dimanche 2 mars 2014

Sanseverino. La Vence scène.

"- Que se passe-t-il quand on passe une chanson de country à l'envers ?
- Tu as arrêté de boire, ta voiture est réparée, ta femme est revenue et ton chien est encore vivant. "
Si la musique country des pionniers américains quand elle passe dans les bars, les bastringues : the « honky tonk music » est liée à une vision traditionnelle de l’Amérique, eh bien Sanseverino donne un sérieux coup de karcher à « la médiathèque de la baston ».
Celui dont le père était de Grenoble vient de dépuceler la salle inaugurée de frais de la Vence Scène à Saint Egrève, cul serré au début puis debout à la fin du concert.
Fidèle à Béranger :
« J'en suis encore à m'demander
Après tant et tant d'années
A quoi ça sert de vivre et tout
A quoi ça sert en bref d'être né »
Il nous interprète la Nathalie de Bécaud après une explication de texte qui a retourné la salle un peu perplexe, celle ci ne l’avait pas entendue forcément aussi drue, mais c’était bien drôle :
« Dans sa chambre à l´université
Une bande d´étudiants
L´attendait impatiemment »
Son univers est original, sa voix unique, ses rythmes nous font franchir les limites autorisées pour nos fauteuils roulants. Sa vivacité dans le scat, son naturel, emportent l’adhésion. Son plaisir de chanter est communicatif, son énergie durable.
« On ze route »
« J'étais parti sur les autoroutes
Pour avaler des kilomètres
Voir défiler seul sur la route
Les stations Total par la fenêtre
Les camion se doubler coute que coûte
Parfois à quelques millimètres »
Prophétique :
« Alors comme ça il paraît qu’on va tous mourir
Ou alors on va tous se faire engloutir
Qu’on va s’manger des tremblements de terre
Des tsunamis dans l’Finistère
Tout ça va finir dans une inondation
Plus d’pognon, d’mondialisation
Sa faire bombarder par des volcans
Se morfler des bouts de lave dans les dents »
Nous sommes un peu comme Freddy qui a piqué sa femme :
« Dans les bigorneaux y'a du manganèse
Y' a de la pectine dans les chevrotines
Electricité dans l'acide citrique
Dans le patchouli y'a des brocolis
Mais y'a rien, de rien...
...dans la tête à Freddy. »
Tout est en vrac dans nos sacs, mais l’humour nous sauve. La nostalgie va certes vers les parkings remplis autour de Noël et de ses dindes, mais aussi sous les marronniers des cours d’école ; avec un peu de musique allègre ça passe bien et notre « système d’arrosage maison » peut se déclencher automatiquement.

samedi 1 mars 2014

Le goût de l’humour juif. Franck Médioni.

" C’est l’histoire d’un Juif et d’un autre Arabe. "
Pour rendre compte de la jubilation éprouvée lors de ses 145 pages, je ne trouve pas mieux que de citer une blague par chapitre, bien que le choix ait été difficile, tant le rappel de certaines, la découverte d’autres sont réjouissants.
Mais « Dieu a créé l’homme parce qu’il aime les histoires »
Ce livre au Mercure de France n’est pas qu’une simple compilation de blagues,  de surcroit quand dans la famille il y a Woody Allen, les frères Marx, Kafka, Tristan Bernard, Goscinny… l’intelligence est au rendez vous.
D’autres célébrités :
« Moïse : «  tout est dans la Loi »
Jésus : « tout est amour »
Marx : «  tout est argent »
Freud : «  tout est sexe »
Einstein : « tout est relatif »
Lorsqu’un Juif rencontre un de ses amis avec une pile de journaux antisémites et s’étonne : 
« Mais comment, tu lis ces horreurs ? »
« Bien sûr ! Quand je lis de la presse juive, il n’y a que des mauvaises nouvelles, des persécutions, de l’antisémitisme partout… Alors que dans ce journal, il est écrit que nous sommes les maîtres du monde et contrôlons tout … »
Concernant la famille, donc les mères, une brève:
« Quelle est la différence entre un terroriste et une mère juive ?
Avec un terroriste, on peut négocier. »
Dieu :
« Dieu, je sais que nous sommes ton peuple élu, mais ne pourrais-tu pas choisir quelqu'un d'autre pour changer un peu."
La religion :
« Une communauté honore son rabbi pour ses services depuis 25 ans en lui offrant un voyage à Hawaï.
Arrivé à son hôtel, il découvre une belle fille nue se trouvant sur son lit.
 Elle dit : "Bonjour, Rabbi, je suis un cadeau supplémentaire que le président de ta communauté t'offre…"
Le rabbi est hors de lui, énervé. Il prend le téléphone et appelle le président :
" Greenberg, où est le respect ? Je suis un homme de morale dans notre communauté. En tant que votre rabbi, je suis très fâché avec vous !!! "
La fille se lève et commence à se rhabiller. Le rabbi se retourne vers elle et dit :
 "Où allez-vous ? Je ne suis pas fâché avec vous…"
Pour gagner du temps à la frappe, je me suis mis à rechercher sur le web les histoires que j’avais aimées dans ce livre pour les copier/coller, mais lorsque j’en ai lu certaines, j’en ai que plus apprécié ce recueil, car la frontière est subtile entre l’autodérision et des plaisanteries qui craignent.
L’argent :
« Rothschild regrette de ne pouvoir donner davantage à Yankel, le shnorrer (le mendiant) parce que, le mois prochain, il marie sa fille.
 - Comment proteste le shnorrer, vous mariez votre fille avec mon argent ? »

La photo est de Dany Besset

vendredi 28 février 2014

Etrangère politique.

Appartenant à la race en voie d’extinction des lecteurs assidus de journaux, qui plus est, de Libération, je ne cesse de ressasser : « Je sais que je ne sais rien, mais je le sais! » datant de Socrate et poserais en sage tout en me désolant de me faire balader par les médias, passant d’un meilleur économiste à un économiste meilleur, de DSK en Cahuzac.  Et je m’étonne encore d’aspects que j’ignorais des politiques de mon pays, alors pour ce qui est de la Cyrénaïque : va savoir !
« A l’insu de notre plein gré » et ce qui nous advient ici, à portée de mains, les bras m’en tombent bien souvent d’ébahissement et d’impuissance.
Pourtant au-delà des frontières il y a de quoi  apporter des nuances à nos paysages.
Comme le chante sur des rythmes enjoués Sanseverino :
 « Israël, Palestine, les Hutus, les Tusti, Désiré Kabila
Guantanamo, Kadhafi, Kaboul, Sarajevo
Ben Laden, George Bush, Mobutu et Tito
On connait tout ce qui est bon
C'est la médiathèque de la baston »
Ces noms ne se démodent pas même si des nouveaux sont venus clignoter sur nos écrans.
Par exemple en Ukraine où tout se rebat, leur langue est le support de leur identité, leur fierté, tandis que nos négligences ont précédé l'affaiblissement du français. Certains demandent l’Europe, qui à l'intérieur de nos frontières ?
Je trouve ridicules tous ces planqués qui enverraient bien nos trouffions tous azimuts et dans le même temps je m’agace de la culpabilité qui s’attacherait à toute action  de la France.
Si le Mali fut une opération utile, celle en Centre Afrique est plus hasardeuse. Nos lâches soulagements face à Kadhafi  ont été de courte durée : les effets pervers devenant majeurs.
Le refus d’engager La France en Irak avait rencontré un consensus, alors que les palinodies en Syrie n’étaient pas si dérisoires quand le remède risquait d’être pire que le mal.
Il est de bon ton chez les atones de dauber sur l’Europe, un peu plus, mais qui l’a rendue impuissante l’Europe, comme si nous n’étions pas partie prenante ? Qui a mis la boule à zéro à l’Euro ? L’OTAN est passée, la défense européenne est sans dessein, on a déjà du mal avec notre province: que faire ?
 Alors quand la lassitude gagne, pour retrouver les fondamentaux, un petit coup de camarade vitamine, Régis Debray :
« La priorité du siècle à venir sera éminemment paradoxale. Il lui faudra réconcilier les causes de l’Un et du Multiple. Vivre l’histoire comme l’aventure d’un peuple unique, l’humanité ; tout en préservant contre l’unification technique la diversité des langues et des peuples. Il y a le droit naturel des êtres humains à se nourrir, à croître en paix, à se rendre là où la vie est possible ; et il y a le droit politique des États à contrôler les flux de population, à maintenir leurs frontières et leurs usages, selon les codes immémoriaux de l’hospitalité (je t’accueille chez moi, tu respectes mes lois). Combiner les deux ne sera pas facile - pas plus qu’il n’est aisé d’allier la générosité à l’intelligence (les cœurs palpitants sont souvent un peu simples et l’intelligence a souvent le cœur sec). Ordre et progrès se diront : identité et solidarité, internationalisme et patriotisme. Scott Fitzgerald disait que la finesse d’un individu se mesure à sa capacité de vivre selon deux idées contradictoires. La formule vaut pour les civilisations. »
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Dans le Canard de cette semaine: A propos du positionnement des verts.

jeudi 27 février 2014

L'ultime croisade des hidalgos*. Christian Loubet

Au 15e et 16e siècles, l'Espagne est unifiée, la « Reconquista », croisade chrétienne est terminée, les juifs et musulmans sont convertis ou chassés ; « le soleil ne se couche jamais » sur l'immense empire de Philippe II. L'or des Amériques n’est pas encore épuisé …
El Greco (Le Grec) (1541- 1614),  formé comme peintre des icônes après un séjour à Venise, s'installe à Tolède. D'abord maniériste, « vénitien », c'est le peintre de la couleur, il devient l'interprète des mystiques, exaltant l'idéal de la Réforme catholique, apprécié de l'aristocratie et de l'Eglise. En 1578, marié, intégré, il a de nombreuses commandes ; son premier succès – une crucifixion - date de 1577. Son premier grand travail pour le roi sera « La bataille de Lépante »(1571) peinte en 1579 à la gloire de Don Juan d'Autriche, instrument de la victoire de la chrétienté contre les Turcs. Le roi n'appréciera pas la toile qu'il juge trop originale.
L'enterrement du Comte d’Orgaz (1586) : Le chef d'œuvre du Gréco s'admire à Tolède à l'église Saint Tomé, exposé aujourd'hui sous le porche pour ne pas perturber les offices. De 3m 50 de haut, il oppose monde terrestre (en bas) et ciel avec le Christ, la Vierge, St Jean Baptiste et les élus. Un ange tient dans ses bras, sous forme d'ectoplasme, l'âme du Comte.
Le peintre est aussi un grand portraitiste.
A partir de 1600, la déformation verticale s'accentue (problèmes de vision ?) mais les couleurs sont toujours très vives et le mouvement, le nombre des personnages achemine l'œuvre vers le baroque.
Il osera quelques nus sous couvert de mythologie malgré l'interdiction de l’Inquisition.
Le père de l'Ecole espagnole, « visionnaire » très original et très moderne parfois influencera des peintres comme Picasso ou J. Pollock.
Velasquez (1540-1614) : le grand témoin du siècle d'or sous Philippe IV.
Le peintre sévillan, très influencé par l'Italie (Le Caravage surtout), s’illustre d'abord dans la peinture de genre, joue sur la lumière et le clair obscur et décrit la réalité, même la plus prosaïque, ce qui est complètement nouveau (ex : « la vieille femme faisant frire des œufs »).
A Madrid, à 24 ans, il devient d'abord « peintre du Roi » puis « peintre de Chambre », charge la plus importante à la Cour et « surintendant des travaux royaux ».
Dans ses peintures religieuses comme dans ses nombreux portraits de cour il n'hésite pas à montrer la réalité même brutale (le portait de la mère supérieure des Clarisses, missionnaire déterminée) ou la laideur du Roi à la bouche déformée.
Envoyé par Philipe IV comme diplomate en Italie, il  est un des premiers à s'intéresser au paysage, il peint des toiles caravagesques ou mythologiques. Le portrait du pape est lui aussi peu flatteur. Il osera même peindre son propre domestique noir.
Portraits de la Reine, de bouffons, de nains … Mais, comme il a de nombreuses activités, particulièrement comme installateur des résidences royales, son œuvre est réduite : 162 tableaux dont il n'en reste que 111.
En 1639, il peint « La Reddition de Bréda » (de 1625), tableau politique rappelant la victoire sur les hollandais insurgés et destiné au palais du Buon Retiro.
" La Venus au miroir" vers 1545, "Mars" et autres tableaux mythologiques. Et toujours cette dualité caractéristique de nombre de ses tableaux. Ici la beauté du corps nu vu de dos et le reflet d'un visage laid dans le miroir (rajouté ?).
1656 ; "Les Ménines " et toujours le jeu des miroirs : c'est le peintre qui est important dans le tableau !
"Les fileuses" ou "Légende d'Arachné", son dernier tableau de 1657 sans doute, est très impressionniste. On y retrouve le dialogue entre réalité et évocation des Dieux à l'arrière-plan et tout le savoir-faire artistique accumulé en quarante ans de carrière
« Ce dernier Vélasquez, dont l'univers poétique, un peu mystérieux, a pour notre temps une séduction majeure, anticipe sur l'art impressionniste de Claude Monet et de Whistler, alors que les peintres précédents y voyaient un réalisme épique et lumineux. »
Après l'apogée d'une société pleine d'illusions (El Gréco), puis la prise de conscience de l'ambigüité du monde (Vélasquez), les artistes de la fin du siècle montreront sa décadence. 
* Hidalgo : gentilhomme.                                         Compte-rendu de Dany Besset.  
                                                                                    


mercredi 26 février 2014

Contes des sages d’Afrique. Amadou Hampâté Bâ.

Joli livre broché à glisser dans un sac de voyage, avec des histoires variées où l’on apprend enfin pourquoi «  l’homme de bien est souvent l’époux d’une femme sans mérite et la femme vaillante l’épouse d’un bon à rien ». Lorsque hyène père entre en scène, l’issue ne sera pas forcément gentillette, pas plus que le début du récit du « roi qui voulait tuer tous les vieux », où un jeune inconscient apprendra que « nul ne peut voir tout seul le sommet de son crâne ».
L’écrivain ethnologue malien, à qui l’on doit la formule «  chaque fois qu'un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui  brûle », a recueilli ces contes essentiellement peuls. Il est mort en 1991.
Pour parler du conflit israélo palestinien, il s’était servi, depuis une tribune internationale, de l’histoire de deux lézards qui en se querellant ont mis le feu à la case et entrainé bien des malheurs; les protagonistes qui n’ont pas voulu intervenir à temps sont tellement emblématiques des renoncements diplomatiques.
On peut être indifférent à la généalogie de Njeddo Dewal mais apprécier les dialogues quand Satan s’en mêle :
« Espèce de mégère aux fesses disproportionnées et puantes, ferme la mangeoire qui te sert de bouche ou je vais avec ce bracelet qui vaut plus que ton prix, réduire tes dents en grumeaux de couscous »
S’il est  assez habituel que les fous instruisent les rois, il est moins fréquent qu’une baffe les remette dans le droit chemin, mais tout au long de ces 130 pages illustrées de beaux objets chargés de magie, nous aurons pu apprendre le prix d’une poignée de poussière. La sagesse  se mêle à la folie : les secrets de l’humilité se révèlent au bout de longues quêtes et  parfois au pied du coteau rouge dans la plaine des « fous lucides » peut se tenir une « foire catastrophe ».
Nous savons aussi que le mensonge peut devenir vérité, quand une autre hyène nous le rappelle dans une brève à la construction originale comme dans d’autres fables où la morale n’est pas forcément assénée.

mardi 25 février 2014

Le pire a de l’avenir. Georges Wolinski.

Cavanna vient de mourir et c’est toute une génération qui a chopé Parkinson.
Wolinski,  son pote de Charlie, le dessinateur de presse qui a maintenant 78 ans a commencé avec Siné dans « l’Enragé », il est passé à l’Huma, à Libé, à Paris-Match : 68 et ce qui en suivit.
Je le connais mieux que Proust ou Musil et sais peu de meilleurs moments que lire une BD en bouffant du chocolat.
Membre historique de la bande à Hara Kiri, il vient encore de publier un livre de 1000 pages après 80 albums dont on peut retenir quelques citations :
«On a fait Mai 68 pour ne pas devenir ce qu’on est devenus
« À quoi ça sert d'être connecté à la terre entière si on n'a rien à se dire ? »
« Heureusement que le monde va mal ; je n'aurais pas supporté d'aller mal dans un monde qui va bien ! »
Ses dessins sont la joie de vivre, la liberté : sous leurs robes légères ses femmes sont toujours en pleine forme. Quant à deux de ses personnages poursuivant leur dialogue de sourds, ils portent toutes les contradictions de la société, « ses personnages bavards s'embourbent dans des pensées pleines de bon sens ou de non-sens ».
Il promène un miroir à la surface duquel la politique peut être jubilatoire, et nos reniements s’excuser, quand les paradoxes brillent et que les logiques acharnées finissent en un sourire, en coin.

lundi 24 février 2014

L’image manquante. Rithy Panh.

Deux millions de personnes sont mortes au Cambodge au milieu des années 70, soit un habitant sur cinq massacré ou mort de faim.
Rithy Panh qui consacre sa vie à témoigner de ces horreurs : « S21, la machine de mort Khmère rouge », « Duch, le maître des forges de l’enfer »… mêle ses souvenirs personnels à un nouveau documentaire.
Le réalisateur, alors enfant, ayant été contraint de quitter la capitale Phnom Penh vidée de tous ses habitants, sera le seul survivant de sa famille, subissant à la campagne, dans la jungle, des privations terribles. Alors que la faim est une préoccupation éliminant toute humanité, une « machine à manger » est présentée par le pouvoir, sa ressemblance avec la machine de Chaplin dans "Les temps modernes", ajoute de l’ironie au tragique.
L’association Cinéduc qui avait invité à la cinémathèque celui qui assure la voix off dans le film, illustrait parfaitement ce soir là, le thème de sa biennale : « Réinventer au cinéma ».
Face à une révolution qui n’a existé que dans les images, paradoxalement, la rareté des archives a contraint le cinéaste à reconstituer ces évènements avec des personnages d’argile non en animation, mais comme des santons qui ne donnent cependant jamais l’impression d’être statiques. Il ne s’agissait certainement pas pour l’auteur d’une recherche formelle mais d’une nécessité,
L’image d’une vague rythmant le film m’a impressionné dans sa simplicité pour exprimer la difficulté de mettre des images sur l’innommable comme il en fut question pour les mots face à la shoah. On voit la vague arriver et la caméra est submergée.