jeudi 11 avril 2019

Van Dongen (1887-1968)

Le titre « Van Dongen, fauve, anarchiste et mondain » d’une exposition de 2011 au musée d’art moderne de la ville de Paris, convient à  la conférencière devant les amis du musée de Grenoble pour qualifier le dernier de la trilogie du cycle des peintres de la couleur.
Rattaché à la famille « Fauve », un an après l’exposition de 1905 qui consacra le terme pour désigner la première des grandes avant-gardes picturales, Cornélis rebaptisé Kees est né dans la banlieue de Rotterdam, il obtient la nationalité française en 1929 et meurt à Monaco à 91 ans.
Cet « Autoportrait » a été retravaillé, de la sorte avait-il essayé de recréer sa propre légende comme si la révélation de sa vocation avait jailli  à 25 ans, il avait débuté comme dessinateur. Sa haute silhouette apparaît à contre jour, le Néerlandais à Paris est fier de venir du pays de Van Gogh qui commençait-il était temps- autour de cette fameuse année 1905, à connaître une certaine notoriété.
Il travaille à « L’assiette au beurre » pour laquelle il illustre la vie du monde de la nuit à Montmartre sous les premières lumières électriques, où la pauvreté et la prostitution occupent toujours les rues.
Il connaissait les « Filles et souteneurs au moulin rouge. » de Steinlein aux traits anguleux,  aux couleurs austères des écoles hollandaises.
Il fréquente les milieux anarchistes : « Les Batteurs de pieux », de Maximilien Luce qui l’a accompagné, portent les coloris purs de la technique divisionniste.
Parmi tant de représentations du bâtiment construit après l’écrasement de la Commune, son « Sacré cœur » impressionne.
La brosse épaisse, les couleurs appliquées avec intensité rendent bien le mouvement de « La Mattchiche», danse provocatrice où cavaliers et cavalières aux traits stylisés comme des égyptiens se tiennent de près.
Il s’impose dans ce Paris qui attire les artistes du monde entier. « Le Carrousel »  est saisi dans sa frénésie tourbillonnante sous des touches dissociées qui dilatent l’effet spatial.
Le tableau gigantesque « A la Galette »  a été découpé en six. Les cadrages sont intéressants avec des touches de peinture dont les lèvres accrochent les éclairages et des personnages qui sortent du cadre comme les ouvriers sortant des usines Lumière sortaient du champ.
La « Femme fatale » provocatrice sous son extraordinaire chapeau a des reflets verts qui font ressortir les rouges, l’intention du « nègre blanc » était de« Peindre les femmes plus minces et leurs bijoux plus gros. »
Au bateau-lavoir fréquenté par Marie Laurencin et son compagnon Apollinaire, Max Jacob, il partage les mêmes modèles avec Picasso. Le « Portrait de Fernande Olivier » aux yeux charbonneux, nimbé dans un halo est sculptural, à la Cézanne.
« Les lutteuses de Tabarin » où jouent courbes et contre-courbes est moins contondant  que « Les demoiselles d’Avignon » de son voisin, bien que les couleurs soient proches.
Il fait un séjour en Espagne et au Maroc, «  Le doigt sur la joue » rappelle Matisse et ses contrastes chromatiques. Les regards ténébreux de tant de ses portraits font écho parfois au cubisme en plus lisible et plus sensuel.  
«  La gitane » est aussi dans la jubilation de la couleur.
L’« Andalucia » porte bien le châle.
Il lui a été reproché que la « Femme au jabot » soit par trop décorative,
 mais que peuvent dire les éminences critiques de « Tanger » ou la simplification cubiste va de soi ?
«  Souvenir de la saison russe d’Opéra » célèbre un art qui se renouvelle, les ballets de  Diaghilev, et flirte avec l’abstraction avec ces ondes accentuant un effacement des repères.
Avant le dépôt du label, « art déco », sa « Femme sur fond blanc » est dans un air du temps où le couturier Paul Poiret qu’il fréquente, retire les corsets et habille les corps minces de tuniques fluides. 
« La parisienne » et son petit chien est encore plus radicale
que la femme sous son chapeau appuyée à « La balustrade » avec une compagne pour illustrer le terme de «  métonymie » quand le tout peut être défini par une partie.
Guus, sa femme est « La Femme aux pigeons »,  remarque-t-on les oiseaux ?
« Van Dongen est en train de perdre aux yeux des artistes ce qu’il gagne aux yeux du demi-monde, ou peut-être même du monde en plein, je n’ai pas très bien su distinguer, d’ailleurs c’est la même chose. Son « Portrait de Rappoport » seul possède quelques-unes des qualités par lesquelles ce peintre valut ». Artaud
 « Anna de Noailles » première femme commandeur de la Légion d’honneur compte dans le Paris mondain, son portrait dans les gris bleutés date de sa « période cocktails », loin du monde de ses débuts fauves teintés alors d’expressionnisme allemand.
Il fut un seigneur de la nuit, donnant des fêtes somptueuses, « Autoportrait en Neptune ».
Mais il subira un ostracisme de tout le milieu après son voyage à Berlin, à l’invitation de Goebbels, même si la libération d’autres artistes était dans ses préoccupations avec ses compagnons d’alors Vlaminck et Derain.
Il se retire dans le midi où il continue à peindre ; ce « Portrait de B.B »  est « pop ».
« J’aime ce qui brille, les pierres précieuses qui étincellent, les étoffes qui chatoient, les belles femmes qui inspirent le désir charnel. La peinture me donne une possession plus complète de tout cela, car ce que je peins est souvent la réalisation obsédante d’un rêve ou d’une hantise… »

mercredi 10 avril 2019

Lacs italiens # 17. Côme 2.

A côté du Duomo, le broletto sert encore pour le marché les jours fériés.
http://blog-de-guy.blogspot.com/2019/04/lacs-italiens-16-la-ville-de-come.html
Siège de la municipalité au moyen âge, il permet aujourd’hui de prendre frais et repos grâce à des chaises inesthétiques bleues mises à disposition du public  les jours ouvrables sous ses arcades bien aérées. L’office du touriste s’est installé dans ses murs.
Face à lui, une curieuse église avec une façade en trompe l’œil  nous intrigue, nous ne trouvons ni de trace ni de nom la concernant : de bric et de broc, elle accumule des vestiges d’époques différentes.
Nous nous fions au routard pour manger à proximité au Ristorante sociale via Rodani, du nom du théâtre voisin  à la façade antique à colonnes. Dans une petite cour, nous nous régalons d’osso bucco ou pâtes végétariennes ou salade + douceurs.
En sortant, comme nous nous extasions devant le plafond peint, la patronne nous entraîne à l’étage dans la salle de restaurant créée dans l’ancienne demeure d’un pape, Innocent quelque chose. Une imposante cheminée Renaissance et une frise peinte ont été sauvegardées au fil des siècles. Cet appartement papal jouxtait l’ensemble des bâtiments religieux. Quelle  «fortuna » pour nous ! La propriétaire  s’exprime lentement, avec patience, simplement, à propos de cet héritage familial privé : « tout est art en Italie »…
Pour digérer, nous flânons dans la rade, remontons la diga Foranea d’où nous apercevons le funiculaire  côté montagne, et un jet d’eau tel celui de Genève côté lac. 
Puis nous nous installons sur un banc à l’ombre délicieusement abrités sous un arbre en forme de voûte  dont les gens viennent observer les feuilles, près du tempio Volta. Nous jouons un moment à deviner la nationalité des passants. Moment tranquille, il faut bon sentir le souffle d’un vent léger et intermittent.
Nous nous rapprochons du théâtre qui ne se visite pas, je me contenterai de quelques photos sur mon smartphone. Ne se visite pas non plus le Palazzo Terragni, maison du fascisme considérée  comme un exemple important du rationalisme architectural. Il abrite aujourd’hui les impôts gardés  par un policier peu amène.
 
 
Nous retournons vers le centre, de l’autre côté de la voie de chemin de fer et déambulons vers la place Fedele.
Guy tente de trouver des misoltinis ( poissons du lac), mais ayant oublié le nom, difficile de se faire comprendre.
Nous tirons jusqu’à la Torre médiévale qui, comme le fait remarquer D. , a des formes proches de celles des bâtiments plus modernes  comme au Colisée carré dans le quartier de l'EUR (Exposition Universelle à Rome) du temps de Mussolini.
Nous laissons J. sur un banc via Varese et continuons vers la Basilica Sant’ Abbondio  excentrée, église romane et lombarde portant  le nom de l’évêque protecteur de Côme. En dessous de la basilique, il y a une université ; au sol, l’entrée est jonchée de serpentins rouges et bleus. Une jeune fille vêtue de rouge  porte une  couronne de lauriers sur la tête, qui proclame publiquement sa réussite à un examen universitaire. Nous avions déjà observé d’autres heureux  lauréats avec la même coiffe.
Nous entrons rapidement dans l’église surtout admirable pour ses fresques dans le chœur relatant la vie du Christ, ses cinq nefs, ses trois corps couchés côte à côte dans l’autel, ses reliques. 
Du dehors, nous apprécions les proportions et les deux tours de marbre rose, les décorations très fines autour des fenêtres avec des animaux  ou des oiseaux alternant avec des raisins. 
Un avertissement dans le narthex s’adapte à notre époque :

Après avoir récupéré J. sur son banc, nous rentrons à la maison pas si éloignée, étape éclair  à Eurospin pour se ravitailler en eau frizzante vin et spritz.
Douche bienfaisante, apéro revigorant, salade verte concombre et escalope. Dehors, il se met à pleuvoir, l’air fraichit un peu, c’est agréable.
Et ça calme les clients du bar. J’écris pendant que mes camarades prévoient la journée de demain.


mardi 9 avril 2019

La fissure. Carlos Spottorno. Guillermo Abril.

L’Union Européenne avait bien commencé : « Après deux guerre terribles, plus de 60 millions de morts et autant de réfugiés […] le rêve d’une Europe unie se réalisa. Elle prit le nom d’Union Européenne(UE) et cela devint le plus grand havre de liberté de la planète. »
A l’issue de trois ans de travail, un photographe et un journaliste du journal espagnol « El Pais Semanal » ont rassemblé dans un album de 170 pages, leurs reportages aux frontières de l’Europe, là où se pressent les réfugiés.
Les auteurs se sont rendus à Melilla, Lampedusa, noms familiers lorsqu’il est question de ce problème des réfugiés qui fissure notre Union. Les barbelés délimitent les frontières aussi en Grèce, Bulgarie, Hongrie, Serbie, Pologne, Lituanie, Finlande…
Le contact avec les Africains, Syriens, Afghans des centres de rétention est difficile et c’est surtout l’effet de masse de tous ceux qui fuient misère et désolation qui est évident plutôt que  le récit de destins singuliers. Malgré les réticences des gardes aux frontières, avec une sobriété tranchante, nous sommes pris à témoins de réalités terribles.
Les deux hommes ont accompagné un bateau militaire qui a sauvé 218 personnes entassées dans une embarcation transportant 150 personnes à la première estimation, les africains étaient dans la cale. 
Trouvé au rayon BD, ce livre de photographies est fort : les images colorisées mettent les péripéties hors du temps, même si tous ces écrans de surveillance, portiques et grilles balisent notre siècle.
Du cimetière de bateaux à Lampedusa au parking au bord de la Baltique où des Ladas ont terminé leur voyage en transportant quelques Afghans et Camerounais, en suivant les frontières de l’Estonie, de l’Ukraine, nous sommes amenés à nous interroger à ce sujet aussi sur la Russie.  
« La Russie fera-t-elle partie de l’U.E. ?
« Un jour, toute l’U.E. fera partie de la Russie ! » répond un russe de Narva en Estonie.

lundi 8 avril 2019

Tel Aviv on Fire. Sameh Zoab.

Je ne savais plus si le réalisateur était Israélien ou Palestinien, mais c’est indifférent : il est palestinien de nationalité israélienne.
La performance de ce film est justement de comprendre les deux partis et ce n’est pas une mince affaire que de faire rire d’une réalité dramatiquement absurde.
Il est question de l’écriture d’un feuilleton populaire, et ce film dans le film fait ressortir l’habileté du cinéaste servi par des acteurs excellents. 
Les influences contradictoires pour arriver à un dénouement étonnant sont nombreuses : messages amoureux à insérer pour la petite amie de l’apprenti scénariste, attentes des divers publics arabes et juifs, nostalgie de l’oncle producteur et exigences des investisseurs, pouvoirs d’un responsable de check-point… la réalité commande et le kitch se révèle subtil. 
Saisir fortuitement ce qui fait le sel des conversations, leur vérité, vérifie une des sentences de riches dialogues: « l’amour, c’est écouter l’autre »
Cet humour humaniste donne des envies de croire qu’un jour les hommes sauront vivre d’houmos et d’eau fraîche.

dimanche 7 avril 2019

Requiem pour L. Alain Platel Fabrizio Cassol.

Le metteur en scène est un familier de la MC 2 et des grands musiciens,
http://blog-de-guy.blogspot.com/2015/12/en-avant-marche-franck-van-laecke-alain.html cette fois il faut avoir l’oreille avertie pour reconnaître Mozart à l’accordéon et au likembe ( piano à doigts), les couleurs de l’Afrique recouvrant la dernière œuvre inachevée du musicien prodige mort à 34 ans. L’enrichissement mutuel entre musique savante et musique populaire a toujours existé.
Nous sommes bien dans un requiem : au ralenti une femme meurt sur l’écran du fond et je me demande si une petite citation n’aurait pas été suffisante pour que les spectateurs y projettent leur avenir ou des souvenirs. La musique subtile de Mozart ne suffirait-elle  pas, pour que des images   supplémentaires nous soient imposées, et pas des moins plombantes?
Devant le vaste écran, une belle troupe de danseurs-chanteurs-musiciens exprime une joie mêlée à la gravité, chacun avec sa personnalité dans les interstices laissés par une quarantaine de parallélépipèdes gris. Des cailloux sont déposés sur ces tombes. Elles n’encombrent pas la scène, structurant le plateau où les jaillissements, les rythmes de la vie, l’inventivité prennent encore plus de prix. Elles fournissent des podiums pour que chacun des quatorze artistes mette en valeur son énergie. Les voix des chanteurs sont plus touchantes lorsque les instruments font silence, mais bien des séquences dans leur variété font naître l’émotion jusqu’au final furieux où les artistes en botte de caoutchouc emportent le public dans une percutante gumboot dance. Un surtitrage des paroles en Lingala ou en swahili aurait peut être été utile, pour le latin aussi.
A lire les critiques sur le web, plutôt rares concernant le théâtre ou la danse, je suis tombé sur le reproche d’"appropriation culturelle" dont serait coupable le metteur en scène contraignant les danseurs africains par sa mise en scène.  Pourtant sous cette appellation conquérante, très mode en univers "racisé" où la décolonisation n’en finit pas, c’est plutôt Mozart qui en perdrait sa perruque si on ne gardait le souvenir d’un doux temps où il fut question de métissage.

samedi 6 avril 2019

Ombre parmi les ombres. Ysabelle Lacamp.

Les infamies antisémites du moment ont replacé ce petit ouvrage tout en haut de la pile de mes livres à lire. Les récits à propos des camps de concentration, puisque c’est de ces ombres là dont il s’agit, n’ont pas manqué et l’indicible est toujours à vif. Pourtant, alors que je récuse l’idée d’une fin de la mémoire coïncidant avec l’extinction des générations témoins, il faut reconnaître que j’ai eu envie de passer à autre chose.
Et puis insultes et graffitis et cette mauvaise foi qui condamne négligemment  l’antisémitisme avant de parler d’autre chose, appellent un moment de réflexion. Peut-on supporter la faillite de l’école qui n’a pas manqué de faire la leçon anti raciste et qui dans certains lieux ne peut pas mentionner la shoah ? Mais y a-t-il des solutions ? Plus on en parle, plus les dessinateurs de croix s’excitent.
Ces 176 pages qui retracent la fin du poète Robert Desnos mort en 45 à Terezín mêlent l’imagination à la plus féroce des réalités, en adéquation avec la sensibilité de l’homme au regard clair.
Celui qui a écrit
« une fourmi de dix-huit mètres avec un chapeau sur la tête, ça n’existe pas ça n’existe pas » avait rencontré la bête immonde.
Ysabelle Lacamp met en scène Desnos à l’issue de son parcours commencé à Buchenwald jusqu’à ce qui a été son ultime camp de concentration, présenté alors comme une colonie juive modèle : une farce on ne peut plus macabre.
Tout est exacerbé : l’horreur du présent et les souvenirs ensoleillés des fratries intellectuelles, l'amour du poète pour Suzanne :
« J'ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé,
Couché avec ton fantôme
Qu'il ne me reste plus peut-être,
Et pourtant, qu'à être fantôme
Parmi les fantômes et plus ombre
Cent fois que l'ombre qui se promène
Et se promènera allègrement
Sur le cadran solaire de ta vie. »
La licence poétique laisse ce texte à un narrateur, personnage fictif d’adolescent,  qui permet de parler de ce camp où étaient regroupés des intellectuels et de dialoguer avec le poète qui explora les rêves avec les surréalistes, s’en détacha, écrivit dans les journaux pour des publicités,  et résista. Il a traversé les années pour allumer des sourires aux enfants récitant :
« Une fourmi parlant français
Parlant latin et javanais
Ça n'existe pas, ça n'existe pas
Et pourquoi… pourquoi pas » 

vendredi 5 avril 2019

« C’est comme ça ! »

« C’est comme ça ! » Cette formule conservatrice, plus ancienne encore que le TINA , « There Is No Alternative » thatcherien, plante le dernier clou sur le cercueil de nos rêves étouffés.
«  Cours camarade, le vieux monde est derrière toi » : les camarades sont accablés, le vieux monde a disparu, les mots sont décourageants. Nous étions pourtant habitués aux enterrements, et puis il y en eu trop, et nous ne savons plus rien reconnaître.
Par exemple, il était prévisible que « Nuit debout » allait se coucher tôt ou tard sans que nulle leçon n’en soit tirée. Son avatar, plus flashy, populaire en diable, perdure par contre, s’opposant à toute intellectualité; toute prise en compte de la complexité étant assimilée à du mépris.
Ainsi depuis mon toboggan, après avoir maugréé avec d’autres, je me suis fait aux visages masqués, aux façades souillées, aux statues déboulonnées, aux réputations déculottées, on n’y peut rien.
Les évènements nous donnent le tournis et qu’importent les exemples, les conseils, les bougonnements, nous en sommes juste à souhaiter une pause quand montent les eaux et le populisme. On se dépatouille.
Et voilà la ritournelle : «  c’était bien, c’était chouette du temps des guinguettes » qui revient.
A notre tour de la chanter.
La morale a tourné à la moraline, la dérision a tout envoyé balader quand nous en étions des complices ravis. Qu’est ce qu’on riait ! Hara Kiri, Coluche, « les Guignols » sont aux racines d’Hanouna pour la partie la plus grossière, dont l’évocation conviendra aux auditeurs d’Inter baignés pourtant dans le même courant railleur. Je m’étais aperçu des ravages de la moquerie quand en voyage à Paris avec des enfants, passant devant l’Elysée, alors occupé par Jacques Chirac, ce fut un rire qui submergea l’autobus. Ce n’est pas d’aujourd’hui que les comiques se prennent pour des philosophes parce qu’ils s’en prennent à eux.
Et ce sont des cohortes en selfie sur les trottoirs, fiers de braver la loi, de ceux qui brûlent les radars, tronçonnent des arbres au bord des routes du Gard, qui ne votent pas, mais veulent plier tout un pays à leur loi.
Même si la fameuse phrase du « Guépard » est trop répétée : « Il faut que tout change pour que rien ne change », elle recèle encore la richesse des paradoxes qui appellent au progrès tout en le redoutant,  à la fois le mouvement et la stabilité, « fuir le bonheur de peur qu'il ne se sauve ». Nous avons été, avec le numérique, en situation constante d’apprentissage, donc de déséquilibre.
Les informations fusent dans tous les sens et le statut de prof n’a jamais été si peu reconnu. J’allais écrire «  contesté » : même pas ! Encore eut-il fallu que son magistère fût considéré comme légitime, alors que l’institution elle-même a miné l’affaire et que les intellos sont cloués aux portes des granges superstitieuses. Que dire après ce collégien ? «  A quoi bon apprendre puisque c’est sur Internet ».
« Face au monde qui change, il vaut mieux penser le changement que changer le pansement. »
Francis Blanche.