jeudi 26 novembre 2015

Elévations. Hauterives.

Au château, plutôt une belle maison de maître, à côté du palais du facteur Cheval s’est tenue cet été une exposition d’ « art brut » provenant des collections d’Antoine De Galbert et Bruno Ducharme en hommage à cet illustre voisin,  Joseph Ferdinand Cheval, reconnu par Malraux.
La juste dénomination, « brut », ne peut dire toute la minutie impérieuse, la finesse absolue que l’on trouve dans ces productions trop rarement exposées à mon goût http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/06/art-brut-lausanne.html .
Le titre de l’exposition, « élévations », rend compte de l’aspect construit et spirituel fortement présent dans ces « œuvres de folie » d’ « hommes du commun ».
Les architectures d’ACM sont fascinantes. Si les sculptures à partir de matériaux recyclés n’ont plus guère d’originalité, le Roubaisien et ses rebuts électroniques recomposés nous saisit avec ses microscopiques oiseaux nichés dans des palais incroyables.
Il n’y avait pas d’endroit plus adapté, plus poétique, dans ce lieu charmant d’exposition, qu’une pièce pas totalement restaurée, laissant apparaitre le toit, pour accueillir un avion de carton de l’allemand Hans-Jörg Georgi.
Un film bien tourné permet de connaître certaines personnalités aux destins hors du commun. Le rire d’un artiste écoutant le discours de sa protectrice est éclairant sur la distance entre la production et certains discours particulièrement plombant dans les territoires de l’art contemporain.
Parmi une centaine de dessins, sculptures : deux tonnes de confettis noirs, un calendrier obsessionnel,
un ostensoir en noyaux de pêches, des cascades en terre cuite émaillées tellement organiques, un «  Bouddha invisible », des écritures désespérées, des panoramas de palais, de villes ou d’organisations intimes écorchées.

mercredi 25 novembre 2015

Le jardin des tarots. Garavicchio.

Malgré les guides, l’endroit  n’est pas facile à trouver, mais il parait que c’était voulu de la part de Niki de Saint Phalle.
Depuis le cœur de la Toscane entre Sienne et Florence, nous abordons la façade maritime, la Maremme, et après les brumes matinales qui magnifient encore les collines et un repas sympathique à Capalbio, nous sommes à l’ouverture d’ « Il giardino dei tarocchi » à 14h 30.
Pas de déception après l'attente: les personnages de NDSP http://blog-de-guy.blogspot.fr/2015/03/niki-de-saint-phalle-la-revanche-des.html sont nickels, bien entretenus malgré leur taille impressionnante et la finesse, la variété de leur décorations et leur âge : plus de vingt ans (1979/ 1993). 
Basé sur les vingt-deux arcanes du jeu divinatoire, le parc a été construit avec l’aide de Jean Tinguely par de nombreux ouvriers.
Une jolie sortie familiale au milieu des oliviers et des chênes verts, où les occasions de manipuler, de s’étonner, ne manquent pas, sans tomber dans un barnum d’attractions criardes.
« Je te parlais de Gaudi et du Facteur Cheval que je venais de découvrir et dont j’avais fait mes héros: ils représentaient la beauté de l’homme, seul dans sa folie, sans aucun intermédiaire, sans musée, sans galeries. »
Nous n’avons pas identifié chacun des personnages colossaux, qui tiennent aussi de carnavalesques figures dans lesquelles nous pouvons pénétrer :
la mort, le pendu, la justice et l’injustice, le diable, les amants, le magicien, la luxure, l’empereur,  la lune et les étoiles… recouverts de mosaïques, de miroirs, de faïences aux couleurs chatoyantes, de verres raffinés de Murano.
Les artistes habitèrent l’Impératrice que certains voient en sphinx, en tous cas « la grande déesse, la reine du ciel, la mère, l’émotion, le sacré magique et la civilisation » possède chambre, cuisine et salle de bain.
« J’ai vu le magnifique parc Güell de Gaudi. J’ai rencontré à la fois mon maître
et ma destinée. J’ai tremblé. Je savais qu’un jour, moi aussi, je construirais un jardin de joie, un petit coin de paradis, une rencontre entre l’homme et la nature. » 

mardi 24 novembre 2015

Ma vie mal dessinée. Gipi.

Si, si,  c’est très bien dessiné : les traits vifs rendent cette autobiographie douloureuse tout à fait intéressante.
Le texte est lui aussi intense. La marge entre fantasme et souvenirs est étroite et si certains délires nous échappent, la sincérité de l’auteur italien est émouvante.
Les drogues accentuent les angoisses, les déséquilibres d’un adolescent du temps où les copains comptaient. Il ne se ménage guère.
Ces 130 pages tendues se rapprochent pour moi des aveux bavards de l’art brut, quand la vigueur des souffrances semble s’apaiser dans leur dévoilement.

lundi 23 novembre 2015

007 Spectre. Sam Mendes.

Comme tout le monde j’ai préféré « Skyfall » http://blog-de-guy.blogspot.fr/2012/11/skyfall-sam-mendes.html plus riche, plus complexe, plus rythmé. Cette 24° version des aventures de James Bond manque d’éclat entre deux belles explosions, de surcroit en dehors des gadgets qui ne fonctionnent pas forcément, il faut s’appliquer pour déceler de l’humour.
Même Monica Bellucci n’est plus aussi torride et le générique a été tellement vanté qu’en dehors des écroulements initiaux, la déception nait et ne sera que rarement démentie tant il y a bien peu de surprises. Oui la séance sur le fauteuil est pénible, les vues de Rome et Londres sympathiques, la gare dans le désert marocain où arrive une limousine avec chauffeur, poétique. Un hélico qui part en vrille nous est servi deux fois.  
Les ingrédients  du scénario sont peu cuisinés, et les critiques sont décidément bien complaisants. Le traitement de la restructuration des services secrets de sa majesté n’est pas soutenu avec le suspens nécessaire à ce genre de divertissement. Les dilemmes posés par les technologies nouvelles étaient un bon sujet : le pistolet est détrôné par le drone et la géolocalisation tue les secrets, les intuitions, l’intelligence. Ah ! La nostalgie! Les innovations sixties étaient plus sexies et les méchants plus explicites que les numériques effets de maintenant aux cyniques gringalets. Il y a bien le sempiternel recours aux coups de poings qui fracassent les cloisons pour nous rassurer que tout ne fout pas le camp, mais il faut bien être accablé par les temps présents pour se divertir sans vergogne avec ce blockbuster.   

dimanche 22 novembre 2015

Tartuffe. Guillaume Baillard.

Tartuffe d’après Tartuffe d’après Tartuffe d’après Molière : on pouvait craindre le pire, quand, expérience faite dans le off d’Avignon, le contenu parfois ne peut tenir les promesses d’un titre trop prestigieux. Là, au contraire les moyens les plus élémentaires laissent toute la place aux alexandrins d’une langue délicieuse, précise, nuancée, brillante à la mécanique comique irrésistible, une heure dix durant.
Certes il est nécessaire de connaître la pièce http://blog-de-guy.blogspot.fr/2015/03/tartuffe-ou-limposteur-moliere-benoit.html pour ne pas être perdu dans le tourbillon virtuose de l’acteur qui tient tous les rôles avec une énergie remarquable, même si le mot « énergie » omniprésent dans tant de pitchs signe trop facilement nos mollesses.
Plus que partout ailleurs, les soucis du présent traversent les murs des théâtres.
Le seul moment où le comédien ouvre grand les yeux c’est quand il interprète Tartuffe.
« Mais, Madame, après tout, je ne suis pas un ange;
Et si vous condamnez l'aveu que je vous fais,
Vous devez vous en prendre à vos charmants attraits »
Et s’il est évident que depuis longtemps ces religieux hypocrites et malfaisants sont plus nombreux chez les musulmans que chez les catholiques, la pièce en finissant sur la victoire du faux dévot, nous épargnant un happy end originel, éclaire l’actualité d’une lumière crue.
« Ces gens, dis-je, qu'on voit d'une ardeur non commune,
Par le chemin du Ciel courir à leur fortune;
Qui brûlants, et priants, demandent chaque jour
Et prêchent la retraite au milieu de la cour:
Qui savent ajuster leur zèle avec leurs vices,
Sont prompts, vindicatifs, sans foi, pleins d'artifices,
Et pour perdre quelqu'un, couvrent insolemment,
De l'intérêt du Ciel, leur fier ressentiment ;
D'autant plus dangereux dans leur âpre colère,
Qu'ils prennent contre nous des armes qu'on révère,
Et que leur passion dont on leur sait bon gré,
Veut nous assassiner avec un fer sacré. »
J’ai mis tant de temps à ne plus croire que de tels propos pourraient adoucir les ignorants courant de préférence vers ceux qui flattent leurs aveuglements.
Le rappel de ce chef d’œuvre de plus de 350 ans d’âge peut être plus utile aux Orgon contemporains « Tartufi-és » qui trouvent toutes les excuses aux assassins.
Mettront-ils quelques temps encore à se déciller, après quelques morts encore, quelques égorgements ? En mal de croyances, courant derrière les superstitions des autres, forcément des autres les superstitions, ils ont abandonné raison et maison.
« Non, on est aisément dupé par ce qu'on aime,
Et l'amour-propre, engage à se tromper soi-même. »

samedi 21 novembre 2015

XXI. Automne 2015.

Sur la première page du volume de 210 pages consacrées en partie au monde russe :
 à côté d’un jeune prêtre orthodoxe, Poutine en marin, une jeune fille avec sur les joues les trois couleurs du coin et un biker sur fond d’isbas : quoi de neuf ?
Trois reportages  décrivent la Crimée et ses « loups de la nuit », la guerre de l’information, et l’Azerbaïdjan où une grossièreté pas très orthodoxe n’empêche personne de se goinfrer.
Le trimestriel débusque de fortes personnalités telles cette fois ci :
Kayser, empereur allemand des fusées au service de Mobutu puis de Kadhafi  qui regarde désormais, tel Docteur No, passer les yachts des puissants d’aujourd’hui depuis son atoll du Pacifique.
Le portrait de Pierre Gattaz va au delà des caricatures comme celui de Vandana Shiva militante contre l’agro chimie. Celui de Gil Scott-Heron qui s’ouvre sur un rendez-vous manqué suite au décès de celui qui est présenté comme un mythe, est quelque peu refroidi.
La BD concernant les Fralib, coopérative de conditionnement de thé et d’infusions dans les Bouches du Rhône, ne se cantonne pas aux moments chaleureux de la lutte contre la fermeture annoncée, mais en décrit le redémarrage.
Un beau reportage photographique porte sur des carrières de calcaire en Egypte qui font vivre et mourir de milliers de personnes.
Depuis « Réparer les vivants » de Maylis de Kerangal, les histoires de transplantation d’organes me paraissent moins fortes et la culture du cannabis en Californie ne me passionne guère. Par contre un réseau obstiné de bibliothèque au Pérou rejoint mes nostalgies quand le livre a droit de cité encore pour quelques temps.   

vendredi 20 novembre 2015

Terrassés.

En janvier, les vieux de 68 ont été tués, en novembre des jeunes aux terrasses sont mitraillés : « sidérés » nous sommes, c'est le mot, encore.  
Samedi, devant Face book quelques mots à mes amis en trois couleurs : quand on ne sait  plus s’exprimer par soi même, on transfère.
Obama avait dit « Liberté égalité fraternité » en français pendant que sur les réseaux sociaux l’expression « Pray for Paris » tenait le haut des écrans. Pourtant il semble que Dieu pose problème dans toutes ces histoires.
Dimanche, les journaux ont sorti des éditions spéciales avec de grandes photos pour noircir le papier à côté d’articles insipides aux phrases maigrichonnes.
Les jours suivants ce sont les mots d’un enfant que la toile a « liké ». Où sont passés les grands ?
Lundi, Libé a trouvé un mot : « génération Bataclan ». Et la génération « pan pan pan » ?
Depuis mardi, nos éditorialistes, donneurs de leçons qui aiment pourtant si peu les professeurs transmetteurs, délivrent à nouveau des préceptes aux politiques qui prennent des dispositions de légitime défense.
Pas besoin de gilet pare-balles pour Laura du web (Télématin) parlant d’ « acte de résistance » concernant l’auto-école qui vient de rouvrir à côté du Bataclan. Aller au cinéma devient héroïque.
« Montez de la mine, descendez des collines, camarades!
Sortez de la paille les fusils, la mitraille, les grenades. »
Commentateur des commentateurs, j’ai forcé aussi sur les mots en disant que le sang m’était « monté aux yeux » pour exprimer ma colère quand j’ai du mal à souffrir les dessins mièvres, forcément répétitifs,  ces cartons où est inscrit « même pas peur » conjuratoires, les bougies dérisoires que je mettrais peut être sur mes fenêtres, tous ces chagrins selfiables. En disant avoir senti comme si on me tranchait « les tendons de la tête » en un expressionnisme de pacotille, je reprends les labyrinthes d’une expression personnelle en voie de se perdre.
Une formule est ressortie : «  nos morts, vos guerres ».
Voilà bien l’époque qui pleure à nouveau et ce n’est pas fini, mais oublie qu’au Mali et en d’autres lieux, la France a empêché le pire avec des armes qui font « bobo » comme on disait aux bébés pour signifier « mal ».
Ces pays désormais pas si lointains dans l’espace et pourtant pour certains à des années lumières de nos façons de penser sont difficilement discernables, les contradictions sont énormes, la simplicité inaccessible, mais je ne sais voir que les mots pour conjurer les maux, cent vingt neuf morts, ration quotidienne en Irak.
Gilles Képel déplore l’affaiblissement du recrutement des étudiants dans le domaine où il est expert : étudier l’Islam et le monde arabe…   
Pour m’en tenir à des lieux plus familiers, je sais que la minute de silence dans les écoles a été plutôt réussie, il y avait eu des répétitions. Après qu’une instit’ se soit montrée plus professionnelle que sa ministre :
«Je veux rassurer les enfants et non montrer mon émotion ».
Qu’on laisse travailler les professeurs, que les décideurs tellement à l'écoute des perroquets du buz et du business, fassent confiance aux adultes qui ont une nation à éduquer, à éclairer, sans s’aplatir devant la désinvolture, la passivité, la fainéantise. Car c’est dans l’ennui et l’abandon que des ceintures se garnissent d’explosifs.
« Et puis il y avait la mauvaise saison. Elle pouvait faire son apparition du jour au lendemain à la fin de l’automne »
Hemingway dans « Paris est une fête » qui vaut surtout pour son titre.
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Le dessin de Pavel Constantin (Roumanie) sous le titre est pris dans « Courrier International »,
ci dessous dans l’hebdomadaire « Le Point » et le suivant  sur le site de « Le Monde .