jeudi 19 novembre 2015

L’imaginaire de l’eau. Gilbert Croué.

Les mythologies sont convoquées par le conférencier devant les amis du musée de Grenoble, pour évoquer l’élément venu d’en haut et qui sourd des sources, entre feu, ciel et terre.  
L’eau des rus et des océans.
Quand la beauté profane de « Vénus » par Botticelli, sort des ondes, elle succède dans l’histoire des représentations, aux portraits exclusifs de Marie. 
Par ailleurs, la peinture, « poésie muette », se mouille volontiers quand Baudelaire joue de l’analogie:
« Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l'espace est plus bleu et plus profond, où l'atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine.»
La musique de l’eau passe du clapot aux grondements .
De la quiétude à la colère, il sera question de sacré et de pouvoir des dieux, au-delà du miroir où Narcisse se perdit.
Dans la chapelle Palatine, à côté de Palerme, à Monreale, l’eau ondule et les trois continents connus alors émergent dans une mosaïque aux alentours de 1130/1140.
«Qu’il y ait un firmament au milieu des eaux et qu’il sépare les eaux d’avec les eaux» La Genèse
« Le Passage du Styx » de Joachim Patinir est étroit entre paradis et enfer : Charon, le passeur, godille avec incertitude quand il fait traverser aux morts la rivière de l’oubli.
Dans « Le jardin des délices » de Jérôme Bosch, lorsque le triptyque est fermé, un Dieu tout petit fait émerger une« buée fertile » fécondant un monde minéral bien gris,
alors que lorsque les rabats sont ouverts, la couleur éclate entre paradis et enfer autour de la source de vie,«  ce lieu rêvé par les pasteurs nomades. »
Eau primordiale, consolatrice, maternelle.
L’homme s’y ressource, elle purifie, ainsi dans  « Le baptême du christ » de Giotto à Padoue.
De surcroit, depuis toujours, souiller une source, oeuvre de Dieu, était un crime.
Les « tempestières »  dialoguaient alors avec les forces divines pour déranger l’eau en cas de sécheresse et dans ces temps  « La licorne à la fontaine »  dans une tapisserie des Flandres  y trempait sa corne dans un but de purification.
De nombreux fleuves représentés s’appuyaient sur des jarres intarissables, symboles  que César Rippa a recencés avec d’autres allégories et attributs divers : le Tibre au Vatican,l’Escaut par Rubens
et au fronton de la Halle aux Grains, à Aix-en-Provence « Le Rhône »  qui rencontre la Durance, se retrouve aussi à Versailles ou place Bellecour.
Après Saint Christophe qui se met au service de Dieu, conseille et guide, évitant les obstacles, les eaux séductrices peuvent être maléfiques, et quand vient le moment du  châtiment, « L’Arche » de Hans Baldung, au milieu de tant de violence est hermétique à l’humanité grouillante.
Parmi tant d’êtres des profondeurs effrayants, il faut bien un « Héraclès » peint par Pollaiolo pour abattre l’hydre ou un « Saint Georges » sur son blanc cheval par Altdorfer pour combattre le dragon dans un coin de forêt
Quant à la « Tarasque » bête « faramine » vivant dans les marécages comme celle qu’Amy sculpta, elle a survécu à toutes les fêtes.
Si le conférencier a relevé, rien que dans le bocage normand, une quarantaine de saints associés à un puits,  cet « œil de la terre », dont remonte parfois la vérité,  combien de point d’eau fréquentés auparavant par des elfes se sont révélés miraculeux ?
En tous cas « Sainte Marthe »  de Charles Lepel est sereine, elle  a maté la bête.
Ces bestiaires qui regorgeaient de chevaux de mer, boucs de mer, serpents de mer et autres gorgones, peuvent laisser place aux Néréides, ou nymphes nées de la vague,
face à  « Hylas » de John William Waterhouse.
« Andromède » sur son rocher va-t-elle être dévorée par un monstre marin ?
Non, Persée la sauve de justesse.  Parmi tant de peintres qui ont représenté la scène, le tableau de Piero di Cosimo est l’un des plus riches. 
Finalement pour ces fameuses sirènes terminées en queue de poissons ou aux pattes d’oiseaux, comme autour d’Ulysse sur un « Vase à figures rouges »  du Vème  siècle av JC,  il n’y avait  peut être pas de quoi s’attacher au mât.
Comme les « Chevaux de Neptune » de Walter Crane, les préraphaélites ont réussi avec les créatures baignant dans l’eau ; 
« Ophélie » de John Everett Millais, la douce n’a pas supporté les flétrissures du monde, elle est revenue à la maternité des eaux.
Par contre dans les « Serpents d’Eau » de Klimt, à la fluidité étoilée, c’est la volupté, la vie : la chevelure ruisselle autour des corps, soulignant les courbes des corps.
« Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un divan, dans la chambre d'un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes. » Baudelaire

mercredi 18 novembre 2015

Chianti. Ferré.

Dans le Chianti pour un chanteur.
Il est loin le chemin…  depuis la Penarroya, usine qui travaillait le plomb où Magny et Ferré chantaient dans les années 70 la révolte la plus drue, à cette belle route dans les vignes qui mène à l’oubli et aux produits dérivés.
La femme de Léo, Maria Christine Diaz et son fils Mathieu cultivent la vigne et l’olivier sur le site de San Donatino où le poète a vécu 20 ans jusqu’à sa mort en 1993.
Les bouteilles de « Chianti poggio ai mori » (colline aux mûriers) portent des étiquettes dessinées par Picasso et feront plaisir aux frangins de la night, aux camarades. L'huile est excellente. Le domaine est à proximité  du charmant village de Castellina où les glaces vont de soi sous les voutes anciennes.

mardi 17 novembre 2015

DOL. Philippe Squarzoni.

300 pages de dessins didactiques datant de 2006 par un militant d’ATTAC, décrivent les méfaits du libéralisme
Retrouver Raffarin, près de dix ans après, n’est pas forcément excitant, mais les vives critiques qui lui étaient alors adressées peuvent convenir aux  apparents teneurs de manettes d’aujourd’hui. La distance dans le temps souligne des changements majeurs dans les mentalités, les urgences politiques, elle marque également la permanence des préoccupations, voire l’accentuation des problèmes.
C’est qu’il est question de la planète, de la faim dans le monde. Le titre « Dol » qui signifie en droit : « une manœuvre déloyale, destinée à faire conclure un contrat à des conditions désavantageuses pour l'autre partie », convient donc pour qualifier la politique de Jacques Chirac élu avec les voix de la gauche qui amorça une remise en cause des retraites, des assurances chômage et maladie, une remise en cause des services publics, un désengagement de l’état. Et sur fond d’exploitation de l’insécurité,  nous revivons l’irrésistible ascension de Sarkozy. Avec le devenir du « non » au référendum sur la constitution européenne de 2005 qui pèse encore sur la vie démocratique du continent.
C’est du lourd. Mais la forme ne facilite pas la lecture : sont dessinés des collaborateurs du Monde diplomatique avançant leurs analyses et même si des figurines apparaissent pour agrémenter les discours complexes, elles n’allègent guère le propos.
Bien sûr que la rigolade omniprésente qui  ponctue nos journées d’informations désolantes est nocive, mais un brin d’humour, quelques contradictions auraient dynamisé le cours magistral. 
Les silhouettes de M. Propre, Chaplin, Pinocchio, Picsou m’ont paru bien conventionnelles et la couverture  où deux phares éclairant une ligne blanche sur une route dans la nuit pour signifier la continuité des politiques UMPS n'est guère surprenante.

lundi 16 novembre 2015

Le fils de Saul. László Nemes.

Le mot « saisissement » est celui qui se retrouve le plus souvent dans les critiques et dans la discussion à l’issue de la projection du film au cinéma le Club organisée par l’association  B'nai B'rith « Les fils de l'Alliance » en présence d’un historien de la Shoa, Tal Bruttmann.
La précision historique permet de dépasser l’émotion légitime et justifie la vocation pédagogique de cette œuvre : un tiers des juifs assassinés à Auschwitz étaient hongrois et les
Sonderkommando composés de déportés promis à leur tour aux fours ne furent pas des collabos mais des victimes pas toujours consentantes.
 Si ce type de film ne convaincra pas les disciples de Dieudonné, pour les français qui voient « le cinéma comme un art, alors que les américains le voient comme un spectacle et les anglais ni l’un ni l’autre», ils ont l’humour, il y aura à apprendre.
La temporalité des évènements est concentrée sur deux jours pour offrir un enterrement digne à un enfant, quand par ailleurs des risques sont pris par les prisonniers pour témoigner avec une photographie et qu’un commando se révolte.
Le personnage principal qui a déjà quitté le royaume des vivants est comme un somnambule. Les cadrages sur son visage laissent deviner les horreurs en un arrière plan toujours flou, alors que les bruits sont très présents.
Il est difficile de ne pas se laisser aller à se placer en opposition au dithyrambe presqu’unanime, tout autant qu’aiguiser son esprit critique quand est abordé un tel sujet.
La façon de filmer est remarquable, mais la mise en danger de ses compagnons par celui qui cherche une ultime humanité pour un mort n’est pas évidente à concevoir, et l’empathie n’est pas automatique envers le malheureux Saul.

dimanche 15 novembre 2015

Rio Baril. Florent Marchet.

Conviendrait parfaitement  pour illustrer une entrevue avec Christophe Guilluy auteur de « La France périphérique » http://blog-de-guy.blogspot.fr/2015/06/la-france-peripherique-christophe.html .
« Rio Baril », contrée imaginaire et ses habitants, décrite tout au long du CD, n’est pas vue de haut :
la mairie est fleurie,  mais
« les adolescents n’y reviendront plus »
même si les propos autour du méchoui  
«  très souvent je redoute ce que je peux y entendre ».
Impossible de ne pas penser dans les intonations à Souchon, mon chouchon, que j’ai évité dans ses récents duos mièvres avec Voulzy, mais le jeune Florent qui n’a pas connu Marchais n’a pas le même humour, ni  la gentillesse de son tendre ainé.
Dominique A, Philipe Katerine ont participé à l’album. On retrouve une ironie, un détachement très contemporain dont émane une poésie froide ayant dépassé le désenchantement.
 Dans le texte de « Il fait beau » :
« Mon père vient de se barrer sans même prendre le temps de gifler ma mère »
 Dans celui de « Sous les draps »
« Les souvenirs sont inutiles »
« La chance de ta vie » c’est :
« Tu auras, j’espère
Un boulot à plein temps
De la classe, du flair
La garde des enfants »
Et pour une rencontre avec « Ce garçon » poignante :
« Elle aimait sans comprendre
Asphyxiée
Quel est cet animal
Logé à l’intérieur
Elle voulait se défendre
Le cogner »
A reprendre chacun des 15 textes parfois parlés ou agréablement orchestrés avec des airs genre également Albin de La Simone, sans apprêt, sans tapage, une ambiance étrange s’impose, originale et moins futile qu’au premier abord.
« Ô mes amis changez d’adresse
Je voudrais devenir vieux
Ô les orties
Que l’on caresse
N’ont plus rien de merveilleux »
Pour conclure :
« Tout est oublié. Tout sauf ce mercredi de mes douze ans et le match raté. Dire qu’ils ont gagné le match sans moi. »

samedi 14 novembre 2015

Le grand voyage de la vie. Tiziano Terzani.

Le titre à la fois ambitieux et ordinaire est accompagné par un sous titre, tout aussi courant : 
« Un père raconte à son fils » qui m’a paru d’une modestie de bon aloi.
Il en va ainsi des 530 pages contrastées à la fois touchantes et agaçantes.
Atteint d’un cancer, un ancien journaliste passe le relais à son fils qui recueille ses récits et ses dernières paroles.
A la façon des best-sellers d’avant été qui suggèrent des recettes pour ne pas  trop déborder du maillot, j’ai suivi la démarche de l’octogénaire passé des fracas du siècle à la solitude, relativement  absolue. Le laboureur d’Asie « sentant sa mort prochaine, fit venir » son enfant.  
Il cherche à transmettre, bien qu’invoquant le détachement.
Le vieux Florentin employé de « Der Spiegel » (le miroir) a vécu une vie passionnante au plus fort des conflits, en Chine, au Viet Nam, aux USA, au Japon, en Inde.
L’évocation de moments où l’histoire se fait, par un témoin sincère est intéressante, bien que quelques remarques de son fils : « raciste envers qui ? » à l’évocation de la société américaine laissent pantois. Mais il évite la langue de bois :
«  Les intellectuels sont faits pour compliquer ce qui est simple, les journalistes pour simplifier ce qui est compliqué. »
Si ses emballements passés envers le socialisme lui laissent, en bout de course, une profonde perplexité, est-il possible d’évoquer encore des options lumineuses, quand les rougeoiements de tant de grands soirs se sont avérés être ceux du sang?
Le côté vieux sage m’a laissé circonspect avec quelques formules qui pourraient figurer dans tout manuel du genre: "la spiritualité pour les nuls"  :
« La destination c’est le voyage lui-même »,
« Lorsque l’élève est prêt, le maître apparait »
« La Vérité est une terre sans sentiers… »

vendredi 13 novembre 2015

Laïcité liberté école. Catherine Kintzler.

A l’invitation du Cercle laïque de l’agglomération grenobloise et de l’ UFAL (Union des familles laïques), l’auteure de « Condorcet, l'instruction publique et la naissance du citoyen » a tenu conférence au CRDP. On dit d’ailleurs maintenant au « Canopé », le mot « Documentation pédagogique » contenu dans « CRDP » n’étant sûrement pas  assez  vendeur.
Nous sommes dans le sujet.
Les propos exigeants venant de l’estrade visent à sortir des approximations contenues dans  des expressions telles que « le vivre ensemble » ou avec le concept anglo-saxon de tolérance qui tente de fédérer des situations existantes.
Le régime de laïcité articule l'abstention au sujet des croyances et la liberté d'expression dans l'espace social. Qui ne peut être en accord avec ces mots où le premier des termes de notre devise républicaine est en bonne place ?
Pourtant la confusion entre espace public et privé entraine parfois des arrangements qui donnent  la main aux communautés, alors que la position symétrique voulant éradiquer tout signe religieux n’est pas tenable.
L’élève qui ôte ses signes religieux en entrant à l'école publique et qui les remet en sortant échappe à la pression de son milieu et à toute standardisation étatique.
Foi et loi sont disjointes, il n’est pas nécessaire d’ajouter aux frontons de services public : « laïcité », mot bien français, souvent abimé par ceux qui l’adjectivent : « plurielle », « positive », « accommodante » voire  « en intelligence » et l’édulcorent.
Tout au long de l’exposé et des discussions, des échos décourageants, très actuels, me submergeaient qui vont exactement en sens opposé de ces principes d’une école sûre de ses valeurs émancipatrices. Il était question de Condorcet alors que notre indignation était toute chaude en ayant pris connaissance de  la vidéo  de Mélissa Theuriau au sujet du harcèlement à l’école : http://blog.francetvinfo.fr/l-instit-humeurs/2015/11/07/harcelement-jai-teste-la-video-polemique.html.
Quand le ministère se moque de ses agents, quel respect peuvent nourrir les élèves qui ne sont pas des usagers, et quelle confiance de la part des parents envers une école qui commande à ses enseignants d'abandonner toute exigence «pour avoir la paix» ? 
L’école ne doit obéir à aucune transcendance, à aucune finalité extérieure, ni Dieu ni Medef !  La pression néo libérale qui vise à contractualiser le droit, s’exerce jusque dans la négociation permanente dans les salles de classe et retarde les moments d’enseignement. Le tourbillon des mots des réformes permanentes depuis 30 ans, renvoie les mots « raison » et « école libératrice » à des musées fréquentés seulement par des hussards blanchis.
L’autonomie des établissements en cultivant les différences, les accroit.
Défendre les connaissances contre les compétences parait ringard. Toutefois on peut rêver d’un intérêt qui ne précède pas forcément ce qu’on apprend, mais le suit. En milieu dépaysant, l’enfant s’extrait de sa condition infantile, l’élève s’élève.
L’école est construite comme la République sur un fondement critique, pas sur l’enthousiasme ; ni violence, ni séduction. Le doute méthodique ne  peut se confondre avec la critique systématique qui se perd sous les rires enregistrés.
« En général, tout pouvoir, de quelque nature qu'il soit, en quelques mains qu'il ait été remis, de quelque manière qu'il ait été conféré, est naturellement ennemi des lumières. On le verra flatter quelquefois les talents, s'ils s'abaissent à devenir les instruments de ses projets ou de sa vanité: mais tout homme qui fera profession de chercher la vérité et de la dire, sera toujours odieux à celui qui exercera l'autorité. » Condorcet