mardi 15 novembre 2022

Libération, nos années folles. Marie Colman, Gérard Lefort, Pochep.

C’était la moindre des choses que de trouver un bon titre, marque de fabrique du journal d’une jeunesse dont je me croyais défait. Je retrouve des noms familiers où les journalistes du service culture se voient aussi célèbres que ceux qu’ils côtoient de Duras à Line Renaud.
La période évoquée court de 1980 à 1996 au temps des prophéties de Serge July, chef reconnu d’une équipe turbulente et joyeuse.  
« François Mitterrand ne sera jamais élu président de la République.»
Les coulisses du festival de Cannes sont épiques, les bouclages au moment des nécrologies historiques, les compte rendu de défilés de mode très attendus : c’est que malgré le SIDA les temps sont à la légèreté.
Retrouver les silhouettes des journalistes: Pacadis, Daney…
plait au boomer qui peut estimer que ces temps parfois bien superficiels et égocentriques étaient délicieux.
Les insultes étaient rigolotes quand les membres du FHAR (Front homosexuel d’action révolutionnaire) et autres « anarcho-désirants » voyaient des «Crypto fascistes» chez leurs confrères assis autour de la table de réunions des rédacteurs rue Christani quartier Barbès puis dans l’immeuble à vis de la rue Béranger.
Qui saurait distinguer, aujourd’hui,  un «néo-trotskard» d’une «crapule stalinienne» ?
François Mitterrand est mort la même année que Marcello Mastroianni, en 1996.

lundi 14 novembre 2022

Mascarade. Nicolas Bedos.

Alors que le film précédent
de Bedos ramenait au passé, le cadre azuréen du dernier film a des airs dépassés en référence à des films où s’enchantaient alors les spectateurs au bord des piscines des riches
Ce milieu là ne fait plus rêver, mais les solitudes bling-bling donnent des opportunités au scénario où celles et ceux qui manipulent sont manipulés à la frontière entre comédie et tragédie, nostalgie et présent, création littéraire et réalité.
Les acteurs jouent et surtout quand ils jouent faux sont excellents : Pierre Niney en gigolo auprès de la diva Adjani est complice de la belle pute Marine Vacth, qui embobine François Cluzet dont la femme Emmanuelle Devos est la seule un peu digne dans ce nid d’intrigants.
Laura Morante n’est pas pour rien dans le déroulement des affaires alors que Charles Berling se contente d’observer ce monde où femmes et hommes sont veules, vengeurs et malheureux.
Le film est long mais ce sont les scènes qui prennent leur temps qui sont les plus réussies, alors que la comédie en imposant ses rythmes tend parfois à la caricature et éloigne l’empathie que l’on pourrait ressentir pour ces pathétiques marionnettes.

dimanche 13 novembre 2022

Adieu la mélancolie. Luo Ying Roland Auzet.

Du théâtre enfin! Des dialogues vifs et des dispositifs spectaculaires permettent d’accéder plus aisément à des questionnements utiles.
En comparant avec d’autres spectacles récents, je révise mon jugement à propos d’un créateur s’affrontant à des sujets ambitieux, dont les défauts en arrivent à apparaitre comme des qualités. 
Par un dispositif efficace de « théâtre dans le théâtre », le hors scène est exploité d’une façon originale et la puissance des images vidéos donne à plein sous des rythmes live qui dynamisent ces deux heures de réflexion.
Nous partageons les doutes, les hésitations, du metteur en scène inspiré par le poète Luo Ying revenant sur la « terreur rouge » de la révolution culturelle (1966) et ce qu’elle révèle des passions collectives et des blessures intimes.
Le nombre de morts de cette période ne peut être précisé même en arrondissant à la dizaine de millions près. 
L’énigme d’un escamotage d’une part de l’histoire parait invraisemblable pour les héritiers chinois et autres ex french mao-spontex jadis éblouis. Le respect persistant des états envers un des fondateurs du parti communiste chinois est également hallucinant.
Fils de paysan rêvant de devenir un intellectuel, je jugeais salutaire le retour, là bas, des intellectuels à la campagne, même si j’avais trouvé consternants de platitude les aphorismes du Petit livre rouge.
Les considérations sur le « Timonier » manipulateur de gardes rouges pour mieux liquider les communistes sont d’un autre ordre par leur dimension monstrueuse que les soupçons de machiavélisme accompagnant toute décision politique ou la fatalité des effets pervers escortant toute intention de justice.
Ces évènements ont eu des répercutions planétaires et dans le temps surtout par ce qui a été tu. Tant d'ignorance ébranle pourtant personnellement ceux qui se sont construits dans le silence et l’oubli. 
L’inflexible cynisme des révolutionnaires ne serait-il pas constitutif de l’hyper capitalisme « despotique et prédateur » qui fait de l’empire du milieu la première puissance ?
   

samedi 12 novembre 2022

Peloton maison. Paul Fournel.

Le délicieux adepte de l’OULIPO a beaucoup écrit sur les cyclistes et ces 190 pages se lisent en roue libre. 
Il connait son sujet et utilise le bon braquet pour nous emmener au cœur du peloton qui ne protège pas que du vent.
« Moi le vélo, j’aime pas tellement » Jacques Anquetil
Ces 45 chapitres parleront au paresseux regardant le Tour de France depuis un canapé et au pratiquant martyrisé à la moindre bosse. 
« Les coureurs pédalent dans un rêve de France. Un rêve parfaitement douloureux, mais un rêve. » 
S’il met en scène divers types de coureurs, et de coureuses, c’est plutôt aux anonymes du peloton, aux besogneux du « grupetto » que va sa tendresse.
Quand il entre dans la tête d’un promis à la victoire, que son euphorie a trahi, celui-ci est doublé sur la ligne.
 Autour du Tour et de la bicyclette, la nostalgie n’est jamais loin. 
« Et puis un jour, la science s’empara du vélo. Les physiciens, les préparateurs physiques, les nutritionnistes, les ingénieurs en mécanique des fluides, les aérodynamiciens, les équipementiers s’unirent aux entraineurs pour ne rien laisser au hasard. » 
Mais il y a toujours des chutes abrasives, des crevaisons crevantes, des moments de grâce et de découragement, des confidences et des détestations, des adversaires avec lesquels il faut coopérer, les sprinters et les montagnards, la tête et les jambes. Et le dopage ? 
« Il existe toujours, au fond de la maison, cette petite porte mystérieuse qu’on ne parvient pas à sceller pour de bon. »

vendredi 11 novembre 2022

S’aimer.

Il est bien facile de se renseigner sur l'époque en constatant l’obsolescence de certains mots:
le terme « bienveillance » a remplacé « amour ! »
La locution reine des mondes enchantés a été dévaluée par un usage abusif dans tous les versets des églises et les refrains de chansons d’autrefois. Nous étions tellement niais en nos atours « Peace and love » ! 
La compassion et autre molle indulgence condescendantes et inégalitaires, s’affichent pourtant dans un environnement où les chaires sont devenues décoratives.
La verticalité n’est pas bien vue et ne doit plus apparaître comme telle : la transmission ne se sait plus, ne se fait plus, sinon entre pairs ; mais où aller pêcher les connaissances?
Le mot «  amour », le plus chaud dans l’échelle des sentiments, s’efface au détriment d' envahissantes icônes sucrées et rubicondes en forme de cœurs joufflus. 
Mais comment prétendre à un doux commerce avec nos semblables, sans s’aimer soi-même? Chaque attelage, en couple, en famille, en société, implique également la confiance en l’autre.
La reprise de telles évidences m’attriste car ce besoin de reformuler établit qu’elles ne sont plus incontestables au pays du chacun pour soi. 
Au-delà des passions nourricières de la littérature et des écrans, il s’agit de l’appétit de vivre en général, d’ardeur à la tâche. Quand des générations ont été biberonnées à « c’est nul !» difficile d'apprendre à célébrer le monde et ceux qui l’habitent. 
La méfiance règne à l’égard de nos ascendants, héritiers, conjoints, adjoints, nounous, profs, garagistes, dentistes, députés, présidents…
Et c’est toute une société qui se dénigre, se flagelle, se dévalue, si bien que j’ai dépassé mon incompréhension face à d'anciens élèves rétifs à bien des règles se pliant aux contraintes les plus archaïques de la religion avec encore plus de zèle que leurs pères.
Quand sont dépréciées les valeurs de notre société à longueur de journée, comment ne pas préférer un avenir exaltant de louanges, de lait et de miel, de simplicité et de rigueur ? Poutine a bien vu nos faiblesses et colonise l'Ukraine, applaudi par nos anciens colonisés d’Afrique, dont certains ne rêvent que de s’installer chez nous.
Il n’y a qu’à voir l’inflation du mot « courage » pour exprimer notre admiration envers les Ukrainiens ou les Iraniennes. Son emploi est inversement proportionnel à sa présence, ne serait ce que dans les conversations où l’outrance passe pour une mâle attitude, telle la torquemadame Rousseau en ses œuvres, alors que tant d’yeux se détournent tank ils peuvent des guerres et des crises. 
Juste pour offusquer mon correcteur automatique, la bravoure avait tellement déserté nos habitudes qu’une certaine dinde l’avait tourné en « bravitude ».
Notre langue se rabougrit au détriment d’une puissance US qu’on dit pourtant en repli : « maccarthysme » est devenu plus courant que chasse aux sorcières » et « le point Godwin » fait la loi plus volontiers que « diabolisation » au pays où le « wokisme » venu de la « French théorie » gagne du terrain. Si bien que lorsque des fachos se pointent  au pays qui les vit naître, on n’a plus qu’à lui accoler « post » par crainte de les savoir si près de nous et se dispenser de ne plus appeler un gatto, un chat.
Quelques lamentations à propos de la langue française, n’obligent pas au repli derrière nos illusoires montagnes. Piètre locuteur de la langue des Beatles, j’ai privilégié les anciennes terres coloniales lors de mes voyages en Afrique en particulier et j’ai alors cru à des connivences jusque dans un restaurant saint pétersbourgeois avec un serveur marocain.
Par ailleurs en européen convaincu, je ne peux que m’attrister des tensions franco-allemandes tout en me sentant plus en empathie avec une couturière bangladaise que pour un compatriote qui regrette la désindustrialisation de notre pays tout en ne voulant pas d’implantation d’usines qui empièteraient sur des terres agricoles dont il trouve pourtant ceux qui les exploitent bien bruyants.
 

jeudi 10 novembre 2022

Art contemporain # 1. Gilbert Croué.

Le conférencier devant les amis du musée a présenté 5 artistes « en train de créer », les caractérisant ainsi pour aller au-delà du terme « contemporain » souvent connoté péjorativement. Venus de 5 pays différents avec 5 techniques différentes, ceux-ci produisent des œuvres modestes ou ambitieuses, originales, étonnantes.
Guacolda
, du nom d’une princesse chilienne, pratiquait la gravure, quand ayant oublié son matériel, elle plongea dans une boite à couture. « Autoportrait ». Depuis elle brode sur tous supports : des emballages à bulles au papier de Chine. L’imprévu ouvre de nouveaux chemins.
L’activité est féminine, le matériau banal, « Gabrielle » est chargée d’une certaine gravité.
« Narcisse »
lui aussi en broderie inversée est plus complexe. « Hélas ! Hélas ! » répètera Echo, la Nymphe éconduite qui l’avait fait condamner à ne pouvoir cesser de s’admirer lui-même.
L’hyper réaliste allemand, Armin Mersmann a la taille d’un camionneur et la légèreté d’une dentelière. Ses variations de gris sont celles de ces crayons dont il utilise toutes les gammes H et B de ses mines de graphite sec ou gras. Il travaille en grand format à la verticale.
La nature est plus vraie que nature : « Lisière de neige »
où le moindre brin d’ « Herbe » apparaît comme un miracle. 
Le blanc vient en avant, le noir creuse.
De quoi en avoir l’ « Œil » humide.
Et même quand des « Lampes » sont brisées leur modelé enchante.
L’architecte Kengo Kuma utilise principalement le bois depuis le séisme de Kobé (6000 morts) au Japon dont il est originaire. Les constructions en bois avaient mieux résisté que celles en béton. 
A « Atami, maison de villégiature » les entrecroisements de bois permettent de remplacer des pièces défectueuses à l’image des temples du X° siècle neufs comme au premier jour.
Il valorise les savoir-faire locaux, avec des pierres tressées pour la « Préfecture à Tochigi ».
La « Chapelle de la mousse de bouleau » à Karuizawa  peut illustrer ses propos toujours humbles :  
« La nature s’épanouit dans un hasard magnifique. Rien ne s’y répète à l’identique, jamais. Elle est toujours en mouvement. »
Inspiré par les techniques anciennes, il innove avec un « Hôtel » conçu par son agence, prévu pour 2023 à côté de la Bibliothèque Mitterrand à Paris.
Le pittoresque, original, donc britannique, ingénieur cartographe, dessinateur de neige, aperçu depuis un remonte pente aux Arcs s’appelle Simon Beck.
Souvent géométriques, ses tracés en raquette sont époustouflants par leur taille alors que celui qui trace avec sa boussole et souvent sa frontale n’a pas sous les yeux le résultat qui enchantera les spectateurs et ses abonnés sur Internet.
Ses dessins sur le sable seront à peine plus fugaces
que ses gigantesques « Flocons de Koch ».
 Refik Anadol déchaine sur ses écrans des tempêtes de formes et de couleurs. 
Né en Turquie, il travaille à Los Angeles avec Google, Microsoft, le MIT…
Au pays des Data et de l’intelligence artificielle, il assemble des zillions de photographies aspirées depuis le « cloud », classées par nuances de couleurs puis montées sur des flux générés comme les musiques par des ordinateurs aux puissances monstrueuses.  
« La science énonce des significations ; l’art les exprime. John Dewey
« Engram Melting Memories » 
Cette vertigineuse rencontre de la mémoire de l’humanité et des techniques les plus avancées, avec ce jeune chercheur, rejoint la beauté d’une trace de crayon sur du papier ou l’empreinte éphémère d’un pas dans la neige.  

mercredi 9 novembre 2022

Nantes # 2

Nous descendons du tram place du Bouffay, tout près de la statue en bronze titrée « l’éloge du pas de côté ». Cette œuvre de Philippe Ramette présente un homme en costard, droit mais en équilibre sur un socle qui ne porte qu’un seul de ses deux pieds, l’autre étant suspendu au-dessus du vide. Elle symboliserait l’audace de la ville innovante, sous les traits de l’artiste lui-même.
Nous poursuivons notre chemin jusqu’au célèbre et magnifique Passage Pommeray, dans le quartier Graslin.
Couvert d’une verrière, ce bâtiment de trois étages édifié en 1843  possède un escalier et des coursives en fer forgé des statues et des lampadaires dénotant la volonté de créer un lieu commerçant luxueux.
Les bourgeois de l’époque rechignaient à traverser le quartier insalubre et mal famé, ils craignaient les mauvaises rencontres  lorsqu’ils rentraient les poches pleines aussi,
un jeune notaire, Louis Pommeraye, se mobilisa-t-il pour construire ce passage propre, éclairé et sécurisé à l’abri des coupe gorges.
Aujourd’hui classée monument historique, la galerie restaurée reçoit des boutiques pimpantes, sans aucun pas de porte fermé comme c’est souvent le cas et respire une certaine opulence.
Nous changeons de quartier pour  passer en face sur l’île Feydeau.
De nos jours, le bras de la Loire ne la sépare plus de Nantes, il a été comblé. Nous pénétrons dans la petite Hollande avec sa place et sa
rue Kervégan, rue centrale de l’île.
Nous voilà au cœur du quartier des négriers enrichis au XVIII° par le commerce triangulaire. Nantes  détenait alors le titre de 1er port négrier de France. Les armateurs  commerçaient avec Saint Domingue. Ils accumulèrent des richesses, firent construire des hôtels particuliers dignes d’eux. Les architectes choisirent du tuffeau clair pour les façades. Les balcons dits « filants » parce qu’ils regroupent plusieurs fenêtres, reposent sur des encorbellements à trompes ou sur consoles. Leurs fines balustrades en fer forgé se détachent avec élégance et légèreté sur la pierre.
Sans doute en relation avec les activités maritimes de leur propriétaire, des mascarons caractérisent la maison au n°19, avec des têtes de corsaires et la maison n°13 avec des têtes allégoriques représentant les continents.
Extrait de "l’Obs" : « Le Bienfaisant », « l’Aimable », « la Vertu », « la Justice », « l’Egalité », « la Fraternité », « le Père de famille », « les Bons Frères », « le Bon Citoyen »…
Ce sont les noms aux consonances fraternelles des navires, corvettes et frégates qui, pendant deux siècles et demi, sont partis, voiles au vent, lourds et ventrus, pour affronter le gros temps de l’Atlantique.
Ils quittaient les ports de La Rochelle, Bordeaux, Saint-Malo, Lorient, Le Havre, Nantes, chargés de textiles, d’armes, d’alcool, de plomb, de fer – leur monnaie d’échange contre « l’or noir » −, s’arrêtaient dans les comptoirs des côtes africaines, entre le Sénégal et l’équateur, s’approvisionnaient en esclaves, traversaient l’Océan, déposaient leur cargaison humaine dans les îles françaises puis revenaient, au bout d’un an, d’un an et demi, avec du café, du cacao, du sucre, le « pétrole » de l’époque. »
Dans le même quartier juste par derrière, « Le mur tombé du ciel » nous fait changer d’époque.  
« Le 24 mai 1011, un mur tombé du ciel percuta la ville de Nantes… imaginé par la compagnie Royal de Luxe, il représente les personnages historiques pittoresque sites et évènements de la cité de Nantes » (document Office du tourisme)
La fresque sur un pan de mur indépendant prévu à cet usage affiche un style très coloré d’Amérique latine, proche de Diego Rivera (dixit Le Routard). Nous arrivons à identifier parmi l’amoncellement de célébrités et de lieux,  Anne de Bretagne, Jean Marc Ayrault, Barbara, Jacques Demy, Guy Moquet (fusillé à Nantes), Jules Verne,  la traite négrière … Il y a tellement à voir qu’un site internet propose une présentation détaillée  de la peinture. Malheureusement, des « artistes » qui ont gratifié cette partie du quartier de leurs graffitis n’ont pas hésité à maculer la fresque de tags bouseux.