mercredi 10 janvier 2024

Oh Johnny. Liora Jaccotet.

Six ans déjà que Jean Philippe Smet est mort après 3 280 concerts et plus de mille chansons interprétées.
Il était bien plus qu’un chanteur pour ses admirateurs que la jeune metteuse en scène installe au Petit théâtre de la MC2. Une enquête a précédé la représentation et rappelle des démarches tout aussi fécondes, restituant avec respect des paroles rarement présentes sur les plateaux.
L’évocation de ces années adroitement menée va au-delà de la description d’un fan club, en développant les portraits de la femme du garagiste, de sa copine mariée à un handicapé, d’un collectionneur et d’un imitateur.
Un hommage national avait été rendu à Johnny Hallyday, phénomène français, marqueur du temps de la jeunesse. Ce moment solennel interrogeait  même ceux qui l’avaient méprisé. 
Il était de droite et la perplexité perdure à propos de la dissociation entre classes sociales et préférences culturelles.   
La pièce évite ces bavardages et habilement, aimablement, ravit les spectateurs invités après la représentation à un karaoké après 1h 30 d’émotions, de sourires, d’empathie.

mardi 9 janvier 2024

Les week-ends de Ruppert & Mulot.

La publication de ces dessins dans les colonnes du journal « Le Monde » en 2014 au format de 36 cm de haut sur 55 mm de large a poussé à l’inventivité Florent Ruppert et Jérôme Mulot aux patronymes très BD.
Les dialogues égrenés de haut en bas sont teintés d’humour noir et absurde allant vers un politiquement incorrect encore plus réjouissant en 2024. 
« Il y a moins d'étoiles filantes quand on se rapproche de la rentrée. T'as remarqué ?
- Attends, commence pas à foutre la mauvaise ambiance avec ta rentrée, laisse-nous profiter des vacances jusqu'au bout, on va en voir des étoiles filantes, faut attendre un peu c'est tout.
- Zéro étoile filante, c'est con, j'aurais pu faire un vœu par rapport aux bouchons demain. »
 
Rassemblées en album les scènes souvent situées en des lieux de loisir, perdent un peu en surprise. Les moments de poésie s’effacent sous les vomissements d’une choriste ou la répétition de moments angoissants. Lorsque le format se remet parfois à la pleine page et que les dessins perdent leurs couleurs, les personnages qui ne sont plus forcément perdus dans le paysage, semblent bien raides et maladroits.
Étroit et un peu court.

lundi 8 janvier 2024

Past lives - Nos vies d’avant. Celine Song.

Ce premier film apporte un regard neuf d’autant plus précieux que la trame de deux amis d’enfance se retrouvant est assez classique comme est familière l’interrogation sur le hasard des rencontres. 
Les personnages se cherchent atténuant par leur honnêteté l’usure opérée par le temps et l’éloignement entre la Corée native et une nouvelle vie américaine.
Loin de toute violence, le dépaysement est bienvenu, même si la gentillesse, l’humanité de chacun n’évitent pas les larmes.
Dans un format tranquille de 1h 50, des acteurs à l’émouvante sobriété, expriment toute la délicatesse du propos.
L’amorce est féconde quand une voix off se demande quels sont les rapports des trois protagonistes présents dans un bar à une heure tardive de la nuit. 
D’autres séquences pudiques, magnifiques, enrichissent la complexité des rapports amoureux traités avec une sincérité non dénuée de nostalgie.   

samedi 6 janvier 2024

Se croiser sans se voir. Jean-Laurent Caillaud.

A partir d’un mot glissé sous une plaque commémorative telle qu’on ne sait plus les voir, 
des lettres s’échangent : 
« Vous qui passez devant cet immeuble, ayez une pensée pour Frédéric.
Il est mort pour vous. Le 21 août 1943. Il avait 19 ans.
C'était mon meilleur ami.
Il voulait faire le tour du monde après la guerre.Il n'a pas pu. » 
De brefs échanges rassemblés en 126 pages témoignent d’une mémoire réinvestie par les passants avec des évocations de personnages qui laissent à leur tour une trace respectable.
Ne sont pas ignorés quelques messages témoignant d’autres préoccupations : 
«S’il vous plaît, qu’est-ce que je fais de toutes ces fleurs, moi maintenant ?
Et bravo pour les bougies, ça dégouline de partout.
La gardienne du 149. » 

vendredi 5 janvier 2024

Guère.

En appréciant à l’écran des combats bien chorégraphiés du temps des mousquetaires, je pensais à d’autres batailles terriblement actuelles :  
« depuis le temps, décidément les hommes… » 
Je suis l’un d’eux, violent ou manquant de courage, ajoutant une banalité à une autre : 
« Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui » Sartre
Les canons de Gaza ou d’Ukraine, apparaissant aussi sur écran, nourrissent nos scrolls.
Là bas les hommes s’attachent à tout détruire, l’affirmation de leurs empires sans innovation sinon pour tuer, les mène vers le néant.
Derrière nos climatiseurs ronronnants, peut s’affirmer le sentiment que toute contribution aux débats politiques équivaut à une dilution homéopathique de 5 CH (10–10 = 0,0000000001 soit un dix-milliardième). 
Certains croient à la goutte d'eau du colibri, à l’homéopathie, d’autres pas.
D’ailleurs que dire de plus après Angus Deaton, prix Nobel d’économie en période de paix ? 
« La mondialisation est devenue une source de mécontentement. 
Qu’elle ait contribué à une réduction sans précédent de la pauvreté n’a pas apaisé les colères dans les pays riches, attisées au contraire par ce succès » 
Avant qu’une nouvelle chasse une autre nouvelle: nous avons été contemporains de Jacques Delors quand l’histoire soufflait par là et nous effleurait. Mais un sourire indécent en temps de funérailles pourrait naitre à entendre louer la rigueur du défunt par ceux qui ont manqué tellement de courage.
Malgré la prophétie médiatique auto-réalisée de la fin du « en même temps », je ne sais voir que si nous sommes là où nous sommes, ce n’est que le résultat de nos passions, de nos actions paradoxales, faites par les hommes de tous bords propulsant la roue de l’histoire à coups de contradictions.
C’est le moment de ressortir Clémenceau :
« la Révolution française est un bloc dont on ne peut rien distraire ».
Les raisons généreuses apportées par les scientifiques jouent sur les décisions des états, des banques, des publicitaires, ceux-ci ont à prendre en compte aussi les peurs de leurs électeurs, l’avidité de certains clients, la surdité des autres.
Les bilans étaient au programme de fin d’année, mais s’oublient au moment des résolutions du début de la période nouvelle. Les rapports finissent dans les tiroirs pas seulement dans les ministères mais aussi dans la zone de mon propre magistère.
En choisissant de grandes sphères voire en m’en tenant à la forme hexagonale, je risque de partager le maillot tricolore avec des compatriotes qui taisent des conditions personnelles satisfaisantes, se pardonnent des décisions contestables, mais pointent sans cesse le négatif autour ou au dessus d’eux, vilipendent les autres et tout ce qui bouge. Jamais responsables de rien, ils sont quelques uns à distribuer sans retenue l’infamante étiquette de nazi au moindre contradicteur banalisant l’extrême droite, tout en soulignant leur propre faiblesse argumentaire. 
« J’essaie de ne pas vivre en contradiction avec les idées que je ne défends pas. »
Pierre Desproges

 

jeudi 4 janvier 2024

Les martyrs de l’art. Serge Legat.

Dans la série des artistes maudits, le conférencier devant les amis du musée de Grenoble nous présente Hugo Van Der Goes dont Erwin Panovsky auteur de l’ouvrage « Les primitifs flamands » écrivait qu’il « est peut-être le premier artiste qui incarne un concept inconnu au Moyen Âge, mais en haute faveur depuis lors dans l’esprit des Européens, celui de l’homme de génie à la fois béni et maudit par le destin, parce qu’il est différent du commun des mortels». « Portrait d'un jeune homme ».
Cet artiste du XV° siècle dont seulement nous sont parvenus 13 peintures et 2 dessins a été reconnu à la cour de Bourgogne. Plus tard sombrant dans la mélancolie, il est entré comme novice au prieuré du Rouge-Cloître où il continue à peindre. « L'adoration des Mages »
Le goût du détail, la personnalité de chaque personnage bien distinguée, les couleurs vives constituent sa signature. 
Le chagrin des apôtres est expressif autour de la mère pétrifiée « La Mort de la Vierge ».
En 1872, Emile Wauters retiendra : « The Madness of Hugo van der Goes ».
Le Greco
(Domínikos Theotokópoulos), né en Crète en 1541, d’abord peintre d’icônes puis formé près du Titien, se révèle à Tolède où il meurt  en 1614, avant d’être remis au goût du jour au XIX° siècle.
 
« Le Martyre de saint Maurice » aux lignes étirées dont les plans se télescopent, ne laisse pas de vide. Sa peinture étrange a nourri des légendes concernant l’homme.  
Le peintre maniériste est expressif dans une originale « Vue de Tolède sous l’orage » 
à l’éclairage fulgurant.
L’« Enterrement de Casagenas » de Picasso dialoguera
avec « L’enterrement du comte d’Orgaz » du Gréco.
Pontormo
dont l’« Autoportrait »  apparaît un peu fané appartient lui à l’école maniériste florentine. Mais beaucoup de ses œuvres ont été détruites, et ses travaux monumentaux inachevés. Il finira dans le désespoir, après avoir été porté aux nues.
« La déposition du Christ »
accentue les expressions et les couleurs, idéalisant la scène.
Felix Nussbaum
, peintre de la nouvelle objectivité a réussi à s’échapper du camp de Saint Cyprien « Le réfugié ». Il  meurt en 1944 à Auschwitz avec sa femme Felka Platek. 
« Si je meurs, ne laissez pas mes peintures me suivre, mais montrez-les aux hommes ».
« Le triomphe de la mort (les squelettes jouent une danse) » 
dont l’intitulé rappelle Bruegel fait penser aussi à Bosch.
Son « Autoportrait au Passeport Juif » est devenu un symbole de la shoah.
Géricault
né dans une famille royaliste en 1791, auteur du très républicain « Radeau de la Méduse » qui dénonçait l’incurie monarchiste fut pourtant félicité par Louis XVIII. 
« Monsieur, vous venez de faire là un naufrage qui n'en est pas un pour son auteur.»
 https://blog-de-guy.blogspot.com/2017/06/gericault-f-giroud-g-mezzomo.html
« Etude de bras et de jambes »
et « Têtes de suppliciés décapités » préparaient la retentissante toile qui fut mieux reçue en Angleterre qu’en France.
Il fréquente l’hôpital de la Salpêtrière. « La Monomane de l’envie » 
Devenu l’incarnation de l’artiste romantique, il excelle à représenter les chevaux et à monter les plus fougueux, l’un d’eux va le faire chuter. 
Il entre dans une longue agonie, miné par la tuberculose des os et la syphilis. 
« N’est-il pas triste de mourir à 33 ans avec le regret de n’avoir encore rien fait 
de ce que l’on a senti ! »
Ary Scheffer «  La mort de Géricault »

mercredi 3 janvier 2024

Chantons sous la pluie. Candide orchestra Ars Lyrica.

La troupe belge nous a servi, sur un plateau bien garni de 15 danseurs-chanteurs-comédiens, 
la reprise de la très célèbre comédie musicale des années 20,
avec un orchestre de 20 musiciens : les fêtes de Noël avaient pris de l’avance.
Les imperméables sont dorés, la pluie est une bruine et même si les voies sur berge étaient submergées par une eau tellement attendue, nous avons gouté la métaphore, quand pour nous ce n’est que de l’eau qui tombe des cintres et non des bombes et qu’il fait bon depuis l’enfance de danser dans les flaques.
La compagnie a la politesse de sur titrer les chansons et de jouer en français, la musicalité de la langue anglaise est respectée. La dynamique de la chorégraphie, l’optimisme des mélodies, l’impulsion donnée par les claquettes constituent un langage universel. 
Ce monument du music hall de Gene Kelly et Stanley Donen situé au moment du passage du cinéma muet au parlant sous se airs enjoués, nous parle aussi du vrai et du faux depuis Hollywood. 
L’illusion est préférable parfois à une réalité dont nous sommes amenés à douter quand trop de  fake news se mettent au balcon. 
« Let’s sing in the rain »