Lorsque je l’ai appris par Facebook qui faisait écho d’un
reportage de France 3, je n’ai pu m’empêcher de déplorer qu’on était tombé si
bas qu’il faille convoquer les caméras pour des collégiens lisant un quart
d’heure.
Hé oui, papy peut bien raconter que dans le temps des
écoliers lisaient des dizaines de romans par trimestre, je me rends à
l’évidence que les temps « are changing » pour m’émerveiller d’une
telle initiative. Et je ne remonte pas à l’époque où en pensionnat la lecture
était une récompense, un pur plaisir, encore meilleur quand c’était volé.
C’est que cette idée mise en œuvre en 2017, va en sens
inverse de la pente dévalée habituellement qui consiste à suivre paresseusement
la loi des élèves et des adultes ayant abdiqué toute volonté d’élever; le
digital et ses marchands pourvoyant en distrayantes images, le ministère
suivant l’électorat.
Cet instant hors des machines impérieuses peut être un
moment précieux où adultes et jeunes partagent un moment de silence et amorcent
pour certains des échappées plus ambitieuses vers des trésors de la
littérature, et autres découvertes de territoires inédits.
L’idée est simple et n’a pas besoin de se noyer dans les
phraséologies habituelles.
Ah c’est une mesure verticale, en ces temps horizontaux, mais
ne donne-t-elle pas le pouvoir à chacun en favorisant la réflexion et contrariant
l’impulsion, en amenant des éléments nouveaux pour mieux choisir, échanger ?
Cela est plus facile car le collège est de petite
taille ; c’est peut être bien aussi un paramètre qui peut être essentiel
quand on réfléchit à réparer l’école.
C’est que dans le débat politique présent, je n’ai pas perçu
tellement de propositions concernant l’école en dehors de mesures
quantitatives.
Le mot « hologramme » devenu un mot clef de cette
campagne en caractérisant des candidats, conviendrait mieux pour qualifier
leurs programmes. Alors que l'arrogant: "Et alors? " place la barre du cynisme hors d'atteinte, c’est surtout le candidat à l’écharpe rouge dont on dit
qu’il est le plus rattaché aux siècles antérieurs qui s’amuse avec les trucages
et les griseries youtubesques.
En ce qui
concerne l’adjectif « fictif », il faudra suivre un autre
filon.
Oui la lecture est un vecteur de fiction, loin d'être tyrannique;
nous sommes des complices volontaires quand elle nous embarque. La liberté ne
s’exerce pas dans le vide, nous gardons nos capacités à juger de la façon de
voir de l’auteur. Nous avons appris à ne pas être dupes de toutes les
dramatisations qui mènent à Trump parce que nos lectures contradictoires, qui
prennent le temps de se poser, nous ont ouvert les yeux et non ébloui.
En évoquant des contrées où l’apprentissage de l’écriture
cursive est abandonné, en sempiternel mal content, je n’ai pourtant pas le sentiment de coller abusivement
un masque grimaçant sur la réalité. La sagesse populaire prête aux Etats Unis
le rôle de précurseur de ce qui va advenir chez nous, alors pour une fois
qu’une mesure éducative même modeste ne va pas seulement à l’encontre de la
facilité mais ouvre à tous les appétits, ne boudons pas notre plaisir.
J’en oublierai presque des bibliothèques qui ferment à
Grenoble et celles qui risquent de fermer à Saint Egrève, c’est que le combat
des vertueux défenseurs de la culture contre les vendus au libéralisme mondialisé
me paraitrait trop simple. Que n’aurait titré la presse nationale si des
municipalités FN avaient fermé trois bibliothèques ? Une odeur de papier
brûlé dans des autodafés aurait sans doute été vaporisée dans les colonnes des
temples téléramesques.
Si je ne connais pas encore le mot nouveau pour désigner l’endroit où l’on emprunte des livres, je
suis aussi peu au fait de la densité des réseaux, des accueils possibles, ni des
évolutions de fréquentation, pas plus que les solutions alternatives proposées
côté grenoblois. Par contre sont avérées les insuffisances sur le plan culturel
de cette municipalité dont l’amateurisme persistant a déjà fait des ravages.
A propos de Saint Egrève, je connais mieux ce terrain. En ce
qui concerne la bibliothèque Rochepleine dont l’ouverture a précédé celle de
l’école attenante, les pratiques autour du livre étaient concertées, les
projets communs et féconds. Le boulot autour du conte qui concernait tous les
enfants de la maternelle au CM2 nous a valu de grandes heures. Qu’en est-il
aujourd’hui ? Pour suivre des enfants en soutien scolaire depuis quelques
années, mes expériences sont contrastées. J’ai incité semaine après semaine des
familles dont j’avais la confiance à fréquenter la bibliothèque située en bas
de leur immeuble, en vain. Alors que pour une autre maisonnée, je suis allé
chercher des livres et j’ai demandé qu’ils soient ramenés par leur soin, et
depuis tout le monde a été ravi de pouvoir emprunter 30 documents gratos à
chaque visite ! La proximité me semble essentielle, et il s'agit de construction
durable.
…………….
Dessins du « Canard enchaîné », de « Courrier
international » dans le Basler Zeitung (Suisse)