mercredi 6 novembre 2024

Grand-peur et misère du III° Reich. Berthold Brecht Julie Duclos.

Brecht reste toujours d’actualité bien après que chut le mur qui divisait sa ville car l'extrême populisme s'impose plus que jamais. Pourtant ce n’est pas faute de secouer les sonnettes, les trompettes, les cloches, en papier, en images, en paroles.
« Après la chute de ce Reich, Grand-peur et misère du III° Reich ne sera plus un acte d’accusation. Mais il sera peut-être encore un avertissement ».
Les 2 h 20 de représentation découpées en treize séquences, jouées par une troupe conséquente, offrent un honnête moment de théâtre. 
L’auteur clairvoyant décrit dès les années 30 la puissance de la dictature nazie s’imposant dans l’intimité d’individus de toutes conditions, et comment même après la guerre et ses horreurs certains ont pu dire: « on ne savait pas ! » 
«  En juillet 1932 lors des élections législatives allemandes, le parti nazi d’Adolf Hitler devient le premier parti du pays avec 37, 3 % des voix » 
Dix ans avant la guerre, des camps de travail existent déjà, la société militarisée, les juifs persécutés, les intellectuels méprisés, la violence est partout. L’aggravation de l’oppression bien mise en évidence, ne s'est pas faite en un jour.
Des parents craignent que leur fils les dénonce, un boucher se pend avec un écriteau sur la poitrine: «  j’ai voté Hitler » après avoir refusé d’installer de faux jambons dans sa vitrine. La délation et le soupçon permanent abiment les hommes, quand le droit n’est plus le droit et que l’obéissance aveugle est la seule issue avec la fuite.
100 ans après, les démons resurgissent en Thuringe et en Saxe… partout. 
Sur le vaste plateau de la MC2, se révèlent analogies et écarts entre les périodes dans une mise en scène sobre.
Il n’est plus question de distanciation marque de fabrique du fondateur du Berliner Ensemble.

mardi 5 novembre 2024

Ceux qui restent. Busquet. Xoul

Scénario original traité comme un fait divers pour évoquer le temps conduisant des rêves de l’enfance à la raison adulte.
Nous suivons un couple de parents désespéré après la disparition de leur petit garçon qui réapparait cependant au bout de plusieurs mois vécus par celui-ci comme quelques jours.
La police est encore plus surprise lors d’un second départ de l’enfant répondant à l’appel du pays magique d'"Auxfanthas" par l’intermédiaire d’un "wumple". 
« Pendant que nos enfants sauvent d'autres mondes, ils ne comprennent pas les difficultés dans lesquels ils nous mettent...Qu'auriez-vous fait à leur âge si un être merveilleux était venu nous chercher pour vivre une aventure extraordinaire?
Nous serions partis tête la première, sans tenir compte de ce qu'auraient pu penser nos parents. »
 Face à l’incrédulité qui s’empare des voisins, des médias, après l’émotion initiale, père et mère trouvent du réconfort dans l’association discrète d'autres parents qui ont vécu la même situation étonnante. 
Les douces couleurs des dessins aux tons passés traduisent bien une poésie ajoutant subtilement du mystère à la réalité.

lundi 4 novembre 2024

All we imagine as light. Payal Kapadia.

Le titre « La lumière telle qu’on l’imagine » pourrait sembler ambitieux, alors que modestement persistent dans la mémoire quelques ampoules de couleurs habillant une guinguette, au bout des deux heures plutôt sombres et pluvieuses.
Trois femmes de trois générations, sans que cette structure soit trop didactique, se soutiennent : deux infirmières en colocation et une travaillant à la cantine, menacée d’expulsion. 
Veuve, elle retourne au village accompagnée de celle dont le mari travaillant en Allemagne ne donne plus signe de vie, et de la plus jeune qui entame une relation avec un musulman. 
Dans un contexte où la vision féministe va de soi pour rompre avec les mariages arrangés, aller contre les pressions communautaristes, surmonter solitude et précarité sociale, ces femmes en imposent par leur courage.
On n’oublie pas dans cette histoire traitée avec douceur, la ville de Mumbaï (Bombay), 12 millions d’habitants, décrite au début en quelques plans évocateurs d'un affolant foisonnement humain.
Lorsque Prabha, Anu, et Parvaty se réfugient, provisoirement pour deux d'entre elles, au bord de l’océan, l’introduction d’une dimension onirique, rappelant un autre film tout aussi indispensable, m’a semblé pour un instant tourner au procédé, mais adoucit l’âpreté des conditions des trois belles protagonistes. Oui belles comme on dit « belles personnes » alors que l'expression s'use d'être trop employée comme le mot « sororité » qui convient pourtant parfaitement à ce film.

 

samedi 2 novembre 2024

Trois contes. Flaubert.

Ce que je savais du genre « conte » tenait à leur caractère oral et imaginaire, alors que ce dernier ouvrage de Flaubert est on ne peut mieux écrit et pour la première nouvelle 
« Un cœur simple », terriblement réaliste.
Félicité, une servante, consacre sa vie à la famille qui l’emploie. 
Un perroquet bien-aimé dont elle hérite finira empaillé près d’une image pieuse appartenant à la domestique très croyante.
«  … elle pleura en écoutant la Passion. Pourquoi l’avaient-ils crucifié, lui qui chérissait les enfants, nourrissait les foules, guérissait les aveugles, et avait voulu, par douceur naître au milieu des pauvres, sur le fumier d’une étable ? » 
Je ne sais que me conformer à l’ancienne hiérarchie qui place Flaubert au plus haut 
«  Elles retirèrent également les jupons, les bas, les mouchoirs, et les étendirent sur les deux couches, avant de les replier. Le soleil éclairait ces pauvres objets, en faisant voir les taches, et des plis formés par les mouvements du corps. L’air était chaud et bleu, un merle gazouillait, tout semblait vivre dans une douceur profonde. »
Pour ceux qui trouvent le styliste trop appliqué, pourrait suffire ce court extrait:
« Un jour d’été, elle se résigna ; et des papillons s’envolèrent de l’armoire. »
Comment mieux dire ce moment où la servante accompagne sa patronne dans la chambre de sa fille morte? 
« Saint Julien l’Hospitalier » commence sa vie en chevalier héroïque, dans la fureur d’un moyen-âge enluminé : 
« Il vainquit les Troglodytes et les Anthropophages. Il traversa des régions si torrides que sous l’ardeur du soleil les chevelures s’allumaient d’elles-mêmes comme des flambeaux ; et d’autres qui étaient si glaciales que les bras, se détachant du corps, tombaient par terre ; et des pays où il y avait tant de brouillards que l’on marchait environné de fantômes. » 
Il finit sa vie misérable et solitaire, digne cependant de figurer sur un vitrail : 
« Alors le lépreux l’étreignit ; et ses yeux tout à coup prirent une clarté d’étoiles ; ses cheveux s’allongèrent comme les rais du soleil ; le souffle de ses narines avait la douceur des roses ; un nuage d’encens s’éleva du foyer, les flots chantaient. » 
Dans l’édition en livre de poche le troisième conte « Hérodias » comporte beaucoup de notes tenant parfois la moitié des 190 pages, nécessaires cependant pour s'y reconnaître dans la multiplicité des personnages et tenter de mieux saisir les références au temps des danseuses fatales, en Galilée. 
« Sous un voile bleuâtre lui cachant la poitrine et la tête, on distinguait les arcs de ses yeux, les calcédoines de ses oreilles, la blancheur de sa peau. Un carré de soie, gorge-de-pigeon, en couvrant les épaules tenait aux reins par une ceinture d'orfèvrerie. Ses caleçons noirs étaient semés de mandragores, et, d’une manière indolente, elle faisait claquer de petites pantoufles en duvet de colibri ».

vendredi 1 novembre 2024

Histoire littéraire des français. Charles Dantzig.

Le brillant écrivain érudit est un lecteur original bien qu’il se place parfois en surplomb des auteurs qu’il introduit.
L’évocation de l’histoire de notre pays traitée sous des angles divers nous passionne, d’Henri IV à De Gaulle, « Heures tristes » et « Many fêtes » pour reprendre quelques titres de chapitres.
Villon, Voltaire, Etienne Daho, Copi, Proust, Despentes, Stendhal à côté de Flaubert Bassompierre et tant d’auteurs dont je n’avais pas lu une ligne : Léon Paul Fargue ou Maurice Garçon permettent d'évoquer quelques grandes figures de l’Histoire ou celles des plus modestes aux histoires signifiantes. 
Comme dans un festival, la diversité des styles en exhalent encore mieux leur saveur.
« J’accuse » de Zola mérite sa place mais aussi un autre de ses textes « Les juifs ».
Eugène Sue : quelle vigueur ! 
Et Alphonse Daudet quelle richesse lorsqu’il décrit les charmantes nourrices enrubannées du jardin du Luxembourg avant de révéler leurs conditions d’embauche et comment elles surmontent leur condition.  
« Il vaut mieux avoir affaire à des ennemis intelligents qu’à des amis stupides. » 
Gambetta.
Du panorama émerge La France d’ailleurs, La France universelle, Paris vu par les étrangers, celle des « Petits enfants du siècle » avec Charlot rêvé depuis les tranchées, et Churchill francophile.  
« … un pauvre genevois disons-nous, bien élevé et bien lettré d’ailleurs, qui vint à Paris, il y a six ans, n’ayant pas devant lui de quoi vivre plus d’un mois, mais avec cette pensée, qui en a leurré tant d’autres, que Paris est une ville de chance et de loterie, où quiconque joue bien le jeu de sa destinée finit par gagner ; une métropole bénie où il y a des avenirs tout faits et à choisir, que chacun peut ajuster à son existence… »  
Victor Hugo  
Les tragédies côtoient la légèreté : Elisabeth de Gramont en 1914 : 
« Des jeunes gens insouciants disent :
« Vais-je rejoindre mon corps d’armée ou partir pour Le Touquet ? » 
Tocqueville en 1848 : 
« Ce que j’appelle l’esprit littéraire en politique consiste à rechercher ce qui est ingénieux et neuf plus que ce qui est vrai, à aimer ce qui fait tableau plus que ce qui sert, à se montrer très sensible au bien jouer et au bien dire des acteurs, indépendamment des conséquences de la pièce, et à se décider enfin par des impressions plutôt que par des raisons. » 
Pourquoi retenir ou écarter tant de formules heureuses, nourrissantes parmi les cent trente six écrits sur plus de mille pages ?
Si les slogans de « Nuit Debout » apparaissent bien plus plats que ceux de 68, l’enthousiasme de Théophile Gautier lors de la représentation d’Hernani est communicatif et on peut penser à nos  propres traces incertaines quand Remy de Courmont cite Verlaine: 
«  Dans le vieux parc solitaire et glacé  
Deux formes tout à l’heure ont passé ».  
A conserver auprès d’une BD tout aussi passionnante

jeudi 31 octobre 2024

Nécropolis. André Chabot.

Parmi 250 000 photographies réalisées dans plus de 70 pays, le conférencier devant les amis du musée de Grenoble, en bon « nécropolitain », nous invite à découvrir quelques statues mortuaires, poèmes de pierre en noir et blanc. Les noms des sculpteurs ne sont pas cités alors que leurs œuvres témoignent d’une époque d’avant une standardisation qu’il déplore. 
Après la première référence « Barcelone »  seuls les lieux seront mentionnés.
André Chabot a prévu une chapelle pour lui et sa femme au «  Père Lachaise » où les photographes amateurs ne manquent pas de se photographier dans les reflets d’un Reflex de granit.
Auteur de nombreux livres aux titres engageants : «  Sous les pavots la tombe », « La croix pour l’ombre »… Les références ne manquent pas pour un tour avec retour depuis l’au-delà en compagnie de Dante. Ont-ils croisé Anubis maître des nécropoles ?
Les livres d’Ariès, Barthes et Baudrillard ont guidé  l'ancien professeur de français dans un ciel chargé en anges de la mort :
Uriel frère de Lucifer, Azraël  présent dans la tradition hébraïque et musulmane.
Les dieux psychopompes comme Hermès conduisant vers Hadès, avaient eu bien du travail comme « l’Ankou » pour les Celtes et Charon pour les Grecs anciens.
A « Gènes » une statue pourrait donner le sentiment de souhaiter rejoindre la disparue
alors qu'un drap soulevé n’abolit pas le mystère
.
A « Venise » la belle au bois dort.
Les fils reconnaissants, les maris exemplaires ont souvent l’épitaphe poétique 
à inscrire sur cénotaphes, hypogées, ou tombeaux.
Dans la commune « Les Salles-du-Gardon » la sentence vaut pour tous.
Dans le cimetière St. Sebastian à
« Salzbourg » les chérubins marchent sur les crânes 
et des vers sortent par les orbites.
Le défunt dans son dernier face à face doit retrouver les saines couleurs de la vie.
Des baisers frémissent à Milan, 
un cortège accompagne le défunt pour toujours à « Séville ».
Le silence s’impose à « Bruxelles »,

mais des maisons de conte de fées sont construites dans le « cimetière des plaisirs » 
de « Lisbonne »
Un cimetière a pu s’écrouler à « Naples »
alors que « Londres » la ville tentaculaire conserve quelques lieux de repos charmants.
Si Internet ne recèle que certains clichés proposées ce jour là,
les couleurs prélevées sur la toile du « Cimetière Joyeux de Săpânța » en Roumanie rappelant la profession du défunt et les circonstances de sa mort sont plus guillerettes
que le phallique cactus sur la tombe de Siné même si la formule l’accompagnant :  
« Mourir, plutôt crever! » ne manque pas de vigueur. 
Victor Hugo, c’est quand même autre chose :  
« Ce n'est rien d'être mort, il faut avoir des rentes.
Les carcasses des gueux sont fort mal odorantes ;
Les morts bien nés font bande à part dans le trépas ;
Le sépulcre titré ne fraternise pas
Avec la populace anonyme des bières ;
La cendre tient son rang vis-à-vis des poussières ; »
Ce couple du
« Cimetière Montparnasse »,
croisant Eros et Thanatos dans leurs bourgeoises tenues, pourrait résumer la diversité des professions représentées, des artistes honorés, des athlètes immortalisés dans la pierre de tous ces champ du repos. 

mercredi 30 octobre 2024

Le funambule. Jean Genet Philippe Torreton.

Le début de saison à la MC2 se tient sur un fil.
Loin de la recherche de beauté du chorégraphe qui l'a précédé dans une salle plus prestigieuse, le célèbre acteur a mis en scène le texte sombre de Genet, dont il dit lui-même que c’est un auteur difficile « sans désir farouche d’être entendu » mais qu’il « veut enflammer ».
Eh bien malgré les grands noms sur l’affiche, aucun incendie à signaler.
L’histoire d’amour entre le poète et un funambule se réduit à un monologue.
La vérité résiderait dans la silencieuse prestation corporelle du fildefériste souffrant, les mots pourtant insistants étant proférés dans le vide. La musique apporte un brin d’émotion sans être envahissante et le décor déglingué dit bien l’abandon et les solitudes.
Nous avons applaudi l’acteur en « dompteur d’acrobate », le circassien virtuose, le musicien multi instrumentiste, qui ont fait leur boulot. 
Mais est-ce Torreton à la diction trop dure et emphatique où le texte et ses mots impuissants, pathétiques, qui supporte mal l’oralité qui ont rendu ce spectacle rugueux, obscur?  
Les paillettes poétiques en introduction sont oubliées au bout de l’heure et quart quand la mort invoquée métaphoriquement est au rendez-vous. 
D’instructives notes d’intention signalent  la difficulté de l’entreprise : 
« … notre inconfort face à Jean Genet, notre difficulté à le cerner, cette façon qu’il aura en toute sa vie de nous faire comprendre que nous nous sommes assis à sa table, sans lui demander sa permission. »