vendredi 8 mai 2015

Immobiles en «milieu aquatique profond standardisé».

Dans le débat concernant l’école, j’ai lu une journaliste qui contestait la légitimité de R. Debray à s’exprimer à ce sujet http://blog-de-guy.blogspot.fr/2015/05/en-perdre-son-latin.html .
Le fait que de tels arguments puissent être avancés signe le niveau de certains sites dit d’informations. Par ailleurs, les journalistes qui présentent à la télévision l’aide « individualisée » comme un cours particulier manquent sûrement de simple bon sens quand cela concerne 28 élèves en même temps.
En tous cas, l’âge invoqué pour l’universitaire n’a pas entamé la confiance de certains praticiens qui se sont reconnus dans ses paroles mesurées.
Il n’y eut guère d’autres apports d’intellectuels, à ma connaissance, qui aient pu rencontrer tant d’expériences sur le terrain.
Les méthodes envisagées  par l’ancienne ministre du droit des femmes, de la ville, de la jeunesse, des sports, présentement de l’éducation, vont à l’encontre des buts affichés.
Tant il est bien connu que l’affichage d’une valeur signale sa disparition : ainsi en a-t-il été du civisme, de la solidarité… C’est comme ceux qui se plaignent d’être surchargés de travail qui bien souvent en fichent le moins.
L’interdisciplinarité testée en lycée favorise en général les élèves les plus équipés culturellement, la priorité à l’oral confirmant l’aisance sociale. Ce qui émerge dans ces propositions de l’appareil ministériel est en route depuis longtemps et a produit un certain nombre d’effets qui ont entamé le prestige et l’efficacité de l’enseignement. Ceux qui repèreraient des contradictions, voire des dérives mauvaises dans les réformes sont présentés comme d’immobiles conservateurs.
N’est ce pas le progressiste Balladur qui disait ?
« La France souffre de la timidité de l'exécutif à décider les réformes indispensables. »
Mais c’est Lamartine  qui avait vu plus juste, à mes yeux, en disant  que :
« L'Eglise n'a pas besoin de réformateurs, mais de saints. » Vade retro Jérôme (Cahuzac) !
Le mépris de la figure de l’intellectuel va de pair avec la perte de dignité de métiers qu’on ne dit même plus manuels. Et c’est un des problèmes du collège.
Dans une société qui en demande toujours plus à l’école et dans le même mouvement réduit le temps consacré à l’étude, ce sont les parents-électeurs qui font la loi. Alors que d’autres sont exclus par le vocabulaire abscons des fonctionnaires de Grenelle cité dans le titre de cet article où il serait question de piscine.
Peu importe l‘investissement de leur progéniture, chacun a droit au parcours commun, à la déambulation pour tous. Ces pauvres ados biberonnés à « l’autonomie » reliés à maman, jeunesse perdue mais géolocalisable en temps réel.
A l’occasion d’un autre débat autour de Todd -pas Charlie- qui se voit objecter qu’il considère que « les pauvres sont agis par des causes alors que les riches le sont par des buts » nous restons dans le sujet. http://blog-de-guy.blogspot.fr/2012/12/linvention-de-la-france-herve-le-bras.html
C’est respecter le jeune que d’être exigeant avec lui, quand on sait le potentiel de finesse, de curiosité, d’énergie des petits, nous ne pouvons qu’être consternés par les complaisances qui accompagnent les paresseux, et les faux prophètes qui les couvrent.
Dans cette école qui tant fatigue, n’y aurait-il de promesses que pour les illusions et les trafics de toutes sortes ?
…………
Dans « Le Canard » de cette semaine : 
 

jeudi 7 mai 2015

Rodin/Claudel. Christian Loubet.

La conférence tenue par Christian Loubet aux amis du Musée était titrée : « l’enfer derrière la porte », allusion à « La porte de l’enfer ». Cette forme de répertoire d’Auguste, aux 200 figures prit 20 ans pour être édifiée. Camille vécut l’enfer, internée pendant 30 ans après la décision de son frère Paul, le poète, qui ne vint la visiter que 13 fois à l’hôpital de Montfavet et sa mère jamais.
Rodin né en 1840, est myope, il suit les cours de la petite école impériale de dessin, mais échoue aux Beaux Arts. Il envisage de rentrer dans les ordres lorsque sa sœur ainée, recluse au couvent après une déception amoureuse, meurt à 25 ans. C’est alors qu’il rencontre Rose Beuret qu’il n’épousera qu’à la veille de leurs morts, sans avoir reconnu leur fils handicapé. Elle a été son modèle dans un buste charmant, sous son chapeau fleuri ou en déesse de la guerre pour la mairie du XIII°.
Il travaille comme modeleur dans l’atelier Carrier Belleuse et découvre l’Italie de Michel Ange.
Sa première réalisation personnelle « l’âge d’airain » doit symboliser la défaite de 70, et c’est un sursaut qui se dégage de la représentation. Il lui est reproché d’avoir effectué une « surmoulure », moulure sur un corps.
« Monté sur les épaules » de son maître Florentin, dont il imite intelligemment la dynamique athlétique, son Saint Jean Baptiste sera critiqué mais son « Homme qui marche »,  au non finito dynamique, accompagnera Giacometti. 
« Le penseur »  mélancolique est au centre de « La porte de l’enfer », dont il ne voit pourtant pas les corps tomber dans les étages inférieurs. Cette œuvre gigantesque, 6m de haut, destinée au musée envisagé à Orsay, surmontée par les trois ombres, trois formes d’Adam, est inspirée de la divine Comédie de Dante, faisant le pendant de la porte du Paradis de Ghiberti. Un exemplaire du penseur siégeait au Panthéon pendant la guerre de 14,  un autre veille sur sa tombe depuis 1917. Huit tirages poinçonnés aux dimensions diverses pouvaient provenir de l’original moulé en plâtre puis coulé en bronze, c’était la règle.  Dans l’ atelier qui a pu compter 50 assistants dont Bourdelle, le secrétariat  de Rodin, dysorthographique, comportait 22 personnes dont Rainer Maria Rilke.
Dans le foisonnement des personnages des panneaux exposés au Musée Rodin où Adam  se déhanche, Eve repliée, Icare prend il son vol ?
Un « baiser » chaud évoque Klimt qui n’est pas qu’une icône byzantine.
« Je suis belle, ô mortels! Comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Eternel et muet ainsi que la matière. » Baudelaire, dont Rodin illustrera une édition des « Fleurs du mal »
A 19 ans, Camille Claudel, rejoint Auguste. http://blog-de-guy.blogspot.fr/2012/09/camille-claudel.html
Leur passion dura 10 ans. Elle a inspiré ou discuté nombre d’œuvres. Rodin est reconnu, sa manière sensuelle, Camille plus spirituelle.
Quand elle réalise le buste de Rodin c’est du Rodin, mais son « Sakuntala » (l’abandon), est  personnel : la femme accueille l’amant qui revient et va l’aspirer dans le nirvana.
Au château de l’Islette, elle sculpte en marbre « La petite châtelaine ». Etait-elle là pour un avortement ?
Dans leur atelier commun, ils reçoivent Debussy, et après la vague de Hokusaï, avec ses petites « Baigneuses » insouciantes, elle allie l’onyx au bronze.
Quand leur relation s’effiloche, les amants semblent s’arracher du sol dans le mouvement instable  et sublime de «  La valse »
 « Clotho » est une caricature de la vieillesse, alors que la belle « Heaulmière » de Rodin est plus dans l’empathie : ils avaient 25 ans de différence d’âge. Dans « L’âge mûr », une des dernières œuvres de la jeune femme, la jeune fille essaie de retenir l’homme, mais celui-ci se laisse entrainer par la mort : terrible autobiographie.
Sublime, la « Danaïde » d’Auguste, réalisée en taille directe, condamnée à remplir éternellement une jarre sans fond, après avoir tué son époux, est désespérée.
 « Balzac », traité de « larve germanique », représente bien toute la condition humaine, « Le cri », expressionniste précède celui de Munch, les « Bourgeois de Calais »  à la gestuelle exagérée, vont vers leur destin.
Les dessins vibrants  du père de la sculpture moderne cherchent les volumes et les volutes de danseuses Cambodgiennes. Avec Nijinski et Isadora Duncan, il saisit  encore des mouvements qui en font un des pivots essentiels du siècle quand d’un geste nait un monument ou un bijou.
Germaine Richier et Louise Bourgeois sont les descendantes de Camille Claudel et Auguste Rodin.

mercredi 6 mai 2015

Voyage en Chine. Zoltan Mayer.

Une mère jouée par Yolande Moreau va en Chine où son fils vient de mourir accidentellement.
A l’issue d’un « voyage initiatique », comme on dit, elle va se révéler, alors que bien des êtres et des situations sont énigmatiques là bas, comme l’était ce fils qui s’était éloigné.
Le personnage massif d’une de nos actrices préférée porte bien des contradictions : fragile, maladroite et fine, paumée et trouvant sa place.
Elle entre en empathie avec les amis que son fils avait connus, peut être un peu facilement, et surtout auprès de la magnifique et lumineuse Qu Jing Jing.
Elle n’a pas manqué de courage pour surmonter les difficultés administratives peu surlignées.
Le pays qu’elle va aborder n’est pas traité caricaturalement ni comme un catalogue touristique.
Les belles images, le plus souvent ne prennent pas la pose et donnent envie de retourner vers ce continent fort et mystérieux, prometteur de découvertes, comme nous l’avions décrit en 24 étapes http://blog-de-guy.blogspot.fr/2011/01/touristes-en-chine-2007-j1-les-cerfs.html .

mardi 5 mai 2015

Une histoire d’hommes. Zep.

Le créateur de Titeuf  a changé de trait pour décrire les retrouvailles, 20 ans après, de quatre musiciens dans le manoir anglais du seul qui ait réussi dans le rock.
Les images aux tons pastels sont délicates, le résultat sympathique.
Philippe Chappuis persiste à célébrer l’amitié  avec ses personnages typés où une dose de mélancolie parait, qui n’était pas permise dans les cours de récréation.
De l’univers enfantin, subsiste une Nadia qui aurait grandi et connu des drames, Marco, Manu, voire Vomito… ils ont 40 ans et si les retrouvailles redonnent des bouffées adolescentes, la brume est tombée.
Les rêves se sont évanouis, le marrant de la troupe maintenant dans la restauration se débat avec les pensions alimentaires,
« - Vous connaissez l'histoire de la Barbie divorcée ?
- Non.
- C'est la plus chère du magasin...
Parce qu'avec elle, tu as : la voiture de Ken, la maison de Ken, le bateau de Ken, la moto de Ken... »
Un autre a hérité de l’entreprise de surgelés de son père, et si Sandro est devenu une star, ses fêlures se dévoilent au cours du récit limpide où le quatrième qui se bourre d’anxiolytiques, va peut être résoudre son mal de vivre contre lequel les invocations à une rock attitude ne peuvent rien.

lundi 4 mai 2015

Shaun le mouton. Mark Burton Richard Starzac.

Qui ne sait que l’animation est en pâte à modeler ? Fan de Wallace et Gromitt que j’imposai jadis à mes élèves, j’aurais volontiers récidivé dans la prescription avec cette histoire de mouton pas mou, ni mouton. Film rythmé, sans paroles pour mieux apprécier les musiques, les bruitages. Tellement anglais, léger, allusif et évident : pour sortir de la routine tout en restant fidèle à son berger, nous suivons le troupeau, passant de la campagne à la ville allègrement.
Nous rions avec tout de même une pointe de mélancolie en toute compassion pour ce fermier solitaire qui a tellement besoin de sommeil, à force de compter les moutons.  Arrivé à la ville, il s’oublie, oublie tout sauf la technique de la tonte qui lui vaut une gloire éphémère en coiffeur branchouille. Shaun ( jeu de mot avec schorn = le tondu) fait le show. Déclencheur d’une suite d’évènements inattendus, il récupèrera son maître et son chien tellement obéissant. Mouton et chien tchéquent (tapent le tchek). Visions  bucoliques où le coq désormais assisté de son portable réveille encore la ferme. La ville a des voies rapides, ses restaurants chics et la fourrière redoutable : silence les agneaux !
Le dosage entre tradition et modernité est subtil, les références cinématographiques pas appuyées. Il y a un beau moment de chant collectif et toujours une machine bricolée, inventive, et le plaisir de retrouvailles et de surprises. Vivant.

dimanche 3 mai 2015

Un été à Osage county. Tracy Letts. Dominique Pitoiset.

Beverly,  le père, dit Bev, a disparu.
Ses trois filles viennent épauler, dans la maison familiale en Oklahoma, leur mère Violet, atteinte d’un cancer de la bouche, qui déversera avec verve son fiel, tout au long des deux heures et demie de représentation où l’on ne compte pas le temps qui passe.
La matriarche déballe les vérités les plus cruelles et affole les sincérités.
Les dégâts occasionnés lors de cette ultime mise à feu ne sont que la mise au jour de vies où se sont multipliées depuis longtemps les violences, les impasses. 
Chez  ces « Trois sœurs » de Tchékhov en Amérique, le whisky a remplacé la vodka et la barque des saccages est  chargée.
Barbara, dire Barba, l’ainée va divorcer, Karen l’évaporée se cache tant de choses, et celle qui est restée coincée à proximité de chez ses parents ne pourra s’échapper.
Dans cette tragi comédie qui réunit trois générations, où les hommes font de la figuration, la petite dernière entre à son tour dans le tourniquet des illusions. Elle fume de l’herbe dans un calumet provenant des indiens des grandes plaines, alors qu’une de leur descendante assure depuis peu l’intendance dans la maison. Elle a gardé, elle, dans un sachet sur sa poitrine son cordon ombilical pour ne pas se perdre.
Cette pétaradante rencontre, sorte de « Festen » US, dépasse la critique familiale, et rencontre ce que nous voyons de l’effondrement des valeurs, du brouillage des sens et du sens de nos vies. 
« C’est ainsi que finit le monde, c’est ainsi que finit le monde, c’est ainsi que finit le monde, pas sur un bang mais sur un murmure. » T.S. Eliot   
La dernière scène est bouleversante, après des intermèdes sur des chansons de Johnny Cash, la rugueuse mère danse. La massive Annie Mercier devient légère, magnifique actrice, dans une troupe où ils sont tous excellents.
Elle avait joué dans « Par les villages » de Peter Handke, par Stanislas Nordey,  
Dès que je verrai une mise en scène de Pitoiset, je courrai, d’autant plus que je me souvenais avec délices de son Cyrano d’il y a deux ans 

samedi 2 mai 2015

L’absent. Patrick Rambaud.

J’avais beaucoup aimé « La Bataille », prix Goncourt en 1997, et me suis régalé avec le dernier de la trilogie impériale, quand Napoléon part à l’Ile d’Elbe, l’administre et revient pour 100 jours, avant Saint Hélène, la dernière, « île chiée par le diable ».
 Dans les voltes de l’histoire : les soldats passés sous les ordres de Louis XVIII :
« Si de petits marquis nommés officiers les obligeaient à crier : « vive le roi !», ils ajoutaient à voix basse « de Rome ».
Revenus en chantant La Marseillaise qui avait été interdite sous l’Empire, la fidélité de ces hommes est fascinante et nous rappelle à travers le temps, le besoin d’aventure, le goût du combat au cœur des mâles. Des notations raviront les amateurs d’histoire bien que le chroniqueur soit un personnage de fiction à la fois valet et policier, observateur privilégié de la personnalité de l’empereur devenu sous-préfet.
Nous ne sommes pas hors du temps avec cette agréable contribution au gai savoir telles les histoires de l’Oncle Paul dans Spirou qui nous ravissaient enfants.
Les foules sont toujours versatiles, l’infantilisme et le  goût pour la séduction des hommes au pouvoir toujours d’actualité, ainsi que leurs intuitions et leurs aveuglements.
La Provence était hostile à la République, ce qui explique le retour par les Alpes, mais je ne peux m’empêcher de constater que « la gueuse », comme les royalistes la nommaient, a encore des faiblesses dans ces terres.
Dans ses « notes pour les curieux » au bout des 340 pages, l’auteur des « Chroniques du règne de Nicolas 1er » cite Cicéron :
« Si nous sommes contraints, à chaque heure de regarder et d’écouter d’horribles évènements, un flux constant d’impressions affreuses privera même le plus délicat d’entre nous de tout respect pour l’humanité » On ne peut plus actuel.
Le montage est habile : les adieux de Fontainebleau ne constituent pas un moment de bravoure car seuls les officiers  massés devant l’empereur entendaient vraiment ses paroles, Octave le narrateur prend des notes et se dispense de rédiger certains épisodes. Par contre la sobriété, l’humour font ressortir les moments d’émotion : quand sur le bateau qui les ramène en France les hommes sachant écrire reproduisent les paroles destinées à la propagande:
« Soldats, venez vous ranger sous les drapeaux de votre chef. La victoire marchera au pas de charge ; l'Aigle, avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-Dame. Alors vous pourrez montrer avec honneur vos cicatrices. Alors vous pourrez vous vanter de ce que vous avez fait. Vous serez les libérateurs de la patrie. »