mercredi 14 décembre 2022

Aurillac et alentours # 2

Après une bonne nuit fraîche fenêtre ouverte et sous la couette et après  une douche agréable dans la bûcherie,
nous savourons notre petit déjeuner en terrasse toujours au son des clochettes des troupeaux.
En tout premier lieu, nous rendons visite à l’Office du tourisme d'Aurillac, comme nous faisons d’habitude, histoire de glaner des infos sur la ville elle-même; nous pouvons même réserver la visite de l’entreprise Piganiol dans l’après-midi.
Puis nous partons pour Saint Cirgues de Jordanne, que nous a recommandé S. .
Les gorges de la Jordanne attirent un public en recherche de nature grâce à une balade aménagée le long de la rivière.
Un chemin descend doucement du parking  et mène à la billetterie, accessible aussi par une autre voie plus près du village. La petite randonnée n’est fréquentable qu’en  juin juillet et août.
Une fois le prix de 4€ par personne acquitté, nous empruntons le trajet encaissé, balisé, sécurisé par une rambarde en corde, facilité par des escaliers en traverse et 6 ponts ou passerelles enjambant la rivière, nous menant d’une rive à l’autre.
Deux abris de  bois sous les arbres protègent des éboulements ou écoulements éventuels.  Le parcours se veut aussi pédagogique : des tablettes en bois interrogent le marcheur en posant une question dont la réponse s’obtient en soulevant le dessus du support : reconnaissance de traces animales, de végétaux ou de minéraux.
Aisée et familiale, la promenade s’étire sur 2 km à l’aller, cependant la toute fin du sentier a été condamnée pour raison de sécurité.
C’est l’endroit choisi par les promeneurs pour élever une multitude de cairns dans des équilibres plus ou moins fragiles, jouant sur les tailles, la couleur, le nombre des galets superposés, le tout réparti harmonieusement sur les rochers de la rive.
Nous retournons par le même chemin à la voiture avec le même plaisir qu’à l’aller.
Au vu de l’heure, nous optons pour déjeuner à Saint Cirgues à l’hôtel restaurant «Les tilleuls». Nous commandons le plat du jour : jambon braisé et pommes grenailles, une bière locale forte en miel et un café dans une salle peu fréquentée, hormis quelques pensionnaires de ce logis de France. Nous choisissons la rive opposée pour revenir sur Aurillac.
Cette route des crêtes diffère de celle de ce matin, plus rurale, avec des pâturages à disposition de belles vaches à la robe marron/rouge.
Nous remarquons comme ce matin un bel habitat. Il est caractérisé par des toits monumentaux en écailles de lauze, tombants et couvrants.
Les façades des maisons massives utilisent des pierres sombres soudées entre elles par un mortier blanc, quant aux granges, elles possèdent de vastes ouvertures en voute et de belles portes en bois. 

mardi 13 décembre 2022

In waves. AJ Dunjo.

Ce roman très graphique de 400 pages se lit le temps qu’une déferlante s’apaise.
Même éloigné de l’univers du surf on peut se laisser porter par un dessin aux lignes fluides et apaisantes autour d’une histoire d’amour interrompue par le cancer.
Les maladresses des jeunots sont plus attendrissantes que leur attachement indéfectible dont on ne décèle pas forcément les racines.
Nous « plongeons » dans un monde souple et attentif, libre et soumis à des forces démesurées comme l’avait si bien fait Maylis de Kérangal. 
Les paroles rares n’en ont que plus de force, de justesse. 
« Mais le chagrin du deuil n’a pas de forme propre. Il va et il vient. Il demeure imprévisible. Il naît d’une tempête au loin, au plus profond de l’océan, à l’abri des regards, en faisant gronder les flots. Il surgit canalisé, concentré, se forme, se précipite, chargeant de toute sa force avant d’atteindre le point de rupture. Il croît jusqu’à ne plus pouvoir tenir sa forme. Il devient instable et s’effondre. Il finit par se répandre en une surface uniforme et calme. » 
En parallèle, l’histoire de ce qui est devenu une discipline sportive me semble un peu simpliste, quand il est question des îles hawaïennes comme paradis perdu et du
« père du surf moderne, le plus sublime spécimen d'homme que Dieu ait mis sur terre » 
Duke Kahanamoku. 
Tom Blake qui l’admirait, fabricant de planches, montre plus de subtilité : 
« Les remous du subconscient se dissolvent et s’oublient, jusqu’à ce que les tensions du vivant s’accumulent à nouveau. ». 

lundi 12 décembre 2022

Les Femmes du square. Julien Rambaldi.

On se sent bien après avoir vu ce film, « feel good movie » donc, comme tous les commentaires le disent. 
Il évite tout misérabilisme, comme on aime le remarquer aussi, bien que la condition de celle qui va accéder à une place de nounou pas nunuche, soit loin d’être confortable.
Eye Haïdara (« le Sens de la fête » « En thérapie ») a un abattage d’enfer et sa combativité, son humour, épicent nos émotions. 
Ses minis shorts en toutes circonstances deviennent un peu systématiques, mais on a envie de croire à cette fable où le droit se fait respecter. 
Le square se révèle un lieu vraiment riche en situations, comme le cabinet d’avocats quelque peu animé par celle qui avait ses marques porte de Clignancourt.
La chanson de Bourvil si souvent utilisée au cinéma est totalement chez elle cette fois : « Quand la vie impitoyable
Vous tombe dessus
Qu'on n'est plus qu'un pauvre diable
Broyé et déçu
Alors sans la tendresse
D'un cœur qui nous soutient
Non, non, non, non
On n'irait pas plus loin
Un enfant nous embrasse
Parce qu'on le rend heureux
Tous nos chagrins s'effacent
On a les larmes aux yeux
Mon dieu, mon dieu, mon dieu »

dimanche 11 décembre 2022

Le Roi Lear. Georges Lavaudant. Shakespeare.

La MC2 nous a proposé une prestigieuse soirée dans la salle Lavaudant où Georges Lavaudant 
mettait en scène pour trois heures trente, l’œuvre la plus connue depuis 1606 de Shakespeare,
servi par le puissant Jacques Weber essayant de surmonter les fragilités de ses 73 ans.
« Sache que les hommes sont ce qu'est leur époque. » 
D'après Leir roi de l’île de Bretagne d’avant la conquête romaine, la pièce du célèbre Anglais, devenue légendaire aurait inspiré « Le père Goriot » autre monument de la littérature, pour ce qui concerne les liens d’un père et ses filles. 
Mais une lecture abusivement psychologisante aurait tôt fait de percevoir que la lourdeur de ses chantages affectifs annoncent les lézardes à venir. Lear porte surtout sur ses épaules toutes les métaphores du pouvoir, de la folie, de la vieillesse. 
« Des mouches aux mains d'enfants espiègles, voici ce que nous sommes pour les dieux ; ils nous tuent pour s'amuser. » 
La mise en scène épurée, accompagnée de musiques discrètes où surprennent quelques éclats, respecte l’auteur avec une hécatombe finale teintée d’ humour pour éviter une conclusion trop kitch.
Le novateur metteur en scène de « Maître Puntila et son valet Matti » est devenu un classique qui rassure le spectateur chenu. Prenant de la distance avec les émotions que pourraient faire naître la déchéance d’un souverain en fin de parcours, je n’ai pas fait de pont  non plus avec des évocations d’enjeux de pouvoir contemporains, encore que : 
« La sagesse et la bonté semblent viles à ceux qui ont l'âme vile. »
 Parmi tant de belles formules d’une langue à la foi verte et vigoureuse, dorée et chantournée, j’ai voulu retenir : 
« Je n’ai pas de chemin, n’ai donc pas besoin d’yeux. » 
plutôt que le trop facile : 
« Le malheur du temps est que les fous guident les aveugles. » 

samedi 10 décembre 2022

En automne. Karl Ove Knausgaard.

A la suite d’ « En été » j’ai retrouvé en temps et à l’heure des rentrées, l’auteur norvégien qui a vite fait de me devenir familier 
Loin des sanglots longs automatiques attachés à la saison des feuilles mortes, il aime la vie et en 270 pages présente le monde à sa petite pour l’instant dans le ventre de sa maman. 
« Je veux te montrer notre monde tel qu‘il est aujourd’hui : la porte, le sol, le robinet, l’évier, le fauteuil du jardin contre le mur sous la fenêtre de la cuisine, le soleil, l’eau, les arbres. » 
Les chapitres courts vont de descriptions précises des objets les plus élémentaires : chewing-gum ou boite de conserve aux plus exceptionnels : les yeux, l’aube, les nourrissons, le soleil. 
« Quand nous mangeons dehors, sous le pommier, les voix d’enfants, le tintement des couverts, le bruissement des feuilles dans la brise légère résonnent dans l’air, et personne ne remarque que le soleil est au dessus du toit de la maison des invités, non plus jaune et flamboyant, mais orange, et qu’il brûle en silence. » 
Son style limpide permet de faire surgir le sublime au cœur du prosaïque, qu’il parle de Van Gogh, des mouches, des poux, de Flaubert, du vomi, de l’urine, de la cuvette des toilettes, des bottes en caoutchouc ou de la migration des oiseaux. 
« … les églises sont aussi un exemple d’ingénierie spirituelle, car elles représentent non seulement une identité locale, mais aussi un autre niveau de réalité, le divin, qui prenait place au milieu du labeur quotidien et offrait une ouverture sur l’avenir, quand le royaume des cieux serait établi sur terre. » 
Faut-il que nous soyons fatigués pour que de tels ouvrages nous procurent tellement de plaisir. 
« Mais l’herbe sera verte, le ciel bleu et les rayons du soleil qui se lève à l’est inonderont le paysage et feront resplendir ses couleurs, car le monde ne change pas, seule la représentation que nous nous faisons de lui se modifie. »

vendredi 9 décembre 2022

Urgence pour l’école républicaine. Camille Dejardin.

Qu’est ce que j’ai à m’obstiner à lire des textes concernant l’école ?
« Notre système scolaire, inefficace et pourvoyeur d’illusions, est de plus en plus frustrant pour tous les acteurs. »
Porter un avis concernant une institution attaquée de toutes parts ne peut que m’amener à ressortir la bannière fatale : « c’était mieux avant » et donc accroître ma boomer illégitimité.
Mais je fais confiance à la collection « tract » de chez Gallimard:
La clarté, la vigueur de l’auteure de ces 50 pages donne à réfléchir avec quelques embruns rafraichissants au pays du « pas de vague ».  
Se rappellent d’emblée les 90 % de réussite au bac pour ensuite 60% des inscrits à l’université qui échouent à terminer une licence, et les classements internationaux indignes.
Concernant les évaluations, on sent le vécu quand elle évoque les mécanismes scandaleux d’harmonisation dans les jurys d’examen: 
« en amont, des épreuves trop faciles pour le niveau censément évalué, et en aval une injonction à applaudir à ce qu’on trouve pour ne rien avoir à changer.»  
Je ne peux que relever une remarque qui m’a servi de viatique pendant ma carrière après que des encouragements excessifs de ma part ont trompé un père au moment de l’annonce d’un redoublement :   
« Soulignons qu’avouer que l’on ment sur le niveau des élèves n’est nullement les traiter d’imbéciles. C’est précisément parce qu’on ne les mésestime pas qu’il faut dénoncer un système condescendant qui ne fait que des perdants. »
 Le rapprochement entre le slogan « l’élève au centre du système » et celui de MacDo : « Venez comme vous êtes » est pertinent. 
« Contre cette vision, on rappellera que l’école se justifie en tant qu’un enfant doit être formé et instruit et qu’une institution collective, nationale et non communautaire, est jugée la plus à même de lui fournir les références et pratiques prioritairement requises pour la vie commune. » 
Est-il besoin de l’affirmer, tant ça n’irait pas de soi ?Je trouve sa description des bâtiments scolaires plutôt exagérément misérabiliste quand les établissements du centre ville sont parfois plus inconfortables que des constructions récentes en banlieue où est appliqué parfois ce qu’elle souhaite en matière d’éco responsabilité et de résilience.
Elle demanderait volontiers de laisser les portables aux portiques pour rejoindre des classes aux effectifs moins lourds, quelque soit la zone.
La prof de philo suggère des solutions et revient à la racine des mots qui tant se réduisent : 
« Il faut aussi circonscrire la place à accorder à l’objet ambigu qu’est le «monde contemporain. A vrai dire, si celui-ci est vraiment « monde » (du latin mundus, harmonieux, traduisant le grec kosmos, totalité organisée) et vraiment « contemporain » (du même temps que nous) alors il est à la fois trop vaste et trop restreint pour l’école. Trop vaste, car il ne saurait s’apprendre in abstracto : en tant que « monde » il doit être exploré. Trop restreint, car il est l’élément spontané de nos vies : « contemporain », il doit être mis en perspective pour être compris. L’école est ou doit précisément être le lieu du refus de l’immédiateté - dont la « facilité » et « le quotidien » sont deux avatars invasifs - au profit du doute constructif et de la prise de recul informée. » 

jeudi 8 décembre 2022

Art contemporain # 2. Gilbert Croué.

Pour la deuxième séance du cycle,
le conférencier devant les amis du musée de Grenoble débute par « A multiverse explanation » du norvégien de 45 ans, Rune Gunerlussen qui photographie ses installations d’objets manufacturés dans des paysages sauvages.
Incongrus et poétiques, des champignons se révèlent à ceux qui croient aux contes. 
Les luminaires tiennent conciliabule dans «  Plasma » et des livres aussi font monuments ou torrent.
Des chaises constituent une « Force statique et dynamique ». Aux premières lueurs du jour les lucioles quittent le monde des contes, des eaux et forêts.  Après avoir saisi la bonne lumière, iI est temps de ranger le groupe électrogène dans le camion le plus proche.
Kevin Peterson (USA) 43 ans vient du street art et pourtant dans ses peintures hyper réalistes à l’huile sur bois, les tags sont signes de dégradations quand il confronte la beauté des enfants et des animaux à la ville délabrée.
« Coalition II ».
Il cite discrètement dans une de ses œuvres, Banksy auteur de « La fille avec les ballons », la petite palestinienne qui rêve de passer au dessus de ce mur en Israël.
« Tôt un  dimanche matin » de Hopper disait aussi la désolation mais aucun animal protecteur ne venait au secours des petites filles déterminées.
Dans ce monde d’après l’apocalypse elles crient.
Yang Yongliang
lui aussi quadragénaire, photographe de nationalité chinoise fait référence à la peinture classique.
« Journée claire dans la vallée ». Dong Yuan  Sur un rouleau de soie du X° siècle les hommes sont si petits dans un paysage où l’espace vide est central et la profondeur subtilement évoquée par des nuances de gris.
« Paysages fantômes »
L’écho de la tradition donne toute leur force à des images nouvelles quand les grues ont remplacé les arbres et  les immeubles ont recouvert les montagnes.
« Sur l’eau calme / Eclipse ».  
« Les anciens exprimaient leur appréciation et leurs sentiments envers la nature à travers des peintures de paysages. Pour ma part, mon propre paysage sert à critiquer la réalité telle que je la vois. »
« 
Summer Mountains Landscape II » L’expression « dentelle numérique » reprise d’un des nombreux sites qui présentent ses travaux me parait tout à fait appropriée pour décrire son travail très minutieux de tressage des images sans retouche à l’encre.
« Une élégante assemblée de lettrés dans la forêt des pêchers en fleurs »
, a-t-elle vu la ruine de la culture ?
L’anglais Jason de Caires Taylor, proche de la cinquantaine est plutôt un citoyen du monde, installant ses sculptures de béton dans les eaux peu profondes.
Il a commencé en bordure de l’île de la Grenade, « Grace Reef », alors que les poissons qui avaient déserté les lieux après les cyclones caribéens reviennent.
Ces statues moulées à partir de volontaires de la région, auxquelles a été greffé du corail se transforment et deviennent récifs.
Sollicité par le gouvernement mexicain, il installe « Le Musa », musée subaquatique au large de Cancun, puis à Bali, aux Canaries ou à proximité des îles de Lérins.
« Le correspondant perdu ». 
« Je travaille sur un projet en Australie, sur la Grande Barrière de corail, avec une série de sculptures célébrant des scientifiques de la mer et leurs recherches.[…] Je suis en discussion pour d'autres projets, dont un en mer Rouge, où je n'ai jamais travaillé, ce qui est excitant. »
L’artiste hollandais Bernhnaut Smilde de la même génération, sculpte les nuages,
comme
Le Corrège (Antonio Allegri da Correggio) avait transformé Jupiter étreignant délicatement Io.
Il photographie la fugace installation des nuées réunissant vapeur d’eau et fumée dans les intérieurs les plus divers, le courant d’air étant l’ennemi. « Nimbus ».
Karl Lagerfeld
a droit à un petit alto stratus lui qui a souvent subventionné discrètement des créateurs. 
Ces artistes explorent des lieux nouveaux, land art des étangs et des mers, street art, rendant hommage à la nature, et portant les inquiétudes de l’heure sur notre devenir.