mardi 16 mars 2010

Agiassos #2

"Tout droit je descendrai vers l'agora. Sous la voûte de feuilles rouges je boirai le café brûlant, très lentement. Je rêverai dans le sexe des feuilles écarlates. Silencieuse, j'enfanterai un chant en écho au saxo jamais vu qui joue pourtant sur les terrasses d'Agiassos. Saxo du Dieu caché.
Et puis il sera temps de filer ailleurs. »

C'est ici que le texte s'arrête, dit la jeune femme en décroisant ses bottes métallisées. Elle redresse son dos tandis que se meuvent ses beaux seins sous la combinaison souplement ajustée. Son compagnon allume une nouvelle cigarette sans la quitter des yeux.
- Tu ne lis plus...
- Il n'y a plus rien. Le carnet de ma grand-mère s'arrête là.

Le jeune homme se penche vers le sol, la fumée embrume les brodequins à semelles d'acier.
- Comment était-elle ?
- J'avais deux ans quand elle est morte. Sur les photos, elle est plutôt ordinaire. Elle avait la bougeotte. Ses carnets, elle me les a légués. Avant de partir en Grèce, elle a dit à mes parents que ses carnets, ses livres seraient pour moi. Bien brave ce pope du bas quartier d'avoir gardé les derniers carnets de grand-mère.
- Comment sont-ils tombés entre ses mains ?
- La police les lui a confiés et il a oublié de les renvoyer en France. Les popes ne sont pas riches...

La jeune femme caresse le casque anti U.V. posé sur la table de faux marbre. " Quel style ringard quand même !
- Je ne suis pas de ton avis, Electre, c'est une époque où il y avait encore des Grecs. Regarde autour de nous, regardons-nous. Qui sommes-nous dans nos armures de métal et de plastique ?

Le jeune homme se tait, il sourit un peu parce qu'il est amoureux. Ses bagues et ses bracelets lancent des feux agressifs. La lumière du crépuscule traverse la coupole de verre au-dessus de l'agora et des rues d'Agiassos. Elle se difracte, éclabousse les tenues brillantes des consommateurs. Il n'y a pas de musique aujourd'hui. L'Association Européenne des Oto-rhino a obtenu de Bruxelles la trêve d'une journée par semaine. Les coupoles, la climatisation autorisent les touristes à se découvrir. Les peaux roses et blanches sont de fragiles lumières dans la lumière du couchant. Le jeune homme repose son verre d'eau minérale deux fois recyclée :
- Tu ne trouves pas que l'humanité, ici, ressemble à un ramassis de vers blancs sous un bocal renversé ?
- Arrête, tu n'es pas drôle !
- Et ta ringarde de grand-mère faisait du vélo sans masque, sans scaphandre. Elle dormait à la belle étoile. Les étoiles elle les voyait, et le ciel de Grèce, toujours bleu l'été... C'est ce que disent les vieux guides...

Main dans la main les jeunes gens gravissent une des huit avenues de la cité. Les néons annoncent des spectacles pornographiques ou des films d'épouvante. Des garçons très maquillés, attirent les consommateurs à des tables minuscules. Des familles s'agglutinent aux vitrines des magasins : Bonbéton, Monkikian, Zony... Les lasers balafrent le ciel composant et décomposant les silhouettes de dieux et de héros helléniques.
Ils s'arrêtent devant le musée des arts et techniques. Sous un globe de verre un âne empaillé, gueule ouverte, oreilles dressées. Pour un Euro, on entend braire le dernier baudet de l'île décédé en 2008. Pour deux Euro supplémentaires on assiste à l'érection de son pénis, dit la pancarte. La mécanique est tombée en panne. Une petite fille s'obstine à appuyer sur le bouton, ce qui provoque le rire du père occupé à vider une boîte de bière. Un cinéma annonce des succés européens : "Quand l'ozone reviendra", "A nous, les petites mongoliennes", "Les Requins sont fatigués".
- Je me demande si on a eu une bonne idée de venir à Métylène...
- Et les carnets de ma Grand-mère ? On va y trouver une foule d'informations sur la faune... La pauvre elle n'était pas douée pour les prophéties... mais elle s'y connaissait en oiseaux...
- Ouais... "Rien ne change jamais à Agiassos..." Vaut mieux en rire...
- Allez, ne perd pas le moral. Nous irons travailler dans les mines d'eau douce au Spitzberg l'été prochain. Il paraît que trois mois de boulot là-bas, ça te donne de quoi vivre bio pendant un an. Trois ans si tu bouffes n'importe quoi !

Dans le parking souterrain l'air de la climatisation souffle comme un vent d'Odyssée. Les jeunes gens referment leurs tuniques, ils enfilent leurs gants. La moto bondit à l'extérieur du réseau couvert. Le jeune homme fait le plein à une pompe automatique tandis que le visage de la jeune femme soudain s'immobilise en direction du Mont Olympe brillant comme un os de seiche dans la nuit. Ce n'est pas la montagne qui brille, c'est un immense écran sur lequel un type aux yeux dégoulinants distribue des cadeaux à un couple obèse.
- Ecoute... Ne remets pas le moteur en marche... On dirait un saxo... quelqu'un joue du saxo... Tu n'entends pas ?
- Ton casque est mal vissé, Electre. Tu vas te prendre une giclée de saloperies. Si Pan a échappé à la syphillis et au sida, les U.V. et le plomb auront sa peau. En route, accroche-toi, y a douze virages dans la descente.

Au carrefour de Vassilika et d'Ipio, elle lui demande d'arrêter leur bolide. "C'est ici que Grand-mère s'est défoncé le crâne. Le pope a dit que sa bicyclette était irrécupérable. Mon oeil !
- Les popes sont pauvres, c'est toi qui l'as dit... Tu as les carnets et la sacoche de cuir... Qu'est-ce que tu ferais d'un vélo ?
- Rien. Mais j'aurais aimé le voir, na !
- Ton ancêtre savait couper les fils, prends en de la graine !

La moto fonce vers Molivos où se trouve un des camps des Jeunesses Ecologistes Européennes. On y élève des requins. Le requin métabolise le plomb et le mercure et ne développe pas de cancers. Les chercheurs du génie génétique espèrent greffer dans un avenir très prochain des gènes du squale sur les chromosomes humains. L'avenir est à ceux qui savent couper. La moto fonce.
Marie Treize

lundi 15 mars 2010

Fantastic Mr Fox

Roald Dahl, un des maîtres de la littérature enfantine sort enrichi par ce film d’animation de Wes Anderson. Ce n’est pas tous les jours que l’on peut se retrouver dans la peau d’un renard, et c’est bien bon ! En tant que rédacteur de blog, comment ne pas s’identifier à cet élégant journaliste, bien qu’ayant un attribut notoire endommagé, qui se demande s’il est lu.
Et tout à l’avenant : la transmission, l’ai-je bien élevé ? Et ma jeunesse ? J’ai ri à bien des trouvailles crépitantes, d’un rat reconverti en agent de sécurité, été séduit par la façon d’envisager le temps qui passe, la belle vie dans un arbre, et notre société où la sauvagerie est intacte mais où l’authenticité s’efface. Le dernier toast porté dans le supermarché vide vaut bien des déclarations besogneuses de quelques pontifiants pas aussi finauds que Mr Fox.
(Pour les fidèles lecteurs : des ennuis d’écran et de carte graphique ont empêché les mises à jour quotidiennes pendant une semaine; cependant dans le dernier mois ce sont plus de 2000 pages qui ont été lues)

dimanche 14 mars 2010

Ciels.

Il faut déposer son manteau au vestiaire pour mieux pivoter sur les tabourets réservés au public au centre du dispositif. Une ambiance particulière s’installe et le pari théâtral est déjà gagné de nous étonner, de nous interroger, de nous embarquer. Tout au long des 2 h 30, une brillante mise en scène nous réserve des surprises, des moments forts. Le propos de Wajdi Mouawad est ambitieux, mêlant les histoires intimes tout en embrassant le siècle. L’art contemporain est sollicité et aussi quelques œuvres du patrimoine universel, avec une forte présence des outils informatiques et audio visuels, et la musique et le cinéma. Parfois un peu trop nourrissant, emphatique, mais un souffle passe avec des comédiens investis et de belles scènes sensibles entre un adolescent et son père. Le scénario est bâti autour d’une affaire d’espionnage où les connaisseurs retrouvent des manières du « Da Vinci Code » en ce qui concerne le décryptage sophistiqué et inattendu de messages envoyés au monde par des jeunes énigmatiques, alors que les chefs s’aveuglent à chercher des coupables du côté d’Ali l’alibi. La poésie va-t-elle sauver l’humanité ? Le conformisme accompagnant la compétition individuelle, est-il devenu si puissant qu’il faille crier pour appeler à la résistance, pour qu’émerge la vérité, l’authenticité ? Les spectateurs applaudissent debout.

dimanche 7 mars 2010

L’ébauche d’un portrait

Transposition sur scène du journal de l’écrivain et metteur en scène Jean Luc Lagarce par son collaborateur François Berreur. Les sept dernières années de l’auteur de théâtre contemporain, le plus joué avant sa mort du SIDA, sont les nôtres, avec le nom des disparus qui défile, elles sont des années intenses. La mort, l’écriture, la notoriété, la solitude, la tendresse, l’exaltation, les dernières fois, la lucidité, la survie, la province, la musique. Il faut un comédien remarquable : Laurent Poitrenaud pour que les deux heures passent en un éclair comme une vie belle et fragile. La mise en scène originale sans être tape à l’œil nous conduit au-delà de l’agréable moment de spectacle à considérer nos existences, en toute limpidité : fort et léger.
Et découvrir ce morceau d’Aragon en retrouvant la voix de Colette Magny :
« Vivre n’est plus qu’un stratagème
Le vent sait mal sécher les pleurs
Il faut haïr tout ce que j’aime
Ce que je n’ai plus donnez-leur
Je reste roi de mes douleurs
Le cœur peut s’arrêter de battre
Le sang peut couler sans chaleur
Deux et deux ne fassent plus quatre
Au Pigeon-Vole des voleurs
Je reste roi de mes douleurs
Que le soleil meure ou renaisse
Le ciel a perdu ses couleurs
Tendre Paris de ma jeunesse
Adieu printemps du Quai-aux-Fleurs
Je reste roi de mes douleurs »

samedi 6 mars 2010

« Réussir Ensemble Saint Egrève » est en train de se dissoudre.

RESE : C’était le nom de la liste qui regroupait le PS, Le PC, le PG et d’autres citoyens engagés à gauche lors des élections municipales. Nous avons été un certain nombre à vouloir poursuivre le travail sur le long terme pour éviter de nous retrouver, à la prochaine échéance, une fois encore, avec davantage de candidats, se réclamant de la même famille, que d’électeurs. Le dosage entre changement et continuité que nous pensions équilibrer, n’a pas été perçu par la population : nous portions essentiellement l’image de la dernière campagne.
Au moment, où pour la première fois des militants des trois listes concurrentes se retrouvaient, le chef de file des élus du groupe d’opposition démissionnait de notre association en empêchant désormais toute expression sur notre blog associatif.
Ces quelques gargouillis dans un verre d’eau plate ne concerneront qu’une poignée de militants. Nous avions fait le pari de dépasser les querelles enracinées depuis des années, elles ressurgissent, mitonnées par une machine à perdre toujours en pleine forme qui excelle à reproduire les échecs aux élections municipales alors que les votes sont favorables à la gauche à bien des scrutins. Le verbe "réussir" devient ironique.
Un de nos thèmes de campagne insistait sur la cohérence des choix au sein du bassin grenoblois. La posture d’opposant systématique adoptée au plan local est difficile à accorder avec la culture de gestion qui prévaut au sein des villes motrices de l’agglomération. Il fut un temps ou le terme de progressiste était synonyme du parti de la réforme; maintenant certains de nos camarades sont affublés du terme « conservateur ». L’absence de propositions en termes de politique pour la jeunesse, les réticences, par peur de se faire « piquer l’idée » émise bien timidement d’un chèque culture/sport pour les écoliers, justifient des appréciations défavorables, quant à notre manque de courage.
Nous étions pourtant arrivés à accorder nos paroles sur le thème inflammable de la sécurité - non pardon de la tranquillité publique - et puis des incendies récents ont radicalisé l’expression. Un développement concernant des propositions dans le domaine social tel que le micro- crédit vaudrait mieux que l’insistance sur les caméras de surveillance. Se contenter d’une protestation contre l’augmentation des impôts ou la remise en cause d’une salle culturelle prend à contre pied quelque tradition socialiste, et contredit certains choix à l’intérieur de la Métro.
Nous n’avons guère proposé pour une ambition urbaine à la hauteur des enjeux environnementaux à l’entrée Nord de l’agglomération.
1000 tracts, 15 présents à la réunion. Le découragement des militants peut se comprendre, quand tant d’heures de travail payent si peu. A vouloir faire revivre des démarches coopératives repeintes aux couleurs participatives, le constat est amer face au mur solide des susceptibilités et des calculs politiciens.
Le temps d’un congrès, le terme le plus usé est « rénovation », alors que l’archaïsme des pratiques, les stratégies les plus improbables assumées avec désinvolture, perdurent. Quel gâchis ! Notre projet politique est peu lisible, seuls restent exposés des individus. Les conditions d’une élaboration collective étaient devenues difficiles, les démissions sont venues s’accumuler au sein du groupe d’élus. Nos capacités à analyser et projeter pour la commune pouvaient être mises en doute quand à côté de soi les problèmes s’accumulaient et que leur gravité était niée. Pour tracer des perspectives d’avenir qui ne soient pas incantatoires, que des équipes nouvelles dans des dispositifs nouveaux se mettent au travail !

vendredi 5 mars 2010

Poil de Carotte

Je proposais régulièrement à mes CM2 un chapitre du livre de Jules Renard. Ils pouvaient partager l’injustice qui s’abattait sur un enfant à travers un texte du patrimoine à l’issue surprenante et au style efficace. Quelques adaptations télévisuelles de ce court roman ne m’avaient pas convaincu, alors quel plaisir de découvrir cette œuvre dans son intégralité ! Les productions d’aujourd’hui pour la jeunesse sont parfois noires mais n’arrivent pas à la cheville de la cruauté de madame Lepic. Ces temps là étaient sauvages; les lièvres saignent du nez à la cave et les griffes ne sont pas que pour les chats. Poil de Carotte lui-même mérite souvent les beignes qui lui pleuvent dessus, mais elles ne le feront plus pleurer, et il faut qu’il se fasse saigner les joues pour imiter un de ses camarades qui rosit facilement.
« D’ordinaire les habits de toute la famille accrochés au portemanteau l’impressionnent. On dirait des suicidés qui viennent de se pendre après avoir eu la précaution de poser leurs bottines, en ordre, là-haut sur la planche. »
La rudesse des conditions de vie est aggravée par cet amour sans espoir du petit qui use de la ruse et de paroles sentencieuses pour tenter de survivre. Afin de ne pas désespérer le lecteur, il faut savoir qu’une fois la mère se montrera magnanime, et une fois Poil de Carotte refusera une corvée.
C’est du brutal, mais de la littérature à son sommet, d’une sobriété essentielle :
« - Personne ne m’aimera, jamais, moi !
Au même instant madame Lepic, qui n’est pas sourde, se dresse derrière le mur, un sourire aux lèvres, terrible.
Et Poil de Carotte ajoute, éperdu :
- Excepté maman. »

Terrible, éperdu.

jeudi 4 mars 2010

Résonances/ raisonnances

Des images et des musiques pour jouer « Ecoute ce que l’œil peut voir, regarde ce que l’oreille entend » avec Catherine De Buzon, historienne de l’art qui théâtralise ses analyses et Daniel Jublin pianiste et musicologue en harmonie avec elle. Une conférence par des professionnels vraiment affutés, des passionnés. Des mots choisis avec une construction rigoureuse pour des correspondances parfois évidentes. Par exemple, les chevaliers de l’apocalypse de Dürer avec Wagner. Même si nous avons aimé réviser encore quelques toiles du Caravage, c’est Schonberg qui sera souvent appelé pour accompagner des tableaux mais il y a eu du Nougaro avec Narcisse et du Morricone et du Bach et Pablo Casals, du Satie avec Matisse. Clins d’œil avec quelques œuvres remarquables du musée grenoblois : Chagall, Morellet, les vases de Mac Collum, De La Tour, le Dominiquin, Vuillard … et des découvertes ; j’essaierai de me souvenir du nom de Lega Silvestro et la belle lumière qui vient sur une petite fille qui tient la laine enroulée sur ses bras pour aider sa maman. Kandinsky associait les couleurs à des instruments de musique : « le jaune serait figuré par une trompette, le bleu céleste par un violoncelle, le vert de la nature par un violon, le rouge par une fanfare de tubas et de timbales, l’orange par une voix de contralto, le violet par un basson ». Mais rien de mécanique, du pétillant, des escapades loin du froid. La pavane de Fauré sur le tableau le plus célèbre de par chez nous, le lac de l’Eychauda par Guétal a conclu cette belle soirée sur une émotion qui me prend à chaque fois avec ce morceau : c’était ce qui venait à la fin du film de Depardon sur les paysans. Délice déchirant.

mercredi 3 mars 2010

J 25. Chau Doc « Good bye Vietnam »

Nous partons pour l’embarcadère puisque qu’aujourd’hui le marché flottant de Cai Rang est au programme. Nous avons droit à un bateau à moteur exclusivement pour nous. Nous glissons entre les embarcations qui vendent leurs noix de coco d’eau, choux, oignons, courges, signalés par un de ces légumes suspendu à une tige de bambou. De petites barques circulent pour faire des emplettes, pour leur propre consommation ou pour la revente, d’autres pour proposer à boire ou à manger. Notre conducteur s’emberlificote dans les cordages et nous devons nous y mettre à tous pour nous désempêtrer du pneu protecteur d’un autre bateau. Les habitants vaquent à leurs occupations et nous saluent, d’un sourire et d’un signe de la main. Nous apercevons des touristes, et comme chacun d’eux sans doute, nous nous félicitons de ne pas avoir l’impression de participer au troupeau d’un tour organisé. Les photographes ne savent plus où donner de l’objectif.
Le bateau s’engage ensuite dans un arroyo jusqu’à un verger. Nous y dégustons des fruits et du thé et Dany prend quelques secondes pour essayer un hamac, produit local fort répandu. Nous revenons sur Can Tho, remarquant le rose vif de quelques maisons sur les berges. Nous croisons des barques où les rameuses se tiennent debout à l’arrière du bateau, maniant leurs rames croisées. Sur les rives, on assiste à la lessive, à la toilette des habitants des maisons sur pilotis en bord d’eau. Avant de quitter Can Tho, nous passons en vitesse au marché couvert entrevu hier soir. Nous prenons la route pour la ville de Chau Doc qui nécessite en gros trois heures de voyage, interrompues par un repas au bord de route.
Nous posons nos bagages à l’hôtel « Chau Pho » et après un petit temps de repos, la voiture nous conduit vers le centre, puis nous lâche à l’embarcadère au bord du Bassac. Nous nous approchons de maisons flottantes. Certaines abritent des familles n’ayant pu acquérir un terrain pour construire. D’autres possèdent des cages en dessous de l’habitation pour l’élevage des poissons. Nous accostons sur l’une d’elles. Une trappe sur la terrasse en bois laisse apparaître l’eau et quand Thien jette une mesure de boulettes de balles de riz mixées avec des restes de poissons, c’est l’effervescence « dans le bocal ». Nous prenons la dimension de ce village flottant et nous atteignons un village Cham. La première maison que nous voyons est un magasin où travaille une tisseuse coiffée d’un foulard. Sur l’un de ces piliers est indiquée la hauteur des crues selon les années, en 2000 l’eau a grimpé à presque 2 m, jusqu’à l’étage. Un panneau en anglais à l’accostage recommande « de ne pas acheter de gâteaux aux enfants, les gâteaux étant vieux et pouvant entrainer de coliques ». Vrai ? Faux ? Nous nous abstenons. Nous nous rapprochons de la route après avoir gravi un escalier et un chemin cimenté d’où nous pouvons observer les maisons sur leurs hauts pilotis et les ponts étroits en bambous qui y accèdent. Le village, où s’entassent des immondices, parait pauvre. Nous nous dirigeons vers la mosquée, où nous y pénétrons après avoir quitté nos chaussures. Il y a des hommes en sarong et avec calotte. A l’intérieur le muezzin appelle à la prière, avec un certain talent. Nous nous éclipsons. C’est la dernière visite du programme assuré par « Phénix voyage » au Vietnam.Nous découvrons ensuite la ville après avoir observé la circulation et les changements des cyclopousses d’un nouveau genre, comme des calèches en miniatures où l’on ne peut s’asseoir qu’en tailleur. Nous tombons inévitablement sur le marché, puis sur une place où les hommes jouent avec adresse au badminton avec les pieds. Nous rêvons d’une bière. A côté d’une maison coloniale jaune, nous dégotons l’endroit idéal pour la bière fraîche d’abord puis un repas de nems et de calamars ensuite. Il fait bon et les moustiques mangent autant que nous. Face à l’eau sur la promenade des vendeurs ont déployé leurs marchandises sur le trottoir et des jeunes en kimono travaillent leur art martial avec leur professeur. Avant de quitter le pays que l’on a aimé, il faut noter le goût prononcé des vietnamiens pour le karaoké ; lorsqu’il est signalé avec massage, c’est coquin.

mardi 2 mars 2010

Agiassos #1

Sur son front est tatoué un requin de profil, gueule fermée. Elle lit à haute voix un carnet jauni. Le jeune homme l'écoute en fumant, les yeux levés vers la coupole de verre. Elle tousse et poursuit sa lecture : "...Je retournerai à Agiassos. J'y retournerai. Je sais que je retrouverai la cité inchangée. Rien ne peut jamais changer à Agassios. Tout y tourne à la suite du soleil. Dès l'aube, la ville tourne sa corolle vers le mont Olympe, recompose ses ombres, ses parfums et ses bruits, lâche ses chapelets d'ânes à demi sauvages, testicules écorchés aux épineux, sabots ébréchés, museaux blessés... Elle lâche, Agiassos, ses touristes à scooter, ses bandes de cupidons. Ils ne lancent pas de flèches mais des pierres aux visiteuses, aisselles et seins dévoyés sous les débardeurs. Cette ville que personne ne peut prendre, je la reverrai, pieds nus pour ne pas glisser. Je pactiserai à nouveau avec la traîtrise des pavés et tant pis si la pestilence des rats crevés me lève le cœur, et tant pis si midi me frappe. Je serai un insecte sur ton ventre, Agiassos car tout tourne et roule autour de ton ventre, Agiassos, ville-piège, ville-bousier. Je braverai les vieilles des ruelles, leurs cheveux pris dans des filets noirs. Leurs yeux fixes et doux comme ceux des chiennes de cette île, gardent les ombres de la ville haute... Je tracerai ma ligne de vie dans la main aux quarante rues, aux quarante doigts. Une jeune fille, un marmot morveux entre les jambes, me poussera vers le bas de la ville, me croyant égarée. J'éviterai le traquenard de ses :"Agora ! Agora !"Je ne me plierai pas à sa feinte sollicitude mais j'éviterai son regard sagace. J'irai plus haut que les boutiques de céramiques, plus loin que les derniers bistrots où se figent des dix heures les hommes pris à la ronde des cafés limoneux sous les yeux indéchiffrables des popes joufflus.
J'arriverai où elles m'attendent, dans le bric-à-brac de leur cour. Ce sera l'automne. Elles auront un pull noir sous leur robe noire, le noyer aura gardé quelques feuilles. Les quatre chèvres seront à grignoter ; le cabri sautera sur le toit de sa cabane, dressé sur ses sabots. Il bêlera :"C'est toi ! Bienvenue !
Une des femmes sera occupée à tourner le lait dans la marmite de fonte. Elle lâchera le bâton pour ajouter des sarments au feu, sous le trépied. Preste, elle reprendra le brassage de peur que le monde ne s'arrête. Comme la première fois je la contemplerai, la naïve, la travailleuse sans mémoire. J'agiterai mon carnet, elle comprendra, elle me désignera ma place sur la pile de planches. J'écraserai les épluchures, les crottes sèches, je m'assoirai face à la marmite. Je ne lèverai pas mon crayon, le fil sera tenu. Alors l'autre apparaîtra, forte et joviale. Elle me proposera le lait, elle m'offrira une chaise, apportera le pain grillé et les noix.
Et je couperai le fil.
Leur signe s'assentiment sera discret. Je leur donnerai le dessin. Je me lèverai, elles me presseront dans leur odeur de chèvrerie, elles laisseront à mes joues leur sueur.
Et le fil sera coupé.
Tout droit je descendrai vers l'agora. Sous la voûte de feuilles rouges je boirai le café brûlant, très lentement. Je rêverai dans le sexe des feuilles écarlates. Silencieuse, j'enfanterai un chant en écho au saxo jamais vu qui joue pourtant sur les terrasses d'Agiassos. Saxo du Dieu caché.
Et puis il sera temps de filer ailleurs. »
Marie Treize

lundi 1 mars 2010

Gainsbourg(vie héroïque)

La personnalité complexe du peintre devenu chanteur a inspiré le créateur de BD Johan Sfarr bienvenu au cinéma. Sous la surexposition, Lucien gardera ses mystères. Des épisodes incontournables sont traités avec chaleur : BB et la passion créatrice, la Marseillaise poignante de l’ancien titulaire de l’étoile de shérif- jaune- et d’autres tableaux sont tracés avec originalité : les doubles jeux de la personnalité, la laideur et le charme, la sophistication et les facilités du bizness, la délicatesse et le versant suicidaire, le rideau de fumée, le révélateur des hypocrisies et l’inattendu, le vrai et le faux, les femmes, le petit garçon. Un excellent film qui allie le divertissement et la profondeur.

dimanche 28 février 2010

Le grenier

Jacques Osinki mettait en scène une pièce du japonais Yoji Sakaté au petit théâtre de la MC2, et je n’ai pu m’empêcher de penser tout du long à une bande dessinée, pour le mélange d’humour et de fraîcheur qui va bien avec l’ambition de traiter des problèmes éternels en les habillant à la mode d’aujourd’hui. Les comédiens, excellents, vont interpréter une série de portraits efficaces de la société japonaise avec ses adolescents enfermés dans Internet, ses inspecteurs de police, ses samouraïs, le doute du prof… Des tranches de vie dans cette pièce exigüe qui recèle les souvenirs de l’enfance, et devient refuge pour des vies malheureuses, solitaires, écorchées, qui se recroquevillent. Le dispositif scénique contraignant permet aussi toutes les inventions : dans cette case, des tranches de rêve s’imposent.

samedi 27 février 2010

Participatif passé.

Au moment des élections européennes, il nous est arrivé de porter nos mots au delà du canton. D’autres élections se profilent. Le barreau régional à réviser s’accroche le mieux à cette échelle étoilée où certains avaient cru réviser que « l’internationalisme est le futur du socialisme ».
- Mais alors ces délocalisations qui ont permis d’augmenter de 75% le revenu médian des roumains, c’est pas bien ça ?
- Merci Caterpillar de venir sur nos terres, mais pas beau Renault chez les turcs ?
Ballottés par le clapotis des médias, nous répétons en colonnes disciplinées quelques éditos abrégés. Et les politiques, ceux qui devraient organiser le débat s’en remettent à des cabinets privés pour envisager l’avenir à coup de plaquettes en couleurs concoctées par les communiquants. Où placer nos interventions citoyennes ?
Je me laisse volontiers fasciner par les power point des salariés de la prospective, quitte à finir durablement, les pieds dans le béton bien intentionné.
Quelques retraités maniaques compulsent les dossiers et s’expriment surtout s’ils sont contrariés. La complexité décourage les submergés du quotidien voués aux comprimés d’info qui les dispenseront de maux de tête.
En ce qui concerne les régionales, pour éviter de parler de Frèche ou Sankaré, ce qui émerge ce sont les propositions les plus gratuites possibles pour les transports parisiens et puis le cynisme assumé : « il ne faut pas parler de licenciements avant les élections ».
J’avais repris du mors aux dents en politique quand la démocratie participative monta sur la scène. Elle se dilua et j’en suis à me demander si ce n’est pas une procédure qui pourrait bien conforter les immobilismes, alors qu’elle devait exprimer « l’expertise citoyenne ». Elle fut un élément de langage pour quelques boute-en-train en mal d’idées nouvelles qu’ils ont abandonné bien vite au pied de leurs calculs, de leurs cumuls.
Quand la nécessité de densifier nos agglomérations se heurte aux murettes pavillonnaires, les propositions qui visent à limiter les déplacements, à permettre à la population la plus fragile de se loger mieux, se font discrètes. Et il faut un certain courage à Destot pour multiplier les logements à l’Esplanade, alors que chez nous, le long du tram, tout le monde se planque derrière quelques buttes en terre pour éviter de suggérer quelques habitations supplémentaires. Demandez l’avis aux enfants, ils répondront qu’ils préfèrent les arbres, les fleurs et les canards, leurs parents aussi. Quant au réchauffement de la planète, il y a des films pour ça et pour ceux qui sont en mal de logements, des municipalités communistes ou des tentes Quechua.

vendredi 26 février 2010

Mes étoiles noires.

Une amie, repentante de ses mauvaises pensées concernant les footballeurs m’a offert le livre de l’ancien arrière droit de l’équipe de France, Lilian Thuram, le buteur dubitatif contre la Croatie. Je craignais qu’il « se la joue » eh bien : pas du tout ! Il nous fait part de ses sources et dans les portraits qu’il trace où ne figurent ni Pelé ni Karl Lewis, il précise ce que chaque destin, dont certains sont incroyables, a fait bouger chez lui. En plus de 300 pages, des bonheurs d’expression sont bienvenus: « la société antillaise, née sous X » ; il y a matière à apprendre, à être indigné, et aussi être une fois de plus enchanté du chemin parcouru avec l’élection d’Obama.
Esope était un esclave nubien et Alexandre Pouchkine le poète, arrière petit fils du camerounais Abraham Petrovitch Hanibal, général en chef de l’armée impériale russe. Pour connaître un peu la « Suisse Africaine », j’ai apprécié de retrouver Mongo Betti dans ce choix de grandes figures où certaines étaient attendues, mais des surprises sont souvent au rendez-vous. Ainsi le premier homme au pôle nord: Henson compagnon de Peary. Des histoires collectives comme celle des tirailleurs sénégalais sont terribles, ou édifiantes comme la réussite du boycott des transports à Memphis après l’acte de refus de Rosa Park : « aux heures de pointe, les trottoirs étaient envahis par une foule de travailleurs et de personnel domestiques qui rentraient patiemment de leur lieu de travail, situé parfois à plus de quinze kilomètres de leur domicile. Ils savaient pourquoi ils marchaient, et cela se voyait à leur manière de se tenir… le boycott se prolongea 381 jours ».
Lettre de Rochambeau pour mater la révolte à Haïti, il envoie des troupes avec vingt-huit chiens bouledogues… « je ne dois pas vous laisser ignorer qu’il vous sera passé en compte aucune ration, ni dépense pour la nourriture de ces chiens. Vous devez leur donner des Nègres à manger. »
Le premier candidat noir à la présidentielle américaine, Frédéric Douglass, a appris à lire, en cachette, sur un chantier naval grâce aux charpentiers qui écrivent B pour bâbord, T pour tribord…
Un livre salutaire qui rappelle les injustices et amène les victimes à se redresser.

jeudi 25 février 2010

L’histoire mise à nu par ses artistes mêmes : David et d’autres…

En 1789, il y a eu une révolution en France.
Le maître des cérémonies de ces années fertiles, David, était prêt à boire la ciguë quand il a été emprisonné comme Socrate dont il a peint le sacrifice. Il reliait ici, une fois encore, l’art et l’histoire. Il en a réchappé, et c’est à partir essentiellement de ses œuvres que l’historien d’art, Gilles Genty a illustré son propos aux amis du musée. Depuis « le serment des Horaces » jusqu’à celui du jeu de paume. Les thèmes de l’antiquité et l’iconographie chrétienne réinvestis lors des riches heures de la naissance de la république. Exaltation des vertus et des martyrs. « Le vrai patriote doit saisir avec avidité tous les moyens d’éclairer ses concitoyens et de présenter sans cesse à leurs yeux ses traits sublimes d’héroïsme et de vertus » a dit l’auteur du « dernier souffle de Marat », et d’autres toiles sous l’empire. Marat avant d’aller provisoirement au Panthéon eut droit à douze stations où furent récitées des neuvaines républicaines.
Nicolas Ledoux, architecte des salines d’Arc et Senans, un des acteurs majeurs du néo classicisme, commença son œuvre sous Louis XV et rêva d’une cité d’équilibre, idéale, utopique après que 1789 eut ruiné ses commanditaires.
François Gérard, commença lui, sous l’aile de David et finit par peindre le sacre de Charles X.

mercredi 24 février 2010

J 24: Can Tho

Nous nous sommes couchés tôt, tandis que nos voisins de chambre à côté trapusent et attirent les moustiques. Tranquillement sous nos moustiquaires nous nous amusons à regarder les lumières et les formes à travers la gaze, avant de sombrer dans le sommeil. Nous avons le même plaisir à nous éveiller en cet emballage.
Nous allons à vélo jusqu’au marché, le sable rend la conduite difficile, l’une de mes compagnes de voyage percute un jeune bananier et l’autre disparaît dans un fossé, sans mal.
Nous reprenons le bateau pour immédiatement monter dans l’auto qui nous attend. Les moyens de transport s’enchainent parfaitement en se trouvant au bon endroit au bon moment ! Merci Phénix Agency !
Quand nous arrivons à Caï Be un autre bateau à moteur nous attend et nous embarquons tout de suite. Nous nous arrêtons assez vite dans une fabrique de riz soufflé. Le riz est jeté dans du sable noir chauffé dans un grand wok, éclate comme du pop corn, tamisé, séparé de la balle qui servira de combustible, il est ensuite mélangé à un caramel parfumé au gingembre. Les ouvriers l’étalent ensuite au rouleau à pâtisserie en métal. Les femmes se consacrent à l’emballage. Nous dégustons ce riz et différentes confiseries arrosé de thé au jasmin tandis qu’une averse se déchaîne à l’extérieur. Elle finit juste quand nous remontons sur le bateau, encore une synchronisation parfaite. Nous circulons au milieu des bateaux à l’arrêt faisant commerce et nous nous dirigeons vers une maison de « style colonial » (et pas coloniale) la maison Ba Dué. Construite par un mandarin Pan Van Duc en 1938. Le style « occidental » de l’extérieur se retrouve dans la décoration murale art déco et les neuf médaillons peints représentant des paysages des neuf bras du Mékong. Le style Vietnamien concerne plutôt le mobilier en bois incrusté de nacre de la salle principale, et l’autel des ancêtres et à Bouddha. Le bateau nous conduit à une deuxième maison superbe aussi uniquement Vietnamienne : Tran Tuan Kiet. Elle ressemble en plus vaste à la première maison. Dans un coin une vieille se repose dans son hamac.Cette maison abrite un restaurant à l’arrière près d’un bassin de nénuphars. Pas de murs mais un toit, tables avec nappes blanches brodées et lavabos trônant au centre. C’est là que nous prenons l’un des meilleurs repas de notre séjour : soupe aux graines (lotus, haricots, petits pois, maïs…), poisson oreille d’éléphant en rouleau avec ananas, carambole, concombre, crevettes, nems et beignets de fleurs de courgettes, porc au caramel riz et fruits ! Le bateau nous promène dans l’arroyo entre les entrepôts et les briqueteries en forme de cases obus africaines. Nous coupons le Mékong large et toujours aussi boueux jusqu’à Vinh Long où nous attend notre voiture.
Nous roulons jusqu’à Sa Dec, la ville de Marguerite Duras. L’école bien entretenue où sa mère enseigna, est toujours en service. Nous apercevons de loin, la maison où logeaient les fonctionnaires au temps de français comme la famille Duras, dont on ne sait quelle partie elle occupait. Quant à la maison de l’amant, Thien nous apprend qu’elle ne se visite plus suite à des gestes insultants de la part de touristes qui consistaient à montrer du doigt le portrait de l’amant sur l’autel des ancêtres pour le comparer au visage de l’acteur du film.
Nous prenons le chemin de la ville la plus importante du delta du Mékong Can Tho (prononcer Can Theu) Il faut passer par un ferry car le pont n’est pas terminé, on l’aperçoit avec son centre encore béant. La pluie tombe par intermittence. La ville est moderne et ne représente pas de grand intérêt touristique. Les magasins ferment beaucoup plus tôt que partout ailleurs. Nous atteignons le Saigon Can Tho hôtel avant 18h, découvrons avec plaisir les grandes chambres qui nous sont destinées. Avec la clef on nous remet un ticket nous donnant droit à un sauna et à une boisson de bienvenue. Nous laissons le sauna et nous nous rendons au bar où pendant qu’on nous prépare un cocktail qu’on boira sur la terrasse, je conserve mon honneur de justesse en gagnant d’un point au baby foot. Nous ne cherchons pas de restau ce soir ; d’ailleurs la balance disponible dans la chambre indique deux kilos supplémentaires pour deux d’entre nous. Nous dinons de fruits et de gâteaux dans la chambre d’hôtel.

mardi 23 février 2010

Marie Treize

Les familiers de ce blog qui attendaient le mardi pour lire les histoires de Marie Thérèse Jacquet, pourront désormais choisir leur jour pour se régaler dans leur fauteuil et en découvrir des inédites. La prof de français a réuni 24 nouvelles en 120 pages papier. Pour 13 €, montant de la souscription, vous pourrez obtenir son livre « Allumez le four et autres récits » à l’adresse électronique suivante : admin@editions-alzieu.com ou aux Editions Alzieu La Maison du livre, 1 bis rue du Moulin 38120 Le Fontanil. Pour les impatients, vous pouvez retrouver certains de ses textes, en allant sur le petit moteur de recherche en haut de la colonne de droite de ce blog en tapant « Marie treize » ou en cherchant « écrits de lecteurs ».
Si elle sait peindre dans les couleurs subtiles de l’aquarelle, son écriture emprunte à toutes les ressources des palettes de la mémoire. Du fantastique vient enchanter une réalité âpre qui recèle aussi bien des tendresses. Sous le sourire et les mots choisis qui pétillent, elle exprime la fidélité à ses origines, quand le four s’ouvrait pour offrir le pain essentiel chaud et parfumé. Elle nous fait voyager aussi de la Grèce - attendez une semaine pour un aperçu - au marais poitevin, en passant par l’Afrique orientale… Une documentation précise permet de tracer prestement des univers variés avec une nature très présente où les herbes révèlent leurs mystères et les oiseaux leurs rêves. Humour, sensualité, plaisirs de l’écriture. Et quand elle reçoit un certain monsieur Dieu, elle hésite à mettre une musique liturgique qui serait trop marquée. Aucune faute de goût.

lundi 22 février 2010

Mother

Révéler la fin, tuerait le film du coréen Bong Joon- Ho qui monte en puissance d’une façon implacable autour de la recherche par une mère de l’innocence d’un fils accusé de meurtre.
A Cannes, cette année les rapports parents-enfants étaient souvent traités, ici pour reprendre un terme à la mode également : un film tendu, qui traite avec finesse de la relation, mais le plan social n’est pas trop à l’arrière et le suspens est bien mené. Habile, beau, le sachant peut être un peu trop d’ailleurs, surprenant.

dimanche 21 février 2010

Turba

Je suis allé à un spectacle de danse de Maguy Marin et je n’en vis point, de danse. Au bout d’un moment, un déplacement légèrement balancé m’a fait croire que la danse advenait : mais non !
Parfois la musique, rare, monte mais s’interrompt très vite, ainsi quand s’installerait un rythme, il est cassé, alors que d’autres procédés sont étirés sans fin. « Turba » signifie tumulte, foule, et là des individus souvent penauds se déplacent seuls ou avec leur double. Leur seule performance est de synchroniser leur voix et leur seule rencontre est un morceau de musique à la fin. Des tas de costumes sont amenés en vrac sur le devant de la scène occupé par de grandes tables. Le budget perruque est sûrement important, mais on se barbe. Heureusement que les textes sont en latin, italien, allemand, espagnol…lorsqu’ils étaient en français : je ne les ai pas compris, tant tout est haché, en suspens. J’essaye et j’apprécie souvent les expérimentations, les surprises mais cette fois le seul avantage que j’ai retiré de cette heure et dix minutes, c’est un désir de voir de la danse, une autre fois, et avec d’autres chorégraphes. Et aussi l’occasion de lire tranquillement Lucrèce sur le livret d’accompagnement :
« Les bienfaits de la vie tu les as tous connus, et tu es décrépit. Mais comme à chaque instant tu brûles du désir pour ce qui n’est pas là, et que tu as mépris de ce qui est présent, eh bien ! pour toi la vie a passé incomplète et sans donner de joie, et la mort tout à coup sans que tu t’y attendes, est là, à ton chevet, avant que tu aies pu, rassasié repus, prendre congé des choses.
-Tant pis! L’heure est venue d’abandonner tout ça qui n’est plus de ton âge! allons, laisse la place à d’autres, maintenant, et serein : il le faut. »

Il n’y avait pas besoin de hallebarde en carton pour aller là.

samedi 20 février 2010

Parachutes dorés

Dans le dernier livre de Florence Aubenas, « Le Quai de Ouistreham » :
Une formatrice du Pôle emploi explique aux candidats que
« - Les employeurs exigent des compétences.
Puis elle demande :
- Qu’est ce que c’est des compétences?
Elle attend un peu, finit par répondre elle même :
- Un ensemble de savoirs, de savoir être, de savoir faire.
Ma voisine se penche vers moi :
- J’ai bien fait de rien dire. »
Un chômeur au stage CV de Pôle Emploi :
« La crise, la crise, on entend répéter ça depuis tellement longtemps. Les usines ont déjà fermé. Ils pourraient au moins faire l’effort d’inventer un nouveau mot. »
Victoria s’adresse à Fanfan :
- Comme tu as maigri ! ça te va drôlement bien.
Fanfan émet un rire coquet :
- Je sais, c’est grâce à mon cancer »
Laetitia :
« On est bien obligé d’avoir une télé chez soi. Sinon qu’est ce qu’on ferait quand on a des invités »
Mélissa :
« Plus on nous fait travailler, plus on se sent de la merde. Plus on se sent de la merde, plus on se laisse écraser »
Allocation surprise.
- 150€, ça fait un paquet de pognon qui tombe du ciel.
- Oui, c’est notre parachute doré. Nous aussi on y a droit »

En réponse à Elisabeth Badinter qui a fait pas mal causer ces jours, trois femmes dans Libé :
« Faire de la maternité le cœur de l’identité féminine est tout aussi stérile que de gommer l’impact que les enfants ont sur nos vies, qu’on soit une femme ou un homme »

vendredi 19 février 2010

Cités à comparaître

Lors de la réunion mensuelle de notre groupe de lecteurs, la dame qui avait montré ce livre avait simplement mentionné que c’était écrit en verlan avant de passer à d’autres ouvrages plus consistants. Le sujet m’intéresse et je me suis précipité sur l’ouvrage au titre accrocheur : quelle déception ! Il y a bien quelques expressions en verlan, tout à fait intelligibles par tout céfran du deux - un (le siècle). Mais le style est à la mesure de l’amoncellement des clichés sur la banlieue qui pourrait épuiser le genre tant cela touche à l’exhaustivité : la mère se prostitue, « dans mon cas, mère et merde ça a la même racine », le père est inconnu, le narrateur après s’être drogué va faire exploser une bombe qui fera "quelques" morts. Il est accusé de terrorisme, mais c’est pas de sa faute, à l’amoureux frustré. La fatalité appartient à la tragédie certes, mais le destin du narrateur se dérobe tellement à lui, que les bras vous en tombent, et le livre vous échappe des mains. Les personnages n’ont aucune consistance, le déroulement de l’histoire est sans surprise, le regard n’apporte pas une once de nouveauté, de chaleur, ni de compassion, ni de révolte. Le degré zéro de la politique. L’auteur est prof à l’IEP Paris, le récit de son parcours aurait été intéressant puisqu’il connait ce milieu, cela lui éviterait ce genre de jeu de mots dont il s’excuse : « … J’ai croisé un grand Renoi qui venait dans l’autre sens. Il allait chez le juge lui aussi mais il avait pas l’air très au top. Y avait des coulées de sang sur sa figure. J’ai pas eu le temps de lire le Rouge et le noir à l’école mais le titre m’a toujours fait kiffer ». Relou. Je vais essayer de cesser de perdre mon temps à lire ce genre de production et me remettre à Stendhal.

jeudi 18 février 2010

"Ready made"

Dans le cadre des jeudis de l’art contemporain au musée de Grenoble, le thème de la visite était le « ready made » qui bouleversa notre façon d’envisager les images, l’art, le monde. Nous avons mis 90 ans à digérer les innovations radicales de Duchamp Marcel avec son nu descendant l’escalier, mais sa notoriété présente date de ses pelles à neige, porte-bouteilles et autre urinoir proposés dans les salles d’exposition en 1917 ! Les péripéties qui accompagnèrent l’apparition de « la fontaine » proposée par un certain R. Mutt (c’était Duchamp), d’abord refusée, portent déjà toutes les questions, et annoncent bien des procédures qui fondent l’art contemporain. Seule une photographie de l’objet matérialisera cette première installation qui interrogeait d’une façon tonitruante, ce qu’était une œuvre d’art, la notion de valeurs, de marché, le rôle du spectateur et un flot de discours : alors peinture, sculpture ? En 1917, il fallait avoir de l’humour pour survivre à l’inhumanité ; l’ironie persiste.
Nous avons commencé par une présentation dans une salle renaissance où les tableaux en majesté nous surplombent dans leurs draperies, au service de la religion qui alors édictait les valeurs. Et puis la procession des muséo croyants se déplaça vers des propositions de contemporains qui utilisent aussi des objets produits en série pour nous interpeler. L’étudiant en horticulture Lavier greffe un distributeur de papier sur un socle de tiroirs de meuble administratif et le chimiste Tony Cragg compose une corne d’abondance avec les déchets industriels comme autant d’atomes qui nous constituent. L’art contemporain recèle bien sûr des conformismes, il évoluera, et si nos yeux, eux, ne vont pas vers une plus grande acuité, nous pouvons continuer à nous étonner, à nous interroger, à nous énerver, à nous enflammer.

mercredi 17 février 2010

J 23: Le Mékong Ben Tre

De bonne heure, je vais photographier les gens de tous âges en plein réveil sportif dans le Cultural Park. Les bagages bouclés nous profitons une dernière fois de Saigon, et tournicotons autour du palais de la réunification en imaginant un char défonçant en 68 les grilles tel que nous l’avons vu en photo.Au retour à l'hôtel, nous nous mettons en route vers le delta du Mékong.
Nous atteignons My Tho vers 12h 30. Là nous nous séparons du chauffeur et de nos gros bagages et embarquons sur un petit bateau à moteur rien que pour nous avec ses bancs fraichement repeints de bleu, sous un toit protecteur contre le soleil ou la pluie. Comme chaque embarcation, il possède ses deux yeux à l’avant. Nous flottons sur l’immense Mékong. A l’heure du repas, nous accostons dans un restaurant sympathique sous les palmes où sans trainer le repas standard défile. Une serveuse nous prépare des rouleaux avec une petite feuille de pâte qu’elle trempe dans l’eau avant de la garnir avec une carpe appelée « oreille d’éléphant » dont les écailles sont frites et craquantes. Elle nous apporte ensuite des crevettes qu’elle décortique pour nous, des nems frits, du riz cantonnais et une galette avec du thé.
Le petit bateau nous conduit ensuite vers une fabrique de bonbons à la noix de coco. Le travail est artisanal, la noix de coco est râpée, puis le jus est extrait de la pulpe. Un jeune garçon touille ce jus avec du sucre tout en lisant une B.D. ; les filles emballent les bonbons moulés entre des rails, dans une feuille de riz et de papier. Nous reprenons notre circuit et nous engouffrons dans un arroyo (canal naturel) au milieu des palmiers d’eau et de la mangrove ; l’ambiance est magique, l’aventure confortable ! Nous mettons pied à terre à nouveau, abordons près de ruches, dans des vergers. Des garçons grimpés dans un arbre cueillent des sortes de pommes. Plus loin au milieu de la végétation luxuriante, un étalage nous surprend avec des chaussures en croco, des objets en pieuvre, ou en bois de cocotier. La maison utilise aussi ce bois dont les planches ont un couleur rosée. Lorsque nous arrivons sur un sentier plus important, une « calèche » s’avance immédiatement à notre service. Nous grimpons dans la carriole sur les petits bancs latéraux et la conductrice s’assoit devant à gauche, à l’abri de son chapeau conique et le vaillant petit cheval tire son chargement en claquant des fers sur deux rythmes différents. Nous traversons le village dans cet équipage et stoppons devant un nouveau petit sentier que nous prenons sur quelques mètres avant de nous attabler dans un bar noyé dans la végétation pour déguster un thé au miel excellent et différentes variétés de fruits : papayes, jacquiers, ananas, bananes et longanes . Sous une paillote des musiciens s’entrainent à un "blues Vietnamien".
Nous passons dans une petite barque à une seule rame maniée par une dame dans un petit arroyo qui débouche sur le Mékong. Là nous embarquons à nouveau sur le bateau à moteur et nous remontons le Mékong pendant plus d’une heure sous un ciel ensoleillé et la brise fluviale, en direction de notre résidence chez l’habitant à Ben Tre. Le logement est sommaire mais charmant.Une habitation aérée est séparée en deux chambres. La nôtre est équipée de trois lits de camp haut sur pattes avec moustiquaire. Nous allons faire une promenade avec notre hôte, au milieu des canaux d’irrigation, dans une végétation serrée où apparaissent quelques maisons et des tombes. Le sentier devenu cimenté nous mène jusqu’au village. Nous rentrons dans la lumière crépusculaire qui rend les images si belles. Nous prenons le frais dehors en discutant avec d’autres français, en lisant et en écrivant.
Repas servi à 19h 30 sous une paillote par une serveuse hilare, puis petit concert : chanteuse, guitariste qui appuie aussi sur une castagnette au pied et un joueur de mandoline

mardi 16 février 2010

La vie de ma mère

Cette BD de 2003 dessinée par Chauzy inspirée du polar de Thierry Jonquet s’est un peu démodée à mes yeux. Je viens d’apprécier toute une série de récits en images et celle-ci me parait caricaturale, ne laissant pas de place à la nuance. C’est vrai que la réalité de Belleville, et l’histoire de la relégation d’un môme est brutale, la fatalité sociale révoltante.
« Ma reum, elle a vachement dérouillé ; le gérant, l’enculé de sa mère de chinois, il lui a dit qu’il faudrait rembourser, sinon il allait direct aux keufs ! »
Aujourd’hui, il me semble bien improbable qu’une Clarisse croise seulement un Kévin de la SES aux progrès si étonnants que sa prof puisse dire : « c’est à croire que personne ne s’était jamais intéressé à lui » et qu’invité à un goûter chez les bourges, à l’écoute des violons il se dise « leur zicmu, c’était pas pareil que Stomy Bugsy ou NTM, d’abord y avait pas d’ paroles ; juste la zicmu, mais c’était top classe ! »

lundi 15 février 2010

L’autre Dumas.

Il ne peut y avoir d’autres acteurs que Depardieu et Poelvoorde dans ce film de Safy Nebbou pour jouer Dumas et son documentaliste Maquet. Autour du roi de l’embellissement historique,toutes les fantaisies sont possibles, les situations les plus cocasses et les interrogations les plus indispensables à propos de l’identité, de l’authenticité. Le personnage de l’ombre va usurper l’identité de son munificent maître le temps d’un jupon dans la lumière, mais ils éprouvent surtout qu’ils sont indispensables l’un à l’autre. La santé de l’auteur de « Deux mousquetaires » est réjouissante, et le désespoir pince sans rire de celui dont on oublie le nom composent un face à face efficace.

dimanche 14 février 2010

Lettres à un ami allemand

Madey et Patrick avaient disposé trente chaises pour leurs invités venus assister à la représentation des « Lettres à un ami allemand » d’après Albert Camus dans leur salle de séjour. Ce n’était pas un spectacle au rabais, avec des éclairages, une pianiste qui a soutenu efficacement un chanteur et un comédien prometteur. C’est réconfortant de voir un jeune réalisateur Fabien Escalona (par ailleurs blogueur en lien dans la colonne ici à droite « un ordi, un citoyen ») se saisir de la vieille histoire, en portant à notre connaissance trois lettres des quatre publiées en 1943 et 44 par le prix Nobel, insérées entre deux évocations solaires de la Méditerranée.
Si le thème de la paix semble aller de soi en 2010, celui de l’engagement, des moyens employés pour atteindre un idéal, les thèmes de l’absurde et de la révolte, sont d’aujourd’hui. L’entreprise n’était pas facile de rendre une pensée dans la vibration de ses incertitudes, mais tout à fait réussie quand naît l’émotion dans le récit de l’évasion avortée d’un jeune de seize ans emporté vers la mort. La passion, la hauteur de vue arrivent depuis le cœur de la résistance. L’amour de son pays ne se dissocie pas de la recherche de la justice : cette actualité au pays d’Eric Besson a concerné le public invité à discuter après la représentation.
Ce théâtre en appartement est un dispositif sympathique, vous pouvez joindre la troupe « les aériens du spectacle » http://lesaeriens.free.fr/index.html

samedi 13 février 2010

Conformes

Dans un froissement argenté, le banc de poisson change brusquement de direction.
Avec une unanimité confondante, les émetteurs médiatiques se tournent, se retournent du même côté. De plus en plus souvent c’est l’agenda présidentiel qui formate les informations, jusqu’à l’usure qui point. Arlette Chabot, du servile public, regrettait l’autre soir que les électeurs ne connaissent pas les noms des présidents de région, et que le débat porte sur le foulard du NPA ou la dernière de Frêche, comme si elle n’était pour rien dans cette approche unique, polarisée sur la présidentielle.
Les journalistes souvent cumulards en signatures savent bien sûr qu’il n’est pas possible de parler de tout, tout le temps, mais chaque jour nous offre l’occasion d’être fasciné par le synchronisme des infos. Pourtant Le Tibet est là toute l’année et les SDF, mais ils n’en parleront qu’ensemble.
France 2 ne parlera de la banlieue que si « Le Monde » en cause, et le reportage sur la banquise sera à l’antenne quand Borloo dira; il paraît que c’est « Le Parisien » qui donne désormais le « la ».
Comme sur Internet, que les médias papier regardent quand même de haut tout en y piochant, il est difficile de ne pas être submergé par la multitude des articles copiés/collés.
Les phénomènes panurgiques récents se sont multipliés autour de la promotion de BHL, pour le moquer, de concert, par la suite. Quant à son livre ?
Fotorino et Joffrin demandaient à la gauche de s’emparer de la discussion sur l’identité française, mais le vent a tourné. Peillon fut léché, maintenant lâché ; Frèche n’a pas attendu Fabius pour être lynché, alors Julien Dray est venu faire la morale.
Que c’est long d’attendre « XXI », trois mois, et c’est pour ça aussi que c’est bon

vendredi 12 février 2010

"XXI" de cet hiver

Le livre de l’information grand format est arrivé dans vos librairies. Thème principal : les pouvoirs. Celui du chef de l’Etat géorgien, un acteur ; celui de Bolloré avec ses ports en Afrique et ses journaux ici ; le procureur de Macon adepte de la « présomption de culpabilité » et Zuma le président danseur de l’Afrique du Sud. Mais la manifestation du pouvoir qui m’a le plus impressionné lors d’un bel interview consacré à l’écrivain Svetlana Alexievitch, sont les mères russes et les soldats qui lui avaient confié leurs témoignages qui se rétractent et portent plainte contre elle. Elle a écrit « les cercueil de zinc » sur la guerre en Tchétchénie et « la supplication de Tchernobyl ». Quelle misère ! Quel courage ! Comme ces insoumis au pouvoir d’un cheik au Yémen. Des hommes et des femmes d’exception, et puis une bande dessinée sur les cueilleurs d’abricots dans les Baronnies ou ce facteur dans le massif central redonnent des couleurs au quotidien. Un enfant moine au Ladakh nous devient familier. La perception par des japonais du journal d’Anne Franck constitue un angle original. Et toujours quelques portraits allègres de personnes qui font avancer le monde, un contre-champ sur la guerre en Afghanistan, et histoire de ne pas être avalé par l'info à la queue leu leu, la remise au jour de livres anciens qui éclairent l’actualité.
Arriver encore à étonner au numéro 9, c’est bon.

jeudi 11 février 2010

Sculptures de l'ACDA

A la mairie de Saint Egrève, près de soixante sculptures de l’association ACDA (Ateliers de Création et de développement Artistique) sont exposées jusqu’au 19 février.
Je me suis fait reprendre par une des fidèles adhérentes de l’association, où je dessine aussi par ailleurs, quand j’ai dit « modelage ». C’est que j’ai dans la tête les schémas qui associent la sculpture à la massette et au burin mais aussi la perception d’un dynamisme qui émane de beaucoup de réalisations. Le travail de la main apparaît dans toute sa noblesse. Il s’agit bien de volumes d’une certaine ampleur, essentiellement de terres cuites de différentes façons, couvertes et travaillées par des enduits variés bien mis en lumière. Mais surtout c’est la diversité des talents, des inspirations, boostées par maître Blanc Brudes qui est remarquable : du buste classique, aux poupées engrillagées, en passant par des formes épurées ou des matières brutes. La hiérarchie entre amateur et professionnel est bousculée avec certaines productions.

mercredi 10 février 2010

J 22. Saigon.

Départ à 7h car il faut 2h de route pour atteindre les tunnels de Cu Chi à 76 km. Nous avons droit aux embouteillages, moins importants cependant qu’hier le long d’une route à voies multiples ; la ville n’en finit pas. Nous arrivons dans les environs de notre destination, passant par des villages où « des riches » se sont installés car le terrain coûte cher. Sous le toit du moindre petit bar, nous apercevons à nouveau des hamacs accrochés aux piliers à disposition des clients. Nous voyons notre premier tracteur. Nous laissons le chauffeur étendre son hamac dans le parking, cela nous rassure, car ses yeux se fermaient tout à l’heure pendant qu’il conduisait !
Et nous nous enfonçons dans la forêt sur un petit chemin de terre. Dans une grande maison, sans murs, couverte de feuilles de palmiers nous visionnons un film en noir et blanc sur la guerre, forcément teinté de propagande. Un jeune guide en uniforme nous fait découvrir ensuite le monde souterrain des maquisards qui avaient creusé plus de 200 km de tunnels. Nous empruntons le premier courbés en deux. Dans les galeries souterraines : hôpital, cuisine, salle de réunion, puits, salles de convalescence, salles de confection d’armes et de pièges avec ou sans mannequins pour reconstituer l’ambiance. Au deuxième niveau sous terre, j’adopte la position à quatre pattes et avance la lanière de l’appareil photo entre les dents, devancé par une chauve souris. Nous n’essayerons pas le troisième niveau. Les boyaux d’accès ont été agrandis pour les touristes. Il vaut mieux ne pas s’égarer car on risque de tomber dans un piège de bambous effilés autrefois pratiqués pour les bêtes féroces. Les marines avaient renoncé à y faire pénétrer leurs chiens déjà déroutés par l’odeur d’uniformes US dérobés dans les campements ou par le poivre disposé dans ces labyrinthes. Le garde nous fait la démonstration de l’efficacité des camouflages des trappes d’accès, pénètre dans l’étroit passage, dispose les feuilles et disparaît pour réapparaître 30 m plus loin.
Dans les cuisines, un ingénieux système permet l’évacuation discrète de la fumée, invisible depuis les avions américains. Nous nous rafraîchissons à un tuyau de bambou percé, nous nous attablons, trempons le manioc dans du sel mêlé à des cacahuètes et buvons le thé.
Nous ressortons en retraversant la forêt, reconstituée depuis les ravages dus aux défoliants, admiratifs de l’ingéniosité, du travail et de la résistance de ces paysans de la région de Cu Chin.
Nous retrouvons notre chauffeur reposé qui nous conduit jusqu’à Tay Ninh au temple Kao Daï. Le caodaïsme est un culte syncrétique (confucianisme, taoïsme, bouddhisme, christianisme, islam, culte des Ancêtres). Victor Hugo est l’un des saints de cette religion qui a pu compter deux millions d’adeptes. Décor kitsch, coloré, dont nous faisons le tour tandis que les fidèles habillés de blanc attendent l’heure de l’office. Un service d’ordre accueille et dirige les touristes, presque plus nombreux que les fidèles. Nous avons l’impression de nous trouver dans un théâtre où l’on joue un spectacle, sans spiritualité, ni ferveur : les fidèles d’un âge canonique paraissent méditer pendant qu’à l’étage des jeunes femmes chantent accompagnées de jeunes enfants. Les touristes, certains vite lassés, circulent dans les galeries au même étage.
Nous déjeunons sur la route d’un « riz et quelque chose » pour le prix dérisoire de 34 000 D (moins de 2€ pour trois), notre record au niveau prix. Puis nous regagnons Saigon avec sieste dans la voiture... sauf pour le chauffeur. Nous consacrons notre temps à visiter le musée des "Vestiges de la guerre" fréquenté par des visiteurs essentiellement français et américains. La cour est occupée par un avion de chasse, un hélicoptère, des tanks de l'US Army. L’intérieur propose des photos, photos de guerre, de massacre, de tortures, de malformations suite à l’agent orange, du temps des français et du temps des américains ; hommage aussi aux photographes de guerre.Il y a aussi quelques armes, fusils, et des sculptures en métal provenant des bombes. Nous n’avons pas le temps de parcourir toutes les salles, les gardiens nous poussent vers la sortie à 17h.
La guerre d’Indochine a fait plus de morts Français (60 000 dont un tiers de métropolitains, le Routard parle de 92 000) que la guerre du Viet Nam chez les américains (57 000), quatre millions de vietnamiens ont été tués ou blessés.
Nous allons vers le centre ville où nous assistons à un accident entre deux motos ; l’un tombe et se relève aussitôt pour éviter le flot qui déferle derrière lui, la femme de la deuxième moto perd le contrôle du véhicule monte sur le trottoir, tombe, tandis que l’engin aboutit dans le mur. Aucun blessé !
Nous poursuivons prudemment notre chemin jusqu’à la poste centrale conçue par Eiffel ; très bien restaurée, proprette, elle a conservé beaucoup de charme tout en étant fonctionnelle, les cabines en bois sont conservées, des boutiques de souvenirs occupent le centre et les côtés de l’entrée sans dénaturer l’ensemble.
Le ciel bleu recule devant les nuages ardoise et noirs, menaçants. Nous cherchons rapidement abri chez le glacier Fanny. Nous sommes moins enthousiastes que la première fois.
Nous rentrons lentement à l’hôtel et croisons à nouveau un couple de mariés en pleine séance de photos artistiques devant la poste.
Au restau tout près de chez nous, à l’étage servi par une serveuse en mini minijupe, nous nous calons avec des rouleaux en grande quantité et des noodles sautés mixed conséquents. Dans l’hôtel nous montons jusqu’au septième juste pour jeter un coup d’œil car il y a un mariage, annoncé avec photos à l’entrée de l’établissement. Sono à fond et beaucoup de monde.

mardi 9 février 2010

La foire aux cochons


Petit Luc, le dessinateur de BD, connu pour ses rats facétieux nous amuse en trois albums avec des vaches et des cochons. L’idée de faire se réincarner en porcs, les plus grandes fripouilles de l’histoire est excellente, surtout quand notre héros national, Victor Hugo se demande pourquoi il a comme compagnons de porcherie Napoléon, Landru et autre Hitler.
Les dialogues sont savoureux quand chacun tout en essayant de modifier sa nature retombe dans ses travers ou les assume. Riche idée, mais cependant un peu étirée. Les dialogues deviennent envahissants quand débouchent trop de personnages, des Nicolas II et Staline après Lénine, Bonnot et Isadora Duncan… Trop de lard pour l’art.

lundi 8 février 2010

La tisseuse

Il n’est pas besoin de convoquer Kant, Lacan, Lao Tseu … comme le fit le philosophe chargé de présenter le film qui ouvrait la biennale de Cinéduc consacrée au bonheur. Le film beau et fort de Wang Quan An, réalisateur du "Mariage de Tuya", se défend très bien tout seul. Pourtant le brillant présentateur, du genre à être dans l’incapacité de laisser la parole aux autres tant il déborde de notes, de citations, de références avec la formule « Tchékhov : vous connaissez bien sûr » qui a le don de m’horripiler, nous a permis de décrypter derrière de belles images quelques métaphores, des intentions qui ajoutent à la profondeur du film. Ainsi ce tissu rouge qui envahit l’image : c’est le destin, et nous pouvons apprendre également à remarquer que la mer, où le personnage principal revient, est gelée. L'histoire d'une ouvrière, d'une jeune femme, d'une belle chinoise. S’affranchir des autres pour infléchir son destin individuel est une tâche difficile sous tous les climats. Dans ce film même les artifices narratifs sont magnifiques, cette œuvre rend compte d’une réalité sociale qui évolue à grands bonds et raconte tout en finesse une tragédie personnelle.
« ll n'y a point de chemin vers le bonheur, le bonheur est le chemin » Lao Tseu

dimanche 7 février 2010

Terre océane

Salle de création à la MC2, nous sommes plus près des acteurs et pour un spectacle comme celui là le plaisir en est accru. Pourtant quand dans le programme est mentionné :
« …toute la pièce est un hymne à la magie de la vie… » L’ambition est élevée. La réponse au bout de une heure cinquante est évidente : un des sommets de la saison théâtrale.
La découverte de l’auteur Daniel Danis est jubilatoire : ce contemporain parsème de pépites de mots québécois une écriture magnifique, poétique et forte.
Deux hommes, l’un des villes et l’autre des bois accompagnent un enfant dans les derniers mois de sa vie : tout pour un mélo bien charnu. Au contraire tout est subtilité et intensité avec des moments d’émotions, de sourire, de vie, d’appétit renouvelé. Il est question des images, de l’ivresse, de la mort regardée en face, de la paternité, dans une belle mise en scène sans forfanterie de Véronique Bellegarde. Des acteurs superbes nous emmènent au-delà de nos histoires personnelles vers les questions essentielles, l’un avec la dégaine du sacré père Noël de Briggs et la femme jouant un enfant avec des airs de Little Némo.

samedi 6 février 2010

Le travail : épanouissement ou aliénation ?

Dernier écho des débats de Libé auxquels j’ai assisté en septembre 2009 à Lyon, dont j’ai étalé la douzaine de compte-rendu jusqu’à aujourd’hui.
Le chômage croit encore, la souffrance au travail tue.
Chercher du bois, de l’eau occupe tout le temps d’une part essentielle de l’humanité,
et la misère est la cause principale de la mortalité sur la planète.
Alors retrouver le sens des mots, rappeler que le vocabulaire qui structure la pensée est au cœur de l’intérêt de ce type de discussions et quand ce sont des praticiens tels que le directeur général de Danone Emmanuel Faber et le président d’ATD-Quart monde Pierre Saglio qui font part de leur expérience, nous échappons aux bavardages académiques : activité, employabilité, « demandeur d’emploi », « marché de l’emploi », « ce travail ne conduit pas à l’emploi » « la priorité accordée à l’emploi ne conduit pas à sacrifier le travail ? »…
Il est loin le temps de l’expression : « perdre sa vie à la gagner » quand un homme qui n’a cessé de travailler dans la précarité dit : « quand on trouve du travail, on devient plus homme… »
La culture de l’ « avoir » braquée sur la rémunération, rend plus problématique la croissance de l’ « être » quand se distingue le temps « libre » de celui du travail.
« Il y a du pain sur la planche ».
J’entends ces débats, je lis des articles, mais intimement j’ai des difficultés à concevoir un rapport problématique au travail : mon grand père, maréchal ferrant, était fier de son travail et mon père a vécu, paysan, sans déchirement, moi l’instit j’ai aimé ces heures, déraisonnablement. Et toi, fiston, qui finis à point d’heure ?

vendredi 5 février 2010

Médium

A la recherche du dernier numéro consacré à « NOUS », j’ai connu un numéro plus ancien de « Médium » la revue trimestrielle de Régis Debray et je me suis régalé. Le format carré est agréable à lire avec des articles à la bonne mesure pour approfondir un sujet sans être assommé, et des sujets aussi divers que l’ADN, Wikipédia, les intégristes… Nous sortons des clignotements de l’actualité en y retournant avec un brin de subtilité de plus.
« Le déclenchement de l’exaltation hyperreligieuse nécessite l’action conjuguée de deux besoins innés : le besoin d’attachement et le besoin de la cause première… »
« rien n’envoûte autant l’homme que de courir après le fantôme d’un point d’origine »

J’ai laissé de côté les pages concernant le Québec, par contre l’information scientifique claire sur l’ADN permet de mettre à jour notre idée de l’homme, de notre liberté. Et le rappel de l’origine du mot « think tank » expression militaire (un bunker où préparer les plans de bataille à l’abri) avec « ses traductions équivoques : une boite à penser ou bien un réservoir où puiser des idées » nous éclaire. Comme l’interrogation concernant l’inversion des valeurs entre la fiction et la biographie, de même que la visite guidée des dispositifs que le clic met en branle : « rien ne consomme davantage de temps, de moyens matériels, logiciels et organisationnels que la fabrication de l’immédiateté apparente. »

jeudi 4 février 2010

Couleur sépia

Le musée de l’Ancien Evêché présente jusqu’en mars quelques photographes de la fin du XIX° siècle en Isère. Un cycle de conférences aux archives départementales de l’Isère m’a permis de mieux apprécier le travail de ces pionniers dont les épreuves aux rendus subtils ont nécessité beaucoup d’ingéniosité, de patience. Des vues de la Grande Chartreuse, des quais de Grenoble, des panoramiques magnifiques et déjà des alpinistes sur le glacier de la Meije. Il fallait bien au moins un assistant pour trimballer tout le matériel, celui-ci apparaît d’ailleurs sur quelques clichés. Des daguerréotypes émouvants dans leurs écrins ont toute la valeur des pièces uniques, et ne sont pas altérés par le temps. Ce qui ne sera pas le cas pour nos milliers d’images à la merci d’un plantage d’ordinateur, ou de la réduction à l’état de poussière de nos tirages à l’encre comme le prophétisait le conférencier par ailleurs passionnant. Celui-ci entretint un public pour une fois essentiellement masculin, des délices du collodion, des sels d’argent et des vapeurs de mercure qui écourtèrent pourtant la vie des premiers techniciens qui avaient préparé la voie aux artistes. Mais nous n’allons pas accabler nos héritiers sous l’avalanche de nos bobines même si les risques de surcharge ne sont pas certains : l’intervenant dans la belle salle de conférences de la rue Auguste Prud’homme nous rapportait la remarque de deux jeunes vendeurs dans une brocante, à qui l’amateur de photos anciennes demandait pourquoi ils ne conservaient pas les trésors contenus dans les albums qu’ils vendaient : « Vous avez vus la tête qu’ils avaient ! ».