mardi 24 avril 2018

Filles des oiseaux 2. Florence Cestac.

J’ai beau les connaître par cœur les soixante huitardes, elles me font toujours sourire, et  pour la Cestac, je me mettrais même à m’habituer à ses gros nez.
50 pages simples et efficaces, c’était tout à fait ça :
rigolo et pathétique, comme ce  conformisme des anti-conformistes
« - C’était des spectacles insolites, très dépouillés, très longs, que si tu les ratais t’étais un naze.
 - Du théâtre du soleil, très cosmopolite, très populaire, très partageur et très engagé.
Que si tu n’avais pas partagé la soupe avec eux, t’étais un perdu de la vie.
- Du rock, du pop rock, du hard rock, du funk, du reggae, du black métal…
Que si tu n’avais pas vu le concert de machin, il vaut mieux en finir… »
Une des deux copines du pensionnat des oiseaux, a suivi un glandeur magnifique en Angleterre et l’autre s’est lancée dans les choux à la crème avec Benoît, mais leurs couples ont  foiré et après des années d’ivresse elles se sont retrouvées mamans, pas si loin des attitudes de leurs propres parents qu’elles ne supportaient plus.
Les fous rires demeurent et les BD au loin les suivent.

lundi 23 avril 2018

Mes provinciales. Jean-Paul Civeyrac.


Un jeune lyonnais monte à Paris pour des études de cinéma.
Journal d’un mou qui ne participe même pas tellement aux conversations au cours de soirées fréquentes, voire en cours, passant quelques instants avec ses charmantes colocataires ou suivant d’autres étudiants aux personnalités plus affirmées.
Un film de plus qui prétendrait saisir l’air du temps en évoquant ZAD et migrants tout en citant Pasolini, Novalis, Pascal, Nerval : bien plus que cela. Le noir et blanc n’est pas chichiteux mais   permet de déplier dans une langue très contemporaine des préoccupations éternelles. Pas d’omniprésence des téléphones comme dans la vraie vie, et les clean quais de Seine sont toujours aussi cinématographiques. Quand le suicide devient un art de vivre, la lanterne magique peut-elle résoudre le mal de vivre par un cadrage? 
Tendre, léger et grave, actuel et intemporel, littéraire et incarné, poétique et naturel.
La mise en œuvre des préceptes cinématographiques discutés par les jeunes excellents acteurs prénommés Andranic, Gonzague, Corentin, Sophie… est limpide et traite sur un ton nouveau de la légèreté, de l’ambition, de l’engagement, de la sincérité, de l’amour …
Et Paris, même pour ma génération de pères qui ont laissé cette planète ravagée à leurs enfants, reste le lieu de toutes les promesses, celui de l’éternelle jeunesse.

dimanche 22 avril 2018

Ex anima. Zingaro.


Bartabas, je l’ai tant aimé et depuis si longtemps, que j’ai été submergé surtout par le fait que c’était la dernière fois que j’assistais à un de ses spectacles.
Désormais, plus de percheron magnifique, de cavalcade de rêve, de burlesque en pointillé dans des rituels où s’exprime toute la vigueur de notre condition de vivants musclés et nerveux, imprévisibles, reverra-t-on tant de beauté inédite sur une piste ?
C’était un soir d’été au bord du lac du Bourget, les amis sont assis à une grande table et nous partageons un verre de vin et des souvenirs
J’ai envie de vénérer ces chevaux auréolés de brume artificielle, où les numéros de cirque qu’ils effectuent, évitent de se laisser duper par quelque mythologie désincarnée. Sa poésie qui a partie liée à l'enfance va chercher vers l'autre extrémité de la vie.
Les palefreniers tout de noir vêtus viennent ramasser les crottins des blancs chevaux de porcelaine qui ont fait mine de combattre, délivrant quelques éclairs d’une violence contenue.
Un palan qui soulève un cheval  beau comme une chimère dans ses sangles, cliquette.
Un bourricot tourne ses oreilles dans tous les sens et braille. Des loups viennent sur un champ de bataille où des chevaux font les morts. Des  colombes se posent sur une croupe, de faux corbeaux et un épouvantail jouent, un cavalier est monté une fois, une seule, pour entraîner la troupe aux noms de peintres, Le Tintoret, ou de toreros, Manolette… Sûrement pas un troupeau, terme à réserver de préférence à quelques collégiens mal élevés en voyage scolaire.
A énumérer les tableaux dans leur diversité accordée par des sons élémentaires, ceux de la nature et des souffles aux sonorités irlandaises, tibétaines, avec appeaux qui obligent, nous revivons un moment exceptionnel.
J’ai envie de me replonger dans les mots d’un univers aperçu chez mon grand-père où on parlait d’anglo-arabes et d’ardennais, ce soir il y avait bien un shire avec ses grands fanons. Races et anatomie équines ont un vocabulaire particulier comme pour les robes : alezan, bai, isabelle, palomino, pie… l’animal peut « broncher» mais il vaut mieux éviter qu’il « tire au renard ».
Au tableau final un étalon réalise le tabou ultime sur scène de théâtre, il effectue une saillie, mais il n’a qu’un leurre pour conclure.
Le chapiteau est plongé dans le noir, nous applaudissons.

samedi 21 avril 2018

La succession. Jean Paul Dubois.


« Depuis que le monde était monde, il y avait toujours eu deux façons de le considérer. La première consistait à le voir comme un espace-temps de lumière rare, précieuse et bénie, rayonnant dans un univers enténébré, la seconde, à le tenir pour la porte d'entrée d'un bordel mal éclairé, un trou noir vertigineux qui depuis sa création avait avalé 108 milliards d'humains espérants et vaniteux au point de se croire pourvus d'une âme. »
Le narrateur est un harassé de la vie et pourtant il a aimé bondir au jaï - alaï, lieu où l’on joue à la pelote basque, qui signifie « jour de fête joyeux ».
« J’avais 44 ans, la vie sociale d’un guéridon, une vie amoureuse frappée du syndrome de Guillain-Barré et je pratiquais avec application et rigueur un métier estimable mais pour lequel je n’étais pas fait. »
Sa formation de médecin justifie une écriture précise qui nous fait sourire dans un premier temps avec ses diagnostics impitoyables jusqu’à ce que l’air de la tragédie  devienne dominant.
Désinvolture et humour entre Miami et Toulouse, gravité et profondeur.
« Cette femme obnubilait mes pensées. Auprès d’elle j’oubliais le caryotype de ma famille, les rouleaux de scotch, la dernière mort du quagga, le nom de mon recruteur, celui du boxeur, du fabricant de grand chistera, c’est à peine si je distinguais Khrouchtchev, Beria et Malenkov gigoter sur la photo en bas de page… »
Ce court extrait pour donner une idée du foisonnement des péripéties d’un parcours dépressif dans un style aussi lumineux qu’il peut être hanté par la mort.
« Elle me disait des choses que tous les enfants devraient entendre, des mots qui enlèvent la peur, bouchent les trous de solitude, éloignent la crainte des dieux et vous laissent au monde avec le désir, la force et l’envie d’y vivre. »
Léger et fort, excellent.
Au détour d’un avis concernant Annie Ernaux, je l’avais égratigné
et avais apprécié son efficacité dans un article sportif :
On peut changer.

vendredi 20 avril 2018

La loi.


Ceux qui avaient cru entendre l’appel au djihad d’un Dieu sanguinaire préféreraient, après tout, les rigueurs d’un état républicain. Quitte par ailleurs à bafouer la laïcité au nom de la laïcité. 
C’est une des forces de notre démocratie de permettre ces contradictions, ce qui ne dispense pas de désapprouver les individus qui prennent Marianne pour une trop bonne fille.
Des avocats sont venus apporter des arguments légalistes aux occupants illégaux de Notre Dame des Landes auprès de laquelle quelques dévots se prosternent : universitaires en mal de cabanes dans les arbres, architectes des zones humides et chroniqueurs qui en une phrase regroupent kurdes et bloqueurs d’amphi masqués, voire des sélectionnés hurlant contre la sélection.
L’hiver a été long, mai approche, la fontaine de jouvence éclabousse !
Il semble que notre époque soit bien trop complexe pour quelques distingués ayant la chance de s’exprimer dans le journal  « Le Monde ». Ils osent mettre la démocratie française au niveau d’une quelconque dictature et ces maîtres de conférence sèment le doute sur leur capacité à transmettre le goût de la nuance.
Les squatteurs de l’Ouest, apprentis paysans, eux n’encombreront pas les travées universitaires… quoique !
Et leurs soutiens, amateurs d’interdits, défenseurs d’occupations arbitraires, cautionnent des pratiques dignes du libéralisme le plus sauvage.
Alors que satisfaction a été donnée aux opposants à l’aéroport, leurs violences sont mises sur le compte de Bernard Arnaud et de Macron, Emmanuel Macron !
Pourtant toutes ces belles âmes à la moralité variable apprécient sûrement les sermons qui, à longueur de journées, visent à nous dissuader de manger du pain (gluten), de boire du vin (lobby des viticulteurs) et même de l’eau (bouteilles en plastoc), balisant nos vies de panneaux d’interdictions et d’avertissements.
Ce sont les mêmes qui s’extasient sur l’audace de ne pas mettre une cravate et trouver que c’est le summum du journalisme de ne pas écouter les réponses aux questions que le grossier Jean-Jacques Bourdin, Jean-Jacques Bourdin( !), vient lui même de poser. Ces parangons de vertu cathodiques peuvent-ils concevoir qu’ils ont devoir d’exemplarité et qu’une once de politesse ne nuirait pas à la crédibilité de leurs diatribes ?  Ils propagent l’hystérie et l’intolérance qui nourrissent les réseaux sociaux et au delà. Le prêcheur médiapartitif ne serait-il que le produit d’un système médiatique dopé au buzz, à la punch line, aux petits mots ?
Ils n’aiment pas la verticalité quand ce ne sont pas eux qui énoncent ; ils interrompent sans ménagement tout interlocuteur.
Eh bien moi, qui me sens toujours désigné par le terme « enseignant », utilisé souvent négativement dans les conversations par d’autres distributeurs de leçons, je poursuis le job. Bien que notre magistère ait tellement régressé, il n’y a pas de raison que seuls les humoristes donnent le ton. Professeurs et défunts instituteurs, tuteurs instituants, sont plus légitimes que certains parents qui aimeraient faire la loi. Mais s’il faut le rappeler c’est qu’il est tard.
Alors qu’on prête un libre arbitre à des bébés à peine descendus de la matrice, je me sens habilité, depuis l’autre extrémité de la vie, d’avoir un avis qui échappe à quelques conformismes. Ainsi pour ce qui sera de la citation que j’ai coutume de placer à la fin de mes écrits du vendredi, après m’être demandé qui m’avait mis en tête que Pierre Loti était ringard, je recopie cette phrase subtile, délicate, chantournée, à la ponctuation pourtant bizarre:
« C’est avec une sorte de crainte que je touche à l’énigme de mes impressions du commencement de la vie, - incertain si bien réellement je les éprouvais moi-même ou si plutôt elles n’étaient pas des ressouvenirs mystérieusement transmis… J’ai comme une hésitation religieuse à sonder cet abîme…»
…………………….
Le dessin de « Courrier international » :

jeudi 19 avril 2018

Paul III, le dernier pape humaniste de la renaissance. Serge Legat.


L’évocation d’Alessandro Farnese (portrait de Raphaël) élu pape en 1534 sous le nom de Paul III clôt devant les amis du musée de Grenoble, le cycle de conférences consacrées aux « fastes et splendeurs de Rome sous les papes de la Renaissance ».
Né à Rome en 1458, il est issu d’une grande famille italienne aux armoiries ornées d’iris - à ne pas confondre avec les lys royaux français - alors que du côté maternel un pape avait déjà été donné à la chrétienté, Boniface VIII.
Il reçoit une solide éducation grecque, latine, italienne, à Rome et à Florence où il se lie avec les Médicis et le futur pape Léon X. Dès ses 25 ans, nommé par Alexandre VI, il revêt la pourpre cardinalice pour 40 ans.  
Il fut surnommé, « il cardinale della Gonnella (jupon)» pour cette consécration précoce due aux charmes de sa sœur, La dame à la licorne, maîtresse du pape régnant de la famille Borgia.
Il a attendu son heure pour être plébiscité par le Saint Collège, parvenant à s’allier avec les familles hostiles entre elles. Sa générosité permise par des revenus opulents lui vaut le respect des artistes et du peuple romain qui va fêter un des siens accédant au pouvoir.
Avec sa maîtresse Sylvia Ruffini, il eut quatre enfants, qu’il n’était même pas utile de désigner comme « neveux », imposant son aîné dans un duché créé à son intention à Parme et Plaisance où celui-ci sera assassiné. Paul III pose avec ses petits fils pour Titien.
Dans un autre portrait, le vénitien avait bien saisi l’acuité du regard de l’individu qui n’avait pas disparu derrière sa fonction.
Face aux protestants, la compagnie de Jésus (Jésuites) fondée par Saint Ignace de Loyola, approuvée et soutenue par Paul III, constituera un efficace bras armé.
Le concile, convoqué dès le début du pontificat en 1536 à Mantoue, puis à Vicence commencera en 1545 à Trente et se terminera près de 20 ans après ; il dictera ses recommandations pour quatre siècles. Sebastiano Ricci en donne une vision étrange.
Des médailles satiriques distribuées en Allemagne témoignent de la vigueur des affrontements entre réforme et contre réforme : le pape est le diable et un cardinal un bouffon.
C’est Pie IV qui clôturera les débats en 1563 confirmant la doctrine du péché originel, les sept sacrements, le culte des saints et de la vierge et l’importance des reliques. Paolo Farinati, La clôture du Concile de Trente.
Le tombeau de Paul III , mort en 1549 à 81 ans, comporte les statues de La prudence qui a les traits de sa mère et de La justice ceux de sa belle et scandaleuse sœur.
Il est à la place d’honneur dans la basilique dont il avait supervisé La construction.
Il avait inauguré Le jugement dernier de Michel Ange qui occupe sur 13 m X 16 m, le mur d’autel de la chapelle sixtine.
Les quatre cents personnages y figurant nus, ont scandalisé la Curie. Si Daniele da Voltera, « il braghettone » ( porteur de culotte), a dû apposer des repentirs de pudeur, l’œuvre a été conservée grâce à ce pape humaniste auquel succèdera l’inflexible Paul IV.
Il  a collectionné lui aussi des « antiques », cet Hercule est au musée archéologique de Naples alors que de nombreux tableaux de la collection Farnèse sont exposés au Musée de Capo di Monte toujours à Naples.
Le palais Farnèse dont le chantier a duré 75 ans, deviendra ambassade de France.
Le bureau de l’ambassadeur est installé dans la vaste « salle des fastes farnésiens », célébrant condottieres et pape.
Il a fait aménager la chapelle Paolina  Michel Ange a peint ses ultimes fresques de Saint Pierre
et Saint Paul, anciennement Saul persécuteur de chrétiens, dont la restauration révèle des couleurs maniéristes où le rouge hésite entre rose et violet.
La Villa Farnèse de Caprarola à côté de Viterbe dans le Latium a des allures de palais, vu de l’extérieur par  Caspar van Wittel  dont Canaletto s’est inspiré
ou de l’intérieur par Hubert Robert qui a peint L’escalier monumental.
Le cardinal paradoxal aimant le luxe, la chasse, les divertissements, d’un népotisme éhonté, fut un pape de conviction qui redonna vigueur à l’église catholique. Il avait condamné l’esclavage des indiens bien avant la controverse de Valladolid.
« Quelle profondeur dans la richesse, la sagesse et la science de Dieu ! Ses décisions sont insondables, ses chemins sont impénétrables ! » Saint Paul : Épître aux Romains

mercredi 18 avril 2018

A contre courant. Antoine Choplin.


Pas tant que ça « à contre courant », bien que remontant l’Isère de son confluent avec le Rhône jusqu’à sa source. En ce moment les livres de marcheurs se multiplient, depuis Sylvain Tesson, mais aussi Axel Kahn dans une démarche politique, Jean-Paul Kauffmann  le long de la Marne ou en  plus spectaculaire :
Sa qualité de régional de l’étape l’avait amené sans doute en bonne place à la librairie grenobloise, car nous sommes loin des « Rêveries d’un promeneur solitaire » d’un illustre prédécesseur chambérien :
« Me voici donc seul sur la terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami, de société que moi-même »
Découpé en quatre saisons, le projet est intéressant quand il s’agit d’arpenter sous un autre angle des paysages qu’il  a bien connu lors de ses trajets automobiles ou dans ses souvenirs d’enfance.
Il est sincère :
«  La rivière, les arbres, les lieux que je traverse me deviennent indifférents.[…] Tout au plus l’esprit vagabonde, sans continuité, bondit sans consistance d’un objet ou d’une image à l’autre. »
Les rencontres sont rares, à part un motard qui, dit-il, aurait de la matière pour écrire un livre de 10 000 pages mais « ça lui casse les couilles ». Le seul personnage qui avait quelques couleurs était un ouvrier-paysan du côté de Moutiers qui peuplait sa solitude de milliers de statuettes pétries dans la glaise de la rivière... mais c’était de la fiction, nous avoue rapidement l’auteur.
Il a amené Ponge, Michaux dans son sac à dos et plein de référence à Beckett, Hölderlin pour sa recherche d’une transcription du réel :
« On parlerait de la marche comme d’un parcours de crête, entre soi et le monde »