En introduction à la conférence de Christian Loubet devant
les amis du musée de Grenoble sont posés quelques enjeux de taille:
« Peut- on se
référer à un modèle de représentation humaniste après 1945 ? En arrachant
ses masques, afin de se re-connaître, l’homme finit par déchirer sa chair.
L’artiste met en forme le doute contemporain. »
Francis Bacon, mort à Madrid il y a 23 ans, était né en 1909
à Dublin, pas loin de chez Oscar Wilde.
A 16 ans, il est chassé de chez lui pour avoir revêtu les
habits de sa mère. Il assumera son homosexualité.
A Berlin, il découvre l’expressionisme, à Paris, Picasso et
les surréalistes. Il rejette l’art abstrait trop esthétique, qui n’a
« rien à combattre » et la figuration traditionnelle. De retour à
Londres, il sera marqué par les
crucifixions de Roy de Maistre.
De 1933, année de l’installation du nazisme, il conservera une
de ses « Crucifixion »,
alors qu’il détruit toutes ses autres toiles. Il va travailler ce thème pendant
plusieurs années.
Des Érinyes,
figures mythologiques monstrueuses, vengeresses, sont les éléments centraux du
triptyque « Trois études de figures au pied d’une
crucifixion » de 1944. Les bouches hurlantes de
cette allégorie de l’horreur vont frapper le public au plexus et initier une
notoriété internationale.
« Fragment of a Crucifixion » : « Cette crucifixion d’un des fils des dieux, de
siècles en siècles recommencée » Jean Clair. «Amas rose et pantelant de viscères au milieu
duquel, s’ouvre terrible, la bouche ronde et hurlante ».
"Trois études pour une crucifixion" évoque le bœuf de
Rembrandt, les carcasses de Soutine et le christ de Cimabue comme un ver vu à
l’envers. L’accouchement est « viandesque », rouge sang dans la nuit
noire.
Ses papes, en 40 variations, enfermés depuis leur sedia gestatoria, victimes de la condition humaine, hurlent, leur majesté est
impuissante. En voici une « Étude d’après le portrait du pape
Innocent X de Vélasquez », le
cauteleux, « troppo
vero ».
Ses têtes en séries crient car « la route de l’âme est
coupée », dédoublées en miroir, fendues ou éclatées en trois. « Study
for the Nurse from the Battleship Potemkin » est composée comme
souvent à partir d’une photographie du film d’Eisenstein.
L’affrontement bestial de “La corrida” est enfermé dans
un cercle, matador et taureau confondus.
« Sweeney agonistes » d’après le poète
TS Elliot, traite de l’incommunicabilité avec au centre un compartiment d’où
l’auteur du crime a disparu. Les taches sont jetées puis organisées, exploitant
l’accident, pour retrouver dans la peinture, la vivacité de la photographie.
Si les amis de FB ne souhaitaient pas forcément être portraiturés, «George Dyer », son ami, mort
d’overdose la veille d’une exposition au Grand Palais est représenté dans son
identité fuyante. La solitude et le désespoir perdurent dans d’autres toiles
entre vomissement dans un lavabo et prostration sur le siège d’un WC, où
flèches et macules ciblent la figure se fondant dans la nuit sous l’ombre
de la mort.
Nous pouvons être choqués ou bouleversés par ses formes monstrueuses,
torturées, enfermées, il ne s’épargne pas dans ses « Auto
portrait » allant au-delà de l’anecdote, infra portrait, tuméfié, au
delà de la psychologie.
Son atelier de Kensington, » où s’accumule
« l’humus de la création » remonté à Dublin, conserve ce fouillis
fructueux dont il prélevait des poussières pour les projeter sur ses châssis.
Il mélange pastels et acryliques, usant de brosses, balayettes, chiffons,
éponges, couvercles… Il choisit parfois de vitrifier les images pour mieux
impliquer le spectateur par son reflet. Peignant souvent au bout de la nuit « dans une empoignade du flegme et de
la frénésie » suivant les mots de son ami Leiris, il réussit « à
rompre ce qu’il peut faire facilement ». Après la banalité du mal chez Arendt et Beckett, il
veut toucher le fond d’une souffrance qui est le propre de l’homme.
« J’aimerais
que mes tableaux donnent l’impression qu’un humain est passé entre eux, comme
l’escargot, laissant la trace de l’humaine présence et la mémoire du passé
comme l’escargot laisse un sillon de bave »