Surréaliste, juif, roumain, dadaïste : termes à disposer
dans des ordres variés depuis différents dictionnaires, comme si les peintres de
l’école de Paris avaient besoin d’être nationalisés.
Le conférencier devant les amis du musée commença ainsi le
récit de la vie extraordinaire de l’artiste qui mérite d’être connu et l’œuvre
appréciée.
Victor Brauner est né en 1903 dans les Carpates où
s’implantèrent dès le Moyen-Âge des communautés juives, dans une famille dont les qualités de médium
du père étaient reconnues.
Il voyage très tôt, en Allemagne, terre
expressionniste, et en Autriche, avant de revenir, citoyen à part entière dans
le grande Roumanie.
Avec ses collègues de l’école des beaux arts, au soleil au
bord de la Mer Noire, ils vont se frotter d’un peu d’orientalisme dans des
lieux qui ont connu 700 ans d’occupation ottomane. « Village »
Il rompt avec l’académisme, se lance après des essais
cubistes, dont la mode était passée depuis 10 ans, dans une expérience Dada, matinée
de constructivisme autour de la revue éphémère 75 HP.
De sa rencontre avec des
poètes vont naître des mises en page invitant à regarder autrement : la
« pictopoésie ». « La mythologie de Victor »
En 1925, il va à Paris, où les roumains promis à la célébrité
sont nombreux : Cioran, Ionesco, Istrati, Tzara… et rencontre aussi son
compatriote Brancusi, qui n’est pas resté chez Rodin car « rien ne pousse sous les grands arbres ».
Le maître
sculptait le sommeil, lui a exprimé le
rêve. « Muse endormie ».
Il découvre la peinture métaphysique de
Chirico et les appareils photo de Man Ray. Son portrait du poète « Benjamin
Fondane » ouvre une série récurrente avec l’œil comme motif.
Son « auto
portrait » peint sept ans avant la perte de son œil, constitue une
troublante prémonition. Cette peinture demandée par André Breton, tout juste
revenu de chez Freud, marque son entrée chez les surréalistes. La rencontre par
l’intermédiaire d’Yves Tanguy était inévitable pour celui qui au fil de ses
rencontres cherchait par la peinture à installer des métaphores.
Lors de son second séjour à Paris, après
un aller retour vers l’Est, le deuxième manifeste surréaliste invite à investir
une autre réalité et à s’impliquer dans la vie sociale.
« L'Étrange Cas de Monsieur K » s’inspire
du roi Ubu de Jarry ; nous sommes en 1934.
La même année, il peint un « portrait d’Hitler ».
Il revient à Bucarest alors sous le régime fasciste
dit de « La garde de fer » et entre clandestinement au parti
communiste.
Staline et Hitler s’étant alliés, il revient en France où il occupera
l’atelier du douanier Rousseau
« La
rencontre du 2 bis rue Perrel »
Son seul œil restant ne lui permet plus de voir les
perspectives. Il va chercher dans l’au-delà, dans la magie de la kabbale. « La
Mandragore » dont la parole
peut détruire, guérit la vue.
Réfugié à la villa Bel Air à Marseille (1940) en compagnie
de
Duchamp, Ernst, Chagall, dans
l’attente d’un visa pour l’Amérique qu’il n’obtiendra pas, il offre une
aquarelle à une infirmière qui l’a soigné :
« Souvenir de la chambre n°4 »
René Char le cache. Ils travailleront ensemble.
« Le poète renaît char éveille l`homme »
Il travaille à la cire et au brou de noix.
Le « Triomphe du doute » marque sa rupture avec les surréalistes
par solidarité avec Mata qui vient d’en être exclu.
Il avait réalisé le « Loup-Table »
pour sa dernière exposition avec le groupe tenu par
le marchand de tableaux, André Breton.
Si « Congloméros » renoue
avec les jeux de mots de la jeunesse, la souffrance est là et les mystères.
« L’aéroplapla »
de la série Mythologies et la Fête des Mères au musée de l'Abbaye Sainte-Croix
aux Sables d’ Olonne est
nettement plus ludique.
Celui qui comprend le langage des oiseaux est le maître du
monde : « La promenade de l’oiseau » est au musée de Grenoble.
Une fois son frère libéré du goulag après douze ans de
détention, il vivra plus paisiblement
avec la reconnaissance de son travail, un succès aux Etats-Unis grâce au
galeriste Iolas qui sait mettre en valeur les aspects magiques et les emprunts aux
cultures vernaculaires de ses productions.
La promesse de représenter la France
à la biennale de Venise qui était une reconnaissance de son apport dans
l’histoire de l’art, n’a pu s’accomplir, il meurt à 62 ans.
« Si
l'homme parfois ne fermait pas souverainement les yeux, il finirait par ne plus
voir ce qui vaut d'être regardé ». René Char.
Ionesco prononça son éloge funèbre : « Il était l’intelligence même, l’humour
même, la tendresse même, avec la même difficulté d’exister que
nous-mêmes »