggio, Nonio Cesara… sans prétention jusqu’à Gozzano, avant de remonter sur Ameno.
Nous nous trouvons devant la maison louée à 15h tapante et Lucas nous accueille au portail. Un personnage ! Bel homme, pilote de ligne à Air Italia, la cinquantaine sportive, il embrasse tout le monde, même Guido en commençant par les dames : «  car il est italien », salue notre copine J. d’un bonjour Monsieur à cause de son chapeau de paille. Il parle français, plus à l’aise en anglais davantage pratiqué dans sa profession, et c’est un grand bavard qui n’hésite pas à mélanger les mots des différentes langues avec bonheur. Il met un point d’honneur à porter nos bagages, nous renseigne sur les visites dans les environs, sur les caractéristiques de ses 7 chats magnifiques mais tous atteints d’un handicap, ses deux chiens au chenil…
Avec son jardin agréable,  la maison, héritage de son père, est très jolie, divisée en cinq gîtes en plus de la  partie privée. «Vous pouvez tout utiliser », notre pilote milanais est content de partager son petit paradis, sur les hauteurs du lac avec vue panoramique. Notre appartement se situe côté droit bénéficiant d’une terrasse dallée  équipée de deux barbecues, d’une table et de chaises en bois. L’intérieur est plus réduit qu’à Bergame : une seule chambre étroite pour nos amies, une chambre matrimoniale  et une cuisine /salon bien conçus dotés du matériel nécessaire. Lucas montre à Guy l’emplacement sous abri pour la voiture tandis que nous nous installons rapidement.
Nous découvrons le petit village où quelques belles propriétés de bon goût, sans tapage ostentatoire,
 s’élèvent dans des parcs magnifiques mêlant araucarias, palmiers et autres arbres vénérables au milieu de pelouses bien tenues. 
Nous nous approvisionnons chez l’épicier, ce petit bonhomme haussé sur une  estrade est  tout à fait agréable et fait des efforts pour parler français avec beaucoup de naturel. Il doit prendre une pince pour attraper habilement une bouteille de Vermouth  haut placée sans se laisser surprendre par le cri inquiet de D. . Bravo
Nous profitons du jardin face au lac, assis et dominant le paysage. En contrebas la rue étroite  qui mène à l’église devient peu à peu  encombrée par des voitures car il y a un concert avec au programme l’histoire du soldat de Stravinski. 
L’heure est douce, la vue sous le soleil déclinant « romantique » ! Puis le frais qui tombe nous pousse à rentrer, un petit coup de four dans la cuisine réchauffe l’atmosphère humide que nous combattons aussi avec un vermouth  (Gibo bianco) Repas : pommes de terre/carottes à la poêle et salade.

mardi 11 février 2020

Heimat. Nora Krug.

« Loin de mon pays » précise le sous titre qui a toute son importance comme chaque mot de ce carnet de voyage au sein de familles allemandes que la dessinatrice cherche à mieux connaître depuis qu’elle vit à New York.
Heimat signifie « chez soi » mais cette recherche très personnelle nous concerne, et c’est à cela qu’on reconnaît les grandes œuvres, quand l’intimité la plus précise emmène vers l’universel.
Que j’aimerais lire un tel roman concernant ma patrie qui chercherait à ne rien négliger des culpabilités passées tout en reconnaissant une identité chaleureuse où la nostalgie amène à plus de compréhension !
 « Le seul moyen de trouver cette HEIMAT que j'ai perdue est peut-être de regarder en arrière ; de surmonter la honte abstraite pour affronter ces questions vraiment difficiles à poser : au sujet de ma ville natale, et des familles de mon père et de ma mère. Retourner dans les villes où ils sont nés. Retourner à mon enfance, au commencement, suivre les miettes de pain, en espérant qu'elles me mènent à la maison. »
Nous sommes mieux renseignés sur l’identité allemande avec son goût des forêts, le handsaplast qui figure en premier dans le journal d’une émigrée, avant le pain un peu aigre, la colle Uhu et la culpabilité.
L’inventivité, l’honnêteté de l’auteur traduites avec le même soin qu’elle a mis pour rassembler les éléments d’une vie rendent passionnante cette recherche qui a demandé du temps pour approcher des vérités.
Ce retour vers le passé poétique, documenté, original, rend le futur prometteur:
«  Debout dans une rame de métro bondée à new York, je me souviens de la lettre écrite par le maire de Karlsruhe au chef de la police en 1940 : 
« Nous avons reçu de nombreuses plaintes, à la fois des employés municipaux du tram et de passagers, au sujet de Juifs qui se comportent de manière impertinente et provocante dans les tramways bondés, refusant de céder leur place aux femmes allemandes. »
A côté de moi, un homme portant kippa demande à la femme assise devant moi de me laisser la place et je le remercie, malgré mon accent allemand qui me met toujours mal à l’aise. Il a deviné à la forme de mon ventre qu’il y a quelque chose qui s’y développe, un être qui n’a pas encore de conscience. Quelqu’un dont l’état d’esprit est pur et intact comme une étendue de neige fraîche. »

lundi 10 février 2020

Un jour si blanc. Hlynur Palmason.

Les premières images d’un film sont souvent déterminantes et d'emblée je me suis laissé aller à la contemplation des lumières autour d’une maison isolée en Islande dont les images successives sont prises du même endroit à des heures et des saisons différentes.
Nous sommes ailleurs : si bien des comportements peuvent sembler étranges, les sujets traités appartiennent à l’humanité du Nord au Sud : le deuil, la recherche de la vérité, le doute, la violence et la transmission.
J’ai aimé les rapports du grand père et de sa petite fille, « rudes comme le pays ».
Quelques scènes sont très fortes : ainsi avant de dormir une histoire à faire peur que la môme a demandée, suivie d’une séquence télévisée terrifiante, ou cette bagarre dans le commissariat mêlant ridicule et tragique.
Bien des critiques ont accordé de l’importance à la quête de l’ancien policier, mais je préfère retenir le personnage de la fillette qui permet d’ajouter des facettes à l’idée qu’on se fait de la tendresse.  

dimanche 9 février 2020

La buvette, le tracteur et le curé. Serge Papagalli.

Je pensais me rafraichir après quelques spectacles bouffis de prétentions vus au chef lieu en revenant vers une valeur patrimoniale en la salle communale, hélas j’ai été vite lassé. 
Oui, les « petits en ont gros » et quand « on en a gros sur la patate on n’a pas la frite » mais l’arrivée d’un curé en soutane, arrivant de l’étranger (Lyon), fut-il joué par le complice Arbona n’ajoute rien à l’univers du bougon paysan matheysin.
Il y a bien l’instit à la retraite vivant dans le gite attenant et qui picole comme tout un chacun, mais le neveu simplet a beau jouer le jeu de la vérité en rimant façon «  poil au menton », il ne peut m’arracher un sourire, d’autant plus que Papagalli que j’apprécie comme acteur est presque tout le temps dans le registre de la colère. Il est accablé le plus souvent, « nom de Gu ! » à l’instar du nouveau curé qui aurait pu permettre quelques variations à la farce, comme lors du spectacle précédent.
Les téléphones portables ont beau avoir envahi un univers disparu, ce type d’humour a vieilli avec son sujet. Quand le neveu solitaire sollicite qu’on l’appelle sur son "tactile", la scène aurait pu avoir plus de force si l’acteur jouant le délirant ne sollicitait pas des rires gênants avec force grimaces et langue pendante.

samedi 8 février 2020

Mort à La Fenice. Donna Leon.

Je lis peu de polars en général, mais finalement quelques uns à condition qu’ils soient italiens.
L’auteure est américaine, son succès allemand et la récompense japonaise, Guido a bien aimé.
Bon, ce n’est pas « Mort à Venise », mais Venise est là, depuis La Fenice un des opéras des plus prestigieux où un chef d’orchestre vient d’absorber du cyanure avec son café.
« L'obscurité de la nuit dissimulait la mousse qui envahissait les marches du palais, le long du Grand Canal, faisait disparaître les fissures des églises et les plaques d'enduit manquantes aux façades des bâtiments publics. Comme beaucoup de femmes d'un certain âge, la ville avait besoin de cet éclairage trompeur pour donner l'illusion de sa beauté évanouie. »
L’écriture est agréable, et découpe les caractères finement sans avoir besoin d’accentuer les traits, genre détectives tellement atypiques qu’ils en deviennent banals.
« Brunetti, s’il avait été inscrit au même cours d’art dramatique, aurait été en train de travailler sa « manifestation d’émerveillement en présence d’un talent prodigieux. »
Ici, Brunetti, le policier, boit raisonnablement comme tout le monde, est marié, père de deux adolescents, ne s’affole pas, bien que sa hiérarchie soit pressante, comme il se doit.
« Paola, dit-il en écartant le journal pour la voir, si je n’étais pas marié avec toi, je divorcerais pour t’épouser ».
L’enquête avance sans en avoir l’air et si des indices laissent deviner un dénouement qui ne fait pas le malin, nous restons jusqu’à la fin.

vendredi 7 février 2020

Le siècle vert. Régis Debray.

Ce libelle bio et bon à la pagination raisonnée (60 pages) vise à concilier Nature et Histoire.
Mon auteur préféré avait inauguré récemment chez Gallimard la collection « tracts » :
Le vieux bougon est en forme et replace la question écologique dans le temps long:
« L’occidental se cherchait au ciel ; il s’est cherché ensuite dans son semblable ; il se cherche à présent dans le chimpanzé - au risque de s’y reconnaitre »
Je crois bien deviner le médiologue qui a beaucoup travaillé sur le fait religieux, sous les traits d’un « survivant goguenard de la libre-pensée », lorsqu’il voit dans les rites des verts quelques traits d’un « opium du peuple » avec ses processions, ses mécréants et ses hérétiques, ses pratiquants, ses casuistes, et autres carriéristes, voire «  le abêtissez-vous pascalien », lorsque « nos plus hautes autorités se font vertement tancer, tête baissée, par une austère et sévère adolescente. »
Si bien qu’ « il devient clair que l’adulte est aussi une espèce menacée, en proie au doute et au stress, mais dont la sauvegarde, dans le cadre de l’étude et de la sauvegarde des primates, serait sur le point d’être prise en charge, bonne nouvelle, par la World Wild Fund for Nature, la WWF( en collaboration avec la fondation Albert 1° de Monaco) »
Pour persister dans le sourire, il fait bon de se sentir moins « bête », au moment de l’accumulation des paradoxes quand « la tour de verre appelle la hutte en bois » et que «  le civilisé à prothèses se coiffe d’un chapeau de paille ». Ses  balayages historiques sont très parlants lorsque les artistes annoncent les temps à venir, passant des espérances aux rouges horizons aux réalités des ciels rougis d’incendies :
« On ne se guérit d’un académisme, n’est-ce pas, que par un autre.
Après un trop de Verbe, un trop de Corps. »
Dans la cadre de mes apprentissages se rajoute le mot « œkoumène » : terre habitée.
Et « rezzous » : « troupe armée pour faire une razzia » appliqué aux collégiens visiteurs captifs de centres d’art contemporain.
Pour la précision le terme « milieu » interdépendant, convient mieux qu’« environnement » entourant un îlot.
La tentation était forte de citer encore et encore tant me charme son style, mais la phrase de Voltaire «  il faut cultiver notre jardin » conviendra pour conclure, un verre de vin à la main. Le terroir a besoin du viticulteur.