jeudi 13 mars 2014

Ingres vs Delacroix

Dans la « querelle des coloris », le dessin s’oppose à la couleur quand montent sur le ring : Raphaël contre Le Titien puis Poussin comparé à Rubens jusqu’à Picasso et Cézanne trait contre teinte.
Cette fois Alain Bonnet aux amis du musée nous a présenté le néo classique Ingres en face du romantique Delacroix au XIX° siècle.
Quand Delacroix pénétrait dans la même pièce que l’auteur du portrait de monsieur Bertin, celui-ci disait sentir d’emblée des effluves de soufre.
La rigueur contrarie la séduction, l’institution académique affronte l’indépendance, le moderne défie l’antique, l’éclat des couleurs réplique à la sculpture, la sobriété et la fougue sont antithétiques, comme le calme et l’élan, la force et l’expression, la tradition et la modernité, l’esprit et la chair, Platon et Epicure, les Romains et les Flamands.
Dans une caricature du « Diable à Paris », Delacroix est muni d’une très large brosse alors qu’Ingres brandit sa pancarte : « Il n’y a que le gris et M. Ingres est son prophète. »
Mais l’opposition du réalisme et de l’idéalisme, de l’ordre vis-à-vis de la liberté, se complique parfois.
Parmi les critiques qui animèrent les débats, Adolphe Thiers, le bourreau de la Commune est du côté de celui qui peignit « La liberté guidant le peuple » : 
«  Aucun tableau ne révèle mieux à mon avis l’avenir d’un grand peintre, que celui de M. Delacroix, représentant le Dante et Virgile aux enfers. C’est là surtout qu’on peut remarquer ce jet de talent, cet élan de la supériorité naissante qui ranime les espérances un peu découragées par le mérite trop modéré de tout le reste. »
En pleine Restauration catholique, le tableau représentant  « Le vœu de Louis XIII », par Ingres, le successeur de David, célébrant l’alliance du trône et de l’autel, sera mis en place avec toute la pompe nécessaire dans la cathédrale de Montauban. L’évènement historique a des intentions mythiques, la célébration est lyrique.
Par contre la toile, manifeste du romantisme, « Les massacres de Scio ; familles grecques attendant la mort ou l'esclavage » appelle l’émotion en mettant en scène un évènement contemporain : de nombreux grecs viennent d’être massacrés par les ottomans. Les victimes souffrantes sont au premier plan, la guerre n’est pas glorieuse.
Nous sommes aux alentours du  salon de 1824 où des cimaises jusqu’aux cintres, les peintres essayaient d’acquérir sinon renforcer leur notoriété ne dépassant pas parfois le seuil des boutiques de matériel de peinture plus nombreuses alors que les galeries.
Aujourd’hui dans le journal Libération à propos du photographe Cartier-Bresson, le commissaire de l’exposition explique:
« Il y a, dans l’histoire de la peinture, une fameuse opposition entre la couleur et la ligne, qui, au XIXe siècle, s’incarne dans le débat entre Ingres et Delacroix. Cartier-Bresson était définitivement du côté de Delacroix, il préférait composer ses images en s’appuyant sur des lignes de force, plutôt que sur des masses colorées. S’il a pratiqué la couleur, c’est seulement parce que l’économie de la presse illustrée, à partir des années 50, l’exigeait. Dans les années 70, lorsqu’il arrête de travailler pour les magazines, il commence à exprimer son aversion pour la couleur. Elle symbolise alors pour lui une pratique contrainte, alors qu’au même moment, pour toute une génération de jeunes photographes, elle offre au contraire de nouvelles perspectives créatives. »
Il aurait dû dire du côté d’Ingres et non de Delacroix.

mercredi 12 mars 2014

Asmara et les causes perdues. J. C. Rufin.

Un vieil arménien raconte la guerre civile en 1985 aux alentours d’Asmara, désormais capitale de l’Erythrée où subsistaient des souvenirs d’Italie. L’ancienneté d’Hilarion Grigorian autorise la lucidité et sa situation de trafiquant connaissant le pays le place au carrefour des cultures. Il ne manque pas de vivacité d’esprit ni de malice pour dénouer des situations complexes. Et ses informateurs font apparaitre les contradictions, les motivations dévoyées des humanitaires les plus  engagés.
« Mélange écœurant de grands sentiments et de petites fornications »
Nous sommes au cœur des manipulations les plus cyniques quand la famine est stratégique.
Nous en apprenons sur cette Afrique :
Un chauffeur vient de tirer un coup de fusil par la portière.
 « Ces chiftas, voyez vous, ils tirent les premiers coups pour savoir à qui ils ont affaire. Si vous répondez, c’est que vous êtes armés : ils vous laissent passer tranquillement. Si vous ne répondez pas, ils font rouler une pierre sur la route et ils vous volent tout »
Une scène chez le barbier dans un décor désuet où des décisions s’apprêtent est d’une grande habileté, nous pouvons entendre les dialogues qui nous mettent dans la confidence.
 Et nous en apprenons aussi pour chez nous :
« Il fut un temps où une silhouette pouvait emporter avec elle tout un terroir. Trois bretonnes suffisaient, assises contre un mur, à évoquer autour d’elles les côtes bordées de granit. »
Quelles perspectives demeurent ? Quand  dans ces 300 pages écrites il y a plus de dix ans, une des voix de l’ambassadeur stylé, assénait : 
« Au lieu de dire que nous ne croyons à rien et que c’est pour cela que nous sommes incapables de justifier la mort, nous préférons glorifier la vie ». Il n’y a plus de héros.

mardi 11 mars 2014

Mambo. Claire Braud.

Cette publication originale de l’Association a reçu le prix Artémisia, son originalité féminine a sûrement été décisive, plus par le ton, que par le trait.
Personnellement elle m’a paru superficielle : l’héroïne a oublié l’heure du rendez-vous pour son entretien d’embauche, elle ne sait même plus pour quel travail.
Un huissier se présente chez elle, elle l’assomme et le laisse sous la protection de son tigre.
Elle tombe amoureuse de tous ceux qui passent en s’inventant une malédiction de ne pas être aimée, qui remonte à son père en Amazonie. Abracadabrantesque et fantasque.
Certains pourront apprécier l’atmosphère surréaliste, évaporée, où des  figures symboliques apparaissent : un mâle nu sur son cheval devra passer chez le dentiste, ses dents métalliques et pointues lui interdisent l’amour. Cependant des aspects de la réalité subsistent : une vache vêle chez une voisine qui accueille des jeunes délinquants en réinsertion.
Insolite, un peu.
…………
A la maison de la nature et de l’environnement, un mandala de sable est réalisé cette semaine du lundi 10 mars au vendredi 14 mars 2014 à 17h, heure à laquelle il sera dispersé pour la cause du peuple tibétain.

lundi 10 mars 2014

Ida. Pawel Pawlikowski.

Ah ça change de la caméra à l’épaule! Ici chaque plan en noir et blanc est admirable, mais je ne rejoindrai pas les placards dithyrambiques au sujet de cette quête obligée d’une novice en route vers sa réclusion.
Si j’ai apprécié les cadrages, la simplicité du propos, je ne partage pas l’enthousiasme général concernant l’actrice qui semble subir les évènements,  je préfère de loin la tante vivante à s’en balancer par la fenêtre. Avant de rentrer dans les ordres la jeune orpheline voilée découvrira ses cheveux, la vodka, le jazz, la cigarette, le désordre furtif, le lit avec un  beau saxophoniste un peu manouche qui ne contrariera pas la promise au seigneur en lui prédisant : 
« nous achèterons un chien… »

vendredi 7 mars 2014

Le Postillon. Février 2014.

Le bimestriel libertaire grenoblois a levé un beau lièvre, en découvrant des déchets radioactifs dans les bâtiments désaffectés de l’institut Dolomieu qui bénéficiait d’une vue imprenable sur la cuvette Grenobloise. Un bon travail de journalistes complété par un entretien éclairant avec un intérimaire irradié lors d’une opération de tri de déchets radioactifs sur le site du CEA en août 2013, qui depuis a été…radié.
Voilà de quoi apporter des arguments à un organe qui est un des porte parole des  technophobes du groupe « Pièces et main d’œuvre »  qui considère que « La technologie est la continuation de la guerre, c’est-à-dire de la politique, par d’autres moyens. »
Chacun sait que « la presse gratuite est vendue » et leur positionnement est utile, quoique j’aie déjà apporté un regard critique http://blog-de-guy.blogspot.fr/2009/09/le-postillon.html sur ceux qui justement se posent en critique de la presse en général et des politiques locaux  en particulier avec Fioraso et Safar en tête de gondole.
Pourtant ce n’est pas facile de paraitre crédible quand on rédige des articles, sous la triade « amour, glaires & beauté », rigolo peut être, mais cet humour peut repousser, c’est peut être bien le but de n’être lu que par une pincée de convaincus qui pourraient sûrement être contrariés d’avoir à se retrouver avec quelques modérés, impurs.
Leur regard sur l’emballement médiatique autour de Schumacher au CHU de Grenoble est tout à fait approprié et un reportage sur les cimenteries intéressant comme leur approche de la colère des pompiers dont un de leur collègue a perdu un œil  lors d’une manifestation et qui remettent en cause quelques élus : « j’ai bien mangé, j’ai bien bu, je suis un élu ».
Par contre je ne suis pas d’accord avec leur position vis-à-vis de Destot qui favorise le logement dans sa ville auquel ils reprochent d’ « œuvrer à l’avènement d’une métropole, c'est-à-dire plus d’habitants, de transports, d’entreprises donc de pollution ». Alors qu’en ne favorisant pas le logement près des emplois c’est la pollution qui est accrue. Les transports en milieu urbain peuvent être plus facilement propres et ce refus de voir s’accroitre l’agglomération rejoint tant d’égoïsmes flattés par tant d’autres que ces réflexions tiennent plus du réflexe qui éloigne le dernier arrivé que d’une pensée exigeante, progressiste.
......
Sur le web, cette image:
Reprise des articles lundi après une pause samedi et dimanche.

jeudi 6 mars 2014

Le corps mis en scène. Les portraits.

C’est avec un portrait lumineux de La comtesse Marie Howe par Gainsborough que Serge Legat débute son exposé brillant aux amis du musée de Grenoble.
Portrait dit « à la chandelle », puisque repris le soir par l’artiste qui avait peint le visage de la belle alors qu’un autre modèle avait porté la robe chatoyante. Le fond crépusculaire renforce la lumière qui émane du personnage.
Les portraits défient le temps, les cadrages varieront suivant les époques.
Miroir des émotions, la peinture serait née, d’après Pline l’Ancien, d’une jeune fille amoureuse qui veut garder l’image de son amoureux en partance pour ailleurs : sur un mur, elle entoure l’ombre de son visage d’un trait au charbon.
Enguerrand Quarton peint une Pietà, celle de Villeneuve les Avignon, en 1450. Saint Jean Baptiste retire avec délicatesse la couronne d’épines, mais c’est surtout le profil du donateur en prière en marge de la scène religieuse qui est remarquable. Il s’agit d’un portrait individualisé et non plus d’une représentation symbolique. Le moyen âge est fini.
D’autres donateurs temporels en camaïeu de gris figurent au dos du polyptyque coloré du jugement dernier de Beaune peint par Rogier Van der Weyden,
Cependant le corps glorieux, figure en solitaire, dès 1328 sur une fresque à Sienne avec comme personnage central : le condottiere Guidoriccio da Fogliano de Simone di Martini, hiératique, majestueux, pour l’exemple; moins cher qu’une sculpture.
Au XV° siècle, un autre condottière, Sigismond Malatesta par Piero della Francesca au profil  de médaille à la façon antique est figé, sans contact avec le spectateur.
Par contre le portrait "Le jeune homme en prière"  par le flamand Hans Memling est d’une telle beauté qu’il peut être vénéré même sans la partie religieuse manquante du diptyque destiné aux voyages. La mode des « portraits aux deux yeux » est lancée : la Joconde laissera voir ses mains. Les bustes se souviennent des reliquaires du moyen âge.
Au XVII° siècle, les portraits collectifs des groupes civiques de Frans Hals qui joue avec les couleurs, respectent les hiérarchies mais chaque visage est individualisé.  
Dans cette spécialité hollandaise, Rembrandt joue plutôt avec les ombres : lors de sa « leçon d’anatomie », les élèves ont le regard porté vers un livre qu’ils confrontent à la réalité la plus crue.
La comparaison du portrait royal de François 1° par  les Clouet avec celui  de Maximilien Ier par Dürer caractérise nos nations, avec la main sur l’épée de l’un, sur fond héraldique, alors que l’autre tient une grenade ouverte symbole de l’universalisme : un seul fruit, plusieurs pépins. 
Le  portrait d’apparat de  Louis XIV par Rigaud dans ses drapés en cascade à côté de sa colonne à haut socle est l’allégorie de la puissance.
En regard de la pompe française, Charles Ier  par Van Dick marque son rang avec une élégance nonchalante, en un geste souverain, la main sur la hanche, les gants marquent la dignité, le jaune et le blanc sont des couleurs nobles.
Au cœur du Vatican, Raphaël peint L’école d’Athènes : Léonard de Vinci est déguisé en Platon, Michel Ange en Héraclite : le corps est théâtralisé.
Dans la mise en scène, le tableau impérial (10m X 6m) du sacre de Napoléon Ier  où l’ « on marche dedans » est insurpassable: Joséphine est couronnée dans la version définitive mais les travaux préparatoires de David attestent que Napoléon se sacrait lui-même, le pape s’active alors qu’il fut passif, la mère est dans la loge, au centre, elle était absente en vrai. 
Alors que Cosme 1°  ait été brillant sauf dans  le domaine militaire et qu’il figure en armure par Bronzino est un péché véniel. Sa riche femme Eléonore de Tolède,  dans sa robe de brocarts, impassible, marque la distance.
La mode de travestir les marquises en déesses ne va pas s’étendre au-delà de 1750 : adieu Thétis, Achille et Cupidon, Flore…  Et Diderot assassine J.M. Nattier, le spécialiste  du genre: «  Cet homme a été autrefois très bon portraitiste ; mais il n’est plus rien ».
La renaissance a joué avec les codes et les symboles : la maîtresse de Ludovic Sforza, Cecilia Gallerani  par Léonard de Vinci tient dans ses bras une hermine, c’est que la bête figure sur le blason du régent de Milan, mais sur la joue de Caroline Rivière par Ingres l’éphémère que certains ont pu imaginer n’était qu’une tache, pourtant la très jeune fille aux gants trop grands n’allait pas arriver à l’âge de femme.
Savonarole pourra fulminer : dans la fresque de Ghirlandaio, en tête d’un groupe de visiteuses, la femme du  commanditaire détourne les regards vers elle, alors que la vierge vient de naître.
Le portrait d’un jeune homme de Lorenzo Lotto semble un instantané, il garde son mystère mélancolique mais annonce le temps des émotions.
L’amour : dans conversation dans un parc Gainsborough se représente avec sa femme, Rubens à 53 ans vénérait Hélène Fourment  sa  seconde femme de 16 ans.
Goya sait que la Marquise de Solana est condamnée, son visage livide est marqué, elle est élégante et digne, le peintre admiratif.
Margherita Luti, « la Fornarina », « la donna velata », sera  immortalisée par Raphaël.
L’amitié : le facteur Rollin face à face avec Van Gogh, Marat et David, Renoir et Frédéric Bazile, Manet et ses parents…

mercredi 5 mars 2014

Grisgris. Mohamed Salah Haroun.

Film vu à Cannes en 2013. 
Comment ne pas penser à « Benda Bilili » histoire d’une résilience de musiciens handicapés mais autrement rythmée, émouvante, drôle, qui nous avait soulevés d’enthousiasme ?
Ici, l’acteur paralysé d’une jambe qui joue le rôle titre danse avec conviction mais entre deux démonstrations, il est d’une passivité confondante. Bien peu crédible lorsqu’il met fin à son asservissement à un caïd qui prospère dans le trafic d’essence. Pas plus que lorsqu’il part avec Mimi la belle prostituée retrouver la paix dans un village d’où sont absents les enfants, c’est dire si nous sommes si peu en Afrique. 
Conventionnel, simpliste ; quelle tristesse que ce type de film soit le seul à représenter l’Afrique quand le moindre proverbe de là bas ouvre des perspectives !  
« Le zébu maigre n'est pas léché par ses congénères.»