lundi 6 mars 2017

20 th century women. Mike Mills.

A la fin des années 70, Carter, le président  des Etats Unis- « The times they are a changing »-  déclare dans le discours dit du « malaise » :
 « Je souhaite maintenant vous parler d'une menace fondamentale qui pèse sur la démocratie de notre pays… Cette menace est à peine perceptible par des moyens ordinaires. Il s'agit d'une crise de confiance. Il s'agit d'une crise qui frappe la volonté de notre nation en son sein même, en son âme et en son esprit. Nous percevons cette crise à cause du doute croissant que l'on porte sur la signification de nos propres vies et de la perte d'un objectif unique pour notre nation…. Nous nous rendons compte que la propriété et la consommation ne satisfont pas notre quête de sens. »
Ces paroles que tous les protagonistes écoutent à l’issue des deux heures de film donnent tout son sens au titre ambitieux.
Une mère implique deux autres femmes dans l’éducation de son fils adolescent ; il s’avère que ce jeune est moins déboussolé que l’ingénue ingénieure, en voie de perdre elle aussi son innocence. Les acteurs sont excellents et le traitement des difficultés de l’éducation par trois générations de femmes féministes est original, drôle sans caricature, tendre, indulgent.
La forme de cohabitation dans laquelle vivent les protagonistes dont on remarque aujourd’hui la clope constamment collée au bec, peut évoquer un autre film récent : « La communauté ».
Mais dans la chronique américaine, les personnages ont bien plus de profondeur et de mystère que ceux décrits par l’auteur de Festen
Les dialogues sont riches et sans lourdeur. Musique et danse loin d’être décoratives, tiennent une place centrale dans la narration.
Comme l’écrit Jean Serroy dans le Dauphiné Libéré :  
« Tout cela donne une comédie douce- amère, où passent la solitude, les peurs, les traumatismes, la douleur et la joie de vivre, et où s’écrit, de façon très américaine, la vie d’une femme – superbe Annette Bening – se frayant sa voie de femme libre. » Essayant de se frayer.

dimanche 5 mars 2017

Volver. J.C. Gallotta, O. Ruiz


Volver = revenir .
Gallotta, le régional de l’étape, était de retour dans ses murs, attendu par une salle de la MC2 archi pleine, ce qui me semble assez rare ces derniers temps, pour être signalé. 
Mais moi l’inconditionnel, je n’ai pas été emballé par ce spectacle venant après plus d’une soixantaine de créations  
Je me serais volontiers contenté de la danse et de la musique, car Olivia Ruiz n’est pas Bashung, pourtant son tour de chant très professionnel mené en dansant sans un essoufflement tient de la performance, mais c’est peut être aussi ce côté trop lisse qui a éloigné pour moi toute émotion.
Le grenoblois s’est trop effacé face à la dynamique carcassonnaise, pour livrer un tour de chant chorégraphié plutôt que la comédie musicale annoncée, malgré des musiques sympathiques.
La chorégraphie où je retrouve les gestes familiers de l’immigré italien, ses petites cavalcades, accompagne harmonieusement «  La femme chocolat », mais je n’ai pas vu l’intérêt d’une voix off qui tire vers la mythologie le destin de la grand-mère venue d’Espagne, rebaptisée Joséphine Blanc.
L’ambition d’exposer le sort qui fut fait à 500 000 réfugiés républicains, rapporté au sort tragique des exilés d’aujourd’hui en Méditerranée est lourde à assumer quand sont parsemées par ci par là quelques chansons d’amour avec  de surcroît la mort de l’amoureux qui voulait commettre un attentat contre un ministre de l’intérieur.
Il y a 50 millions d’apatrides dans le monde en 2017.
Vidéos, chansons, récit en voix off auraient pu produire avec neuf brillants danseurs, un spectacle total ; ce soir, j’avais besoin de plus de simplicité et de moins d’explicite car la poésie peut être plus volontiers au rendez vous des mouvements accordés des corps quand confiance est faite au spectateur. Déjà que la danse me semble se raréfier à la MC2, si les éclaireurs s’assagissent, faudra-t-il aller à Lyon pour s’étonner ? Il est vrai que ça prendra à peine plus de temps que pour traverser la capitale de la particule fine et de la noix.
  

samedi 4 mars 2017

Sous le compost. Nicolas Maleski.

Pour une citation, je suis allé vers ce livre aux vertes fragrances :
« L’amitié ça va quand on est jeune ; après on se traîne les vieux copains comme des témoins gênants de ce qu’on était jadis »
C’était l’assurance de ne pas s’endormir si tout était de ce tonneau pendant 280 pages : promesse tenue.
Et l’on monte en gamme. J’ai pensé à Older pour les voisinages à la campagne, en plus trash, à Djian jeune pour la vigueur du style.
La vive chronique villageoise passe d’histoires de coucheries à un malaise habillement préparé alors que les incertitudes vacillent.
« Le café avait une odeur fantastique dans le froid de ce petit matin sauvage, au sortir d’une nuit blanche. Le soleil ne tarderait pas à avoir la main lourde. Les tournesols dans la pente, allaient ouvrir leurs gueules béantes. Nous étions comme à l’aube d’un truc nouveau. Mais il restait encore une place pour la libération d’une vraie parole. »  
Le narrateur est misanthrope, cynique et drôle, il s’occupe de ses filles et de son jardin, il peut  être également bienveillant, lucide et aveuglé, séduisant et bourru, original et sans façons, comme l’écriture nerveuse qui révèle les êtres sans en avoir l’air.
L’humour (noir) peut préserver, les adultères en milieu rural être distrayantes, la patience attendue de la part d’un jardinier peut valoir en toutes circonstances.
 A la fois paisible et nerveux, surprenant et familier, ce premier roman m’a bien plu.

vendredi 3 mars 2017

Secousses privées/ Frousse publique.

Les temps numériques sont déconcertants et le grotesque déborde au delà de Carnaval :
- Un petit enfant regarde un album photos et s’évertue à essayer d’agrandir l’image avec des mouvements de doigts adaptés aux écrans des appareils numériques.  
- Une dame filmée par l’enfant à qui elle demandait de faire moins de bruit sous les fenêtres de l’appartement où dormait son mari, voit débouler la mère n’acceptant pas de remarques envers son cinéaste en herbe.
- Je viens de refaire l’instit’, en demandant à des enfants frôlant à tous coups le danger, de ne pas faire de luge dans la pente verglacée d’un remonte pente. La perchiste prenait le soleil et la la mère qui faisait confiance au rembourrage des poteaux m’a désapprouvé ; la veille il y avait eu un mort à Corrençon.
Dans « Elle », puisque chez ma coiffeuse, il n’y a pas « Lui » :
« Que feriez-vous si vous n’aviez pas peur ? »  Mark Zuckerberg
Je pose ces petites anecdotes privées avant d’essayer de peser quelques enjeux électoraux.
Ne disions nous pas que tout était politique dans le temps, alors qu’aujourd’hui à côté des ferveurs hystérisées, tout s’attache à ne pas apparaître comme engagé politiquement ?
Où sommes nous tombés, pour accepter l’irrésistible installation du Front National, quand il faut préciser que les casseurs nantais ou d’ailleurs ne font que la renforcer ?
La candidate de l’ordre appelle le désordre.
Redonnez nous encore de la droite comme elle est en ce moment ; on en oublierait les faiblesses de la gauche et le conformisme des médias.
Ainsi malgré quelques exceptions notoires, des siècles de tenue un peu raide mais digne à la sortie de l’église s’aboliraient dans des critiques systématiques de la justice alors que « Grippeminaud, le bon apôtre », ne cessait d’appeler à la sévérité des tribunaux.
Pour un président garant des institutions, la position est intenable. 
Les ministres de Hollande, comme leur papa, http://blog-de-guy.blogspot.fr/2017/02/fictifs.html sont plutôt de bons commentateurs à défaut d’être des ministres notoires, comme Mélenchon qui fut un honorable ministre délégué à l’enseignement professionnel, et Vals un bon ministre de l’intérieur, ou Hollande qui avait tous les talents pour tenir le PS. Mais ils ont tous dépassé leur niveau de compétences :
« Nous avons le choix entre un candidat qui est un type bien mais avec un programme dingue, ou un dingue avec un programme plutôt bien ! »
J’approuve le raisonnement du camarade Cohn-Bendit qui le mène à préférer Macron, devant les dangers d’un second tour se jouant entre la droite extrême et la revancharde d’autant plus agressive qu’elle s’est blessée. D’autres personnes engagées par exemple pour l’accueil des réfugiés ont fait ce choix, et bien que des mots excessifs ou des habiletés trop visibles ne m’enthousiasment guère, la présence auprès de lui d’un sage Béarnais me rassure.
Je me refuse à la politique du pire, retouillant dans les vieilles marmites les frustrations du passé tout en faisant semblant de croire à la création de 3 millions et demi d’emplois rien qu’en le disant. Les révoltés fâchés cultivant prioritairement l’indignation irascible, envisagent-ils d’accéder aux responsabilités? Il faudrait faire des compromis… des compromis : vendus ! 
Il est plus question d’hologramme que d’un programme à négocier avec d’autres peuplades.
Son peuple rien qu'à lui aime sous les chapiteaux colorés, le bateleur offusqué et sans concession qui appelle un éternel été avec ours reprenant pied sur la banquise et réfugiés rouvrant épiceries fraternelles et écoles égalitaires dans nos campagnes libérées du libéralisme. Images d' Epinal pour You tube.
Mon vote est un vote contre, mais je préfère n’attendre rien de transcendant que de permettre l’arrivée de l’inconcevable. Et pour s’en tenir à des caprices enfantins, si le choix se situait entre endives et épinards, il ne conviendrait plus de réclamer du Nutella : «  ça a pris fin », comme on dit en Martinique. Et l’endive est de toutes façons meilleure pour la santé.
……….
Dessin du « Canard » de cette semaine :

jeudi 2 mars 2017

Le monde de Toulouse Lautrec # 2. Gilles Genty.

Avant de mettre en place une exposition Toulouse Lautrec à Martigny, le conférencier qui va poursuivre sa carrière au Canada, intervenait pour la dernière fois devant les amis du musée de Grenoble. Ce deuxième exposé autour de Montmartre de 1875 à 1905 intitulé «  Paris trottine » va traiter de « la rue qui flirte, qui rit, qui pleure, qui gronde ».
La rue, lieu de commémoration.
Paris effondré, éventré, vingt ans après 1870, porte encore les stigmates de l’empire mis à bas et de la Commune écrasée, dont on ne sait toujours pas le nombre exact de morts. Exposé au musée d’art et d’histoire de Saint Denis,  « Plaisanteries devant le cadavre d’un communard » d’un anonyme, réunit, prêtre, bourgeois et élégants devant le « partageux » gisant parmi les ruines.
L’exposition universelle de1878 et la multiplication des statues dédiées aux grands hommes qui ont fait la France doivent célébrer la renaissance du pays.
Le 30 juin est consacré à « la paix et au travail » et vise à conforter le régime républicain encore fragile. « La rue Montorgueil » de Monet, célèbre cette journée et non pas le 14 juillet qui deviendra fête nationale en 1880,
comme en témoigne Alfred Roll : « Le 14 juillet 1880, inauguration du monument à la République »
Sur « La Place Clichy » par Edmond Grandjean, le monument du maréchal de Moncey qui a résisté aux cosaques vient d’être érigé à l’emplacement  d’une ancienne barrière des fermiers généraux.
La rue, lieu de festivités. 
Des fêtes foraines décorées par des artistes s’implantent provisoirement où s’élevaient les  enceintes de la capitale désormais arasées. 
Signac faisait partie du groupe du « Petit Boulevard », il peint : « Le boulevard de Clichy, la neige »
Paul Chocarne-Moreau multiplie les scénettes comme celle  « Des bons amis ».
La rue, lieu d’investissement artistique.
Pour la publicité des affiches Verneau, « La Rue », où sont réunies quelques « trottins », la lithographie de Steinlen est composée de 6 lés tant la dimension est importante ( 2,38 m X 3,04 m). La fragilité des supports a amené des transpositions en carreaux de céramique, la rue devenant alors un musée en plein air.
La rue, lieu de transgression. 
La « Mascarade descendant les Champs-Elysées »  de Georges-Antoine Rochegrosse,  regroupe vivement et poétiquement des représentations de courants artistiques divers.
Toulouse Lautrec avait placé « Le père la pudeur » en fâcheuse posture devant « La vache enragée » qui est aussi le titre d’un journal, lors d’une « valchacade » comme on dit « cavalcade ». http://blog-de-guy.blogspot.fr/2017/01/le-monde-de-toulouse-lautrec-gilles.html
La rue, lieu de revendications.
« La grève au Creusot » des ouvriers de Schneider est la plus célèbre des toiles de Jules Adler, le peintre des humbles. Aristide Bruant chantait à cette époque:
« Pour gouverner, il faut avoir
Manteaux ou rubans en sautoir
Nous en tissons pour vous grands de la terre
Et nous, pauvres canuts, sans drap on nous enterre »
La rue, lieu de désirs, de regards, de transactions (illicites).
Toulouse Lautrec fréquente les maisons closes au moment de leur déclin, mais ses représentations ne sont jamais avilissantes.
« Le spectateur n’est pas un voyeur, mais un témoin ». « Au salon de la rue des moulins » l’attente est ennuyeuse.
Jean-Louis Forain est plus direct : « Le client » fait son marché. Degas dit de ce concurrent qu’ « il peint la main dans la poche » pour signifier qu’il emprunte volontiers aux autres.
L’exode rural a jeté sur le pavé bien des « grisettes » travaillant dans la mode et se prostituant occasionnellement. « Prostituer » signifie au départ  « mettre en avant, exposer au public » avant de tourner au péjoratif : « avilir ». Les artistes ont rencontré fatalement ce monde dont ils reflètent quelques facettes :
De « Madame Valtesse de la Bigne », aux airs printaniers, une grande horizontale, peinte par Henri Gervex qui aurait inspiré la Nana de Zola
à « La cocotte » de Van Dongen qui disait pourtant « la femme est le plus beau des paysages », on ne peut plus morbide.
Quand Félicien Rops y va carrément : «  À vendre »
la « Femme aux Champs-Élysées la nuit » de Louis Anquetin, apparaissait quand s’allumaient les becs de gaz, on disait « Belle de nuit ».

mercredi 1 mars 2017

Equateur J 14 # 1. Cuenca.

Ce matin ce ne sont ni les coqs ni les poules qui nous réveillent mais des chants liturgiques en provenance de San Domingo. A Cuenca on doit boire l’eau de Pitima à base de pétales de fleurs pour bien commencer la journée.
Après le petit déjeuner nous nous dirigeons vers le marché aux fleurs près de Santario Mariano aperçu de nuit hier et pénétrons dans la cathédrale.
Nous sommes surpris de voir les gens prier dans une chapelle de profil par rapport à l’autel central alors que le prêtre célèbre l’eucharistie sous un grand baldaquin doré qui ne manque pas d’évoquer celui du Bernin à Rome.
Les vitraux proviennent de France et la rosace est assez jolie. Nous sacrifions au rite du cierge. Une statue de Jean Paul II rappelle la venue du pape en ce lieu.
Nous montons les 155 marches qui conduisent au toit d’où nous avons une vue sur la ville et sur les curieuses coupoles bleues de la cathédrale.
Nous dominons le parc Calderon dont les araucarias montent presque jusqu’à nous.
Nous revenons sur nos pas vers le marché aux fleurs jouxtant San Marciano ou Eglesia Carmen de Asunción, couvent des Carmélites séparé de l’église par une salle d’ex votos.
Les soeurs vendent des produits comme de la marmelade, du vin, du miel.
Etant donné qu’elles ne peuvent avoir de contact avec les laïcs, il y a une porte à tambour, avec des étagères. José sonne à une cloche, une religieuse invisible arrive de l’autre côté, prend la commande vocalement, met un petit paquet sur l’étagère et tourne le dispositif. Notre guide se sert et dépose l’argent qui disparaît derrière la porte de bois. Il nous raconte qu’une fois il a eu l’occasion d’entrer dans le monastère avec un ami lors d’une ouverture exceptionnelle.Comme il était tard, les sœurs rangées par ordre de taille leur ont signalé qu’il était l’heure de la fermeture. J. et son ami voulant revenir photographier tranquillement s’enquièrent de la prochaine ouverture au public et s’entendent répondre : dans 300 ans !
Autrefois les gens déposaient des bébés abandonnés que les soeurs récupéraient et élevaient.
Les populations qui débarquaient jadis à Cuenca n’avaient pas toujours un logement et recherchaient des endroits discrets pour faire leurs besoins, comme le recoin des églises, à l’extérieur. Les panneaux d’interdiction se révélant inutiles, le clergé décida de mettre des croix aux endroits exposés.
Avant de pénétrer dans le marché couvert, José nous met en garde contre les pickpockets.
Nous gravissons tout de suite l’escalier qui conduit au premier étage pour nous diriger vers une partie réservée aux plantes aromatiques et médicinales. Nous testons les talents d’une femme chamane pour ressentir une bonne énergie. Elle demande à une des volontaires de fermer les yeux, de se laisser aller et  elle la fouette en douceur avec un bouquet d’herbes très variées. Puis elle lui verse une sorte d’eau de Cologne à base de fleurs dans les mains qu’il faut frotter, avant d’en respirer l’odeur. L’expérience semble positive. C. se sent bien.
Après les légumes et les plantes nous passons près de petits bars de jus de fruits et autres restaurants de cochon grillés.
Les femmes pèlent les pommes de terre de toutes variétés, écossent les petits pois, égrènent les épis de maïs, décortiquent de l’ail, en attendant le client, la moitié du travail est fait pour la ménagère.  A la sortie, dégustation de petites bananes particulièrement goûteuses.
Nous longeons la rivière dont la rive est en pleine rénovation pour nous rendre au musée CIPAD (centre Interaméricain pour l’Artisanat et les Arts populaires).
Beaucoup d’américains investissent dans Cuenca pour y passer leur retraite, d’ailleurs nous en croisons deux assez typiques.
Dans une jolie maison coloniale, nous apprécions l’exposition de créations d’artistes d’Amérique du sud fortement inspirées des formes traditionnelles : poteries, sculptures en terre, ponchos ou sacs tissés,
Vraiment très intéressant.

mardi 28 février 2017

La légèreté. Catherine Meurisse.

La bande dessinée était l’outil tout indiqué pour tenter de guérir l’auteur rescapée du massacre de Charlie, voire consoler le lecteur blessé à jamais de la perte de Cabu et Wolinski.
L’humour permet d’aligner sans vergogne les références littéraires de Baudelaire, Stendhal, Proust, derrière une citation de Nietzsche :
« Nous avons l’art pour ne pas mourir de la vérité ».
La dessinatrice va au bord de l’océan et ses aquarelles évitent la mièvrerie par la présence de son personnage à long nez et cheveux raides. Elle revient vers les grands auteurs, sans affectation, avec une connaissance affûtée déjà prouvée :
Le retour sur son histoire d’amour finissante est d’autant plus réconfortant que cette petite douleur là, lui épargnera la vie : ayant traîné au lit, elle est arrivée après le passage des frères Kouachi à la conférence de rédaction. Dans le chemin de la reconstruction avec psy, protection policière, grande manif malgré les médias lourds, tout lui rappelle le drame absolu : une réplique de théâtre ici, et là c’est devant le Bataclan, l’avant-veille, qu’elle se sépare de ses amies avec lesquelles elle avait ajouté l’image au pochoir d’Honoré, oublié sur les murs des locaux du journal.
Pendant un court séjour à la Villa Médicis
elle tombe sur un groupe de statues représentant les enfants de Niobé transpercés par les flèches d’Apollon vengeant sa mère Léto moquée pour une fertilité plus clairsemée que celle dont il reste une source qui pleure pour l’éternité.
La préface de Philippe Lançon, lui aussi rescapé, est d’une grande finesse, et si parfois mon admiration de sa prose dans Libération se mêlait d’incompréhension devant trop de sophistication, ces trois pages sont très belles et fortes, et totalement en harmonie avec la jeune femme en robe blanche qui a posé enfin son manteau au bout des 130 pages. 
«  Nous vivons désormais en funambules, les pieds posés sur le fil du cauchemar et de la créativité, un fil à couper le cœur »