jeudi 21 novembre 2024

Franck Lloyd Wright. Benoit Dusart.

Le conférencier devant les amis du Musée de Grenoble présente le plus célèbre des architectes américains qui se considérait lui même comme un prophète, un génie,
ayant inspiré le film « Le rebelle » avec Gary Cooper.
Né en 1867 dans le Wiscinsin, qui n’appartenait pas encore à la « ceinture de la rouille » (Rust Belt) - « Paysage du Wisconsin » John Steuart Curry - où sa mère institutrice, adepte du transcendantalisme, l’encourage à choisir la voie de l’architecture.
Après la crise de 29, il envisage  l’utopique « Broadacre City » pour que chaque foyer habite une maison digne.
Ses « Maisons usoniennes » sont disséminées dans de grands espaces. Pas de domesticité; cave et garage sont sacrifiés bien que l'automobile comme la sienne tapissée de fourrure  avec laquelle il entretient une relation passionnelle permette cet étalement urbain.
La construction organique a recours aux matériaux issus des ressources locales.
La cheminée structure un ensemble évolutif dans les « Maisons de la prairie »  où l’horizontalité permet l’intégration à la nature environnante. Les pièces où mobilier et l'éclairage électrique souvent intégrés s’opposent par leur fluidité à la raideur victorienne encore de mise.
Il a appris le métier chez Adler et Sullivan représentants de l'école de Chicago dont il se séparera pour construire la « Maison Winslow » dont la façade contraste avec le côté jardin.
L’expansion de sa maison « Oak Park Studio » a suivi l’agrandissement de sa famille avec 6 enfants qui pourront jouer à leur aise. Pour les 14 associés la salle de dessin octogonale comporte deux étages.
En 1893 l’exposition universelle se tient à Chicago où le pavillon du Japon va l’influencer au point de devenir un grand collectionneur d’estampes  
« La fraîcheur du soir à Shijo-Kawara »
Il construira l’« Hôtel impérial »  à Tokyo dans les années 20 entouré de bassins pour lutter contre les incendies. Celui-ci résistera à un tremblement de terre terrible par une structure en porte à faux comme un garçon de restaurant tiendrait un plateau au bout des doigts.
« Le temple de l’unité »
en béton pour la communauté universaliste unitarienne face à l’église épiscopalienne d’Oak Park se divise en deux parties cubiques bien éclairées, tournant le dos à la rue sillonnée par les tramways.
Des vues virtuelles permettent de mesurer l’importance du « Larkin Administration Building » au mobilier remarquable un des premiers à être climatisé, démoli en 1950.
« La maison Robie » inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO « interroge l’espace au-delà de la construction, elle casse la boîte ».
La salle à manger marque le caractère sacré du repas familial.
« La maison Hollyhock »
(rose trémière) à Los Angeles et ses sept salles de bains 
est aussi peu conventionnelle que sa propriétaire.
Les influences de l’art maya sont visibles aussi dans « La maison Charles et Mabel Ennis » conservée malgré des fragilités, elle a servi de décor au film Blade Runner.
« Taliesin West »
, du nom d’un poète gallois, au bord du désert de l’Arizona fait écho
à la maison du Visconsin incendiée à deux reprises où il avait installé sa nouvelle compagne Mamah Borthwick assassinée à coup de hache.
Il était alors à Chicago pour travailler aux jardins de « Midway » lieu de café-concert où sont incorporés des « textile blocs » qui apparaissent comme des murs tissés. 
« Entré dans une nuit profonde » il confiera le chantier à ses anciens maîtres.
En 1935, Frank Lloyd Wright, qui a déjà 67 ans, relance sa carrière d'architecte avec la « Maison sur la cascade », maison secondaire devenue légendaire.
Pour le « Siège de la société Johnson », celui des cires, il élève des coroles au dessus des employés : « Le cadre auquel nous avons abouti quand nous avons édifié le bâtiment administratif de la Johnson Wax s'est traduit par un accroissement notable de leur efficacité. Si vous leur permettez d'être fiers de ce qui les entoure et heureux d'être où ils sont, si vous leur donnez de la dignité et de la fierté dans leur cadre de travail, cela se révélera du meilleur effet pour la production. Un cadre salubre dont les travailleurs puissent tirer orgueil est rentable. »  
Le mur rideau de la tour de recherche est habillé de briques et de pyrex.
Il prend sa revanche sur le MOMA qui l’avait exclu quand la mode était à Le Corbusier avec « Le  musée Guggenheim » recyclant un plan de parking qui tranche avec les rectitudes newyorkaises. Il ouvre en 1959, six mois avant la mort de Franck Lloyd Wright, dix ans après la disparition de Solomon Guggenheim.

mercredi 20 novembre 2024

Animal. Cirque Alphonse.

Le plaisir de jouer de la troupe familiale venue du Québec déborde du plateau.
La Belle province nous fournit ici un beau moment de cirque chorégraphié, de fortes performances acrobatiques accompagnées de musique originale en direct, du « funk agricole ».
Les chanteurs sont convaincants à la fois jongleurs, équilibristes, nous entrainant dans un rythme trépidant avec une autodérision candide, un humour réconfortant.
Roue de tracteur, poulets couineurs en latex, œufs à cuire, fourches, seaux de grains, énorme cloche, brouettes, taureau mécanique… les objets les plus prosaïques sont prétextes à cabrioles, tour de force et d’habileté.
L’originalité rencontre la poésie et l’évocation d’une campagne à ce point ludique laisse penser au travail nécessaire pour régler un tel spectacle devant prendre plus de temps que la maturation d’une moisson. Les images proposées  jouant avec les clichés ne s’enferment pas dans la nostalgie. 
Le vrai vieux (78 ans) qui grimpe à une perche portée par un hercule de foire ne sera pas celui qui grimpe au cocotier pour être secoué au point d’en tomber, les mômes jetés en l’air dans la ronde des poulets sont recueillis pas des bras solides et tendres, les deux femmes qui s’équilibrent sur des bidons de lait portent au plus haut la complicité de ce groupe de neuf autour de la tribu Carabinier.

mardi 19 novembre 2024

Idéal standard. Aude Picault.

Une infirmière en néonatalogie sur la pente descendante, pour ce qui concerne sa courbe de fertilité, se met en ménage avec un ingénieur financier. 
Nous sommes en ville dans un univers plus féminin que chez Dupuy et Berberian mais aussi finement traité. 
Les papotages amicaux peuvent produire de petites blessures quand il est si souvent question de problèmes de couple et que se rappellent les normes de tous côtés. La solitude éloigne pourtant les rêves de prince charmant.
Le propos féministe s’inscrit dans un récit de vie sans éclat, avec un sourire sans illusion.
Quand il est question de femme trentenaire, Bridget Jones, franche et drôle, devenue une référence archétypale s’impose. Mais suite au succès du personnage, les critiques affluent comme dans le domaine de la BD, avec la question : « Faut-il en finir avec la BD « girly » ?Maintenant que la déconstruction supplante la construction, j’en suis à aimer encore davantage le genre incarné par Penelope Bagieu ou Margaux Mottin, certes plus étroit que celui dont Bretecher fut la pionnière, mais aussi bien vu. Ces 150 pages sont de la même veine. 
Les dessins frisottants, légers, aux discrètes couleurs pastels s’accordent à un scénario limpide. 
Un certain romantisme ne disparait pas sous l’acuité du regard. Champagne ! 

lundi 18 novembre 2024

Anora. Sean Baker.

Liaisons dangereuses d’une stripteaseuse chez les oligarques russes à New York.
Un prix pour l’actrice principale Mikey Madison aurait été mérité, quant à la palme à Cannes, 
il faut croire que la concurrence ne devait pas être vigoureuse, ni très inventive.
Youri Borissov est aussi intéressant.
Nous passons cependant de bons moments chauds, sentimentaux, drôles, alors que tombe la neige, que les émotions sont celles de la coke, que nous en sommes à plaindre de pathétiques méchants et que la chair même ficelée joliment est plus frénétique que romantique.
L’histoire (2h 20) de ces paumés dans un monde perdu, sans sommeil, vigoureusement menée, nous emmène une première fois vers les lumières de Las Vegas pour y revenir quand les promesses ne tiennent plus. 
Qui parle encore de rêve américain ? 

samedi 16 novembre 2024

L’intérêt de l’enfant. Ian McEwan.

Bien que mon échantillon des auteurs anglais soit réduit, il est pour moi « the author » typique avec lequel l’humour permet la profondeur et de grands plaisirs de lecture. 
Une juge aux affaires familiales rencontre un jeune témoin de Jéhovah qui risque sa vie en ne voulant pas être transfusé. 
« Je vais vous dire pourquoi je suis là Adam ; je veux m’assurer que vous savez ce que vous faites. Certains vous trouvent trop jeune pour prendre une telle décision et croient que vous êtes sous l’influence de vos parents et des anciens. D’autres pensent que vous êtes extrêmement intelligent et doué qu’on doit vous laisser aller jusqu’au bout. » 
Le conflit entre la foi et la loi est traité avec finesse.
Nous suivons, en dehors de son travail, cette femme sans enfants à un moment où son couple est remis en question sans entamer son sens de la justice ni son humanité . 
« Ecoute Fiona, dit-il soudain, je t’aime. »
Elle mit quelques secondes à répondre.
« Je préfèrerais que tu dormes dans la chambre d’amis. »
Il baissa la tête en signe d’acquiescement.
« Je vais mettre ma valise ailleurs. »
Il ne se leva pas. Ils connaissaient tous le deux la vitalité du non-dit, dont les fantômes invisibles dansaient autour d’eux à présent. » 
Bien que des questions complexes de vie et de mort, de liberté, de choix de vie, soient examinées avec minutie, c’est le mot « limpidité » qui  peut caractériser ces 237 pages.

vendredi 15 novembre 2024

La littérature ça paye ! Antoine Compagnon.

Bien sûr la dimension économique est traitée, mais avec l’académicien aussi à l’aise avec les chiffres qu’avec les lettres, nous allons plus loin avec ce livre bref et tonique (185 pages). 
« Les familles s’inquiètent du retour sur investissement de leurs dépenses d’enseignement supérieur, notamment aux Etats-Unis, plombés pas une énorme dette étudiante ( la deuxième après la dette immobilière). » 
Le dessin de Sempé en couverture, bien que je le sache trompeur, m’a bien sûr amené près de la caisse du libraire, et les arguments du professeur au Collège de France m’ont évité de me complaire dans la déploration de l’effacement de la littérature et permis de voir plus positivement l’avenir.
Il ne se contente pas de flatter le lecteur dans un mol plaidoyer dans lequel il n’y aurait plus rien à dire après la sentence de Sénèque : 
« Le repos sans lecture est la mort et pour l’homme vivant un tombeau. » 
Le propos n’est pas figé en prenant en compte les nouvelles technologies. Pour un chapitre consacré à la bibliophilie, activité de petite niche, la mise en évidence du développement des audio-livres m’a paru tout à fait intéressante. 
« … un peu de technique éloigne de la littérature, mais que beaucoup y reconduit, et qu’un enseignement littéraire, dans les écoles professionnelles, droit, médecine, ingénierie, commerce, ne fait pas de mal et au contraire beaucoup de bien. » 
« Transfuges de classe », bénéfices pour la santé de l’apprentissage d’autres langues, démocratisation de l’enseignement supérieur, constituent  des thèmes familiers, mais sont abordés avec simplicité, même si je dois revoir quelques définitions : « sérendipité » ou « nudge »…
Dévitalisant pourtant les départements de littérature, un grand nombre de disciplines universitaires font de plus en plus appel à la narration. 
Plus intimement, le temps passé à lire permet d’approcher l’ambition de devenir auteur de sa vie. 
Patiemment, nous apprenons que le chemin vers soi passe par les autres, par les livres.

jeudi 14 novembre 2024

Biennale art contemporain. 2024. Lyon.

Depuis quelques paires d’années nous visitons les usines désaffectées de Lyon pour aller à la rencontre de nouveautés en matière de création artistique. 
Cette fois nous commençons notre visite par les « Grandes Locos », anciennement lieu de maintenance de la SNCF sur la commune de La Mulatière.
Le thème de cette 17 ° édition, « Voix des fleuves », a été respecté au mieux quand les locaux au bord de l'Yzeron étaient évacués par crainte d’inondation, deux semaines auparavant.
Sinon, il faudrait quelques médiateurs talentueux pour expliquer le lien entre Saône et Rhône et les thèmes représentés par la plupart des 78 artistes sélectionnés qui nous ont étonnés, émus ou laissé de glace.
Les « Marmites enragées » sifflant l’Internationale nous ont mis de bonne humeur.
L’ample installation d’
Oliver Beer, « Resonance Project: The Cave » qui nous avait été recommandée fait entendre huit chanteurs exprimant leur premier souvenir musical dans des grottes préhistoriques en Dordogne.
Les sons ont laissé de belles traces sur la toile bien que quelque peu maniérées, mais intéressantes.
Les mille magnifiques paysages de Jean Christophe Norman sont réalisés sur les pages de l’ouvrage « Le fleuve sans rives » de Hans Henny Jahnn dont il avait retenu une phrase : « Par mer calme le bateau disparut de la surface de la mer ».
Bel hommage aux livres et respect du thème, originalité du propos : 
le tour de force est impressionnant.
Des costumes liés par une toile sortiront de la grève 
quand des performeurs se glisseront dedans
comme des bouteilles attendent des exécutants pour un moment musical.
Après Joanna Vasconcelos reine des textiles monumentaux, 
« Le Cactus » de Mona Cara ne retient pas particulièrement l’attention,
pas plus que les oiseaux de Chourouk Hriech   
pourtant de belle taille et soigneusement exécutés.
Les squelettes de « La chariotte des malins » de Clément Courgeon en rouge et blanc convoquent l’enfance.
Un long cylindre de bois ou un plateau mobile peuvent divertir les gônes qui feront baisser une moyenne d’âge élevée inquiètant en général les organisateurs d’évènements culturels.
Les toiles du bien nommé  Edi Dubien, se retiennent
plutôt que l’entre soi de Ludivine Gonthier, « Portrait de groupe revivifié »
ou les anecdotiques évocations de Tirdad Hashemi et Soufia Erfanian « originaires d’Iran et  exilé·e·s en France pour vivre plus librement leurs identités queer » trouvées au MAC. 
 https://blog-de-guy.blogspot.com/2024/06/musee-dart-contemporain-lyon-2024.html
Lorraine de Sagazan
  dans son « Mont de piété » a mis littéralement aux clous des objets qui ont vécu, dérisoires et évocateurs de vie, de séparation.
Robert Gabris
,« rom et queer », vaut plus par ses réalisations pour nous faire apprécier son univers « This Space Is Too Small For Our Bodies » que par des commentaires tellement attendus: « … développant une critique postcoloniale des structures institutionnelles. Par opposition au système capitaliste et patriarcal, il cherche à inventer des espaces inclusifs, sensibles et ouverts, qui célèbrent la diversité du vivant et la variété des émotions. »
Un petit texte suffit pour accompagner les photographies de trousseaux de clefs de maisons détruites à Gaza présentés par Taysir Batniji pour ramener les drames entre nos murs lisses. Il a aussi par frottis relevé des empreintes de chaussure.
Il faut se déchausser pour entrer dans « The Blue Room » de Grace Ndiritu où un côté tape à l’œil contredit une invitation à la méditation.