jeudi 7 février 2019

Génie, folie, mélancolie. Christian Loubet.

Hippocrate, parmi quatre humeurs, distinguait la bile noire ou « atrabile » venant de la rate dont le dérèglement rend triste, atrabilaire. Quand Aristote voyait dans cette manière d'être un moyen de manifester sa créativité, Platon y lisait une intervention divine. Depuis l’antiquité la neurasthénie est un thème majeur que nous invite à examiner, de Dürer à Picasso, le conférencier devant les amis du musée de Grenoble. Cet « Homme des douleurs », Christ désolé, est-il de Dürer ? Il semble désillusionné : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Les ermites au début du moyen âge souffrent d’ « acédie », un découragement et des hallucinations causées sans doute par Satan, cousin de Saturne, la planète la plus sombre et la plus éloignée.
Les « Tentations de Saint Antoine » de Bosch expriment ces déchirements
comme les gravures de Martin Schongauer.
« La chauve- souris » de Dürer, liée à l’insomnie traduit l’inquiétude de l’artiste.
Son emblématique « Mélancolia » n’arrive pas à voler, la géomètre est impuissante malgré les instruments de mesure et de maîtrise du monde. Entre l’enfant, figure positive et le chien sujet à des agitations imprévisibles, l’artiste tourmenté ne trouve pas forcément dans le savoir un remède à la déréliction. Au fond sous une cloche, le carré magique de 34, talisman jupitérien pourra-t-il contrer les effets négatifs de Saturne ? Michel Ange, grand dépressif, était un grand actif.
Lorsque le sang dilue la bile noire et provoque la colère, la tentatrice en rouge et noir, la « Mélancolie » de Cranach, aux séductions vénusiennes (putti, pommes, perdrix,  balançoire) taille une verge ensorcelante devant sanglier, génisse, dragon et bouc menant une cavalcade sabbatique, tout au fond.
Au pays des vanités baroques, parmi  quelque « Aboli bibelot d'inanité sonore » comme disait Mallarmé,
Sébastien Stoskopff, illustre le quatrain figurant sur sa « Grande vanité » :
«  Art, Richesse, Puissance et Bravoure meurent
Du monde et de ses oeuvres rien ne demeure
Après ce temps viendra l'Éternité
Ô fous, fuyez la vanité. »
Diderot avait parlé du « sentiment habituel de notre imperfection », mais Füssli à l’époque romantique, où le spleen touche au sublime, livre un puissant « Silence »  prostré, au tracé élémentaire,
et un fantastique « Cauchemar », « nightmare » en anglais qui se traduit aussi par « jument de la nuit ».
Goya, au frontispice des Caprices, avait inscrit « le sommeil de la raison engendre des monstres ». Dans « La Maison de fous » se côtoient agités et prostrés.
« Sadarnapale » sacrifiant ses femmes, peut être un artiste incompris, Delacroix, qui rencontre Nerval : « Je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé,
Le Prince d’Aquitaine à la tour abolie :
Ma seule étoile est morte,  et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie. »
Le mot dépression est moderne, « Le cri »  de Munch était inévitable. L’enfant relié aux parents situés en arrière, ne supporte pas le cri de la nature, son visage devient crâne.
La mère de Chirico était possessive, barre-t-elle la place ou bien c’est Ariane abandonnée par Thésée ? C’est « La mélancolie ».
« L’ouvreuse » d’Hopper ne regarde plus les ombres grises projetées sur la paroi, elle est seule.
A la suite de Dix, Grosz, Magritte, Degas, et même Bonnard qui ont donné visage aux solitudes et autres oiseaux de nuit, et Picasso après la mort de son meilleur ami ou son dernier autoportrait raclé jusqu’à l’os retournant au primate, je retiens « Le fauteuil gris » de Zoran Music qui avait survécu à Dachau.
Les écrivains n’ont pas manqué non plus autour des ciels vides et des dieux morts,  mais l’exposition proposée par Jean Clair en 2005 «  Mélancolie: Génie et folie en Occident » a laissé un souvenir qui dure. Un livre est toujours disponible qui est ainsi présenté: 
« Depuis certaines stèles antiques jusqu'à de nombreuses œuvres contemporaines, en passant par de grands artistes comme Dürer, La Tour, Watteau, Goya, Friedrich, Delacroix, Rodin ou Picasso, l'iconographie de la mélancolie, d'une richesse remarquable, offre une nouvelle approche de l'histoire du malaise saturnien et montre comment cette humeur sacrée a façonné le génie européen. »
Ron Moeck : « Le gros »

mercredi 6 février 2019

Lacs italiens # 9. Vérone suite.

Les quatre amichi sont pronti à l’heure dite 9h pour se lancer à nouveau à l’assaut de VERONE. Aujourd’hui, nous prévoyons d’utiliser les billets achetés à Sant’ Anastasia valables pour entrer dans trois autres églises sans limitation de dates.
Nous commençons par la basilique San Zeno (Saint Zénon) la plus excentrée, en traversant l’Adige par le pont Risorgimento.
Nous attendons tranquillement l’heure d’ouverture annoncée à 10h nous laissant le temps d’admirer
- la façade lombarde striée de tuf clair et de briques rouges,
- le magnifique prothyron ("petit édicule architecturé construit devant l'entrée principale d'une église") décoré de bas-reliefs et soutenu par deux colonnes portées par deux lions .
- et une rosace surnommée « roue de la fortune » en raison de petites sculptures qui rappellent la destinée humaine.
 
 
La visite de l’intérieur nous est facilitée par le prêt d’audio guides en français qui nous informe sur :
- la lourde porte en bronze compartimentée en scènes bibliques sans ordre logique entrecoupées de têtes de personnages ou d’animaux
- une grande nef qui se poursuit vers l’église supérieure au-dessus de la crypte  à neuf allées  accueillant le tombeau de Zeno
On y accède par deux escaliers latéraux menant au joyau de l’église : le retable La vierge en majesté  d’Andrea Mantegna, chef d’œuvre de la Renaissance
Sur les murs dénudés subsistent quelques  fresques aux tons pastels dont une scène avec des scorpions disposés sur la nappe, symboles de la trahison
Une statue de Zénon riant confirme l’information audio comme quoi, le saint serait un Noir, un Maure de Mauritanie
Nous terminons par une promenade dans le cloître en parfait état.
Nous marchons ensuite jusqu’au Castel vecchio. En chemin, nous passons devant une peluccheria d’où s’échappe la voix lyrique du coiffeur audible dans toute la rue. Nous applaudissons ce « barbier de Vérone » amateur du bel canto encore si prisé des italiens.
Le Castel vecchio assorti à son pont sur l’Adige constitue un ensemble fortifié  bien retapé, avec ses  briques rouges, créneaux en ailes d’hirondelle, chemins de ronde et douves. J. renonce à la visite  et préfère nous attendre dans la cour intérieure tandis que nous déambulons dans le musée.
Le rez-de-chaussée est consacré à des statues religieuses et moyenâgeuses ; les femmes portent souvent deux longues tresses fusionnées en une seule à mi-parcours.
 
 
 
La muséographie est aérée, avec un éclairage naturel et un ajout de passerelles en métal qui s’associent  bien aux murs anciens, dans le même esprit que dans le musée de l’Evêché à Grenoble. Les deux étages supérieurs exposent  des peintures du XIV° siècle, heureusement mises en valeur dans un espace où l’on a pu conserver des fresques décoratives aux motifs géométriques, parfois inspirées par les tissus d’antan.
Beaucoup de Vierges à l’enfant, de peintures religieuses  sont disposées sans entassement dans les salles, certaines frappent par leur modernité, dans la façon de peindre des aplats ou de dessiner les traits des personnages par exemple. Nous avons le droit de nous promener sur des portions de chemins de ronde, d’où nous dominons l’Adige.

mardi 5 février 2019

Le der des ders. Daeninckx / Tardi.

La vie est violente encore après la boucherie de la « Grande » guerre et lorsqu’un détective hanté par les tranchées enquête au service d’un ancien gradé, sa vision de l’humanité va insister dans le noir et blanc.
Les discours patriotiques sont une nouvelle fois vidés de leur substance héroïque lorsqu’au-delà des mots trompeurs, la lâcheté, les passions les plus basses se déchainent et perdurent.
Les deux auteurs complices ont travaillé le sujet et nous remettent en mémoire la révolte des soldats russes en 17 réprimée par l’armée française au camp de La Courtine, ou reviennent sur les tirs d’artillerie qui ont tué ceux qu’ils étaient sensés protéger. 
De belles pages antimilitaristes peuvent s’écrire au-delà de l’armistice avec les trafics divers de l’après guerre. Le scénario est parfois alambiqué, mais les paysages urbains sont toujours aussi réussis et les  contrastes en noir et blanc conviennent tant à cette période qu’on en apprécie même une certaine raideur des personnages.
J’avais tellement dans les mirettes l’expression « la » der des ders que je n’avais pas vu le titre « le » der des ders, mais le sujet essentiel pour moi est resté l’horreur collective de ces 10 millions de morts qui ont marqué notre civilisation au plus profond.

lundi 4 février 2019

Un violent désir de bonheur. Clément Schneider.

Le titre fort appelle une déception proportionnelle, née dès un premier plan qui sonne faux aussi bien dans les mots que dans la façon de filmer. Alors qu’il est question de la révolution française en 1792 dans l’arrière pays niçois, pas encore français, un moine va se déguiser en soldat de la République sans tergiverser. Dans le même élan il culbute une jeune fille noire qui accompagnait la troupe, appelée comment ? Non ? Si : Marianne ! Alors il est forcément distrait lors de la cueillette des olives, et si sa brouette destinée à recueillir quelques brindilles a des problèmes de roulement, un bain dans la rivière sera bienvenu. Il est question d’émancipation, de flamme et c’est récité sur un ton tellement monocorde que l’ennui nous tombe dessus. Cette forme d’un autre âge qui parodie Bresson ou un Rousseau Jean Jacques pour les très nuls, ne délivre heureusement pas de message politique, tel que le rythme d’un rap initial avait pu le laisser craindre ou espérer. Un violent désir de quitter la salle avant la fin du film.

dimanche 3 février 2019

Good and guest. Rodolphe Burger.

Les paroles sont en anglais et  en allemand, et quand c’est en français, dans le mode « ne-me- quitte-pas-moi », nous restons dans le blues entêtant.
A la MC 2, les musiques peuvent taper, mais c'est avec élégance, le public est pourtant différent de celui qui  ne se met debout seulement lorsque le spectacle est exceptionnel. Quand des chanteurs s’y produisent, ce sont les fans qui viennent avec un enthousiasme que je n’ai pas partagé car je n’avais pas de connaissance approfondie de l’œuvre de ce collaborateur de Bashung et Higelin.
Le rocker alsacien parait désinvolte comme il se doit, mais il « assure », changeant de guitare entre chaque morceau. Bertrand Belin participe, toujours aussi énigmatique,  http://blog-de-guy.blogspot.com/2014/02/parcs-bertrand-belin.html . Avec un plateau conséquent et variable, le fondateur du groupe Kat Onoma livre une musique qui pourrait être envoutante si j’avais été emballé par la poésie des textes auxquels je suis resté étranger avec mes rigidités d’amateur d’une chanson française où les sons ne prenaient pas le pas sur le sens. Je vais me contenter des rééditions des Clerc, Thiéfaine Hubert Félix tout en évitant Popolnareff et autre qui n'en finissent pas de sortir.

samedi 2 février 2019

Conversations avec un enfant curieux. Michel Tremblay.

Dialogues chaleureux et cocasses de l’écrivain en devenir avec son entourage à propos de Bambi, de l’usage du tutoiement, du troisième secret de Fatima, du rôle d’Hérode et de l’opération du Saint Esprit.
«  Le Saint-Esprit a opéré le père, ça a donné le fils, donc c’était une femme. Ensuite il a opéré la Sainte Vierge, pis ça a donné le petit Jésus, donc c’était un homme… quel genre de famille que c’est donc ? »
L’opinion que l’on a d’un livre peut être fluctuante : séduit au début par l’espièglerie du petit garçon, j’ai été agacé par la suite comme ses interlocuteurs fatigués de ses questions incessantes, puis espaçant mes lectures, j’ai retrouvé les personnages avec plaisir, si bien que les 150 pages m’ont parues trop brèves.  Mais l’auteur canadien est prolixe.
La langue est savoureuse et de l’amour circule:
« Je sais pas si la mère de Bambi se plaint, comme madame Lafortune, à côté de chez-nous, parce qu'à' voit jamais son mari... Mais ma mère m'a dit de pas parler de ces affaires-là, que ça nous regarde pas. »
Ponctué par des sourires, c’est le roman d’une enfance heureuse qui voudrait durer et promet par ses découvertes de la musique classique, de la littérature, de grands moments à venir. Un destin se dessine lorsqu’il montre sa préférence pour les poupées découpées plutôt que pour les garages.

vendredi 1 février 2019

Où avais-je la tête ?


Qu’ai-je à revenir sur cette guillotine qui fut dressée à un carrefour pour me confirmer dans une peur des gilets jaunes ? Ils ont un bouc émissaire et veulent lui couper le cou, risquant de perdre ainsi l’objet fédérateur de leur haine. En s’en prenant de surcroit  aux médias responsables de la décrue de leur mouvement et célébrant leurs martyrs, ils semblent s’approcher de la fin.  
Parmi eux, dès qu’un leader apparaît, un sens de l’égalité très enfantin, les amène à raccourcir tout ce qui dépasse, il est vrai qu’entre casquette à l’envers et complotistes en escadrilles, des leaders ont du mal à émerger. Et à écouter quelques porte-parole locaux cela ressemble plus à un Téléthon pour abstentionnistes qu’au surgissement des lumières qui fondèrent les Droits de l’homme. 
Insérer ici l’image d'un canard qui court encore, bien qu’ayant perdu sa tête.
Dans notre monde où l’on ne cesse de regretter la personnalisation des pouvoirs, on recherche pourtant tout le temps de nouvelles têtes qui nous conviendraient, mais leur obsolescence programmée vient si vite. Ségo fit une semaine comme sauveure du PS quand tant d’Insoumis sont fatigués de leur Leader Maximo.
Au bout des bras, un téléphone, pour un selfie, dit bien l’hypertrophie de l’individu élevant chacun à la condition de journaliste. Ceux-ci trainent une culpabilité qui les fait ramper et se soumettre à la doxa de l’heure.Témoin le site place Gre’net aussi confondant de conformisme que le quotidien local objet de toutes les critiques, en plus gnangnan pour ce qui est du compte rendu des manifs.
Quel média enquêtera sur les incendies qui se multiplient par chez nous et qui valent littérature masquée sur les réseaux? « Beaucoup font couler l’encre à propos des médias pour les critiquer, peu font couler l’essence dans leur locaux pour les incendier ». Radio France Isère!
« Beaucoup font couler l’encre à propos des médias pour les critiquer, peu font couler l’essence dans leur locaux pour les incendier »,

Source : article Une revendication ? Un texte posté sur les réseaux anarchistes salue l'incendie de France Bleu Isère | Place Gre'net - Place Gre'net
« Le flot déchaîné de l’information à outrance a transformé le journalisme, tué les grands articles de discussion, tué la critique littéraire, donné chaque jour plus de place aux dépêches, aux nouvelles grandes et petites, aux procès-verbaux des reporters et des interviewers. » Zola
Quand le réel s’efface derrière les écrans, l’impunité qui se permettait de tout dire, tout faire, se prend des gnons. Le concret est revenu avec ses boucliers; la République ne peut vivre sans ordre.
Ah ! Voir derrière tout acte, un chef d’orchestre clandestin est vieux comme le monde, remonte haut dans les cieux et sert dans tous les camps. Cette facilité devient automatique comme clic, avec un retour inopiné des juifs dans un rôle où ils ont toujours été plébiscités.
Inévitable sur ce blog un détour vers l’école où y tout ce qui explose mijotait depuis un moment. 
Il n’était plus enviable d’être tête de classe depuis un bail, désormais il convient plutôt d’être « populaire », depuis que réfléchir a signifié « prise de tête ». 
Nous payons ces confusions remontant à loin où les classements implicites plus pernicieux que les classements explicites abandonnés depuis longtemps, privilégient la quantité sur la qualité, le nombre de followers sur la pertinence des propos.
J’avais enseigné à des enfants qu’en 1789 l’arbitraire et la tyrannie avaient pris fin et nous avions étudié les mécanismes de notre démocratie en éducation civique. Aujourd’hui certains rêvent de renverser la République… coiffés d’un bonnet phrygien. Nous avons dû manquer de pédagogie comme on dit  chaque fois qu’on a échoué. Mais pas grand monde ne dénonce cette escroquerie intellectuelle quand sont mises en parallèle la fin de la royauté et les contestations envers nos institutions heureusement solides.
Comme je cherche pour chaque article une citation, je vais essayer de refourguer quelques données statistiques qui m’ont étonné concernant la fiscalité:
«  Avant redistribution l’écart des 20% des contribuables les plus aisés et les 20% les plus modestes est de 8,4, après redistribution, il passe à 3,9. » 
......
 Le dessin ci-dessus est de Plantu dans "Le Monde"