Les ermites au début du moyen âge souffrent d’ « acédie »,
un découragement et des hallucinations causées sans doute par Satan, cousin de
Saturne, la planète la plus sombre et la plus éloignée.
Les « Tentations
de Saint Antoine » de Bosch expriment ces déchirements
comme les
gravures de Martin Schongauer.
« La chauve- souris » de Dürer, liée à l’insomnie
traduit l’inquiétude de l’artiste.
Son emblématique « Mélancolia » n’arrive pas
à voler, la géomètre est impuissante malgré les instruments de mesure et de
maîtrise du monde. Entre l’enfant, figure positive et le chien sujet à des
agitations imprévisibles, l’artiste tourmenté ne trouve pas forcément dans le
savoir un remède à la déréliction. Au fond sous une cloche, le carré magique de
34, talisman jupitérien pourra-t-il contrer les effets négatifs de Saturne ?
Michel Ange, grand dépressif, était un grand actif.
Lorsque le sang dilue la bile noire et provoque la colère,
la tentatrice en rouge et noir, la « Mélancolie » de Cranach,
aux séductions vénusiennes (putti, pommes, perdrix, balançoire) taille une verge ensorcelante
devant sanglier, génisse, dragon et bouc menant une cavalcade sabbatique, tout au fond.
Au pays des vanités baroques, parmi quelque « Aboli bibelot d'inanité
sonore » comme disait Mallarmé,
Sébastien Stoskopff, illustre le quatrain figurant sur sa
« Grande vanité » :
« Art, Richesse,
Puissance et Bravoure meurent
Du monde et de ses oeuvres
rien ne demeure
Après ce temps viendra
l'Éternité
Ô fous, fuyez la
vanité. »
Diderot avait
parlé du « sentiment habituel de
notre imperfection », mais Füssli à l’époque romantique, où le spleen
touche au sublime, livre un puissant « Silence » prostré, au tracé élémentaire,
et un fantastique « Cauchemar », « nightmare »
en anglais qui se traduit aussi par « jument
de la nuit ».
Goya, au frontispice des Caprices, avait
inscrit « le sommeil de la raison
engendre des monstres ». Dans « La Maison de fous » se côtoient agités et prostrés.
« Sadarnapale » sacrifiant ses femmes, peut être un artiste
incompris, Delacroix,
qui rencontre Nerval : « Je
suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé,
Le Prince d’Aquitaine à la tour abolie :
Ma seule étoile est morte, et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie. »
Le Prince d’Aquitaine à la tour abolie :
Ma seule étoile est morte, et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie. »
Le mot dépression est moderne, « Le cri »
de Munch
était inévitable. L’enfant relié aux parents situés en arrière, ne supporte pas
le cri de la nature, son visage devient crâne.
La mère de Chirico était possessive, barre-t-elle la place ou
bien c’est Ariane abandonnée par Thésée ? C’est « La mélancolie ».
« L’ouvreuse » d’Hopper ne regarde plus les ombres grises
projetées sur la paroi, elle est seule.
A la suite de Dix, Grosz,
Magritte,
Degas,
et même Bonnard
qui ont donné visage aux solitudes et autres oiseaux de nuit, et Picasso
après la mort de son meilleur ami ou son dernier autoportrait raclé jusqu’à
l’os retournant au primate, je retiens « Le fauteuil gris » de Zoran Music
qui avait survécu à Dachau.
Les écrivains n’ont pas manqué non plus autour des ciels
vides et des dieux morts, mais l’exposition
proposée par Jean Clair en 2005 « Mélancolie: Génie et folie en Occident »
a laissé un souvenir qui dure. Un livre est toujours disponible qui est ainsi
présenté:
« Depuis
certaines stèles antiques jusqu'à de nombreuses œuvres contemporaines, en
passant par de grands artistes comme Dürer, La Tour, Watteau, Goya, Friedrich,
Delacroix, Rodin ou Picasso, l'iconographie de la mélancolie, d'une richesse
remarquable, offre une nouvelle approche de l'histoire du malaise saturnien et
montre comment cette humeur sacrée a façonné le génie européen. »
Ron Moeck : « Le gros »