mardi 23 janvier 2024

La faim de l’histoire. Jul. Aïtor Alfonso.

Dans « 40 000 ans d’histoire du monde racontées par le menu » sous des titres aux jeux de mots bienvenus, nous nous amusons en nous instruisant.
Depuis « la guerre du pot-au-feu » 20 000 ans av J-C. jusqu’aux « Etoilés » des vols spatiaux en passant par « Le chevalier à la triste friture », nous suivons l’ordre chronologique rencontrant les grandes civilisations avec les somptueux marchés mexicains qui impressionnèrent Cortès lui-même ou les 108 plats à la table de l’empereur de Chine.
Le gavage des oies date des pharaons et l’autorisation de la consommation de toute viande  n’est pas pour rien dans la « promotion de l’ambition universaliste » de la religion catholique. Les témoignages de banquets les plus somptueux du temps des romains ou au « siècle des légumières » sont contés avec une certaine distance critique. 
La pénurie a pu toucher « les mieux portants de tous les mortels », les Egyptiens, alors que Cléopâtre qui avala d’après la légende une perle dissoute dans le vinaigre pour montrer sa richesse pouvait être jugée excessive et d’une légèreté coupable.
Cette centaine de pages documentées agréablement écrites, illustrées par Jul que l’on  retrouve avec plaisir, nous régalent.

lundi 22 janvier 2024

Les Trois Mousquetaires, Milady. Martin Bourboulon.

Plus politique que le premier chapitre, un rappel pour les enfants est peut être nécessaire pour situer ce qu’il en était alors des religions en guerre du côté de La Rochelle 
(paroles d’instit’).
Pour ceux qui souhaitent user des émotions avec modération, il conviendrait peut être aussi de préparer les petits au sort funeste qui attend Constance Bonacieux que les lecteurs de Dumas ont déjà « divulgaché» de toutes façons 
(paroles de grand-père). 
Heureusement que des chevauchées offrent de beaux moments de détente dans ces deux heures intenses de capes mystérieuses et d’épées virevoltantes.
Nous assistons à un grand spectacle où les personnages vivement brossés sont cependant complexes, ambigus, énigmatiques, sans nuire à la limpidité d’un scénario qui m’a semblé plus riche que dans l’épisode précédent.
Milady à cet égard est délicieusement vénéneuse, venimeuse, émouvante, magnifique.
L’adjectif devient généreux quand reviennent à la sortie de la salle des emballements enfantins 
(paroles d’ancien mousquetaire à la moustache dessinée au bouchon noirci).
La formule de Dumas valable encore une fois :  
« On peut violer l'histoire à condition de lui faire de beaux enfants » excusera facilement les libertés prises avec le roman. 
(paroles de Cyrano).

samedi 20 janvier 2024

L’amour. François Bégaudeau.

Ce n’est pas parce que l’auteur a pris  parfois des positions qui ne m’ont guère plu que je vais le « canceler » comme un vulgaire « woke », d’autant plus que je n’érige pas en système de partir en sens inverse en cas d’accueil critique favorable.
Trop « simple «  pour les Inrocks : raison de plus ! 
« D’habitude ils finissent plus tard mais là le patron est d’enterrement.
La femme d’un copain dont la R6 est rentrée dans un poteau électrique à l’entrée de Saint- Julien. La bagnole est morte aussi. »
L’écrivain ne m’avait pas toujours intéressé, cette fois beaucoup.
En 90 pages, la fulgurante histoire de Jacques et de Jeanne Moreau va à son terme, sans passion, alors que rien n’était gagné d’avance. 
« Avec le temps, comme les amis de l’un sont les amis de l’autre, les sorties personnelles se font rares. Les sorties tout court. Les téléphones sont à touches, les bouteilles en plastique, les mouchoirs en papier, les têtes d’homme nues, les machines à coudre envolées, le papier peint suranné, les baguettes tradition, les wagons non-fumeurs, les shorts de foot longs, et Jeanne et Jacques préfèrent le plus souvent lambiner pieds nus sur la moquette qu’ils ont choisie épaisse et vert d’eau. » 
A travers la vie modeste d’un homme et d’une femme de notre temps, Bégaudeau régénère le thème ambitieux de l’amour « ou ce qui lui ressemble » avec une originalité familière, une attention légère aux « choses de la vie », une sincérité qui joue du mensonge pour révéler la vérité.
« L’amour prend patience, l’amour rend service, l’amour ne jalouse pas. Il ne s’emporte pas, il n’entretient pas de rancune. Il ne se réjouit pas de ce qui est injuste, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai. Il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout, l’ amour ne passera jamais. »
 Le style rend avec virtuosité et humour, la banalité de nos réflexions. 
« Le chien qui a senti le gigot gratte à la porte. Il crotte le sol avec ses pattes pleines de terre. - Où c’est que tu as trainé encore ?  
Le cocker ne répond pas. »

vendredi 19 janvier 2024

Redoublement.

« - Comment ça va ?   
- ça va comme le temps. » 
Ainsi allons-nous d’alerte canicule à inondation, éruptifs, dépressifs, so sots.
Les inquiets des changements écologiques ou démographiques voient ces bouleversements comme des signes de l’« extinction de la planète » ou celui d’un « grand remplacement ».
Ces formulations absolues ont le mérite de la clarté, comme toute caricature, bien que les émetteurs respectifs ne veuillent pas reconnaitre une part de vérité possiblement émise par le camp adverse. 
Pourtant des liens existent : le réchauffement de la planète est une des causes poussant les migrants à quitter leurs pays pour venir dans une France pourtant si peu respectueuse d'elle même.
Ces querelles permises participent pourtant de l'attractivité de nos états démocratiques devenus minoritaires parmi d’autres nations où sont emprisonnés les audacieux capables de vérifier ce qu'est un vrai tyran.
Parmi quantité de sujets clivants, je me demande si chez nos transversales de chez les intersectionnelles, décolonisateur.es des femmes, a été prévu un paragraphe pour les afghanes et les iraniennes.
Querelleur ne prétendant pas entrer à Sciences po Grenoble, je me mets à l'écart des allergiques au terme « islamo-gauchiste » - pas forcément une insulte- abusant pourtant envers les autres du terme « islamophobe ». 
Autre débat « touchy », mot choisi de préférence à « délicat », pour faire djneu’s dans un argumentaire risquant de sentir la naphtaline dont il est difficile de savoir d'où vient l'odeur, il est question de l'école.
Nos résultats ne sont bons ni en instruction ni en éducation et les réponses en terme de moyens n’ont pas ralenti la dégringolade.
Le collège unique vilipendé au moment de sa création par les syndicats dont je faisais partie est défendu aujourd’hui par ces mêmes organisations qui veulent que rien ne change, alors qu’il serait temps de revoir le modèle car les inégalités se sont creusées sous l’étiquette finalement fallacieuse de « collège unique ».
Le temps long invoqué pour que les réformes soient évaluées est écoulé. 
« Sans une éducation d’excellence, notamment dans la science, la technologie, l’engineering et les mathématiques (STEM), notre pays court le risque de déclassement, grevant le pouvoir d’achat des particuliers et la capacité de la puissance publique à investir dans la santé, la transition écologique ou… l’éducation. »  
Jean Tirole Prix Nobel d’économie
Je ne sais si les groupes de niveaux seront miraculeux mais une nouvelle dynamique peut naître dirigée vers le haut plutôt que s’endormir dans l’indulgence en ignorant les capacités de progrès de ceux qui sont en difficulté. Respecter les élèves c’est dire la vérité. 
Le « peux mieux faire » est plus éducatif que l’octroi de 5 points pour avoir seulement écrit son nom sur une copie. 
La revalorisation de l’avis du professeur en matière d’orientation est déterminante de même que l’annonce de la fin du « pas de vagues » parait susceptible d’encourager les courageux. L’orientation doit impliquer les familles pour ne pas laisser aux initiés la priorité des  bons choix. Les ambitions mal informées, souvent indexées sur les représentations du milieu d’origine masquent le bouton accessible de l’ascenseur social et souvent s'épuisent. 
« Puisqu'on ne peut changer la direction du vent, il faut apprendre à orienter les voiles. » James Dean

jeudi 18 janvier 2024

Les métamorphoses du blanc. Catherine De Buzon.

Pour introduire la conférence, « La pie » de Monet s’imposait en tant que tableau préféré du président de l’association des amis du musée de Grenoble qui a repéré cinq tableaux avec de la neige dans le musée de la place Lavalette. 
La pipelette est volubile comme le blanc. 
« Le sacré et le profane résonnent puissamment en sa présence» ainsi que l’innocence.
Les ombres colorées rendent craquant le tapis immaculé où se devinent les nuances de blanc nées du gypse et du kaolin, de la céruse et du blanc de zinc ou de titane, saisissant vivement l’instant dans toute son épaisseur.
Le blanc somme de toutes les couleurs, n’est pas une couleur pas plus que le noir, son contraste depuis l’invention de l’imprimerie. Avant l’ivoirin tranchait avec le rouge.
https://blog-de-guy.blogspot.com/2022/05/les-couleurs-et-les-innovations-au-xix.html
Dans le froid et le silence, sont unis les plans des « Chasseurs dans la neige » 
de Brueghel.
Turner
sublime la nature, sa violence, avec « Tempête dans la vallée d’Aoste »,  
« l’horreur délicieuse ».
Repérer l’homme. 
Un bateau s’enfonce, les blocs de glace s’élèvent dans «  La Mer de glace » de Friedrich.
L’alpiniste Gabriel Loppé sait bien raconter « Glacier et Alpinistes »
quand le canadien Maurice Cullen  nous fait partager « La Fonte des neiges ».
Ivan
Aivazovski faisait ses esquisses au crayon, puis de mémoire créait « La vague ».
« Niagara » de Church célèbre l’énergie implacable, le pouvoir de la nature, 
 et dans l’arc en ciel, « le baptême cosmique d’une Amérique primitive ».
Lors du « Retour de la pêche » du solaire Sorolla, les friselis de la Méditerranée apaisent. 
https://blog-de-guy.blogspot.com/2022/04/sorolla-catherine-de-buzon.html
La page blanche reste à écrire : Joan Miro « Ceci est la couleur de mes rêves ».
Comment donner écho à la musique ? Kupka  hybride : « Les Touches de piano. Le Lac ».
Comment conter le mouvement ? Giacomo Balla capte le tumulte « Velocità astratta ».
Mondrian
met le cosmos en ordre géométrique. « Composition avec deux lignes ».
Après le carré blanc de Malevitch,  
« The Stations of the Cross » de Barnett Newman  proposent la liberté.
« Noé et la colombe » sur une mosaïque du XIe siècle dans la basilique Saint Marc de Venise marie l’or du divin et l’oiseau que Satan, habile en transformations, ne peut imiter.
« Jésus et les docteurs »
de Théodule Ribot met en évidence l’impeccamineux.
« L’Adoration des bergers » de Zurbaran au Musée de Grenoble présente le lumineux enfant sur un tissu qui sera celui de son linceul.
Rubens
situe « Saint Augustin entre le Christ et la Vierge », effusions de sang et de lait.
Et John William Waterhouse fait tomber la neige en plein été en Espagne au dessus de la jeune « Sainte Eulalie » martyre pour avoir renoncé à renier sa foi. 
Une colombe vient de s’échapper de sa bouche.
Derrière le « 
Jeune chevalier » de Carpaccio, apparaissent
la formule : « Plutôt la mort que le déshonneur » et une hermine qui mourrait si elle se souillait.
Le temps est suspendu autour du « Pierrot » de Watteau, gauche et timide,
il ne joue pas la comédie.
Mais il ne peut se désespérer autant que « Pierrot s'en va »  de Mossa
dont la belle s’éloigne.
Les solitudes se cristallisent devant « Le mur blanc » de Giovanni Fattori.
« Henri IV » par Jean Baptiste Mauzaisse cumulait avec son panache et son cheval, 
les attributs de la royale couleur.
Bien sûr il y a bien des symphonies en blanc, mais qu’il est difficile de choisir tant de scènes charmantes dans les draps froissés de la sensualité, « La Chemise enlevée » de Fragonard.
Quelle est « La substance dont les rêves sont faits » John Anster Fitzgerald ?
Toutes les nuits ne peuvent être blanches.« Le blanc lunaire » figure parmi les couleurs répertoriées par la SNCF, Lionel Walden « Les Docks de Cardiff ».
Hygiénique « Le tubage » de  Georges Chicotot médecin, radiologue 
se voit au Musée de l’AP-HP.
Andrew Wyeth, et non « White » comme j’avais compris, cherche l’indomptable teinte  
« Le vent de la mer »  « Winter Carnival ». 
« Le peintre ne doit pas peindre seulement ce qu’il voit en face de lui, mais aussi ce qu’il voit en lui. » Friedrich.

mercredi 17 janvier 2024

Stéréo. Decouflé.

Peut être parce que nous avons tant aimé les spectacles de Decouflé à la MC2, 
après sa découverte aux JO de 92 et que le souvenir d’un emballant « Chantons sous la pluie » est proche, la représentation de ce soir nous a parue ordinaire.
Bien sûr le thème rock and roll appelait du rythme mais celui-ci est modéré par des bavardages qui au début font sourire puis lassent. 
Les danseurs chanteurs acrobates, les performeurs, doit- on dire, sont souples et coordonnés, mais les mouvements ont déjà été vus comme si la créativité du chorégraphe s’était tarie.
Les morceaux de musique joués par un trio guitares batterie se succèdent comme au music-hall et régalent le public qui assiste donc à un concert dansé. 
Les costumes, les chaussures sont sympas mais le moment des surprises est passé ; un bon moment quand même.

mardi 16 janvier 2024

Céleste. Chloé Cruchaudet.

Céleste Albaret venue de la campagne a travaillé au service de Marcel Proust. 
« Il passe son temps dans son lit, à travailler et à respirer les fumigations pour son asthme...En-dehors de la cuisine, ne fais surtout aucun bruit. Il ne supporte rien... Il a fait tapisser les murs de sa chambre avec des panneaux de liège. »
Les milieux sociaux sont aux antipodes, mais ces 115 pages sveltes bien documentées témoignent que des personnes qui se respectent peuvent faire mieux que cohabiter.
Le sous-titre : « Bien sûr monsieur Proust » pourrait laisser croire à une contrainte aliénante alors qu’avec légèreté est contée l’évolution de leur relation dans un rapport maître- servante décrit avec subtilité. 
La jeune fille tellement dépaysée en milieu parisien « reste à sa place » mais joue un rôle essentiel pour satisfaire les manies de l’écrivain tellement fragile qu’elle admire sans s’oublier. 
« Être avec lui, l'écouter, lui parler, le regarder travailler, l'aider dans la mesure de mes moyens... C'était comme de se promener dans une campagne où il y a partout de nouvelles sources qui jaillissent... » 
Le scénario habile met en scène deux antiquaires venus chez « la gouvernante » maintenant âgée auprès de son mari ancien chauffeur qui l’avait fait entrer au service de l’auteur d’ « A la recherche ». 
Les dessins simples et aériens décrivent l’époque avec ce qu’il faut de personnalité rêveuse, alliant originalité et fidélité pour évoquer un autre siècle.