mercredi 13 février 2019

Lacs italiens # 10. Vérone fin.

Une sieste va nous retenir jusqu’à 16h et limite nos prétentions.
Nous devons choisir entre San Fermo  et le Complesso dei Duomo à cause des horaires de fermeture
Nous nous décidons pour la cathédrale.
Là aussi, nous avons droit aux audio guides en français qui nous orientent en premier vers le baptistère San Giovanni in Fonte.
Il vaut le coup d’œil surtout pour sa cuve de forme octogonale, chiffre symbolique qui indique le jour suivant soit le shabbat  soit les 7 jours de la genèse. La taille importante de la « piscine » provient du besoin d’immersion totale pour le baptême marquant la mort de l’homme ancien et la naissance à une vie nouvelle.
Chaque face montre une scène biblique en bas-reliefs, parfaitement identifiables, notamment le massacre des innocents dans laquelle un bébé éventré retient ses intestins dans ses mains ou encore la fuite en Egypte surmontée de colonnes dont l’un des chapiteaux représente un chat qui mange une souris, signe de danger. En face du baptistère, l’atrium de Santa Maria Matricolare permet grâce à des fouilles archéologiques d’apercevoir  des restes de fondations  et de sépultures de l’époque romane à un niveau inférieur. Un triptyque sculpté de la Madone à l’enfant accompagnée de  deux saints et un donateur occupe le mur du fond mitoyen de l’église Sant’Elena. Devant cette œuvre, un os suspendu de belle taille rappelle l’os de baleine de la place de la Signori, sans explication connue.
Nous jetons un regard rapide  dans l’église Sant’ Elena baignée dans une belle lumière, un peu bousculés par le temps puis nous nous rendons à la cathédrale par l’extérieur car l’accès intérieur vient de  fermer. 
Nous commençons par l’intérieur, surprenant  par ses multiples chapelles Renaissance  financées par des riches familles et entourées de fresques  en trompe l’œil dans un camaïeu de bleus et gris unitaires. 
Dans l’une d’elle, près du confessionnal éclairé qui attend le pécheur, se tient le retable de L’Assomption du Titien, dans l’obscurité. Pourtant la cathédrale parait assez lumineuse grâce à ses voûtes unies  et blanches.
Près du chœur se font face deux orgues richement décorés de dorures et de panneaux latéraux recouverts de tableaux malheureusement trop sombres pour en deviner le sujet. G.et J. avant de s’asseoir près du confessionnal et éloignés de moi paraissent touts petits dans un rayon de soleil et donnent l’échelle de ce bâtiment monumental. Nous prenons le temps en sortant de contempler  la façade de style lombard comme San Zeno mais moins parfaite, moins fine et « réussie » que sa consœur au niveau des bas-reliefs, des stries horizontales crème et roses et des proportions.
Nous déambulons dans les rues vers la piazza delle Erbe, faisant au passage un brin de causette en italien à une vieille dame à la démarche peu assurée  mais souriante  et coquette avec son rouge aux lèvres et sa petite robe noire, ravie de nous entendre nous extasier sur la beauté des ruelles au soleil déclinant. 
Nos pas nous mènent au bout de la rue de la casa de Giuletta, face à des vestiges de l’époque romaine  exhumés au centre de la route et de la porte Leona encore debout au milieu des maisons.
Nous nous offrons une glace dans une gelateria bio bardée de références de qualité, sans ceci sans cela, mais nettement moins parfumée que celle du Ponte Pietra.
Nous longeons tranquillement le fleuve que nous traversons pour récupérer la voiture indésirable dans les emplacements bleus/jaunes réservés aux véronais à partir de 20h.
Avant de rentrer, nous voulons monter sur la colline au-dessus de la vieille ville en prenant la route derrière San Stefano vers le musée archeologico et attendre le coucher du soleil. Nous trouvons même une place pour la machina, mais le soleil nous boude derrière les nuages qui s’étendent uniformément. Tant pis, la vue est bien belle et les cigales stridulent avec conviction une dernière fois pour saluer la fin du jour. Je choisis la photo du syndicat d'initiative, je ne peux pas lutter pour les couleurs.
Nous arrivons à notre logis à la nuit tombée, assoiffés mais pas affamés, sans tarder nous gagnons notre lit.


mardi 12 février 2019

Rentre dans le moule. Le Cil Vert.

J’aurai dû me douter qu’avec une telle première page le récit n’allait pas donner dans la finesse : sur un tapis roulant de jeunes artistes passent un portique et en ressortent tous pareils. Le sas porte le sigle de l’école des Arts et Métiers dont il est intéressant de suivre les rites d’intégration suscitant parmi les impétrants, répulsion ou adhésion forte.
En dehors de cet aspect documentaire croqué avec efficacité, c’est le récit devenu habituel en BD du passage à l’âge adulte : un bébé s’annonce dans la famille de l’anti héros abordant un premier travail. Le jeune garçon subit les évènements sans choisir.
L’image du tapis roulant ponctue les 130 pages vite lues : on avait compris.
Morne petite histoire en dessins mollassons dans l’air morose du temps où les contraintes sont mal acceptées, les envies peu affirmées. Il profite de l’esprit de corps de son collègue Gadzart tout en méprisant les mœurs de l’école et les contraintes d’un boulot où il ne s’investit pas, tout en tournant  en tendre dérision, le baby blues de sa femme et son rôle de père.    

lundi 11 février 2019

La mule. Clint Eastwood.

Papy passe de la culture des lys d’un jour au transport de drogue et se réconcilie avec sa famille qu’il avait négligée.
Film à propos de la vieillesse : une vieillesse comme ça : ça va ! Quelques nanas par deux de préférence et bien peu de scrupules sur le contenu des sacs qui lui sont confiés.
Mais il convient pour rappeler la légende de l’acteur cinéaste, de se montrer inébranlable face à des méchants méchants et rétif face aux envahissants téléphones portables.
Le road movie teinté d’humour, de nostalgie, est agréable à suivre, en écoutant de la musique avec Clint au volant dans les lignes droites; il n’a jamais eu un PV de sa vie, une prouesse admirable.    

Debra qui commente souvent sur ce blog m'a fait parvenir cet article: 
 Il s'agit du dernier film de Clint Eastwood, un film testament en quelque sorte, fait par un cinéaste auteur avec une filmographie suffisamment étoffée pour lui permettre de se citer lui-même.. (je ne suis pas une grande connaisseuse de la filmographie d'Eastwood. Le dernier film que j'ai vu fut "Sur les routes de Madison", une histoire d'amour fulgurant entre deux êtres : une femme d'origine italienne immigrée aux U.S., vivant dans un petit coin du Middle West bien tranquille, en famille de classe moyenne, avec une vie modestement/modernement moyenne, mais une soif d'autre chose plus grand dans sa vie de femme, un homme photographe, citadin, marginal, cultivé. Ces deux-là vivent un amour passion l'espace d'un weekend qui transforme leurs deux vies, avant de se séparer pour reprendre le cours de leurs vies respectives. Très beau film.)
Eastwood incarne, et raconte l'histoire d'un vieux père/mari/homme marginal qui refuse de se coucher, et veut durer debout.
Earl, à plus de 70 ans, et 12 ans avant le début supposé des événements de l'histoire, est un vieux charmeur horticulteur qui vit pour ses fleurs, des lys qui fleurissent un jour, et puis se fanent. Il a passé sa vie à bichonner des créatures de pure grâce, éphémères, et fragiles, mais emplies de beauté.
Il a fait son devoir en défendant son pays dans la guerre de Corée (tout comme mon père, d'ailleurs), et il est ancien vétéran, fréquentant d'autres vétérans qui n'aiment pas trop qu'on ridiculise et dévalorise les services qu'ils ont rendus au pays dans le temps, même si c'est avec de bonnes intentions toutes dégoulinantes.
Son travail, en vraie passion, l'a tenu debout, et il s'y est dévoué pendant sa vie d'adulte, délaissant femme, fille... famille, quoi...qui lui font bien sentir, avec une amertume acariâtre, à quel point il n'a pas été à la hauteur de leur amour...Elles lui en veulent toujours d'avoir choisi son travail plutôt que leur amour...
Ce travail l'a fait "louper" la cérémonie de mariage de sa fille qu'il devait donner à l'autel, mais qui est restée en plan (manifestement, Earl n'a pas eu de fils, mais de filles. Détail très important.).
Bref, Earl a fait ses choix dans son existence, et sa famille est passée derrière.
Le jour où Internet a raison de son commerce des fleurs, il doit mettre sa clef sous la porte, et trouver une solution, et c'est là qu'il commence à faire la mule pour un cartel de drogue, ignorant dans un premier temps ce qu'il transporte.
Earl aime conduire, et sur de longues distances : c'est son côté cowboy moderne qui aime tracer les routes, sans jamais avoir de P.V.
Et il faut avouer, qu'à plus de 80 ans, il est une mule assez improbable POUR TOUT LE MONDE, gangsters ET flics, qui ont de terribles préjugés pour des gens convaincus d'être o combien.. réalistes dans notre monde, et semblent penser que les vieux sont faibles ET débiles DE NATURE !
Earl va transporter une quantité de coke impressionnant pour ses nouveaux employeurs, prenant progressivement conscience de ce qui se passe.
Et il va gagner une fortune en contrepartie, qu'il dépensera à renflouer l'association de Vétérans, à aider la communauté, à s'acheter un nouveau pick-up tout rutilant, à racheter son commerce des fleurs, et sa maison.
Son contact avec le monde de la drogue va le transformer, ET transformer ses employeurs, dans un premier temps. Ce vieil homme dur à cuire va adoucir les moeurs barbares des nouveaux jeunes barbares, pour un temps.
Plusieurs histoire s'enchevêtrent dans le film, et malfrats et justiciers sont dépeints avec finesse et complexité dans des séquences où nous voyons un jeune malfrat s'ouvrir à une vision plus complexe du monde, alors qu'un flic submergé par son boulot entrevoit la pente savonneuse où mène l'oubli de la famille dans l'exercice d'un métier passionnant et prenant.
Je précise qu'Earl n'est pas du tout un saint, et que même à 85 ans passés, ça ne lui déplaît pas de se trouver en compagnie de belles filles qui lui offrent leurs services, mais le film est plus que pudique sur la nature de ces services, et nous en sommes soulagés.
Et à la fin, la rédemption arrive pour Earl, qui a "sacrifié" sa famille, mais qui regagne l'amour des siens... sur le tard.
Pour Eastwood, le pardon est possible, même tard, et après une vie de fautes, et cela nous donne de l'espoir...
Et.. il y a un happy end pour un vieil homme de 85+, dont le corps est tout noué, tatoué, pas beau, avec que des restes fugaces de la beauté virile qui fut la sienne.
Un happy end où Earl finit debout... ET LIBRE, aussi libre qu'on puisse être à 85 ans, dans le monde qui est le nôtre.
Un très grand moment de cinéma humaniste.

dimanche 10 février 2019

Furia. Lia Rodrigues.

Maintenant  pour la danse, ça se passe à la Rampe, parait-il et non plus à la MC2, c’est ce que je pensais jusqu’à ce soir, où le spectacle de celle qui avait déjà proposé « Pindora » m’a encore surpris http://blog-de-guy.blogspot.com/2016/11/pindorama-lia-rodrigues.html.
Le titre laissait prévoir des moments fougueux, ils arrivent accompagnés de chants kanaks envoutants après une longue plage de silence.
La lente émergence des corps recouverts d’oripeaux depuis des tas de tissus puis se trainant dans des haillons laisse entrevoir des peaux barbouillées de pigments. Dix danseurs s’entraident, se chevauchent, se dépouillent en un cortège qui prend des allures de « Radeau de la méduse » ou la tribu dépenaillée du « Caïn » de Fernand Cormon. Quand la danse, la transe adviennent, nos bouches béent. Mais cette résolution attendue est brève, les cheminements laborieux reprennent et si des mouvements évoquent des accouplements, les rapports entre ces corps qui révèlent leur beauté sont brutaux, avant de s’effondrer à nouveau après la parade alanguie d’une reine des chiffons.
Une heure forte qui restera en mémoire.

samedi 9 février 2019

L’attrape cœur. J.D. Salinger.

Ce livre culte, de bientôt 70 ans d’âge, vient de m’être offert dans une jolie édition poche de chez Robert Laffont. Il est toujours vert, même si des expressions argotiques qui ne manquent pas, sont tombées en désuétude, alors que les graffitis tels « va te faire enculer » commençaient à couvrir les murs.
A New York, dans les années 50, un adolescent est renvoyé de son collège, il attend trois jours avant de rentrer chez ses parents aisés, vit à l’hôtel, se déplace en taxi, se saoule, fume sans arrêt, va en boîte et ne conclut pas avec la prostituée qu’il a commandée.
Il porte sur ses contemporains un regard sans concession qui donne tout leur sel à ces 245 pages et n’en fait que mieux ressortir sa tendresse exceptionnelle pour sa petite sœur.
«  Ce mec, il avait tout. Sinusite, boutons, dents gâtées, mauvaise haleine, ongles pourris. On pouvait pas s’empêcher de le plaindre un peu, le pauvre con. »
Le narrateur excessif, drôle et agaçant, hyper sensible et indifférent, de mauvaise foi, s’apitoyant sans cesse sur lui-même, alors qu’il se laisse couler, abordant à la frange des territoires de la folie, est intéressant.
Je n’ai pas lu une charge contre le rêve américain d’alors, mais la vive chronique d’un môme, qui n’arrive pas littéralement à rentrer dans la maison adulte.
Le titre, à ne pas confondre avec « L’arrache cœur » de Vian, m’est resté énigmatique, jusqu’à cette rare métaphore poétique : 
« Je me représente tous ces petits mômes qui jouent à je ne sais quoi dans le grand champ de seigle et tout. Des milliers de petits mômes et personne avec eux, je veux dire pas de grandes personnes - rien que moi. Et moi je suis planté au bord d'une saleté de falaise. Ce que j'ai à faire c'est attraper les mômes s'ils s'approchent trop près du bord. Je veux dire, s'ils courent sans regarder où ils vont, moi je rapplique et je les attrape. C'est ce que je ferais toute la journée. Je serais l'attrape-cœurs et tout. »
De cœur, de sentiments, il en est pourtant peu question, mais d’après des commentaires cette falaise serait celle du grand saut hors de l’enfance.

vendredi 8 février 2019

Chaudrons fêlés.

Mes incertitudes vacillent quand les mots en sont à raser des interlocuteurs dès qu’ils dépassent le calibre sujet / verbe / complément, sans smiley.
Les émoticônes se sont diversifiés en petits cacas pour enrichir les échanges sur les réseaux sociaux. Ceux-ci devaient ouvrir à la diversité, ils ont restreint les groupes qui s’excitent et minent la confiance, ingrédient essentiel à la vie démocratique, en voie de rupture de stock.  
Alors je ramasse quelques mots tombés des emballages, des emballements et les relance sur les voies électroniques : paradoxes et contradictions, reniements et renâclements.
A défaut de saisir les significations de l’heure, j’essaye de regarder le travail du temps, bien que nos oreilles paresseuses ne saisissent plus les tics et tacs contradictoires qui tressent de la sagesse.
En ce moment, dans nos sociétés repues, respirer, boire de l’eau ou du vin, manger notre pain, appellent des excuses et des précautions.
Présentement les casaques jaunes sont en tête de gondole, si bien que les bolchos tolèrent les fachos pour faire la peau des libéraux.
Les démagos mouillent le maillot mais ne savent répondre : comment payer plus de justice sociale ?
Pédagos, bobos devenus, nous avions voulu des esprits critiques et nous avons gagné des sites complotistes où est mise en doute jusqu’à la rotondité de la terre.
Qui ne réclame pas l’intervention des corps intermédiaires ? Mais où sont-ils passés ?
Sabre et goupillon rouillent dans les vide-greniers et les syndicats sont à la rue.
Nous avions voulu la réduction du temps de travail, et le labeur n’est plus une valeur.
Nous voulions « vivre et travailler au pays » : il n’y a plus guère de taf et le pays n’est plus.
Nous estimions toute profession respectable ; le terme « boulot de merde » est advenu.
Nous rêvions de légèreté, nous avons récolté l’indifférence.
Nous aspirions à une intelligence collective : ah non pas de prise de tête !
Nous croyions que les dieux étaient morts ; les culs bénits tournés vers la Mecque nous tournent le dos.
Qui n’a pas condamné l’apartheid en Afrique du Sud, aboli en 1991 ?
En 2019 dans des facs françaises sont installés des ateliers de « non mixité raciale ».
Les élus sont moins bien considérés que les porcs des abattoirs, alors que les discussions politiques n’ont jamais été aussi vives.
Les symboles de la République, ses lieux, ses défenseurs, la presse, sont agressés violemment et ce sont les agresseurs qui couinent.
Nous avions tellement ri : Charlie a été flingué et les degrés de l’humour se sont brouillés.
J’avais choisi Hollande car il pouvait le mieux rassembler; la France est divisée comme jamais.
J’ai choisi Macron pour le renouveau, et tous les conservatismes de se déchaîner. 
A quoi pourraient servir tous ces remords morts ?
 « La parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles. » Flaubert
Et Jean Louis Murat en fond sonore :
« Le paysan est mouru
Qu’est ce qui nous a fait ça ? »
......  
Les illustrations proviennent d'une exposition de photographes italiens à l'ancien musée de Grenoble.

jeudi 7 février 2019

Génie, folie, mélancolie. Christian Loubet.

Hippocrate, parmi quatre humeurs, distinguait la bile noire ou « atrabile » venant de la rate dont le dérèglement rend triste, atrabilaire. Quand Aristote voyait dans cette manière d'être un moyen de manifester sa créativité, Platon y lisait une intervention divine. Depuis l’antiquité la neurasthénie est un thème majeur que nous invite à examiner, de Dürer à Picasso, le conférencier devant les amis du musée de Grenoble. Cet « Homme des douleurs », Christ désolé, est-il de Dürer ? Il semble désillusionné : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Les ermites au début du moyen âge souffrent d’ « acédie », un découragement et des hallucinations causées sans doute par Satan, cousin de Saturne, la planète la plus sombre et la plus éloignée.
Les « Tentations de Saint Antoine » de Bosch expriment ces déchirements
comme les gravures de Martin Schongauer.
« La chauve- souris » de Dürer, liée à l’insomnie traduit l’inquiétude de l’artiste.
Son emblématique « Mélancolia » n’arrive pas à voler, la géomètre est impuissante malgré les instruments de mesure et de maîtrise du monde. Entre l’enfant, figure positive et le chien sujet à des agitations imprévisibles, l’artiste tourmenté ne trouve pas forcément dans le savoir un remède à la déréliction. Au fond sous une cloche, le carré magique de 34, talisman jupitérien pourra-t-il contrer les effets négatifs de Saturne ? Michel Ange, grand dépressif, était un grand actif.
Lorsque le sang dilue la bile noire et provoque la colère, la tentatrice en rouge et noir, la « Mélancolie » de Cranach, aux séductions vénusiennes (putti, pommes, perdrix,  balançoire) taille une verge ensorcelante devant sanglier, génisse, dragon et bouc menant une cavalcade sabbatique, tout au fond.
Au pays des vanités baroques, parmi  quelque « Aboli bibelot d'inanité sonore » comme disait Mallarmé,
Sébastien Stoskopff, illustre le quatrain figurant sur sa « Grande vanité » :
«  Art, Richesse, Puissance et Bravoure meurent
Du monde et de ses oeuvres rien ne demeure
Après ce temps viendra l'Éternité
Ô fous, fuyez la vanité. »
Diderot avait parlé du « sentiment habituel de notre imperfection », mais Füssli à l’époque romantique, où le spleen touche au sublime, livre un puissant « Silence »  prostré, au tracé élémentaire,
et un fantastique « Cauchemar », « nightmare » en anglais qui se traduit aussi par « jument de la nuit ».
Goya, au frontispice des Caprices, avait inscrit « le sommeil de la raison engendre des monstres ». Dans « La Maison de fous » se côtoient agités et prostrés.
« Sadarnapale » sacrifiant ses femmes, peut être un artiste incompris, Delacroix, qui rencontre Nerval : « Je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé,
Le Prince d’Aquitaine à la tour abolie :
Ma seule étoile est morte,  et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie. »
Le mot dépression est moderne, « Le cri »  de Munch était inévitable. L’enfant relié aux parents situés en arrière, ne supporte pas le cri de la nature, son visage devient crâne.
La mère de Chirico était possessive, barre-t-elle la place ou bien c’est Ariane abandonnée par Thésée ? C’est « La mélancolie ».
« L’ouvreuse » d’Hopper ne regarde plus les ombres grises projetées sur la paroi, elle est seule.
A la suite de Dix, Grosz, Magritte, Degas, et même Bonnard qui ont donné visage aux solitudes et autres oiseaux de nuit, et Picasso après la mort de son meilleur ami ou son dernier autoportrait raclé jusqu’à l’os retournant au primate, je retiens « Le fauteuil gris » de Zoran Music qui avait survécu à Dachau.
Les écrivains n’ont pas manqué non plus autour des ciels vides et des dieux morts,  mais l’exposition proposée par Jean Clair en 2005 «  Mélancolie: Génie et folie en Occident » a laissé un souvenir qui dure. Un livre est toujours disponible qui est ainsi présenté: 
« Depuis certaines stèles antiques jusqu'à de nombreuses œuvres contemporaines, en passant par de grands artistes comme Dürer, La Tour, Watteau, Goya, Friedrich, Delacroix, Rodin ou Picasso, l'iconographie de la mélancolie, d'une richesse remarquable, offre une nouvelle approche de l'histoire du malaise saturnien et montre comment cette humeur sacrée a façonné le génie européen. »
Ron Moeck : « Le gros »