jeudi 17 octobre 2013

Félix Vallotton.


Par-dessus la gravure très contrastée intitulée « L’argent » qui servait de fond au titre de sa conférence aux amis du musée, Gilbert Croué avait inscrit :  
« Félix Vallotton, peintre graveur, misanthrope ».
Il nous a présenté de nombreuses vues d’une œuvre qui compte près de 2000 réalisations dont une centaine sont présentées au Grand Palais à Paris sous le titre
« le feu sous la glace ».
Vallotton, l’enfant suisse, a observé un graveur qui loge au dessus de chez ses parents chocolatiers.
Il entre dans le métier de peintre à 16 ans, se plaçant dans la lignée d’un Ingres avec des portraits simples de personnages portant une certaine fatigue, ou retranscrivant, efficacement au fusain, les lumières d’un intérieur.
Vivant chichement de quelques articles pour la « Gazette de Lausanne », depuis Paris, il produit pour la presse, des gravures qui vont lui assurer une certaine notoriété et marquer son style jusque dans ses toiles. Ses traits sont efficaces.
La commune de Paris n’est pas si lointaine et ses compositions énergiques mettent en scène l’arrestation de « L’anarchiste », une « Manifestation » mouvementée, « La charge » de la police. Je pense alors aux affiches de mai 68.
Les masses noires s’opposent aux blancs creusés dans le bois avec « Les cygnes » élégants et des femmes chez « La modiste » où les rayures rythment une scène cadrée d’une façon singulière.
La photographie qu’il a pratiquée lui permet de retravailler ses sujets en atelier et d’aborder d’autres façons de cadrer.
Son « bain d’été » aux volumes simplifiés fit scandale au salon, alors que les Nabis l’invitent depuis son sinueux « Clair de lune » qui rejoint les principes du groupe signifiant « les prophètes » pour qui la nature est un prétexte décoratif, aux lignes marquées, aux couleurs affirmées.
Les contrastes de lumière sont dynamiques avec l’enfant en vue plongeante qui joue au « Ballon » dans le jardin des Natanson qui animèrent la « Revue blanche ». Leur égérie Misia au bain, à la coiffure, se détache parmi les ombres tranchées.

Un chat blanc ajoute une ondulation à une gravure de « La  paresse » rythmée efficacement, et un  petit chien noir au milieu d’un groupe de femmes du « Bain turc » doit apprécier les poitrines abondantes.
Sa série intitulée « Intimités » est allusive et permet toutes les interprétations : qui ment dans « Le mensonge » ? « L’irréparable » vient après «  La raison probante » et « Le triomphe » : il adore les femmes mais ne leur fait pas confiance.
Bien des mises en scènes d’intérieur évoquent la peinture hollandaise, voire Rothko pour les aplats de couleur aux teintes montées, Hopper pour la mélancolie, Delvaux pour les nus...
En 1899 il épouse une Bernheim de la famille des riches marchands de tableaux, jeune veuve mère de trois enfants. L’anar s’embourgeoise. Il habite près du bois de Boulogne, possède une villégiature en Normandie.
A l’extérieur en été ; il accroche les rayons du soleil à son coucher, les clartés nacrées de la brume au dessus des toits et la légèreté d’un matin d’été derrière « La charrette à Honfleur ».
Il va à l’essentiel, citant la nature, la recréant.
 A l’intérieur en hiver, ses nus, sont originaux avec la « Femme au chapeau violet », celui-ci se portait en fin d’après midi (de 5 à 7), ou « La blanche et la noire » ambigües qui pourraient résumer une œuvre riche soulignant les contrastes, tout en nous laissant un espace pour interpréter.
En 1917, en "mission artistique auprès des armées, il produit les gravures de la série « C'est la guerre », et saisit aussi  sur la toile des « Tirailleurs sénégalais », dont beaucoup moururent de froid, en attente de monter au front.
Il a obtenu la nationalité française, mais trop vieux pour combattre, il produira quelques tableaux qui rendent compte de la violence du conflit tout en écrivant qu’il ne parvient pas à traduire l’intensité de l’horreur. 
Il meurt en 1925, et n’aura pas le temps d’emménager sur la Côte d’Azur où il peint un « vieil olivier » auquel sont adossés des canisses, des rues de Cagnes et du Canet, la baie de Cannes. 

Ses paysages autour de « La Loire  à Nevers », « Soir sur la Loire », aux lumières fluides, aux harmonies raffinées, aux rapports de couleur audacieux, sont  comme le miroir d’un monde à contempler, les hommes vus de loin donnent un rapport d’échelle, leurs actions ont pu parfois lui donner envie de s’éloigner.

mercredi 16 octobre 2013

Ethiopie J 6. Les crocos, les hippos du lac Chamo.



Après une nuit remplie par les chants orthodoxes tonitruants dont nous avons la sensation qu’ils ont été ininterrompus, nous embarquons dès notre premier jus de mangue matinal avalé.
Nous passons prendre le capitaine du bateau qui va nous transporter aujourd’hui.
Une piste pleine d’ornières nous emmène entre les champs de coton à l’embarquement pour une traversée d’une heure et demie afin de parvenir de l’autre côté du lac Chamo.

Dès que nous mettons pied à terre nous apercevons notre premier crocodile et nous grimpons  par un sentier qui mène au plateau dominant le lac.
Dans un paysage de savane, notre premier zèbre vu au loin déclenche le feu des appareils photo. Bientôt d’autres rayés nous attendrons sur la piste, nous regardant paisiblement.
Entourés par les chants d’oiseaux, nous apercevons une petite antilope, et quelques babouins au sommet des arbres. Un serpent traverse rapidement entre nous.
Au retour nous mangeons sur le bateau avec le garde armé qui nous a accompagnés toute la journée. Puis le conducteur coupe le moteur  pour nous permettre d’observer les hippopotames et les crocodiles impassibles. Lorsqu’un de ces bestiaux semblant heureusement bien lesté plonge, notre garde le met en joue.
Des oies, un martin pêcheur, des hérons, des aigles pêcheurs (pygargues) vivent leur vie dans ce marais inquiétant.
Nous revenons vers Arba Minch dépassant des enfants transportant sur leur tête d’immenses charges de foin. Nous allons dans la partie du parc  Nechisar proche de la ville où des phacochères attendent à l’entrée ainsi que des babouins. Nous croisons des enfants qui craignent le garde et découvrons des arbres monumentaux dans un bel échantillon de forêt tropicale. Nous allons vers le point de captage des eaux qui ont donné leur nom à la ville aux quarante sources.

mardi 15 octobre 2013

Le tour des géants. Nicolas Debon.



Le tour de France cycliste au début du XX° siècle:
« Le tour c’était tout cela ; comme la lointaine réminiscence d’un sacerdoce païen, cyclique et désespéré, offrant à chaque solstice son cortège de martyrs à la tyrannie du dieu solaire »
La volonté et le courage dont font preuve ces hommes autorisent les termes les plus absolus  pour narrer une épopée : celle-ci se déroula en 15 étapes sur 4735 km.
Réparant eux-mêmes les « perçures » innombrables qui ne sont qu’anodines face aux efforts colossaux qu’ils eurent à produire. La tête sous la fontaine et ça repart.
« une accumulation disproportionnée de souffrances pour quelques secondes d’une joie amère pour les plus chanceux »
La BD dans sa fraîcheur peut traiter de l’évènement sans être boursouflée, celle-ci est appropriée  sous ses traits délicats pour faire revivre le tour de la France de 1910.
Captivant et gracieux.
« C’est un étrange ballet d’ombres chinoises qui anime la promenade des platanes à Perpignan cette nuit là. A 3h 30, au signal du chronométreur soixante douze silhouettes silencieuses et voûtées s’élancent dans le noir. »
Au bout de la volonté, quand Lapize en haut du Tourmalet, franchi pour la première fois cette année là, cria aux organisateurs :
« Assassins…vous êtes des assassins ! »
Ils s’appelaient Faber, Garrigou et c’est Lapize qui va gagner après une série de rebondissements, de tragédies, de tricheries, d’actes chevaleresques venant à bout d’impitoyables règlements …
«  Crois-tu que c’est la haine des autres qui fait gagner les courses ? Je ne sais pas lequel d’entre nous arrivera le premier à Paris, si même nous y parviendrons… mais n’est ce pas plutôt une obscure partie de soi même que l’on hait au point de vouloir l’anéantir, la briser à chaque coup de pédale ? »
Lafourcade, Petit breton et Alavoine disparaitront  entre 14 et 18 avec le héros du Tourmalet.

lundi 14 octobre 2013

Blue Jasmine. Woody Allen



Un air de jazz qui revient : le nouveau  film de Woody Allen est là, attendu comme les premières asperges.
Pauvre petite fille riche, Cate Blanchett joue bien du rimmel qui dégouline pour aller vers une folie rabâcheuse : a tant mentir, nier la réalité d’une vie dépeuplée, il n’y a plus que cette issue.
De la « classe » siglée Vuitton au canapé télé : toujours le vide.
Et ce n’est pas la confrontation tragi comique avec sa sœur caissière de bonne volonté qui l’accable : elle ne la voit pas.
De la même façon, nous ne saurions voir dans notre confort occidental, ne sachant même plus préserver des formes d’urbanité, que nous allons vers la catastrophe économique, écologique sur fond de vacuité culturelle et politique.
L’humour saisonnier du septuagénaire met de l’élégance aux partages de nos délicieuses délectations moroses.
Mais je m’égare : le film mêle comédie agréable aux dialogues bondissants à une noirceur dont le grincement nous est familier : alors nous en sourions, par habitude.
La trame du « Tramway nommé désir », sans le désir.

dimanche 13 octobre 2013

Coquilles Saint Jacques sur fondue d’endives et quenelles.



Je cuisine plutôt au beurre alors que mon fils lui préfère l’huile d’olive que je  trouve trop parfumée sur ce coup, masquant le goût délicat des coquilles Saint Jacques dont la pleine saison va de janvier à mars.
Bien que je ne me détourne pas systématiquement des produits surgelés de chez Picard en particulier, la différence est sensible en faveur des produits du poissonnier du marché de Fiancey.
Faire fondre doucement, au beurre donc, les endives quasiment hachées avec des échalotes (ou sans), pendant 20 minutes, dans le jus d’une orange.
Faire blanchir pendant 10 minutes des quenelles au brochet ou nature, puis les couper en tranches. Surprendre les noix comme on dit quatre minutes à peine recto verso à la poêle en même temps que les quenelles à dorer. Servir le tout sous un trait de crème après avoir salé poivré.
Les quenelles dispensent du riz qui est souvent l’accompagnement habituel de ce plat aux saveurs subtiles.

samedi 12 octobre 2013

XXI. Automne 2013.



La thématique principale « Les terres du futur » avec sa connotation science fiction ne m’attirait guère, et puis comme d’habitude j’ai pris ce numéro 23 et il m’a intéressé de la première à la 210ièmepage. 
Nous sommes sept milliards d’hommes : pour avoir une idée de notre futur, un reporter s’installe dans une base de l’arctique avec ceux qui étudient les évolutions du climat, un autre rappelle la construction du chemin de fer qui allait d’Addis Abeba à Djibouti où les chinois construisent une nouvelle ligne alors que Jean Rollin suit un GR incertain dans Marseille et ses friches.
La diversité des lieux explorés est stimulante :
une école en Bielorussie,
ou  les abords d’une forêt d’eucalyptus  en Chine,
et surtout celle des personnes :
un combattant en Syrie essaie de préserver le patrimoine historique de la ville d’Alep,
un réalisateur de films très prolifique à Kaboul,
une acharnée dont les moutons sont morts mystérieusement dans un village des Vosges,
un économiste penché au chevet de la Bolivie, de la Pologne chargé de  
« transformer une soupe de poissons en aquarium »,
une chinoise devenue éditrice de BD en France qui pense  
« que s’enrichir pour acheter des sacs Vuitton, ce n’est pas ça la valeur d’un pays, ce sont la sagesse, les formes d’expression, la gastronomie, tous les savoirs accumulés pendant des milliers d’années »,
un journaliste emprisonné en Turquie,
« Quand on dépasse l’actualité, nul besoin de s’y accrocher »
une Betty Boop américaine a monté un lieu d’accueil pour des femmes atteintes de fistules, incontinentes suite à des accouchements difficiles. Marie Darrieussecq rappelle l’horreur de l’excision et de l’infibulation ;
 « quand les victimes ne meurent pas d’hémorragie, d’infection ou du tétanos, leur orifice vaginal est tellement abimé qu’il arrive fréquemment qu’on les rouvre au couteau pour leur « nuit de noces »

vendredi 11 octobre 2013

Arythmie scolaire.


La semaine de quatre jours à l’école faisait l’unanimité contre elle, sa réforme tout autant : quelques pierres de plus pour les murailles de ceux qui ne veulent que rien ne change, jamais.
Je pensais simplement que les enfants venant le mercredi matin à la place du samedi d’antan, les autres journées en seraient moins compactées et donc plus profitables.
Trop simple, il  a fallu que l’état se décharge encore sur les communes qui font passer pour des innovations pédagogiques des activités « occupationnelles » dérisoires avec parfois des intitulés aux titres ronflants pour des réalités prosaïques dans le genre « environnement dans la ville » qui concerne dans telle école parisienne, le tri de déchets.
Instit passé, je suis inquiet des échos des classes d’aujourd’hui, et je persiste à rappeler quelques témoignages fatalement teintés de rose, tant le bon sens, la mesure semblent faire défaut dans cette querelle.
Quand l’école comptait, au dessus des surenchères électorales, le samedi matin figurait comme un bon jour, un jour léger, un jour utile. Mais c’est inaudible.
Les 6 heures de classe n’étaient pas forcément harassantes comme le ressassent les médias qui participent à la dépréciation de l’école présentée comme un lieu de stress où  devraient se parachuter en continu des commandos de psychologues en soutien.
Ces 6 heures étaient peut être moins fatigantes que des horaires saucissonnés dans des ambiances où s’excitent les enfants davantage minés par une présence trop longue devant les écrans à la maison, soumis aux pressions excessives de certains parents ou aux démissions d’ autres.
Chers parents, dont je militais jadis pour la présence active à l’école pour des raisons politiques quand il s’agissait pour les citoyens de participer à tous les aspects de la vie : « l’école, la santé, … c’est l’affaire de tous », quand  devaient se rencontrer intellos et populo, et également pour une efficacité pédagogique qu’il vaut mieux cohérente et partagée.
Le personnage « parentdélève » est devenu un objet de dérision pour comiques en boucle, n’assumant guère son rôle d’adulte.
Parenthèses : cet électeur  transporteur des dernières rumeurs ne peut endosser toutes les dérives.
Pas plus que les médias flatteurs de nos paresses, mais pas tout le temps, en tout lieu : l’article de Glucksman dans Libé à propos des Roms a réveillé quelques uns de nos fondamentaux de gauche.
Ils n’avaient pas « vocation » à s’assoupir sous les paroles d’un Vals flattant une opinion  se laissant aller jusqu’où … jusqu’à La Pen !
Education physique, musique, peinture sont essentiels dans les apprentissages, et quand des intervenants extérieurs peuvent apporter leurs savoir faire en cohérence avec le maître - pardon la maîtresse - c’est extra ! Mais cantonner l’enseignement à la préparation d’évaluations maths/français en cascade suivie de tranches d’animation me parait contre productif.
Les enfants qui devaient être moins fatigués le sont bien plus aujourd’hui, et ils le seront d’autant plus que les micros trottoirs vont leur demander :
« Alors tu es fatigué ? »
« Tout à fait Thierry ! »
Quand me trotte dans le souvenir, les airs du joueur de saxophone de Goldman qui mettait tant de cœur à ce qu’il jouait, je ne peux m’empêcher de relever dans bien des conversations le regret de la notion de conscience professionnelle dans tous les métiers et me figer avec Ferré :
« le cœur quand ça bat plus… »
puisqu’il était question de rythme.
..... 
Les dessins du canard me paraissant fades cette semaine: un chat de Geluck