mardi 26 avril 2016

Animal’z. Bilal.

J’aimais bien jadis quand l’artiste yougoslave prenait si bien l’air des temps autogestionnaires, mais  en ces temps de dérèglement climatique la fiction se fait frisquette.
Toujours aussi beau et le sachant, ses rehauts de blanc sur fond gris font toujours leur effet, et les petits filets de rouge donnent signe de vie, mais je finis par trouver ses dessins trop hiératiques.
Le scénario n’est pas là pour me réconcilier avec le genre science fiction que je trouve ici sans surprise : l’animalité revue en hybridation avec de beaux êtres à l’apparence humaine à la cruauté implacable était peut être prémonitoire en 2009 des compassions présentes envers dauphins et baleines. Mais navires et canots clapotent trop paresseusement dans les eaux glacées.
Les patronymes des belles et des beaux au profil toujours avantageux frôlent le ridicule avec Lester Outside et Franck Bacon, aux pédigrées chargés d’enfant soldat, rescapé de cataclysme ou veuve  de fraiche date.
« Je sens que je peux en rajouter encore, sur son égoïsme, son arrivisme, son narcissisme, son nihilisme… Ce mec était tout en ismes, du gigantisme de notre mariage jusqu’à l’anticonformisme de sa mort… »
 Omar est un robot domestique et un clone de Bartabas sur son mi-zèbre ne parle qu’en citations. 
« Vous n'aimez pas les citations? Pourtant, à elle seule, la vie en est une...C'est Borges qui l'a dit. »

lundi 25 avril 2016

L’Avenir. Mia Hansen-Løve.

Pas la peine d’insister une fois encore sur la prétention d’un titre trop absolu, genre « La Vie, l'Amour, la Mort » qui faisait sourire jadis, alors qu’il s’agit au contraire d’un film modeste, subtil, retenu. Quelques scènes sont très réussies, comme une déception dans le Vercors ou une annonce en principe primordiale en mode mineur. Par contre si des dialogues philosophiques sont réussis, à d’autres moments on ne sait si la prof dicte ou donne à réfléchir et c’est gênant pour ceux qui connaissent le bâtiment. Une leçon sous les arbres ne révèle pas une enseignante très présente à ses élèves. Alors que la conversation d’un groupe libertaire concernant la notion d’auteur, très « Nuit debout », sonne juste, dans une langue étrangère, pour marquer les distances entre générations sans les surligner, comme à d’autres moments avec les éleveurs de chèvres sans chèvres, du côté de Clelles où la campagne est bien belle.
Le cinéma français connait bien ce milieu confortable où les conflits sont mouchetés. Les aléas de la vie familiale sont surmontés avec sagesse, et cette parenthèse en couleurs nous repose de tant d’hystéries, tout en revenant sur des questions éternelles qui mettent en balance solitude et liberté.
Est-ce que j’ai bien vu  en début de film, deux petites filles du temps des bords de mer avec papa maman devenues une fille et un garçon à l’âge de quitter la maison, ce qui marquerait une incohérence de scénario ? Les touches sont justes le plus souvent comme avec les grands parents qui s’accaparent le nouveau né sans un regard pour la mère et aussi l’arrière grand-mère qui se débat, insupportable, loin des numéros d’actrice excentrique comme j’ai pu l’entendre de la part de critiques attitrés.
Une petite chanson peut dire la vie aussi bien qu’une phrase de Lévinas :
«  À la claire fontaine
M'en allant promener
J'ai trouvé l'eau si belle
Que je m'y suis baigné »
C’est une des chansons préférées en ce moment de ma Mia à moi.

dimanche 24 avril 2016

Je suis Fassbinder. Richter, Nordey.

Pendant deux heures, la pièce de théâtre, encombrée d’écrans, qui avait l’intention d’empoigner les problèmes du moment, parvient à l’inverse de ses intentions : les années soixante dix paraissent si lointaines que la tentative de décalquage sur nos années seize en est pathétique.
Nous les avions pourtant tant aimées ces années de notre jeunesse et apprécié le metteur en scène :
Cette fois je n’ai pas applaudi, tout en reconnaissant qu’il y a matière à penser, mais en ce qui me concerne, c’est en opposition à une représentation que je juge hystérique, alors que j’aurais pu apprécier la conviction des acteurs. Le propos est frontal et didactique bien que des contradictions soient évoquées mais d’une façon tellement caricaturale.
Je me suis retrouvé dans la jeune femme qui se met à courir autour de la scène en disant « ça va s’arranger ! » mais quand on a fréquenté Galotta et d’autres, ces galops affolés ont un air de déjà vus.
Certes j’ai appris que la petite fille du ministre des finances d’Hitler, siégeant au parlement de Strasbourg était :
« pour que la police des frontières fasse usage d’armes à feu sur les réfugiés ».
Mais continuer à accoler le mot nazi à toute relation hétérosexuelle, banalise le terme, comme traiter de « gros cochon » tous ceux qui ont peur pour leur pays, ne risque pas de les convertir  à une fraternité dont ils sont exclus.
Inévitablement, je me retrouve du côté de Camus quand Nordey dans sa harangue finale tourne autour du pot avant d’aller au bout de son audace, le cinéaste allemand avait affirmé :
« La question la plus importante est de savoir comment détruire cette société  »
Je préfère psalmodier :  
« Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. »
Et il y aurait pourtant tant à dire en évitant les propos excessifs qui ridiculisent les protagonistes, sur l’asservissement des femmes, la liberté d’expression, puisque le titre est inspiré de « Je suis Charlie ». Pour le coup, ce Fassbinder je ne l’ai pas trouvé très « Charlie ».
L’hebdomadaire satirique a été protégé par l’état policier pendant des années.
De surcroit, faire tournoyer sa bite sur un plateau me parait d’une impertinence surannée, triste et vaine. Et la violence de nos désillusions ne doit pas forcément tout à la barbarie du capitalisme. Quand l’éminent directeur de théâtre national à la façon des comiques patentés monopolisant nos antennes envoie quelques coups de griffes envers Yasmina Reza voire Tchekhov qui lui est dans une autre cour, on peut trouver que le niveau baisse. Il y avait bien plus d’actualité dans la Princesse de Clèves
que dans ce froid potage potache.  
Et de se vautrer sur la moquette à longs poils des nostalgies régressives quand la bande à Baader faisait bander. 
Les loups EI sont entrés dans Paris et les cris « au loup » en ont laissé prospérer d’autres au FN, qui peuvent se lécher les babines en entendant tous ces applaudissements d’hommage à quelques aveuglés par des soleils éteints.   

samedi 23 avril 2016

XXI. Printemps 2016.

A énumérer la liste des lieux aprochés avec ce 34° numéro du trimestriel à succès, l’impression de revenir en des endroits familiers est forte, alors que le sentiment est tout aussi évident de (re)découvrir : la Syrie, l’Iran, Mayotte, la Birmanie, Cuba et le bas des tours dans une banlieue de l’Est de notre pays, quand une sœur écrit à propos de son frère dealer... 
Trois reportages sous le titre « du côté de chez nous » portent sur :  
- Calais, la ville à l’ombre de la « jungle » avec Emmanuel Carrère dans une approche qui a le mérite de paraître nouvelle sur un sujet mainte fois parcouru,
- une sœur encore à propos de son frère qui laisse une ferme en Bretagne,
- et au Havre, quatre générations de normands « pur beurre », venus d’Algérie.
Les photographies d’un studio au Sénégal apportent un répit bienvenu avant un reportage sur la « couveuse » de Daech, une prison à côté de Damas.
Alors que dans la discrétion une fondation à Téhéran reçoit des jeunes filles victimes d’abus sexuels.
« Micmac à Mayotte » peut sembler exotique à 8000 km de la métropole et à quelques années de distance. Le récit donne de la profondeur au coup de projecteur forcément furtif de ces jours à propos de cette île ; les injustices de la justice y sont ravageuses.
Les portraits fouillés sont contrastés, depuis Antanas Mockus artisan d’une révolution politique en Colombie qui échoua, jusqu’à l’icône Birmane Aung San Suu Kyi qui réussit mais descend de son piédestal, alors qu’Esméralda Romanez, la Tzigane, dégage une énergie communicative.
La BD consacrée aux cubains vivant à Miami présente des éléments en amont du rapprochement récent entre Obama et Castro Raoul.
200 pages, 15,50 €.

vendredi 22 avril 2016

Merci M. Finkielkraut.


Voilà qu’à République, quand la nuit se tient debout, des énergumènes déboutent le philosophe
http://blog-de-guy.blogspot.fr/2011/11/et-si-lamour-durait-alain-finkielkraut.html  qui aurait pu savoir qu’il allait se faire du mal à venir en ces lieux. Depuis un moment je lis ce témoin de ma génération, je l’écoute, et il m’émeut jusque dans ses maladresses. Son éviction permet de mettre en évidence, sous certains masques nocturnes, intolérance et bêtise qui n’appartiennent pas exclusivement à un camp.
Certes les biquets qui « ainsi font font font » dans les assemblées fraternelles, n’ont repoussé personne, ni détérioré quoi que ce soit, mais leur indulgence va d’abord vers les casseurs  en marge des manifs ou à l’égard de ceux qui se montrent intolérants sur ce coup. Et pourtant ils se voient, si bienveillants vis-à-vis de l’humanité en général, mais pas forcément à l’égard de  tous leurs contemporains.
Ce n’est pas de leur faute, pensent-ils - on dit alors irresponsables - mais celle de la société, de leurs parents, de Vals, de la mondialisation, du capitalisme… Ils sont  pourtant si cools, mais guère stratèges : cet épisode a même été regretté par des journalistes qui ont réchauffé leur tirage auprès de quelques cracheurs de feu aux nez rouges et leurs vieux os aux paroles adolescentes.
Un de mes amis, libertaire conséquent, fin connaisseur de littérature populiste, radical en humanisme, n’aimait guère les cortèges où on « faisait les conscrits », alors que moi j’appréciais les slogans marrants et les dispositifs inventifs qui nous faisaient courir après une médiatisation où nous nous perdîmes, parmi d’autres lieux de perdition.
Si je reviens sur ce mouvement où les enjeux de paroles se posent, http://blog-de-guy.blogspot.fr/2016/04/bisounours.html c’est que l’expression aussi bien des enfants, que des adultes, m’a importé tout au long de ma carrière de pédagogue et de syndicaliste.
Les moyens pour parvenir à nos fins dans mon métier et dans mes engagements me semblaient liés. C’était avant que la police permette aux dessinateurs de dessiner, et à la presse d’exercer sa liberté. Aujourd’hui dans ces assemblées qui aiment se savoir tellement horizontales, j’aurais tendance à voir plutôt une priorité donnée à la forme pour la forme qui prendrait le pas sur le fond. 
Dans la classe, des moments étaient institués pour que chaque élève puisse s’exprimer, nous avions alors le temps. Biberonné aux débats soixante diseurs, je veillais à ce que les grandes gueules ne soient pas hégémoniques, sous la férule du doigt levé, et par ailleurs se menait un travail au long cours concernant l’expression écrite. Des témoignages me sont revenus, auxquels j’ai peine à croire, de l’absence de toute rédaction tout au long de certaines scolarités ; pourtant l’indigence de certains articles dans quelques journaux survivants laisserait supposer que de tels manques n’aient pas été si rares.
Chaque jour commençait par un moment de poésie, alors qu’en 2016, les bannières qui font rimer grève avec rêve, me semblent faciles. Rime riche mais nouveauté à revoir.
En participant aux discussions au sein de la CFDT entre rocardiens, démocrates chrétiens, cathos de gauche, écolos, trotsks, ex Maos, pédagos, voire syndicalistes et quelques socialos qui nous poussèrent vers la sortie…  et auprès desquels je revins en d’autres lieux, je n’ai pas résolu tous mes démêlés persos mais j’ai cultivé un goût de la contradiction qui me poursuit. Ce furent des moments de plaisir que de s’accorder, parmi tant de diversité d’opinions, de caractères, de conditions, tout au long d’années de travail, de convictions et d’espoir.
Depuis les facs en faillite et les Pôles Emploi à poil, dans un pays où devenir enseignant, conducteur de train ou bien médecin généraliste n’est plus désirable, la jeunesse qui ne croit plus aux flatteries d’une classe politique aveugle et sourde, a raison d’être inquiète : elle se bouge. Mais c’est la respecter que de ne pas tout approuver de leurs comportements et paroles. 
Pour avoir fait un tour furtif sur le parvis de la MC2, j’ai deviné au bout de deux phrases de quel parti était la laborieuse oratrice du moment. Si elle pouvait en ce printemps convaincre quelques débutants en politique, moi, le vieux singe, après trop de grimaces, je suis allé m’asseoir dans la salle subventionnée attenante pour assister à du théâtre moins prévisible.
Pour ce que je sais : que le film de Ruffin  http://blog-de-guy.blogspot.fr/2016/03/merci-patron-francois-ruffin.html  fasse converger tant de regards et cristallise les oppositions les plus radicales, les visions les plus ambitieuses, me laisse dubitatif sur les perspectives que peuvent proposer des spectateurs qui prendraient la comédie documentaire facétieuse mais parfois ambigüe pour « L’an 01 ». Ces images pointent la faillite de l’action collective et par là sont parfaitement dans l’air du temps individualiste : ironie et auto satisfaction.
« Nuit debout » est plutôt réservée aux étudiants peu harassés par les rythmes scolaires mais guère dans le tempo pour ceux qui se lèvent tôt, à moins d’être en grève générale comme il se devrait depuis un demi-siècle au moins. Dans quelque maigrichonne vidéo de propagande, un commentateur s’extasie que lors de ces assemblées un cadre discute avec un SDF. Quand tant de candeur rejoint tant d’ignorance de la vie, je mesure nos faillites syndicales et pédagogiques. Pour les politiques se reporter à la chronique quotidienne qui voit ici Piolle et Martin s'éblouir devant une facette de la jeunesse ou là haut, El Khomri portant un chapeau bien trop vaste pour elle, alors que Vals affublé d’un Panama depuis air Barça et autre Cahuzac en papier doré, a beau tourner dans tous les sens,  il s’enfonce.
…..
Le dessin d’en-tête et celui ci-dessous viennent du site de la newsletter de Télérama.

jeudi 21 avril 2016

Saint Grégoire. Valérie Lagier.

La Conservatrice du musée de Grenoble est venue présenter l’œuvre de Rubens aux amis du musée : « Saint Grégoire pape, entouré de saints et de saintes, vénérant l’image miraculeuse de la vierge à l’enfant, dite de Santa Maria in Vallicella ».
Pour contenir tant d’intentions, il faut bien toute la surface monumentale de la toile 
de 4,77 m sur 2,88 m autour de laquelle se construira le musée de la place de Verdun ; une telle taille sera également prise en compte dans le bâtiment de la place de Lavalette.
Alors que Le Caravage aurait pu prétendre honorer la commande des Oratoriens en janvier 1606, c’est Rubens resté en Italie pendant 8 ans et connaissant bien le trésorier du pape, qui emporte le marché pour 300 ducats.
Destiné au maître-autel de la Chiesa Nuova de Rome, cet exemplaire ne reste pas accroché longtemps. Est-ce un refus des commanditaires car le saint ressemblerait trop à Philippe Néri pas encore « en odeur de sainteté », ou le véto de Rubens mécontent de la lumière inondant le tableau, atténuant les effets des étoffes somptueuses ? Rubens louait lui-même : «  la qualité exquise du coloris, la finesse des têtes et des étoffes reproduites d’après nature »
De nombreuses ébauches ont été proposées précédant l’œuvre gigantesque : quelques putti ont disparu ainsi que les palmes autour de Domitille dont le visage désormais proche de « Lucretia » de Véronèse, a été modifié.
Un cahier des charges précis demandait de mettre en évidence La Vierge figurant déjà là sur une fresque miraculeuse qui saignait depuis qu’elle avait été frappée par un hérétique. Celle-ci réapparait les jours de fête derrière le médaillon à clapet en cuivre dans la partie supérieure du tableau que Rubens a peint sur ardoise pour remplacer la toile prévue. Synthétisant deux images miraculeuses parmi tous ces putti, elle repoussait la peste dans une scène «  qui illustre parfaitement l'esprit de la Contre-réforme triomphante ».
La conférencière ne détaillera pas l’esthétique des diagonales, des courbes et contre-courbes annonçant le style baroque, avec ses escaliers au premier plan invitant à entrer dans le paysage dont l’architecture « symbolise la fin des croyances païennes au profit de la religion chrétienne victorieuse ».
 Grégoire Ier, Grégoire le Grand, pape de la fin du VI° siècle est surmonté de la colombe d’inspiration divine mais ne porte pas la tiare habituelle révélée par des radiographies récentes.
Il est entouré de Saint Maurice, en militaire romain ayant refusé de persécuter les chrétiens associé à Saint Papien. Sa silhouette est inspirée du Corrège parmi d’autres influences vénitiennes.
Sainte Domitille qui leur fait face est présentée comme un exemple de mépris des richesses du monde, pas vraiment édifiante cette fois dans cette robe luxueuse, avec sa coiffure très XVII° flamand. Ses complices Saint Achille et Saint Nérée, eux aussi enrôlés dans l’armée romaine, finirent martyrs. Parmi les nombreuses retouches, ses bras et son épaule ont été découverts après la présentation du tableau aux moines.
Pierre Paul Rubens est vraiment européen : né en Allemagne où sa famille calviniste avait fui, il parle l’espagnol, le flamand, l’italien, l’espagnol, le latin, le français ; redevenu catholique il joue un rôle diplomatique éminent.  Il a travaillé pour Marie de Médicis, Philippe IV d’Espagne, Charles 1er d’Angleterre. Installé à Anvers, son grand atelier qui a produit 1400 œuvres avait besoin de nombreux collaborateurs dont Van Dyck, Snijders ou Jordaens…
Après avoir essayé de laisser ce tableau à son mécène Vincent De Gonzague duc de Mantoue, il va le rapatrier à Anvers pour la chapelle funéraire consacrée à sa mère qui venait de décéder et que rejoindra sa première femme : c’est que cette peinture lui tient à cœur.
Elle y reste jusqu'au XVIII° siècle quand les armées révolutionnaires amènent le tableau en France. L'œuvre volée découpée en plusieurs morceaux puis reconstituée, rejoindra le Dauphiné en chariot en 1811 avec Champaigne et Véronèse.
Au bout de ces transports de multiples restaurations et rentoilages ont été nécessaires. Depuis 1935, dans son cadre flashy, marque du musée grenoblois, elle n’a pas repris la route, même pour un prêt.

mercredi 20 avril 2016

Le roi est mort !

Fabrice Conan, devant les amis du musée de Grenoble, bouclait un cycle de trois conférences consacrées aux portraits « La passion du paraître, de vie à trépas » au moment où dans la cathédrale Notre Dame toute proche, un hommage était rendu à Serge Kampf, mécène du rugby et patron de Capgemini.  
En écho à la présentation au château de Versailles des rituels funéraires pour le tricentenaire de la mort de Louis XIV, il s’agissait de saisir quelles furent les images destinées à être gravées pour l’éternité.
Deux obélisques en bois peint imitant les marbres, plaqués de crânes en papier mâché, inspirées par l’Italie, figuraient à l’entrée de  cette exposition, elles auraient pu être édifiées par les ateliers des Menus plaisirs d’alors qui confectionnaient habituellement les décors des opéras et des ballets pour la cour. L’apparat, les symboles ont repris vigueur au XVII° siècle, à l’époque du baroque où le grand bonheur est à la mesure des grandes tristesses.
Jusqu’au dernier moment le roi atteint de la goutte, conduisit son chariot, ainsi lors d’une « Promenade dans les jardins du Trianon » le 11 août 1815.
Il a alors 77 ans, un âge allant bien au-delà de la moyenne du commun des mortels, mais pas si exceptionnel parmi les privilégiés.
Son « Portrait en cire » que réalisa Antoine Benoist dix ans auparavant, laisse deviner un corps résistant aux assauts des médecins mais pas à celui des dentistes qui ont creusé des trous dans le royal palais à l’hygiène dentaire compromise par l’abus de meringues.
Son testament, dont la rédaction a été encouragée par madame de Maintenon, ne sera pas plus respecté que celui de son père Louis XIII, cassé par le parlement.
Parmi ses dernières apparitions : « Le roi reçoit l'ambassadeur de Perse », un imposteur, en  présence de l’arrière petit fils qui apprend le métier.
Lorsque Louis XIV invite sur son lit de mort, le dernier espoir de la dynastie, il lui montre son attachement en lui disant « Mon mignon » et se repent « de ne pas avoir apporté la paix à son peuple » d’après Saint Simon. Les témoignages du grand écrivain sont à prendre avec prudence, lui qui avait renoncé aux champs de batailles malgré la réprobation du Roi.
Atteint de la gangrène, Louis « Le Grand » refuse l’amputation, et organise sa sortie, recevant les corps constitués, ses serviteurs, les princesses :
«  Vous m’avez donc cru immortel ? » 
« Je pars, mais l’état demeure » en contradiction avec le fameux : « L’état c’est moi ».
Le 1er septembre 1715, le souverain meurt à « huit heures et quart et demie » (8h 23).
Aussitôt se met en place le cérémonial.
Le cadavre royal, subit une tripartition : les entrailles destinées à Notre Dame, et le cœur sont mis à part du reste du corps embaumé avant que celui-ci  ne soit exposé dans la chambre de Mercure à Versailles.
La nécessité de garder un corps présentable avant l‘inhumation a été plus facile à respecter que pour Saint Louis. Il avait fallu faire bouillir les chairs de Louis IX et les laisser à Palerme : les os arrivant  jusqu’à Saint Denis, nécropole des rois de France.
Le Roi Soleil va rejoindre ses prédécesseurs, en une nuit, à la lumière de 800 flambeaux, suivi par un cortège comptant 2500 personnes. Tel « Le convoi funèbre de la reine Marie-Thérèse d'Autriche, épouse de Louis XIV, arrivant en vue de Saint-Denis, le 10 août 1683»,
L’iconographie est absente au moment de la disparition, et les rites de présentation qui duraient huit jours ont varié depuis Henri IV.  Bien que les cérémonies soient grandioses, il n’y aura pas de statue de gisant. Soixante-douze prêtres célèbrent des messes en continu et seulement les plus hautes personnalités ont le droit de s’agenouiller. Lors de la période de grand deuil qui ira en s’atténuant en demi-deuil, les civils de la cour portent de grands manteaux à la façon des moines. La période d’affliction doit durer un an et deux mois ; les miroirs, les tableaux sont recouverts de tissus noirs. Mais le pouvoir n’est pas vacant, les conseils se réunissent. Le grand Chambellan change la couleur des plumes de son chapeau, du noir au blanc, pour annoncer « Vive le roi » après avoir proclamé : «  Le roi est mort ».
Dans les variations de couleurs : « Louis XIII en costume de deuil » est vêtu de pourpre : sa personne s’efface devant la représentation.
« Marie Stuart » avait été une des dernières à porter le deuil en blanc, Anne de Bretagne aurait été la première reine à le porter en noir.
Quant à la « Duchesse de Nemours », elle profite de cette période pour n’accepter aucune demande en mariage.
La grande cérémonie des obsèques ne se tient que le 23 octobre dans la basilique drapée de noir où des milliers de cierges éclairent le catafalque et l’autel. Sous un dais gigantesque la couronne, le sceptre et la main de justice reposent sur le cercueil. La Justice et la Force pleurent et des squelettes soutiennent une couronne. Honoré de Quiqueran de Beaujeu prononce l’oraison funèbre du « très haut et très auguste prince Louis XIV », mais c’est de Jean-Baptiste Massillon à la Sainte Chapelle que l’histoire retient : 
Des messes sont dites dans tout le royaume et jusqu’à Mexico.
« Dieu, seul est grand, mes frères »
Celui-ci avait, dans d’autres prêches, rejoint l’opinion d’un certain Vauban, me rappelait ma référente en histoire, ou les écrits de Boileau :
« On voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés par le soleil, attachés à la terre qu’ils fouillent avec une opiniâtreté invincible; ils ont comme une voix articulée, et, quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine ; et en effet, ils sont des hommes ; ils se retirent la nuit dans des tanières où ils vivent de pain noir, d'eau et de racines ; ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre, et méritent ainsi de ne pas manquer de ce pain qu'ils ont semé. »
À la révolution, en 1793, à Saint Denis, les caveaux des rois sont ouverts et leurs restes dispersés. Une plaque du cercueil de Louis XIV sera utilisée pour son cuivre sous forme de casserole.
Des aspects des rituels monarchiques ont subsisté : le tableau représentant « Les Funérailles de Sadi Carnot » en 1874  au Panthéon, est tellement gigantesque qu’il n’a jamais été exposé.